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Pour manger mieux

Les pédagogues ont un rôle important à jouer dans la promotion de saines habitudes de vie chez leurs élèves. Voici les idées inspirantes de sept d’entre eux.

De Kira Vermond
Photos : Susan Ashukian; stylisme alimentaire : Sugar Tart

Illustration créée à partir de divers aliments. Un autobus scolaire est fait d’une tranche de courge et de framboises pour les phares. Un chauffeur et deux élèves sont à l’intérieur. Une tranche de citron représente le soleil; une fleurette de chou-fleur, des nuages; des feuilles de laitue, des buissons. Une élève lance un cerf-volant (tranche de fraise). Une tranche de pain, un craquelin et des tranches de céleri forment l’école où se dresse un drapeau du Canada.
INGRÉDIENTS :
AUTOBUS : courge, carrés de blé entier, radis, pépins de grenade, framboises, pelures de pomme de terre, igname ailée ROUTE : lentilles noires, haricots mungo cassés, graines de sésame PERSONNAGES : pain pumpernickel, oignon rouge, grains de son, poivron rouge, haricots mungo rouges, melon miel, bette à cardes, pain de seigle noir, champignons enoki, laitue iceberg, lentilles vertes, nouilles de Shanghai, graines de coriandre, «riz des Prairies», igname pourpre, betterave, carotte, graines de citrouille CERF-VOLANT : fraise, fromage à effilocher, ciboulette, courgette jaune ÉCOLE : pain pumpernickel, céleri, craquelins multigrains, provolone, pelures de radis, nouilles de riz au thé vert CIEL : chou-fleur, citron BUISSONS : laitue frisée, brocoli, bok choy, thym. Tous les aliments figurant sur ces photos ont été consommés.

Un dimanche ensoleillé de juin, alors que les activités scolaires ralentissent à l’arrivée des vacances estivales, la routine d’exercice de Jeremy Durgana, EAO, demeure inchangée. Après avoir passé du temps sur le tapis roulant au centre sportif, l’enseignant au physique svelte retourne à sa voiture et se glisse derrière le volant.

M. Durgana, enseignant de 5e-6e année de la Trillium Woods Public School à Richmond Hill n’a pas toujours été aussi mince. Il est le premier à montrer de vieilles photos de lui, au moment où il était un enfant obèse victime d’intimidation et qu’il pesait 111 kilos.

En fait, chaque année, il montre ces photos à ses élèves pour leur prouver une seule chose : tout le monde peut changer. N’importe qui peut laisser tomber un mode de vie malsain et prendre de bonnes habitudes. L’enseignant doit simplement convaincre ses élèves que ses photos n’ont pas été modifiées à l’aide d’un logiciel.

«Lorsque j’enseigne [des aspects de la bonne nutrition] à ces enfants, ils me croient parce que j’ai l’air d’un athlète et que je mange et m’habille comme tel, dit-il. Mais si je leur faisais la morale, sans agir en conséquence, serais-je crédible?»

M. Durgana est crédible et a remporté un prix qui le prouve. On lui a décerné l’un des prix provinciaux annuels d’enseignement de la nutrition (Teach Nutrition Award), qui souligne les initiatives innovatrices en enseignement de la nutrition du jardin d’enfants à la 8e année. Son projet gagnant, un message d’intérêt public que ses élèves ont composé avant d’en faire l’animation et le montage, sur une période de un mois, alliait l’éducation, la santé et les compétences techniques et artistiques.

«Je suis un de ces enseignants qui aiment les travaux pratiques et qui offrent des possibilités pour les apprenants kinesthésiques, explique-t-il. Je veux les accrocher.»

Une question de poids

Ce n’est un secret pour personne que le Canada, tout comme bon nombre de pays développés et en développement, se heurte à une crise en ce qui concerne la santé des enfants. Selon Statistique Canada, près du tiers des enfants de 5 à 17 ans souffrent d’embonpoint ou d’obésité. Les idées novatrices, comme celles de M. Durgana, sont nécessaires pour enseigner une approche saine de l’alimentation et de l’exercice.

La prolifération des boissons sucrées (les jus, autrefois considérés comme faisant partie d’une alimentation saine, ont perdu ce statut) et des aliments transformés riches en gras dans notre alimentation est en partie responsable de cet état de fait, tout comme l’augmentation du temps consacré à des activités sédentaires devant un écran, comme jouer à des jeux vidéo et regarder la télé. Les spécialistes de l’obésité ont aussi mis en évidence d’autres facteurs tels que l’augmentation de la taille des portions dans les restaurants et les épiceries et le fait que les jeunes disposent de moins d’heures de sommeil.

Le résultat de ces mauvaises habitudes alimentaires et de cette sédentarité? Une mauvaise santé et de piètres résultats scolaires.

De plus en plus de preuves montrent le lien entre la forme physique, les résultats scolaires et la santé du cerveau. Dans une étude espagnole publiée plus tôt cette année, les chercheurs ont conclu que les élèves qui disposaient d’habiletés motrices et de capacités cardiorespiratoires supérieures (en d’autres mots, ceux dont le cœur était en forme, probablement parce qu’ils étaient en meilleure forme physique), réussissaient mieux à l’école.

Inverser la tendance d’un problème d’une telle complexité demande une solution tout aussi complexe et de profonds changements sociétaux, affirme la Dre Katherine Morrison, professeure agrégée de pédiatrie et codirectrice du programme de recherche sur l’obésité MAC-Obesity de l’Université McMaster.

«Il est important de comprendre, selon elle, qu’il n’existe pas de panacée. Une solution unique ne peut tenir compte de tous les aspects biologiques et sociologiques de l’obésité.»

Les enseignants commencent également à comprendre à quel point l’obésité juvénile est multidimensionnelle. Au cours de la dernière décennie, indique la Dre Morrison, les écoles ont entrepris de nombreuses initiatives pour tenter de contrecarrer la tendance à la prise de poids, par exemple en interdisant les machines distributrices, en ouvrant des comptoirs à salades dans les cafétérias et en lançant des programmes d’activité physique quotidienne (APQ) pour faire bouger les élèves au moins une fois par jour.

Cependant, s’attaquer au problème d’une manière aussi méthodique mais fragmentaire peut poser des difficultés. Les enfants continuent de prendre du poids et l’enthousiasme à l’égard de certains de ces programmes d’activité finit par diminuer au fil du temps.

«À ma clinique, je demande aux enfants s’ils font de l’APQ, et la plupart n’en ont jamais entendu parler», raconte la Dre Morrison.

Comment les enseignants peuvent-ils faire une différence? Servez de modèle et militez pour le changement, conseille-telle. Apprenez de vos collègues qui incorporent la nutrition et l’activité physique dans la vie quotidienne de leurs élèves de façon novatrice et créative.

Faire de votre classe un comptoir à salades

Illustration d’une enseignante créée à partir d’aliments tels des fruits de la passion, une pointe d’asperge, des carottes râpées et des graines de sésame.
EN CHIFFRES
Les enfants et les jeunes passent en moyenne 6 HEURES par jour devant un écran.
5 MILLIONS de dollars sont dépensés chaque jour pour promouvoir la restauration rapide auprès des enfants.
Les enfants et les adolescents du Canada consacrent en moyenne 14 MINUTES à une activité physique d’intensité modérée à vigoureuse après l’école.

Il y a deux ans, lorsque Laura White, EAO, a commencé à travailler à la Central Public School, au centre-ville de Guelph, elle a jeté un coup d’oeil à la boîte à lunch de ses élèves de 4e et 5e année pour voir ce qu’ils avaient à manger. Bien que certains arrivaient à l’école avec une bonne sélection de fruits, de légumes et d’autres aliments sains, le repas de bon nombre d’entre eux consistait en des aliments transformés et préemballés.

Elle a donc demandé à ses élèves s’ils souhaiteraient créer un comptoir à salades tous les vendredis après-midi. Chaque élève apporterait un fruit ou un légume coupé à partager en classe, ainsi qu’un bol ou une assiette qui resterait à l’école. Les enfants ont bondi sur l’occasion. Pour mettre l’activité au programme, l’enseignante a donc écrit une lettre persuasive aux parents en leur demandant un coup de main.

Deux ans plus tard, l’activité, aujourd’hui connue sous le nom «vendredis fraîcheur», est un véritable succès. Les enfants ont maintenant essayé toutes sortes d’aliments, comme la carambole, le kiwi, le concombre, les sushis, les baies de goji, le melon d’eau et le pitaya; la deuxième année, le conseil des parents a payé les assiettes.

«Les élèves qui apportaient des aliments préemballés – ceux à qui je pensais que le programme ferait le plus de bien – étaient ceux qui mangeaient le plus de fruits et de légumes. J’ai été renversée, dit Mme White. Je pensais que j’aurais à les forcer, mais cela n’a pas été le cas.»

Bien que Mme White ait été surprise de la réaction positive des élèves devant les fruits et légumes, Karen Le Billon, auteure de French Kids Eat Everything (And Yours Can Too) (les enfants français mangent de tout et les vôtres le pourraient aussi), paru en 2012, l’est beaucoup moins. Dans son livre, cette auteure et professeure de Vancouver raconte les aventures alimentaires de sa famille pendant une année passée en France et explore les raisons pour lesquelles les enfants nord-américains semblent beaucoup plus difficiles à satisfaire que les petits Français. Son deuxième livre, Getting To Yum (se rendre à miam!), publié en 2014, enseigne aux parents et aux pédagogues comment mettre en pratique ce qu’elle a appris. (Voir l’encadré en fin d’article : «Ressources à essayer».)

Selon Mme Le Billon, les enfants français ont une alimentation plus saine et variée parce que, dans la culture française, y compris dans le système scolaire du pays, l’alimentation est considérée comme une compétence que les enfants doivent acquérir et qui doit être encouragée. Au départ, peu d’entre eux apprécient l’amertume des endives, mais s’ils y sont exposés assez souvent, ils finissent par y prendre goût.

«C’est une chose que les enfants peuvent apprendre, comme la lecture. En Amérique du Nord, on ne nous a jamais appris à voir les choses de cette manière», dit-elle.

Pour encourager les enfants à essayer de nouveaux aliments et à manger sainement, les écoles françaises les obligent à rester à table au moins 30 minutes pour manger, digérer et apprendre à apprécier le fait de partager un repas avec des amis. Les repas servis à l’école comptent quatre services : une entrée de légumes, un plat principal avec accompagnement de légumes, un fromage et un dessert, habituellement un fruit. Les repas sont servis avec du pain baguette frais et de l’eau. (Le vrai menu du jour d’une école de Paris? Salade de lentilles avec tomates, dinde rôtie avec petits pois et carottes, brie et kiwi.) On ne sert pas le même menu plus d’une fois par mois.

Les parents français sont tout aussi investis dans la cause. Selon Mme Le Billon, la question qu’on entend le plus souvent quand ils viennent chercher leur enfant à l’école n’est pas «Comment a été ta journée?», mais plutôt «Qu’est-ce que tu as mangé aujourd’hui?».

En fin de compte, comme l’ont découvert Mmes White et Le Billon, les enfants n’ont pas besoin de beaucoup d’encouragements pour bien manger.

«Les gens sont très étonnés de les voir manger tout ça, mais les enfants se montrent à la hauteur de nos attentes», affirme Mme Le Billon.

Laura White en est arrivée à la même conclusion étonnante après seulement quelques vendredis à manger avec ses élèves.

«Ils étaient enthousiastes et heureux à l’arrivée des “vendredis fraîcheur”, dit-elle. Je n’en revenais pas de voir une douzaine d’élèves se ruer vers moi pour avoir des minicarottes biologiques. C’était un spectacle hilarant!»

Le gros bol de fruits

À la South Branch Elementary School de Kemptville, la directrice Karen Bryan, EAO, et l’enseignante à l’enfance en difficulté Jodi Taylor-Morrow, EAO, travaillent fort pour permettre aux élèves de cette école en milieu rural d’avoir accès à une alimentation saine, peu importe leur milieu socioéconomique.

Pour commencer, il y a un bol de fruits au bureau de la direction où tous les élèves peuvent venir chercher une collation. Jodi Taylor-Morrow, qui a également reçu l’un des prix 2014 d’enseignement de la nutrition, remplit le bol qui se trouve sur le bureau de la secrétaire.

«Chaque jour, il y a probablement de 50 à 60 enfants qui entrent ici pour venir chercher des fruits frais», dit Mme Taylor-Morrow.

Une épicerie locale livre au moins 240 fruits chaque semaine à cette école de 408 élèves, et le jeudi, il n’en reste habituellement plus.

Le bol de fruits n’est qu’un des moyens que l’école utilise pour incorporer une alimentation saine et riche en nouvelles expériences gustatives à la vie des élèves. Quelques fois par mois, les élèves du cycle moyen préparent de la nourriture saine pour les élèves plus jeunes et vont la leur porter. Une semaine sur deux, ils vont à la cuisine pour couper des fruits et les mélanger à du yogourt et à du lait pour faire des frappés aux fruits; l’autre semaine, ils préparent des plateaux de légumes à livrer en classe.

Comme sa collègue Laura White, Jodi Taylor-Morrow s’est dite très étonnée de la réaction des enfants devant la nourriture.

«C’est comme si vous arriviez avec des bonbons! Il ne reste jamais rien sur nos plateaux de légumes», dit-elle au sujet de ce programme subventionné.

Illustration d’un jardin créée à partir de divers aliments. Une branche de romarin, des abricots, des feuilles d’origan, et des lentilles constituent l’image.

Illustration qui représente le dessus d’une cuisinière créée à partir de spaghettis et de tranches de betterave. Une casserole également faite de divers aliments est sur la cuisinière.

Manger comme des pionniers

Même si Ann Vieira, EAO, est désormais enseignante-bibliothécaire à l’Anson Taylor Public School à Scarborough, elle possède néanmoins une longue expérience (pas moins de 25 ans) de l’enseignement en salle de classe.

Elle a vu un certain nombre de changements positifs au fil des ans en ce qui concerne l’alimentation saine des enfants. Il est rare désormais de voir des parents apporter des sacs de restauration rapide à leur enfant pour le dîner. Dans son milieu urbain comptant une plus importante population immigrante, de nombreux élèves arrivent à l’école avec des repas sains et composés d’aliments variés. Son école incite également les élèves à participer à une variété de jeux actifs et son conseil scolaire restreint la vente de malbouffe dans le cadre de ses activités de financement.

Mme Vieira affirme qu’il est plutôt facile d’intégrer la nutrition aux exigences du curriculum d’une manière qui permet aux élèves de s’y intéresser. Pendant des années, dans le contexte de l’unité de cours sur les pionniers, elle demandait à ses élèves de 3e année de comparer leur alimentation avec celle des pionniers. Les élèves créaient des graphiques et des annonces pour promouvoir les aliments que les pionniers mangeaient, soit en grande partie des légumes, des fruits et des grains entiers. À la fin de l’unité, la classe préparait et dégustait un buffet de mets typiques de l’époque des pionniers.

«Tout ce qui a un lien avec la nourriture motive les élèves, dit-elle. Ils adorent ça.»

Rien n’est perdu au secondaire

«Leurs enfants partagent leurs nouvelles connaissances et prennent l’initiative de cuisiner.»

Même si de nombreuses études ont démontré qu’il est plus facile d’inciter les enfants à adopter une alimentation saine si l’on commence en bas âge, il y a tout de même beaucoup d’espoir pour les adolescents qui vont à l’école secondaire. Husam Chehada, EAO, qui enseigne à l’École secondaire Michel-Gratton, à Windsor, est à même de le constater.

Comme M. Chehada enseigne le cours à option en nutrition et le programme de tourisme et hôtellerie aux élèves de la 9e à la 12e année, il demande à ses élèves de préparer des repas pour leurs pairs. En plus, les élèves de son cours de nutrition planifient, préparent et vendent des repas à la cafétéria, ce qui leur permet non seulement d’apprendre à préparer des repas sains pour un grand nombre de personnes, mais également à être des entrepreneurs.

Les parents sont très contents de voir leurs enfants acquérir ces nouvelles compétences liées à la vie courante.

«Leurs enfants partagent leurs nouvelles connaissances et prennent l’initiative de cuisiner à la maison», dit M. Chehada.

La prochaine étape? La récolte des légumes dans leur nouveau jardin. En avril, sa classe a planté des radis, des carottes, des petits pois et autres légumes dans la cour de l’école.

«Ces activités d’apprentissage pratique aident les élèves à acquérir une meilleure confiance en eux-mêmes en ce qui concerne la nourriture», explique l’enseignant.

Pendant ce temps, à l’école secondaire Gabriel-Dumont, une petite école de langue française de London, les élèves s’entassent, de 7 h 35 à 8 h, trois matins par semaine, pour manger des céréales, du yogourt, des fruits et des muffins faits maison. Le programme existe depuis 2007 et 90 jeunes, soit près de la moitié des élèves de l’école, en profitent.

«De nombreux jeunes doivent se lever très tôt pour venir à l’école et nous arrivent le ventre vide», affirme la directrice adjointe de l’école, Carole Beauchesne, EAO. «C’est un bon moyen de les encourager à commencer la journée du bon pied, tout en les sensibilisant aux choix alimentaires sains.»

«Les élèves ont apporté et essayé toutes sortes d’aliments, comme la carambole, le kiwi, les concombres, les sushis, les baies de goji, la pastèque et le pitaya.»

Les petites choses qui comptent

Les programmes et les attentes du curriculum ont bel et bien une incidence sur l’idée et les impressions que les élèves se font de leur corps, de la nourriture, de l’activité physique et de la nutrition mais, du côté de la Trillium Woods Public School, Jeremy Durgana se dit convaincu que ses élèves sont tout aussi susceptibles de faire des changements à leur mode de vie lorsqu’on leur présente un modèle.

C’est pourquoi il ne demanderait jamais à ses élèves de faire dix extensions de bras dans le cours d’éducation physique sans les faire lui-même.

«Je veux être un exemple à suivre, explique-t-il. Cela me tient à cœur.»

Ressources à essayer

Quelles sont les conséquences possibles de l’obésité juvénile?

Personne n’a envie de voir des élèves intelligents et aimables connaître des souffrances affectives ou physiques. Cela dit, les enfants et les jeunes atteints d’embonpoint ou d’obésité doivent affronter un certain nombre de défis importants. Ils sont plus susceptibles :