Auteure-compositrice-interprète et actrice, Carly Rae Jepsen pense aux deux enseignants qui ont encouragé son talent et qui l’ont aidée à briller sous les feux de la rampe.
De Richard Ouzounian
Photo : Ian Hylands
À chaque Cendrillon sa marraine. Les chanceuses en ont deux. Demandez-le à Carly Rae Jepsen. Elle est la dernière à chausser la légendaire pantoufle de vair dans la production Rodgers & Hammerstein’s Cinderella à Broadway.
Découverte à Canadian Idol, la jeune étoile a grimpé les échelons du succès avec sa chanson Call Me Maybe. Quand on a annoncé que Carly Rae Jepsen allait interpréter le rôle-titre, plusieurs se sont demandé ce qu’une chanteuse de musique populaire venait faire dans une comédie musicale. Ils ne savaient probablement pas que Mme Jepsen avait déjà figuré dans des spectacles tels Annie, The Wiz et Grease à l’école secondaire de sa ville natale.
C’est à ce moment que les deux marraines – ou plutôt un parrain et une marraine – ont fait leur apparition. Sans David Fryer et Beverley Holmes, tous deux enseignants à l’Heritage Park Secondary School à Mission (Colombie-Britannique), la carrière de Mme Jepsen n’aurait pas été aussi féérique.
«Ils m’ont énormément aidée, et de plusieurs façons. Je ne sais pas où j’en serais sans eux, déclare Mme Jepsen dans sa loge. Ils m’ont mise sur le bon chemin en me disant : “Tu es sur la route de ta destinée”.»
M. Fryer, musicien, enseignant et interprète très populaire, a été le premier à rencontrer Carly Rae Jepsen. Et il n’oubliera jamais ce moment.
«Carly, alors une élève de 3e année, participait à un concours de talents. Elle chantait The House at Pooh Corner avec son père. Elle avait une présence exceptionnelle sur scène. Et sa voix était incroyable. Une chanteuse lyrique et adorable, même à ses débuts.»
Trois ans plus tard, M. Fryer lui a offert, malgré son jeune âge, une belle chance de se produire comme artiste.
«Je n’étais qu’en 6e année quand David m’a incitée à chanter avec son groupe de jazz en tant qu’invitée spéciale. Son offre m’a vraiment surprise, mais je l’ai acceptée. Ce fut une expérience incroyable.»
M. Fryer éclate de rire en apprenant les souvenirs que Mme Jepsen a gardés de cette époque. «Elle n’était pas seulement une invitée spéciale : elle est devenue la chanteuse principale de notre groupe et a participé à presque tous nos concerts, même à nos tournées.»
L’idée d’une jeune adolescente qui chante avec des musiciens accomplis peut sembler étrange, mais M. Fryer insiste sur le fait qu’elle méritait sa place dans le groupe.
«La première chanson qu’elle a interprétée pour moi fut It Don’t Mean a Thing If It Ain’t Got That Swing; elle savait comment la chanter, instinctivement. Son phrasé était impeccable, dès le début», souligne M. Fryer.
Selon Mme Jepsen, il est trop gentil. «Il m’a tellement appris, explique-t-elle. Il m’a enseigné les différents types de musique, les lois de l’harmonie. Il m’a également aidée à prendre conscience du genre de voix que j’avais et à découvrir le registre le plus élevé que je possédais sans le savoir.»
La relation qu’elle entretenait avec son enseignant était très avantageuse, mais ses jours comme chanteuse de groupe étaient comptés. Un nouveau domaine l’attendait, le théâtre musical.
Beverley Holmes enseignait le théâtre à la même école et allait bientôt découvrir qu’elle aussi avait besoin des talents de Carly Rae Jepsen.
Mme Holmes s’était bâti la réputation d’une personne apte à élaborer un programme d’art dramatique dans toute une école. «J’éprouve une passion pour faire du théâtre et diriger tout le monde. Je suppose que le rôle de directrice artistique me convient bien», dit-elle.
Formant l’équipe de direction du théâtre musical de l’Heritage Park Secondary School, Mme Holmes et M. Fryer entreprennent la production d’Annie, mais rencontrent un obstacle : aucune élève ne peut jouer le rôle principal.
De la même façon que M. Fryer avait remarqué la jeune chanteuse au concours de talents quelques années plus tôt, Mme Holmes se remémore la première fois où elle a entendu Carly Rae Jepsen chanter sur scène. «Je pense qu’elle avait environ 10 ans. Je me souviens à quel point elle maîtrisait sa voix déjà puissante, même à ses débuts, dit l’enseignante.
«Puis je l’ai vue dans la production A Christmas Carol où elle incarnait le fantôme des Noëls futurs. Elle n’avait aucun texte, mais elle était l’actrice la plus talentueuse de la pièce. La présence de Carly était telle qu’on ne l’oubliait jamais.»
Aucune candidate n’étant appropriée pour la pièce, ils ont parachuté Mme Jepsen dans le rôle d’Annie.
«Elle était la seule élève capable de remplir ce rôle», admet M. Fryer. Quant à Mme Holmes, elle est d’avis que Carly était précisément ce dont ils avaient besoin pour le spectacle».
Leur instinct les a bien servis. Carly Rae Jepsen a fait fureur sur scène et, pendant les deux années suivantes, ils ont produit deux autres spectacles (The Wiz et Grease), dans lesquels elle a joué le rôle principal.
«J’ai pensé qu’il était mieux de ne pas donner le rôle principal à Carly tous les ans; de plus, elle ne semblait pas être le meilleur choix pour incarner Sandy dans Grease. J’ai donc désigné une autre fille, mais elle n’a pas fait l’affaire. J’ai repris Carly et sa prestation a été superbe», se souvient Mme Holmes.
Mme Jepsen conserve un excellent souvenir de son travail avec Mme Holmes. «J’aimais sa façon de diriger la troupe. Tous les jours, elle demandait à chaque personne si elle se sentait bien et si tout allait pour le mieux. Elle voulait qu’on fasse appel à nos propres émotions et qu’on les utilise dans le spectacle. C’était très spécial.»
Inspirée par ces expériences (et un mot d’encouragement de Mme Holmes), Carly Rae Jepsen s’est inscrite au Canadian College of Performing Arts à Victoria. Elle a suivi des cours avec succès, mais s’est bientôt trouvée dans une impasse.
«Je ne savais pas quoi faire. J’adorais interpréter, mais aucune possibilité ne se présentait à moi. J’ai donc pensé que je serais parfaitement heureuse en tant qu’enseignante, comme mes parents», explique Mme Jepsen.
Voilà que réapparaît Beverley Holmes, baguette magique en main.
«Je sentais que Carly avait droit à une chance sur une grande scène, explique Mme Holmes. J’ai toujours aimé prendre des risques. Quand j’ai appris que Canadian Idol menait des auditions, j’ai pensé que c’était l’occasion rêvée pour elle.»
Mme Jepsen raconte en riant : «Je prenais un bain quand Bev m’a appelée et m’a dit de sortir de la baignoire parce qu’elle allait me conduire à Vancouver pour une audition à Canadian Idol. J’hésitais à me présenter, mais Bev a répliqué : “Tu vas y aller, un point c’est tout!”».
«Je me suis toujours considérée chanceuse d’avoir eu des enseignants qui ont cru en moi et j’ai fait tout en mon pouvoir pour ne pas les décevoir.»
La jeune chanteuse a obtenu une place à la cinquième saison de l’émission et s’est classée deuxième finaliste. Mme Jepsen a profité de la situation pour faire une tournée nationale qui a attiré l’attention sur son talent et l’a placée sur la voie du succès.
«Quand je la vois aujourd’hui, je suis tellement fière d’elle, dit Mme Holmes. Mais j’ai toujours d’autres suggestions à lui faire. “Utilise l’autre côté de la scène. N’aie pas peur de contrôler la situation.” Carly est une vraie vedette, et son talent, c’est tout à fait le sien.»
M. Fryer parle avec bienveillance de son ancienne protégée. «Elle a toujours été très généreuse, trop généreuse, concernant l’aide que Bev et moi lui avons apportée. Ça me fascine de la voir en spectacle.»
«Je suis devenue la personne que je suis aujourd’hui grâce à David et Bev. Ce sont eux qui ont eu la vision nécessaire, dit Mme Jepsen. David a pu imaginer une chanteuse de jazz en regardant une petite fille qui chantait avec son père. Bev m’a imaginée en tête d’affiche d’une comédie musicale alors que je n’étais qu’une adolescente sans même un rôle parlé dans une pièce de théâtre. Je me suis toujours considérée chanceuse d’avoir eu des enseignants qui ont cru en moi et j’ai fait tout en mon pouvoir pour ne pas les décevoir.»
Cette rubrique met en vedette des personnalités canadiennes qui rendent hommage aux enseignantes et enseignants qui ont marqué leur vie en incarnant les normes de déontologie de la profession enseignante (empathie, respect, confiance et intégrité).