De Jennifer Lewington
Illustrations : Michelle Thompson/Anna Goodson
Dépassés, déçus, désespérés… Les émotions étaient palpables quand des enseignantes et enseignants de Sarnia se sont exprimés sur les problèmes de santé mentale dans leur classe. Le très grand nombre des réponses fournies dans la section des commentaires d’un sondage, ainsi que leur intensité, ont stupéfié les chercheurs.
«Ils disaient tous : “Je me soucie de mes élèves, mais je ne sais plus quoi faire. Je suis au bord de l’épuisement, au bout du rouleau”», dit Michaela Smith, épidémiologiste au Chatham-Kent Public Health Unit, l’agence qui a effectué le sondage auprès de deux conseils scolaires en partenariat, le Lambton Kent District School Board et le St. Clair Catholic District School Board.
Les pédagogues interrogés se sentaient relativement préparés à relever les défis liés au déficit d’attention, mais mal préparés à affronter la dépression et le suicide chez les élèves. «Nous ne pouvons pas enseigner à ceux qui ne peuvent pas apprendre, car nous ne touchons pas aux problèmes [de santé mentale] sousjacents », dit Mme Smith en résumant les préoccupations des enseignants.
Le malaise des enseignants de Sarnia, que l’on vit ailleurs aussi, est dévoilé au moment où la province introduit un vaste remaniement, sur dix ans, des services en santé mentale. La première étape de la Stratégie ontarienne globale de santé mentale et de lutte contre les dépendances, annoncée en 2011, s’accompagne de 257 millions de dollars sur trois ans (puis de 93 millions de dollars par an) afin de financer une gamme d’initiatives en milieu scolaire.
La stratégie fournit un accompagnement et d’autres types d’appui aux conseils scolaires afin d’informer et de sensibiliser les communautés scolaires aux problèmes de santé mentale, de réduire les préjugés qui y sont associés et de collaborer comme jamais auparavant avec les agences de santé pour faciliter l’accès aux soins.
L’attention dont font l’objet les écoles s’est fait attendre beaucoup trop longtemps, disent des intervenants. Un jeune sur cinq vit un problème de santé mentale (p. ex., anxiété, stress, déficit d’attention avec hyperactivité, troubles de l’humeur, schizophrénie, dépression, suicide). Ils ne reçoivent pas tous les traitements nécessaires. Pour les écoles, le défi est de créer un environnement propice à la réussite scolaire, et au bien-être social et émotif de chaque élève
C’est pourquoi la «classe empathique», qui privilégie l’empathie, l’engagement et l’apprentissage, devient un élément important dans la stratégie pour favoriser la santé mentale en milieu scolaire.
Les cultures autochtones offrent beaucoup de modèles positifs et sains favorisant la motivation et l’apprentissage à l’école, et le respect de l’environnement.
«C’en est un élément central, dit Kathy Short, directrice de l’équipe d’appui pour la santé mentale dans les écoles, réseau établi par le ministère de l’Éducation pour aider les 72 conseils scolaires de langue anglaise de la province à mettre en œuvre la stratégie. Il est crucial que les classes soient des milieux accueillants, que les enseignants connaissent leurs élèves et que ceux-ci se sentent suffisamment à l’aise pour prendre des risques dans l’acquisition des compétences nécessaires pour socialiser et apprendre. Les enseignants sont les yeux, les oreilles et le cœur de ce travail.»
Même si la stratégie en est encore à ses débuts, elle façonnera éventuellement de nouvelles pratiques à l’intérieur comme à l’extérieur des classes. «Ce n’est pas seulement une question de cerner ce que les enseignants doivent savoir, dit Ian Manion, directeur général du Centre d’excellence de l’Ontario en santé mentale des enfants et des adolescents. Les connaissances des prestataires de services de santé dans la communauté et l’arrimage entre ces prestataires sont tout aussi importants.»
Des classes empathiques existent dans certaines des 5 000 écoles de la province, mais elles n’ont pas suffisamment d’appui.
«L’excellence est présente partout dans la province, mais de façon inégale, dit Judith Nyman, coordonnatrice de la Coalition pour la santé mentale des enfants et des adolescents de l’Ontario, vaste groupe de défense des droits. Les bons pédagogues ont toujours eu des Pratiques exemplaires de manière intuitive, mais, dorénavant, nous serons très précis quant aux conditions qui doivent exister en classe pour accroître la résilience des enfants et des adolescents. Par contre, cela prend du temps.»
Un élève sait reconnaître une classe empathique quand elle l’est. À la St. Patrick Catholic Secondary School de Sarnia, les élèves de 11e et de 12e année servent de mentors à des élèves de 9e dans un programme de sensibilisation à la santé mentale. Confiants, les élèves du cycle supérieur nomment sans hésiter les ingrédients clés de ce programme : communication, respect, confiance, compréhension et sentiment de sécurité. «Si nous avons un problème, ils [les enseignants] ne sont jamais trop occupés pour nous parler», dit le mentor Trevor Ducharme. Quand ils ne savent pas la réponse, ils nous aident à la trouver.»
Son expérience n’est pas universelle. Dans son rapport Building a Better School Environment for Youth with Mental Health and Addiction Issues, publié cet automne, le Comité d’action jeunesse de Santé mentale pour enfants Ontario a donné les résultats d’un sondage réalisé auprès de 300 élèves et étudiants de 11 à 25 ans. Parmi eux, seulement 35,1 pour cent estimaient que le personnel de leur école comprenait les problèmes de santé mentale. Le rapport recommande que les élèves jouent un plus grand rôle pour favoriser une meilleure communication avec les enseignants et réduire les préjugés.
«Un élève qui vit un stress peut être perçu comme rebelle, tandis qu’un enseignant concerné peut sembler porter un jugement sur lui, ont écrit les auteurs du rapport. Trop souvent, les élèves aux prises avec un grave problème de santé mentale sont ignorés, car on se dit qu’ils “traversent une phase”».
Les élèves ayant un problème de santé mentale disent qu’on les envoie souvent promener. «Les gens pensent que l’on veut se faire remarquer, dit une adolescente trop jeune pour être identifiée et qui a participé au camp annuel pour jeunes leaders de Santé mentale pour enfants Ontario, à Orillia, en juillet dernier. Mais nous vivons des difficultés, comme tout le monde.»
Le camp fournit de la formation dans le cadre de la campagne contre les préjugés The New Mentality. Des ados y racontent volontairement quels moyens leur localité (à l’intérieur comme à l’extérieur de l’école) a mis en œuvre pour sortir de l’ombre les problèmes de santé mentale. Souvent francs (comme cette adolescente qui ne faisait aucun effort pour cacher ses marques de coupures aux bras et aux jambes), les bénévoles refusent de se laisser définir par la maladie dont ils sont atteints.
Ils s’attaquent de front au rejet dont ils font l’objet. Une jeune femme a décrit comment elle était ostracisée par ses camarades, qui craignaient «d’attraper» sa maladie. Une autre a montré ses dessins décrivant les heures d’ouverture limitées affichées sur le bureau d’un conseiller. On peut y lire : «Ma maladie mentale n’a pas d’horaire. Pourquoi en avez-vous?»
De plus en plus, les écoles reconnaissent les élèves en tant qu’alliés. Cette année, avec l’appui de professionnels de la santé mentale, des élèves qui agissent en tant que conseillers dans leur école ont animé un atelier sur la santé mentale pour l’Hamilton-Wentworth District School Board.
«Beaucoup de gens pensent que si on est atteint d’une maladie mentale, on peut “s’en remettre, juste comme ça”, dit Alexandra Ewing, EAO, qui a organisé l’événement avec Sydney Stenekes, EAO, elle aussi conseillère dans son école secondaire. Grâce à l’atelier, beaucoup d’élèves ont appris que ce n’est pas le cas.» Selon Mme Stenekes, il est tout aussi important pour les élèves de savoir qu’ils peuvent changer les idées reçues. «Amorcer une discussion est la première étape pour éliminer les préjugés», dit-elle.
L’atelier s’insère dans une stratégie plus large du conseil scolaire pour faire réfléchir les élèves sur la santé mentale. «Nous voulons être très clairs quand nous demandons aux élèves ce dont ils ont besoin, ce que nous pouvons faire différemment, ce que nous devons continuer de faire et ce qui ne devrait pas changer», dit le directeur, John Malloy, EAO.
Par un beau matin ensoleillé de septembre, à la P.E. McGibbon Public School, une école élémentaire de Sarnia, l’attention portée aux élèves est évidente dans la cour d’école. L’enseignante de 5e- 6e année Heather Parnham, EAO, et ses élèves parlent ensemble. Quelques minutes plus tard, l’enseignante accueille chacun de ses élèves par leur prénom, à la porte de sa classe située au premier étage.
Comme dans les statistiques canadiennes, dans sa classe de 25 élèves, un enfant sur cinq a reçu un diagnostic de trouble de santé mentale. Bien avant que ses élèves ouvrent un de leurs cahiers, Mme Parnham prend le temps de leur enseigner à écouter les autres respectueusement, à faire preuve d’empathie et à résoudre les conflits. Pour faire la liste des présences, les élèves cochent leur nom sur un tableau blanc et choisissent un symbole pour communiquer leur humeur : joyeux, triste ou couci-couça. Quelques minutes plus tard, les élèves s’assoient en cercle par terre et ceux qui le veulent peuvent parler d’une peine, par exemple, de la mort de leur animal de compagnie.
«En septembre et en octobre, ma priorité est de bâtir un sentiment de fraternité et d’inclusion», dit Mme Parnham, qui enseigne depuis 12 ans. Selon elle, cet effort fait en début d’année sur les plans social et émotif constitue le fondement de la réussite de ses élèves.
Une année, elle a donné des écouteurs à une élève anxieuse afin qu’elle puisse ignorer les bruits de la classe. «Je leur montre que chacun aura ce dont il a besoin, dit-elle. Tout le monde n’aura pas la même chose, car nous allons respecter chaque personne.» Ses élèves ne manquent pas souvent un de ses cours et rares sont ceux qui visitent le bureau de la directrice pour un problème de discipline.
«Le programme d’Heather incarne parfaitement ce que nous espérons voir dans une classe et une école sécuritaires», dit Helen Lane, EAO, la directrice de McGibbon. Son école est l’une des sept écoles du Lambton Kent District School Board qui ont un programme pour promouvoir les traits de caractère positifs.
À Hamilton, dans la Saltfleet District High School, la classe empathique se présente sous une forme différente. Ici, Dubravka Prica, EAO, enseignante de 12e année, s’efforce de créer un endroit sécuritaire pour les élèves, où qu’ils soient dans leur cheminement.
Pendant la semaine de la rentrée, un ancien élève passe lui dire bonjour et recevoir un mot d’encouragement avant d’aller en classe. En guise de bienvenue aux élèves de sa nouvelle classe de tourisme et hôtellerie, Mme Prica distribue des «trousses de survie de l’élève» faites à la main avec des babioles achetées au magasin à un dollar, des bonbons et des messages inspirants. Ce n’est pas la dernière fois qu’ils en recevront puisqu’elle en distribuera avant chaque examen.
Elle laisse sa porte ouverte pendant l’heure du midi. Parfois, elle écoute un élève inquiet. Elle est aussi conseillère auprès d’un groupe d’élèves LGBT, une fois par semaine. Cet automne, elle a travaillé en coulisse pour s’assurer que le bal arc-en-ciel de finissants, le printemps prochain, ne se tienne pas au gymnase, mais dans une salle de réception, comme les autres. «C’est important que les élèves se sentent acceptés», dit Mme Prica, qui enseigne à Saltfleet depuis le début de sa carrière, il y a huit ans.
Les élèves le sentent. Une jeune diplômée de 19 ans, Kaitlyn Addley, s’est révélée lesbienne à 12 ans et a lutté pour s’adapter à l’école secondaire. Mme Prica a pris la peine de lui parler régulièrement quand elle la voyait dans le couloir alors que l’ado était en 9e année. Elle a ainsi établi une relation d’aide qui a duré pendant tout le secondaire de Kaitlyn.
«Elle m’a dit : “Si tu as des problèmes, si tu veux discuter de quelque chose, tu peux venir me parler”», dit Kaitlyn avant de décrire plusieurs interventions de Mme Prica pour la garder sur le droit chemin. Cette expérience a transformé la vision de l’élève concernant les enseignants. «J’ai découvert que certains se soucient vraiment des élèves et les respectent. Ils se soucient aussi de l’inclusion et de l’égalité de chaque personne, dit la jeune femme. Mme Prica vit ses principes.»
Ailleurs, les conseils scolaires travaillent ensemble et avec des agences communautaires pour accroître l’expertise des enseignants afin qu’ils puissent déceler la détresse chez les élèves et savoir où obtenir de l’aide.
Un élève qui vit un stress peut être perçu comme rebelle, tandis qu’un enseignant concerné peut sembler porter un jugement sur lui, ont écrit les auteurs du rapport. Trop souvent, les élèves aux prises avec un grave problème de santé mentale sont ignorés, car on se dit qu’ils «traversent une phase».
À Sarnia, la santé mentale était déjà une priorité avant l’introduction de la stratégie provinciale. En 2010-2011, le Lambton Kent District School Board a perdu huit de ses élèves qui se sont suicidés. «Ces élèves sont passés inaperçus, ils n’ont pas bénéficié d’un suivi. Leur suicide nous a pris par surprise», dit le directeur Jim Costello, EAO, dont le conseil scolaire n’a perdu aucun élève par le suicide au cours des deux dernières années.
La santé mentale était déjà une priorité pour Paul Wubben, EAO, ancien directeur du St. Clair Catholic District School Board, à la retraite depuis août dernier. M. Wubben et son collègue Jim Costello ont utilisé leurs relations de travail de longue date pour amorcer des réunions périodiques entre des agences des secteurs de l’éducation, de la santé et de la communauté. «Je compare cela à un jeu où il faut relier les points, dit M. Costello. Il existait des organismes pour aider nos jeunes et leur santé mentale, mais nous n’en avions jamais entendu parler.»
Toutefois, M. Costello dit que c’est l’arrivée de Lori Brush, en octobre 2012, leader en santé mentale, «qui a été une importante pièce du casse-tête pour améliorer la situation». C’est dans le cadre de la stratégie que ce poste, financé par les fonds publics, a été ouvert dans chaque conseil scolaire de l’Ontario.
Accompagnée de l’équipe d’appui pour la santé mentale dans les écoles, Mme Brush a recueilli des renseignements auprès des enseignantes et enseignants du Lambton Kent District School Board, ce qui lui a permis de cerner les principales préoccupations dans les écoles du conseil scolaire : anxiété, comportement oppositionnel, relations sociales et intimidation. Elle a ensuite animé des groupes de discussion pour déterminer les besoins des personnes concernées, par exemple, une formation sur la gestion du stress. Selon elle, son travail est de «mettre en place les pièces d’un casse-tête» qui intègre la sensibilisation à la santé mentale dans le quotidien de chaque classe.
Au Northern Collegiate Institute and Vocational School, où deux suicides sont survenus en 2010, les élèves ont dit à Mme Brush qu’ils voulaient que les enseignants aient plus de plaisir. En juin dernier, le directeur, Gary Girardi, EAO, a répondu à leur préoccupation en organisant une journée d’activités extérieures de leadership organisée par le YMCA.
Une bonne relation s’est instaurée entre les nouveaux et les anciens, dit l’enseignant David Parkes, EAO.
Cet automne, le conseil scolaire a cherché d’autres relations parmi les agences locales, ce qui lui a permis de nouer des liens avec Rebound, un groupe communautaire qui a une belle feuille de route dans son travail avec les jeunes en difficulté. Rebound accompagnera des élèves de l’élémentaire dans leur apprentissage de la gestion du stress.
L’équipe d’appui pour la santé mentale dans les écoles recueille également des preuves sur les pratiques efficaces afin qu’elles deviennent la norme dans la province. «Si cela fonctionne, l’équipe pourra apporter une vision complète de la santé mentale à l’école, dit Stanley Kutcher, un éminent chercheur de l’Université Dalhousie dans le domaine de la santé mentale et titulaire de la chaire Financière Sun Life sur la santé mentale des adolescents. C’est sa force.»
L’un des défis constants est d’assurer aux enseignants qu’on ne s’attend pas à ce qu’ils deviennent des médecins spécialistes.
Le psychologue et professeur d’éducation de l’Université Western Ontario, Alan Leschied, un expert dans le domaine de la santé mentale des enfants, établit un parallèle avec la réaction initiale aux stratégies contre la violence dans les écoles. «Au début, on n’y voyait qu’une augmentation de la charge de travail, jusqu’à ce qu’on se rende compte que les élèves ne peuvent se concentrer sur leur apprentissage ni sur leur réussite s’ils ne se sentent pas en sécurité, explique-t-il. C’est maintenant la même chose avec la santé mentale.»
Même s’il n’y a encore eu aucune évaluation de la stratégie provinciale, il y a des signes encourageants. Par exemple, le Lambon Kent District School Board a observé une réduction de 40 pour cent du nombre de suspensions en cinq ans.
Les résultats sont similaires pour le Keewatin-Patricia District School Board, dont la population nordique de 4 800 élèves comprend 40 pour cent d’élèves qui se sont dits autochtones. Le conseil scolaire a fait état d’une baisse de 50 pour cent des cas de suspension en cinq ans. L’un des facteurs de cette baisse est que le conseil scolaire a incorporé des «pratiques réparatrices» autochtones pour favoriser les relations entre les élèves, et entre les élèves et leurs enseignants. Quand un conflit surgit, les élèves en parlent et discutent des façons d’y remédier.
«Les cultures autochtones offrent beaucoup de modèles positifs et sains favorisant la motivation et l’apprentissage à l’école, et le respect de l’environnement, dit Lisa Doerksen, EAO, leader en santé mentale pour le conseil scolaire. Jusqu’ici, ajoute-t-elle, les résultats sont extrêmement prometteurs.» Le conseil scolaire demande à des aînés autochtones de travailler avec des élèves, des enseignants et des parents, et certaines écoles forment un cercle pour mener leurs réunions du personnel.
Le Kenora Catholic District School Board a introduit des pratiques réparatrices, et cinq membres du personnel ont été spécialement formés à cette pratique cette année. «Il y a beaucoup d’intérêt et de pression, dit Ashley Hendy, leader en santé mentale. Nous avons réorganisé nos communautés d’apprentissage professionnel cette année, et l’une d’elles porte principalement sur les pratiques réparatrices.»
Parmi les quelques collaborations facilitées par leurs leaders en santé mentale, les deux conseils scolaires ont testé un programme d’intervention scolaire et communautaire qui permet d’affecter des travailleurs du secteur de la santé mentale à des familles dans le besoin afin de renforcer les liens avec l’école. Selon Mme Doerksen, «les enseignants comprennent mieux qu’elle est la source des difficultés de l’élève quand il est en classe».
«Des changements qui paraissent infimes peuvent faire une énorme différence», fait remarquer Mme Hendy. Certaines écoles du Kenora Catholic District School Board ont remplacé des tubes fluorescents par des ampoules qui éclairent un peu moins la classe, mais qui calment l’ambiance. Une école élémentaire a ajouté un tipi, soit un refuge où les élèves peuvent aller se calmer en cas de stress. Des organismes communautaires sont invités dans des écoles pour donner des cours de yoga, de méditation et d’autres techniques de relaxation.
Par contre, l’attente pour recevoir des traitements continue d’être un problème. En 2012, il fallait attendre en moyenne 72 jours pour recevoir un service de santé mentale. Les délais étaient encore plus longs pour les programmes à domicile ou à l’école, selon des données recueillies par Santé mentale enfants Ontario pour le gouvernement provincial.
Le territoire géographique, la langue et la disponibilité des ressources peuvent aussi mettre la patience à rude épreuve. Un exemple? Le Conseil scolaire de district catholique Centre-Sud compte 14 500 élèves répartis sur un territoire de 40 000 kilomètres carrés allant de la péninsule du Niagara à Peterborough et de Toronto à la baie Georgienne. Ce conseil scolaire grossit rapidement et il est typique des conseils scolaires de langue française, lesquels doivent assurer la prestation de programmes dans des écoles éparpillées.
Dans certaines des 54 écoles de ce conseil scolaire, il existe des projets pilotes qui montrent des signes encourageants pour promouvoir la compréhension des enseignants à l’égard de la santé mentale et la capacité des élèves à réagir à ces problèmes. «On raconte que le nombre de suspensions aurait diminué dans certaines écoles», dit la Dre Marie-Josée Gendron, leader en santé mentale.
Les conseils scolaires de langue française font face à une pénurie de matériel pertinent en français. «Souvent, quand nous sommes à la table des leaders en santé mentale, il est question de programmes formidables, dit Mme Gendron. Mais trouver l’équivalent en français est bien plus difficile.»
«Il faudra du temps pour changer la culture, l’ambiance et les pratiques relatives à la santé mentale en milieu scolaire, mais l’avenir est néanmoins prometteur, dit Mme Nyman. Si nous faisons ce travail et que nous le faisons bien, les répercussions sur le succès, sur la réussite et sur le bien-être de nos élèves seront importantes à long terme.»
Enseignante primée qui entraîne aussi de jeunes sportifs, Tracy Sharpe, EAO, sait très bien comment l’anxiété, la dépression, les troubles de l’humeur et les problèmes de comportement peuvent miner le quotidien de ses élèves de l’école rurale du Bluewater District School Board. Mais ce n’est qu’après que son fils aîné, Hayden, âgé de18 ans, a reçu un diagnostic de dépression qu’elle a connu les préjugés.
Plus tôt cette année, Mme Sharpe et son époux, Scott, ont décidé de raconter leur expérience après quatre ans de lutte pour obtenir de l’aide pour leur fils. Durant cette période, ils ont dû repousser des idées reçues, par exemple que leur fils prenait de la drogue ou encore qu’il avait des mauvais parents qui avaient sûrement fait quelque chose de mal.
Enseignante depuis dix ans, Mme Sharpe a remporté un Prix du premier ministre pour l’excellence dans l’enseignement en 2007- 2008 et a été reconnue pour son travail auprès des élèves ayant des problèmes de comportement. [Cette année, elle a été nommée directrice adjointe d’une école qui va du jardin d’enfants à la 12e année et elle passera la moitié de son temps à s’occuper des problèmes de comportement.] Il y a quelques mois, une connaissance de Mme Sharpe lui a dit d’un ton réprobateur : «Vous avez gagné un prix du premier ministre, travaillez avec des enfants qui ont des problèmes de comportement et vous ne pouvez même pas vous occuper de votre fils? Vous devez sentir que vous avez échoué.». Blessée, Mme Sharpe s’est éloignée. «Je savais que mon fils Hayden ne le méritait pas et que ni lui ni nous n’avions fait quoi que ce soit pour mériter ça.»
Dévoiler publiquement ce qu’elle vivait lui a permis de connaître d’autres familles aux prises, elles aussi, avec une longue attente pour un traitement. La baisse de la moyenne scolaire d’Hayden a d’abord été associée à des problèmes de comportement, car il s’endormait en classe et s’absentait de l’école.
«La dépression ressemble à un problème de comportement, explique-t-elle. Les gens croient qu’une personne déprimée est triste et pleure, mais elle peut ressentir une grande colère, faire le clown dans sa classe ou sécher ses cours.»
Mme Sharpe dit qu’il a fallu quatre ans pour que son fils se fasse diagnostiquer. Cette année est la dernière année d’Hayden au secondaire. Il est le premier adolescent de son école à être suivi par téléconférence. Sa mère dit que l’expérience a renforcé ses propres pratiques. Elle continue en effet de tenir des conversations honnêtes et régulières avec les élèves et les parents. «Ne disons plus que l’élève peut s’en sortir seul, dit-elle. Disons-le, il s’agit d’un trouble anxieux.»
Puisqu’elle travaille pour un conseil qui favorise la formation du caractère, Mme Sharpe a intégré les comportements respectueux, responsables, confiants et empathiques au curriculum de sa classe de 3e année. Quand il y a un problème, que ce soit dans la classe ou dans la cour d’école, elle rassemble les élèves en cercle et ils en parlent. «Je n’ai jamais pris de retard dans le curriculum en prêtant une attention à la formation du caractère, dit-elle. Mes élèves apprennent mieux, car ils sont heureux, ils sont en santé et ils se sentent inclus.»
Elle espère qu’avec le temps, les préjugés sur la maladie mentale vont s’estomper. «Il y a 20 ans, le mot cancer faisait peur, fait-elle remarquer. Cela faisait fuir. Ce n’est plus le cas. J’espère que ce sera la même chose pour les personnes atteintes de problèmes de santé mentale.»
Cet automne, la Faculté d’éducation de l’Université Western Ontario a offert un cours facultatif en santé mentale. C’est le seul cours du genre dans la province. Les étudiants ont sauté sur l’occasion. Ils ont été 38 à s’y inscrire à l’automne, soit autant qu’au printemps, et il y a des listes d’attente pour les deux trimestres.
La doyenne associée de la recherche, Susan Rodger, et son collègue, Alan Leschied, psychologue et membre de la faculté, ont élaboré le cours. «Nous avons demandé aux étudiants en enseignement ce qu’ils savaient sur la santé mentale, a dit Mme Rodger. La réponse a été qu’ils se sentaient vraiment désemparés quant à l’éventualité de travailler en classe avec des élèves ayant un quelconque problème ou défi de santé mentale.»
«Le cours est offert en ligne et est donc à la portée des étudiants des régions éloignées. Un milieu d’enseignement inclusif et productif est sain tant pour les élèves que pour les enseignants», précise M. Leschied.
D’autres initiatives sont prévues. Un programme comprendra du contenu sur la santé mentale en septembre 2015. Tous les cours menant à une QA comprennent des composantes sur le bien-être et la santé mentale des élèves. Les normes de déontologie de la profession enseignante prévoient également la promotion du bien-être des élèves.