L’acteur Patrick J. Adams doit une fière chandelle à Deborah Barton-Moore pour l’avoir remis sur la bonne voie.
De Richard Ouzounian
Photo : © NBC Universal, Inc., Robert Ascroft/USA Network
Sous les applaudissements de la salle, Patrick J. Adams s’approche du podium pour accepter le titre de membre honorifique de la très prestigieuse University College Dublin Law Society. Le club, qui a déjà accordé cette distinction à des personnalités aussi renommées que Noam Chomsky et Bill Clinton, a décidé d’honorer ce Torontois de 32 ans, décrit par l’auditrice de la société comme étant «celui qui aura su redonner une image séduisante à la profession avocate».
Bien que le public accepte cette description sans la moindre hésitation, M. Adams n’est en fait pas un avocat – loin de là. L’acteur intronisé explique : «Je ne fais que jouer le rôle d’un avocat».
Le personnage qu’incarne M. Adams est celui de Mike Ross dans la série télévisée à succès Suits (Les deux font la paire). Il s’agit d’un étudiant, trafiquant de drogue, qui se retrouve obligé d’abandonner l’université et qui triche aux examens d’entrée à la faculté de droit. C’est alors qu’il décroche une entrevue pour un poste pour lequel il n’est pas qualifié. Sa mémoire photographique lui permet ainsi de devenir le bras droit d’Harvey Specter, l’un des meilleurs avocats de la ville.
La série tourne autour du rapport de force entre Mike et Harvey et de leur manière de tester leurs forces et leurs faiblesses mutuelles. Alors que Mike est débrouillard, Harvey connaît bien la loi et, ensemble, ils sont imbattables.
«L’humour tourne surtout autour de cette relation. Cela dit, il se cache un message important. Il ne faut jamais sous-estimer l’importance d’un mentor. Il faut trouver quelqu’un qui soit capable d’inspirer et d’encourager les autres.»
«Patrick avait le rôle de Marat, et bien qu’il n’avait qu’à rester assis à faire des discours politiques dans une baignoire, je me souviens à quel point ses discours étaient captivants.»
Et il a été chanceux. Non seulement M. Adams a-t-il su incarner la dynamique parfaite entre l’élève et le mentor, mais il a également eu la chance d’en faire l’expérience à titre personnel assez tôt, grâce à une personne qui lui a fourni les outils nécessaires pour parvenir à la carrière réussie dont il jouit aujourd’hui. Cette personne, c’était Deborah Barton- Moore. Enseignante de théâtre à la Northern Secondary School pendant 20 ans, c’est elle qui, pendant une bonne partie de cette période, a été à la tête du département et a travaillé directement avec le jeune Patrick de la 10e à la 13e année.
Celui-ci savait dès son plus jeune âge qu’il voulait devenir acteur, et c’est pour cette raison qu’il a pris une décision dès l’école secondaire qui a changé le cours de sa vie à jamais : s’engager. «Ma famille déménageait pour s’installer à nouveau dans le quartier des Beaches (à Toronto) et tout le monde pensait que c’était là que j’irais à l’école. Mais j’avais entendu parler des cours de la Northern Secondary School, et je voulais en savoir plus.»
Patrick Adams a été impressionné par l’espace qu’occupaient le théâtre et les représentations théâtrales dans cette école. Pour lui, il n’y avait plus aucun doute. «Même si cela impliquait une heure et demie de trajet tous les jours, je savais que c’était l’endroit où je devais être.»
Le travail avec Mme Barton-Moore, ce n’était pas pour tout de suite, mais la présence du jeune homme avait été remarquée. L’enseignante, désormais retraitée, se souvient de sa première impression de Patrick lorsqu’il a joué à l’école dans la pièce Marat-Sade, histoire complexe écrite par Peter Weiss portant sur la Révolution française.
«Les jeunes se retrouvent dans une situation tellement délicate à l’école secondaire. Ils prennent des décisions qui auront un effet sur le reste de leur vie. Debbie m’a donné bien plus que des cours d’art dramatique.»
«Patrick avait le rôle de Marat, et bien qu’il n’avait qu’à rester assis à faire des discours politiques dans une baignoire, je me souviens à quel point ses discours étaient captivants.»
Quand il n’était pas assis dans son bain, Patrick pouvait voir l’influence de Mme Barton-Moore sur ses élèves. «Debbie s’intéressait passionnément à ses élèves et à ce qu’ils pouvaient lui enseigner, explique-t-il. Elle avait un grand enthousiasme et faisait preuve d’une véritable curiosité; elle traitait tout le monde comme si chacun avait quelque chose à contribuer.»
Lorsque l’élève et l’enseignante ont finalement uni leurs forces, ils n’ont pas été déçus. «Il n’y avait pas beaucoup d’enseignants du secondaire qui parlaient aux élèves comme à de véritables êtres humains, se souvient-il, mais cette enseignante-là a été l’une des toutes premières personnes à me dire : “Tu peux y arriver. Tu peux vraiment y arriver.” Elle m’a appuyé dès le départ et le plus important, c’est qu’elle croyait en moi en tant qu’acteur.»
Lorsqu’ils commencent à travailler ensemble, Patrick remarque quelque chose de particulier dans l’approche de l’enseignante. «Bien que nous étions notés sur le produit, elle se souciait particulièrement du procédé.» Chose que Mme Barton-Moore confirme. «Il y a beaucoup d’élèves qui ont du potentiel, mais qui s’arrêtent là. Ce n’est pas ça qui importe. Pour moi, ce qui comptait le plus, c’était le travail que les élèves mettaient dans leurs projets et ce qu’ils en tiraient.»
Durant sa dernière année au secondaire, Patrick assume la responsabilité de rôles encore plus importants. Mme Barton-Moore lui suggère de diriger conjointement avec elle la pièce Cyrano de Bergerac jouée par les élèves de dernière année.
«Lorsque j’y pense, je n’en reviens toujours pas que Debbie ait accepté de partager une telle responsabilité. Elle m’a laissé donner du mien. Ce n’était pas le genre de scénario où l’élève se retrouve seul à ne rien faire», explique M. Adams
«Beaucoup de gens pensent que, lorsqu’une enseignante ou un enseignant dirige une pièce conjointement avec un élève, ce sera un voyage effrayant, mais avec Patrick, cela n’a pas été le cas, raconte Mme Barton-Moore d’un air réjoui. Il était capable de détecter les contradictions présentes chez ses personnages et de leur donner vie sur scène.»
Bien entendu, enseignante et élève connaîtront quelques différends. Notamment quand Patrick estime que son avenir d’acteur serait plus prometteur s’il poursuivait ses études aux États-Unis. «J’ai demandé à Debbie de l’aide pour les monologues que j’allais présenter aux auditions et, bien entendu, elle a accepté. Mais j’ai ensuite reporté les auditions, en trouvant à chaque fois des excuses. Lorsque nous nous sommes enfin entretenus, Debbie et moi, elle a été franche, explique-t-il. C’est là qu’elle m’a dit : «Tu n’as pas l’air de prendre tout ça au sérieux. Une occasion exceptionnelle se présente à toi, tu as eu des semaines pour te préparer et cela fait un bon moment que je suis prête à t’aider et tu te désistes chaque fois. Il faut que tu commences à prendre tout ça au sérieux».
Le jeune acteur n’en revenait pas. «C’était la première fois que je me retrouvais dans une telle situation d’échec : le sabotage de mes propres chances de réussite, par peur de ne pas réussir. Ce qui différenciait Debbie des autres, c’était qu’elle était la première personne à me le faire remarquer.»
Sur le conseil de son mentor, Patrick ira poursuivre ses études à l’Université de Californie du Sud, où il fera un baccalauréat en art dramatique, obtiendra son diplôme avec distinction et débutera enfin sa carrière. Plus tard, il lui exprimera ses remerciements en l’invitant au tournage de la série. «Je n’avais jamais assisté à un tournage télévisé, explique Mme Barton-Moore, pour moi, c’était un monde étrange et magique».
L’ancienne enseignante refuse de dire qu’elle savait que Patrick Adams avait le potentiel de devenir une célébrité. «J’ai appris à ne pas trop me poser ce genre de questions, ajoute-t-elle. Beaucoup d’élèves ont le potentiel, mais on ne sait jamais lesquels iront jusqu’au bout.»
Ce que Mme Barton-Moore admet cependant, c’est que Patrick Adams possédait bel et bien un talent particulier qui lui a permis de prendre une longueur d’avance. «Il savait exprimer ses sentiments, et ce, d’une façon tellement admirable. Il savait faire un examen de conscience à son propre avantage.»
M. Adams ressent toutefois de l’émotion lorsqu’il repense aux moments passés avec Mme Barton-Moore. «Les jeunes se retrouvent dans une situation tellement délicate à l’école secondaire. Ils prennent des décisions qui auront un effet sur le reste de leur vie. Il faut trouver la personne qui nous permettra d’être nous-mêmes. Debbie m’a donné bien plus que des cours d’art dramatique.»
Au fil des ans, le duo a réussi à garder le contact, mais pas autant que M. Adams l’aurait souhaité. «Notre solidarité va au-delà du temps et de l’espace, affirme l’acteur, et à chaque fois que je me retrouve avec Debbie, je sens que j’ai encore beaucoup à apprendre.»
Cette rubrique met en vedette des personnalités canadiennes qui rendent hommage aux enseignantes et enseignants qui ont marqué leur vie en incarnant les normes de déontologie de la profession enseignante (empathie, respect, confiance et intégrité).