De John Hoffman
Dans le cours de comptabilité de Dianne Fitzpatrick, EAO, des élèves travaillent individuellement, deux par deux ou en petits groupes. Deux jeunes filles collaborent pour résoudre des problèmes d’un manuel scolaire. À un autre pupitre, une élève et un garçon font des calculs sur leurs tablettes. «Montre-moi ton appareil, je veux voir ce qui n’est pas correct», dit la fille à son camarade. D’autres visionnent des vidéos éducatives que l’enseignante a affichées dans YouTube.
Pour aider les élèves à se préparer au test du lendemain, elle a téléchargé des problèmes de maths dans Angel, son programme de gestion de l’apprentissage (pour gérer le cyberapprentissage et en faire le suivi). «Si vous arrivez à faire ces calculs, ajoute-t-elle, c’est que vous êtes prêts.» Mme Fitzpatrick se déplace, répond aux questions et, dans certains cas, remet les élèves sur la bonne voie.
Mais il ne faut pas s’attendre à la voir souvent au tableau – il s’agit ici d’une classe inversée, ce qui signifie que les élèves font leurs devoirs en classe et visionnent les vidéos éducatives de leur enseignante chez eux. Ils doivent prendre des notes et dresser une liste de questions à poser le lendemain. En classe, Mme Fitzpatrick passe son temps avec les élèves à faire des activités d’apprentissage en groupe ou des travaux individuels conçus de façon à les encourager à appliquer les notions apprises avec les vidéos. L’enseignante s’adresse au groupe lorsqu’un élève pose une question qui, selon elle, mérite d’être communiquée au reste de la classe.
Bien que cette nouvelle approche soit plutôt rare en Ontario, l’idée commence à faire son chemin. Ses partisans sont enthousiastes (et se font entendre!). Ils en soulignent les nombreux avantages : elle permet aux élèves d’être plus responsables de leur apprentissage et aux pédagogues d’être plus disponibles pour aider les élèves à résoudre des problèmes. C’est aussi une façon de les faire participer davantage au mouvement technologique qui leur est déjà familier.
Mme Fitzpatrick enseigne les affaires à la Central Peel Secondary School de Brampton (qui fait partie du Peel District School Board) où, en 2012, on a lancé un projet-pilote de classe inversée comprenant l’organisation de journées de perfectionnement professionnel, de visites des lieux et d’une journée d’information à laquelle 200 pédagogues ont participé.
En 2012, elle a pris part à un voyage de perfectionnement professionnel à la Clintondale High School, près de Détroit 2014(Michigan) où, en 2010, le directeur, Greg Green, a décidé d’inverser toutes ses classes de 9e année. Il tentait ainsi de remédier aux problèmes d’absentéisme, au taux élevé d’échecs et aux faibles résultats scolaires de son école. Son initiative a tellement bien fonctionné (réduction du taux d’échec de 33 pour cent en anglais et de 31 pour cent en maths) qu’il a décidé d’inverser toutes les classes l’année suivante.
Cela a suffi pour convaincre Mme Fitzpatrick d’inverser deux de ses cours de comptabilité. Pour elle, il ne faisait aucun doute que les élèves seraient intéressés par l’aspect technologique, et elle aimait bien l’idée d’avoir le temps d’aider ses élèves, au besoin.
En observant le déroulement du cours, on s’en rend facilement compte. Une élève lève la main : «Je ne comprends pas cette question». Mme Fitzpatrick se penche vers elle et se met à lire les consignes. Puis, elle lui donne un point de vue différent sur la question et la met sur la bonne voie. L’élève se remet alors au travail. «À la maison, je n’aurais jamais été capable de faire cet exercice», avoue-t-elle.
Aaron Sams, pionnier des classes inversées, explique que le but principal de cette approche est d’encourager ses élèves à devenir des apprenants actifs et responsables, plutôt que de les laisser absorber passivement la matière.
C’est ce qui a conduit Nour Harriz, EAO, enseignant de sciences et de mathématiques au Lisgar Collegiate Institute à Ottawa, à lancer son projet de classe inversée il y a trois ans. «Ce qui me préoccupait, c’était que les élèves dépendaient entièrement de moi pour apprendre. Ils n’avaient aucun compte à rendre. Je voulais que mes élèves deviennent leur propre ressource», explique-t-il.
Opter pour une présence plus interactive a augmenté la charge de travail que ses élèves arrivent à effectuer. «Les élèves qui ne font pas souvent leurs devoirs sont pénalisés, car il leur manque les bases qui leur permettent de résoudre un problème. S’ils n’arrivent à retenir que 40 à 60 pour cent des leçons, ils seront incapables de faire leurs devoirs sans assistance», fait-il remarquer.
Mme Fitzpatrick affirme que la classe inversée lui permet de découvrir très rapidement les élèves qui ont besoin d’aide. «Avant, j’enseignais une unité, suivie d’un test auquel trois élèves échouaient – généralement ceux qui auraient dû poser des questions, précise-t-elle. Lorsque je me rendais compte qu’ils avaient pris du retard, il était déjà temps de passer à l’unité suivante. Maintenant, je sais quels élèves sont susceptibles de prendre du retard bien avant le test, et j’ai encore le temps de les aider.»
Bon nombre de parents apprécient également la juste valeur de la classe inversée. Anouk Utzschneider, dont le fils fréquente une classe de 7e année à l’école Le Mascaret à Moncton (Nouveau-Brunswick), explique que les vidéos que le pédagogue affiche sont éducatives non seulement pour elle, quand elle aide son fils à faire ses devoirs, mais aussi pour la tutrice de mathématiques embauchée l’automne dernier. «Grâce aux vidéos, elle connaît précisément les leçons de mon fils et les explications fournies en classe», affirme Mme Utzschneider. Elle a remarqué une nette amélioration des notes de maths de son fils cette année. «Le tutorat y a sans doute contribué, mais je ne crois pas qu’il aurait été aussi efficace sans cette méthode et les vidéos de la classe inversée.»
Agnès Demangeon, EAO, a recours à la méthode de la classe inversée avec les deux tiers de ses élèves à l’école des adultes Le Carrefour à Ottawa. «L’idée de regarder des vidéos a tout d’abord surpris les élèves, dit-elle. Mais après le premier visionnement et les discussions pertinentes, ils ont réagi de façon très favorable à cette structure.» Le concept de classe inversée est relativement nouveau pour Mme Demangeon et, bien qu’elle ne soit pas encore prête à vanter les mérites de l’expérience, elle est d’avis que l’avenir est prometteur. «Le premier groupe a obtenu d’excellents résultats à l’examen final. Cette approche favorise la réflexion et les discussions; elle permet aux élèves d’approfondir leur compréhension de la matière.»
En septembre dernier, Katarina Hlavnicka, EAO, chef du programme de mathématiques à la North Park Secondary School à Brampton, a commencé à donner son cours de mathématiques appliquées de 9e année en format inversé. Elle a toutefois apporté un changement important : ses élèves regardent presque toujours ses vidéos en classe. «Il serait illusoire de leur demander de regarder une vidéo à la maison, prendre des notes et revenir en classe avec leurs questions. Ça pourrait marcher avec les élèves de 12e année de niveau avancé, mais pas dans ce cas particulier», ajoute-t-elle.
Mme Hlavnicka reste convaincue que cette utilisation accrue des technologies aide à faire participer les élèves. «Les jeunes d’aujourd’hui aiment la technologie, dit-elle. À l’école, elle rehausse leur niveau de motivation et rend les mathématiques plus pertinentes.» Elle remarque que la technologie la libère et lui permet de consacrer plus de temps à l’enseignement.
«Désormais, les élèves sont assis devant leur écran et ont ouvert une séance dans les quatre minutes, et j’arrive à donner 60 bonnes minutes de cours.»
Michel Larocque, EAO, a inversé son cours de chimie de 12e année en janvier dernier et combine les baladodiffusions chez l’élève aux mini-leçons en classe. «Je continue de donner un cours tous les jours, mais il est de courte durée (de 10 à 15 minutes), car les baladodiffusions ont déjà donné les détails de la matière, explique l’enseignant de sciences à l’école secondaire catholique E. J. Lajeunesse à Windsor. À mon avis, l’élaboration du processus idéal prendra un certain temps, mais je suis convaincu que cette approche donnera de bons résultats.»
Lorsque Mme Fitzpatrick a expliqué les principes de la classe inversée à ses élèves de comptabilité pour la première fois, ils étaient en extase. Mais huit semaines plus tard, les élèves faisaient déjà preuve de résistance. «Je pense qu’ils commençaient à se rendre compte que cette approche demandait plus d’efforts, dit-elle. Les élèves qui sont souvent distraits dans un cours traditionnel sont obligés d’être attentifs dans le modèle inversé, car je suis là, parmi eux.»
Les réponses des élèves sont mixtes, mais en général, positives, rassure Mme Fitzpatrick. En interrogeant ses élèves, elle s’est aperçue que leur préoccupation principale était la durée des vidéos. «Je tente désormais de les raccourcir», explique-t-elle. Certains élèves lui ont même suggéré d’ajouter un bref questionnaire à la fin de chaque vidéo, ce qu’elle a fait pour ses élèves de la 12e année. Un des élèves a même indiqué préférer le style conventionnel. «J’apprends plus facilement en écoutant qu’en regardant», a-t-il affirmé (ironiquement, ce même élève a obtenu, l’an dernier, la meilleure note jamais attribuée à ce cours).
Que se passe-t-il lorsque les élèves ne regardent pas (ou ne peuvent pas regarder) les vidéos chez eux? «Ils les regardent en classe, souligne Mme Fitzpatrick. «Regarder les vidéos en classe ne prend que quelques minutes et ça ne dérange personne. Ma présence permet de m’assurer que les élèves regardent bien ces vidéos.»
Mme Fitzpatrick utilise l’appli Remind 101 (remind101.com) pour rappeler aux élèves (par courriel ou texto) de regarder les vidéos. Lorsqu’un élève manque trois vidéos de suite, Mme Fitzpatrick appelle ses parents et les abonne aussi au système de rappel.
Bien que la popularité de la classe inversée semble plus grande au palier secondaire, Rick McCleary, EAO, enseignant à la Burford District Elementary School près de Brantford, a commencé son expérience au printemps 2012; il affirme toutefois qu’il n’utilise pas ce système pour sa classe de 6e année et qu’il ne prévoit pas l’adopter sur toute la ligne. «Les classes inversées, c’est une bonne idée pour certaines matières, mais je ne pense pas qu’un milieu entièrement inversé serait ce qui conviendrait le mieux pour des élèves de l’élémentaire, ajoute-t-il. On aurait tort d’assigner quotidiennement une multitude de vidéos aux élèves en guise de devoirs.»
L’approche initiale de M. McCleary a été de faire un cours inversé à la fois, mais il y en a désormais de deux à cinq par semaine qui conviennent bien au format vidéo et qui lui permettent d’accorder plus de temps utile aux élèves en personne. «J’ai commencé par les mathématiques et un peu de sciences avant de me rendre compte de l’impact positif sur des matières comme les arts ou l’éducation physique», affirme l’enseignant.
Plusieurs écoles élémentaires du conseil scolaire de Peel, y compris la Williams Parkway Senior Public School, entament également les étapes préliminaires pour inverser des cours. «Quatre de nos pédagogues jouent des rôles dominants, explique Ozma Masood, EAO, directrice de l’école. Ils essaient d’appliquer divers aspects relatifs aux classes inversées, prennent note des problèmes, et trouvent des solutions.»
Par exemple, intimidés à l’idée de créer des douzaines de vidéos, certains pédagogues se sont mis à en rechercher dans l’internet avant de se rendre compte que cela prenait presque autant de temps que de créer les leurs. Mais ce n’est pas un outil qu’ils utilisent pour enseigner la matière au complet. John Uren, EAO, enseignant d’éducation physique à Williams Parkway, a réalisé une vidéo sur les différents groupes musculaires du corps humain. Après avoir regardé la vidéo chez eux, les élèves ont effectué des exercices pour travailler chacun des groupes musculaires en classe. «Cette approche a permis de consacrer plus de temps en classe à la pratique sans trop s’attarder sur les explications», remarque-t-il.
L’avenir des classes inversées n’est pas forcément tout ou rien en matière de structure des cours; il s’agit plutôt d’un autre outil à la portée des pédagogues pour faire participer les élèves en utilisant des technologies déjà familières.
Parlons-nous vraiment de pédagogie quand les vidéos constituent la principale méthode d’enseignement? Mme Hlavnicka répond par l’affirmative. «Pendant bon nombre d’années, les pédagogues ont utilisé des manuels scolaires comme ressources et le rôle des enseignants n’a pas été remis en question pour autant, souligne- t-elle. De nos jours, nous utilisons différents types de ressources et certaines d’entre elles sont des vidéos.» À son avis, le temps d’enseignement individuel supplémentaire est la solution la plus efficace, particulièrement pour les élèves qui éprouvent de la difficulté. «Depuis que j’inverse mes classes, j’enseigne de façon beaucoup plus efficace qu’auparavant.»
Dianne Fitzpatrick, EAO, crée ses vidéos grâce à Camtasia (bit.ly/1iiVNAp), un logiciel de capture d’écran (ou vidéocapture d’écran) qui permet d’effectuer des voix hors champ. Puis elle les affiche – ainsi que les devoirs, simulations de tests, instructions générales et exemples de questions – dans un site web accessible par mot de passe qu’elle a créé à l’aide d’Angel, un logiciel de gestion de l’apprentissage, récemment fusionné avec Blackboard (blackboard.com). C’est semblable à un cours en ligne : les élèves peuvent se connecter n’importe où.
La plupart de ses vidéos durent entre cinq et dix minutes. Une vidéo d’une telle durée peut-elle aborder autant de contenu qu’en classe? «Absolument! En classe, beaucoup de temps est gaspillé : des interruptions, des distractions ou des questions inopportunes, explique-t-elle. Dans une vidéo, je peux aborder le contenu d’une période au complet en 10 minutes.»
Illustrations : avec l’aimable autorisation de Florent Berthet / classeinversée.ca