Partagez cette page 

Enseignant exemplaire

Photo de Robert Filion, enseignant agréé de l’Ontario, et musicien. Il est assis, souriant, sur le banc de son piano. Derrière lui, de nombreux élèves chantent en chœur.

Robert Filion, artiste et enseignant

L’enseignant Robert Filion, EAO, a trouvé une recette gagnante en mariant ses deux passions : la musique et l’enseignement. Le résultat est une carrière qui se distingue par son excellence.

D’Hélène Matteau
Photos : Marc Fowler

Exclusivité en ligne : Visionnez une vidéo de notre enseignant exemplaire à Pour parler profession.

Vu du haut des gradins du local 111, l’homme assis devant le clavier de son piano noir semble bien petit. Il plaque des accords sur lesquels vocalisent à l’unisson une vingtaine de voix, des basses aux sopranos.

La journée d’école terminée, les élèves de la concentration musique vocale sont venus à leur répétition quotidienne au Centre d’excellence artistique. Les muscles et la voix bien échauffés par leur routine d’exercices, ils s’attaquent au répertoire. Au cours des trois heures qui suivent, le maître ne lâchera pas d’une mesure sa chorale, qu’il mènera, d’amélioration en amélioration, jusqu’au concert.

En fait, leur travail les mènera à de multiples concerts, festivals, tournées et compétitions. Pour y arriver, la route sera longue, car le parcours des choristes est exigeant, tout comme l’est Robert Filion, EAO, enseignant de musique vocale à l’école secondaire publique De La Salle, à Ottawa.

Mireille Asselin est chanteuse d’opéra. À 29 ans, elle se produit partout dans le monde et vient de lancer un premier enregistrement. Quand elle a rencontré Robert Filion en 1999, l’adolescente de 10e année ne connaissait de la musique que le pop. «Son programme, se souvient-elle, c’était du gros travail. Il nous donnait une pile de partitions épaisse comme une encyclopédie et il fallait tout apprendre par cœur : mélodies, rythmes, prononciation des mots étrangers... Il nous lançait à l’eau du côté le plus profond de la piscine! C’était très difficile. Il exigeait la réussite, mais il fournissait aussi tous les outils pour le faire. Surtout, il croyait en nous. Jamais il n’aurait imaginé qu’on puisse échouer. Des fois, on se rebiffait! Mais à la fin de la journée, on se sentait très fiers. La vérité, c’est qu’il nous traitait comme des pros. Non seulement il m’a préparée sur le plan vocal, mais il m’a appris comment me comporter dans le milieu de l’opéra : être prête à l’heure, me garder en forme, me concentrer, et même m’habiller pour une audition!»

Photo de Robert Filion, au piano, la main gauche levée pour indiquer la bonne mesure à ses élèves. Un tableau noir, propre, est derrière lui.
Ayant fait ses débuts artistiques au piano, Robert Filion, EAO, fait chanter les jeunes depuis plus de 20 ans.

L’artiste

Robert Filion fait chanter les jeunes depuis plus de 20 ans. «J’ai grandi avec le Centre d’excellence artistique De La Salle», précise-t-il.

C’est au secondaire que le futur chef de chœur entreprend l’étude du piano. «L’école de Kapuskasing offrait une bonne vie musicale, une chorale, une fanfare...» Un choix naturel pour le jeune garçon. À Moonbeam, le village d’environ 1 200 d’habitants où il est né en 1966, sa famille, qui compte cinq enfants, baigne dans la musique : «Il y a toujours eu un piano chez nous. Des deux côtés, tout le monde jouait et chantait. On était le genre de Canadiens français qui sortent le violon à toutes les occasions!»

À l’heure des choix universitaires, Robert Filion opte pour la musique. «Je me donnais un an, pour voir. En fait, sans que je m’en rende vraiment compte, le chant m’intéressait bien plus que le piano. À l’Université d’Ottawa, je me suis impliqué à fond dans les chorales, j’ai suivi des cours de direction, chanté dans des chœurs d’opéra et des ensembles qui se produisaient avec l’orchestre du Centre national des arts.» C’est d’ailleurs au CNA qu’il rencontre Laurence Ewashko, le directeur des chœurs, qui deviendra son ami et mentor.

À la fin de son B.A., le jeune ténor décide d’aller vers l’enseignement, au cas où sa carrière musicale ne fonctionnerait pas. Il apprend que l’école De La Salle cherche un enseignant pour son unique classe de musique vocale. «Personne d’autre, en Ontario français, n’était alors qualifié pour donner ce cours-là», dit-il. Pendant deux ans, tout en enseignant, Robert Filion chante avec le CNA. Mais il s’interroge : continuer à enseigner ou chanter? C’est Laurence Ewashko qui fournira en quelque sorte la réponse. Il apprend en effet à son protégé que l’Université McGill offre une maîtrise en direction chorale qui comporte des cours de chant. Et voilà le jeune enseignant parti pour Montréal!

«Je suis revenu à Ottawa deux ans plus tard, continue Robert Filion. Entretemps, le nombre d’élèves avait augmenté à l’école De La Salle, c’était plus intéressant, le répertoire commençait à prendre forme. J’ai pris le programme en main. Aujourd’hui je me rends compte que c’est ainsi que je me suis fait une réputation de chef de chœur au Canada. C’est drôle, je me suis bâti une carrière sans le savoir.»

Et quelle carrière! Directeur musical du Chœur classique de l’Outaouais puis du Chœur d’enfants d’Ottawa, aujourd’hui directeur artistique du festival Unisong, collaborateur assidu de l’Orchestre du CNA, régulièrement invité à diriger partout au Canada des chorales de jeunes et des créations d’œuvres chorales, et organisateur des Choralies, un festival pour les écoles élémentaires de son conseil scolaire. Mais la fonction qui lui tient le plus à cœur, c’est celle d’artiste pédagogue. «Le titre, souligne-t-il, exprime la mission de notre école et me va très bien.»

«Le chant permet aux jeunes de canaliser leurs émotions plutôt que de les subir.»

L’enseignant

Annie Richard, EAO, enseigne depuis 2006 aux élèves de la préconcentration artistique (7e et 8e année) à De La Salle. Elle prépare surtout les jeunes intéressés par la musique vocale aux classes de M. Filion (9e à 12e). «Il est mon mentor. Ma formation était plutôt pianistique, mais il m’a donné confiance en moi-même comme directrice de chorale. Il m’a appris comment garder l’attention de mes choristes, leur inspirer la rigueur, les faire progresser. Il ne fait jamais les choses à moitié. Pour lui, il y a un temps pour tout. Il travaille très sérieusement, mais en dehors des cours, il est très drôle! Il impose le respect aux jeunes parce que lui-même les respecte.»

Cet après-midi-là, dans leurs bureaux à cloisons bien équipés – Robert Filion est un adepte de la culture numérique – les élèves répètent leur leçon de solfège. Un à un, ils viennent chanter quelques mesures difficiles devant le maître. «Je leur dis : Si tu joues d’un instrument et que tu en achètes un meilleur, tu joues mieux. La voix, c’est différent : l’instrument, c’est toi. Il n’y a pas de machine pour chanter mieux. C’est ton travail qui fait la différence. C’est donc aussi très fragile; alors tu as besoin du soutien de tes professeurs. Mais quand tu as bien travaillé, tu peux être fier, parce que ta voix, c’est toi. »

Pour Robert Filion, le chant permet aux jeunes de canaliser leurs émotions plutôt que de les subir. «En ce moment, explique-t-il, on prépare le Stabat Mater de Pergolèse. C’est une pièce très triste. Les jeunes peuvent comprendre cette émotion, parce qu’à l’adolescence, on est très souffrant. Je leur dis : Amène ta peine et go! on va la vivre ensemble. Dans d’autres morceaux, au contraire, c’est la joie. Il y a toutes sortes de messages. En concert, notre objectif est de transmettre aux gens cette variété d’émotions.»

Véronique Veillette, une de ses élèves de 1992 à 1995, est bien d’accord. «J’étais la plus braillarde de la classe! Les cours de chant de M. Filion m’ont permis d’exprimer mes frustrations. Plus encore, de concentrer mon énergie. Je vois ça maintenant chez ma fille de 16 ans, qui est elle aussi son élève. Elle chante tout le temps. Et rien qu’à entendre comment elle chante, je comprends ce qu’elle est en train de vivre.»

Mireille Asselin, elle, se souvient surtout que Robert Filion lui a appris le travail d’équipe. «Il m’a aussi appris la joie d’un travail bien fait, celle de se surpasser, d’aller plus loin que son rêve. Il m’en a donné les moyens», ajoute-t-elle. À Véronique Veillette aussi : «Il m’a transmis une méthode de travail, dit-elle, et un sens de l’éthique qui me servent aujourd’hui dans ma profession».

Mme Veillette se réjouit du fait que le maître sache ajuster la progression de son enseignement au développement de la maturité de ses élèves et que son leadership ne passe pas par le contrôle, mais par la confiance. «Une chorale, illustre-t-elle, c’est comme dans l’armée : le but commun surpasse le but individuel. Ma fille apprend ainsi, par exemple, que l’art transcende les différences culturelles.»

Dans la poursuite d’un but commun, chacun doit prendre ses responsabilités. Sur ce plan, Robert Filion est un leader exceptionnel! Sous sa direction, non seulement ses ensembles vocaux participent-ils à plusieurs événements culturels locaux et nationaux, et souvent télédiffusés, mais ils donnent des concerts bénéfices et participent à des concours prestigieux et à des échanges internationaux. Ses choristes offrent des spectacles à l’école, partent tous les ans en tournée, au pays comme à l’étranger (de New York à Paris, en passant par le Japon et, au printemps 2015, à Vienne). Ils créent des œuvres originales, montent des opéras, réalisent enregistrements et vidéos en assumant toutes les étapes, de l’échange d’idées à la vente des billets. De quoi développer un fort sentiment d’appartenance – «il crée une famille», dit Mireille Asselin – et susciter la fierté, deux facteurs nécessaires à l’équilibre des ados.

«Il m’a transmis une méthode de travail et un sens de l’éthique qui me servent aujourd’hui dans ma profession.»

Il faut être vraiment passionné pour ne jamais cesser d’innover! La musique vocale, chez lui, c’est 24 heures sur 24, comme en témoigne sa collègue et amie Annie Richard. Sa passion ne tarit pas. D’année en année, il enrichit son répertoire, lequel touche toutes les époques et regroupe aussi bien des messes et des extraits d’opéra que des musiques du monde. Mais Robert Filion s’est donné un défi : donner une grande place à la musique canadienne. «Surtout celle d’aujourd’hui, précise-t-il. C’est essentiel pour moi de la promouvoir, de commander de nouvelles pièces à des compositeurs et à des arrangeurs d’ici. Ça prend de l’argent? On le trouve!»

Reconnaissance

Parce qu’elle l’accompagne partout où se produisent leurs chorales, Annie Richard est consciente de la réputation de son mentor (toute jeune, elle entendait beaucoup parler de lui par leur prof de piano commun, à Kapuskasing). «Tout le monde, même à l’étranger, raconte-t-elle, connaît Robert Filion comme chef de chœur et l’admire. Mais je voulais que l’on reconnaisse son niveau de professionnalisme auprès des élèves, tant sur le plan scolaire que personnel et professionnel. Son programme a été primé meilleur programme de musique de la Capitale nationale et il a reçu le Prix d’excellence en enseignement du conseil scolaire, mais je voulais plus. Mireille Asselin, Véronique Veillette et moi avons préparé sa candidature ensemble pour le prix d’excellence.»

Dans sa classe de musique, à côté de son piano noir, M. Filion est ému et ne sait trop quoi dire. Ses élèves, ses collègues sont là. Ils ont apporté des fleurs pour lui apprendre la nouvelle : on vient de présenter sa candidature au Prix du premier ministre!

Il l’obtiendra. Un bel accomplissement. Mais certainement pas un couronnement de carrière pour l’artiste pédagogue qui, de son propre aveu, rêve depuis l’âge de 12 ans de diriger un jour «la meilleure chorale du monde». Rien de moins. Les élèves du local 111 n’ont pas fini de chanter!

Dans cette nubrique, les enseignants exemplaires ont reçu un ou plusieurs prix à l’échelle provinciale ou nationale.

Des récompenses!

Les différentes chorales de Robert Filion ont remporté de nombreux prix :

«Quand ils remportent des prix, je dis toujours aux élèves que ce n’est pas moi qui suis bon, puisque ce sont eux qui chantent. Je leur en donne le mérite, parce que s’ils décidaient de ne pas chanter, je ne pourrais rien faire. Mais je reconnais que c’est moi qui les prépare. Ça se passe des deux côtés. Et il n’y a pas que le talent musical. Il y a l’équipe et le goût de se dépasser constamment. On peut toujours retravailler», de dire Robert Filion.

Photo de Robert Filion, dans une salle de classe, avec un grand nombre d’élèves. Il écrit dans la cahier de musique d’une élève.
«L’instrument, c’est toi. Il n’y a pas de machine pour chanter mieux. C’est ton travail qui fait la différence», dit Robert Filion à ses élèves.