D’Abigail Cukier
Illustration : Kim Rosen
Collette Dowhaniuk, ancienne directrice d’école du Toronto District School Board à la retraite, se souvient très bien de la première fois où elle a dû témoigner en cour. Elle avait reçu une assignation à témoigner devant un tribunal pour adolescents concernant un élève accusé d’agression. Son témoignage devait porter sur le tempérament de l’adolescent.
«Je n’avais jamais mis les pieds dans un palais de justice et encore moins dans une salle d’audience, se rappelle-t-elle. Je pensais que les choses allaient se dérouler comme dans un épisode de La Loi et l’Ordre.» La réalité s’est avérée beaucoup moins excitante. «C’est moins spectaculaire que vous ne l’imaginez, affirme-t-elle. Il y a beaucoup de gens, beaucoup de discussion. Cela peut être difficile de s’y retrouver.»
Mme Dowhaniuk, qui est maintenant conseillère spécialisée en services de protection pour l’Ontario Principals’ Council, a fini par être à l’aise à la barre des témoins et a été appelée à témoigner six fois au cours des 13 ans où elle a été directrice d’école. Son histoire n’est pas inhabituelle. De plus en plus, les parents et les avocats demandent au personnel enseignant de fournir des renseignements ou de témoigner dans des dossiers de garde d’enfants.
«Les enseignantes et enseignants se retrouvent toujours coincés entre l’arbre et l’écorce», explique Marvin Zuker, juge du tribunal provincial à Toronto et professeur agrégé à l’IEPO/UT.
Les pédagogues qui se font entraîner dans des cas où les émotions règnent peuvent vivre un stress intense. «Évidemment, ce n’est pas agréable d’être coincé dans un conflit familial», affirme Guy Allaire, EAO, directeur de l’école élémentaire catholique des Voyageurs à Orléans.
Afin de vous y retrouver, il est important de connaître vos droits et de savoir à quoi vous attendre. Cela peut faire toute la différence dans les dossiers délicats, comme ceux qui portent sur la garde d’un enfant. Le parent qui n’a pas la garde de l’enfant cherche souvent à obtenir des modifications à ses droits de visite. On demande alors aux enseignants de fournir des éléments de preuve pour déterminer si un parent se montre responsable ou assiste aux soirées de rencontres avec les enseignants, par exemple.
Si vous recevez une assignation à témoigner, que devriez-vous faire? «Tout d’abord, lisez attentivement la sommation afin de comprendre ce qu’on vous demande», dit Lonny Rosen, partenaire du cabinet Rosen Sunshine s.r.l., qui représente régulièrement des clients provenant de disciplines professionnelles et autres instances réglementaires. Faut-il vous présenter à une audience? Fournir un dossier? Aller au tribunal avec certains documents? «L’assignation à témoigner précise ce qu’on attend de vous», explique M. Rosen. Vous devez ensuite informer votre direction d’école; si vous êtes directrice ou directeur d’école, avisez votre conseil scolaire. «Puis contactez votre association ou fédération, car elle fournit souvent des conseils à ce sujet et peut vous offrir de l’appui», ajoute-t-il.
Le site web des organisations concernées comprend des pages informatives où des spécialistes donnent des renseignements et répondent à vos questions.
Quand vous recevez une sommation ou une assignation à témoigner, vous devez généralement comparaître en cour (vous présenter à une audience ou à un processus semblable devant un arbitre, un conseil scolaire ou un tribunal) afin de présenter des éléments de preuve. Des documents ou des dossiers que vous possédez et vos connaissances personnelles peuvent servir de preuve. «La personne qui reçoit une sommation ou une assignation à témoigner doit se présenter en cour à titre de témoin à une instance dont elle ne fait pas nécessairement partie», remarque M. Rosen. Étant donné qu’une instance peut traiter de cas tels un procès criminel, un litige portant sur la garde d’un enfant, un recours en congédiement injustifié ou une poursuite judiciaire au sujet d’un contrat, il est naturel que la plupart des gens soient ennuyés de témoigner. Cependant, une assignation à témoigner enclenche le processus judiciaire et transforme une demande d’information en une obligation légale.
Si vous ne vous présentez pas à l’instance, on considérera que vous avez violé une ordonnance de la cour et on pourrait vous donner une amende ou vous emprisonner, explique Eric Roher, dirigeant national de l’Education Focus Group au cabinet juridique Borden Ladner Gervais.
Les avocats communiquent souvent avec les témoins potentiels à l’avance, avant ou après avoir délivré l’assignation à témoigner. «L’avantage, du point de vue de l’avocat, est de savoir si le témoignage d’une personne sera utile», remarque M. Rosen. Par ailleurs, le témoin aura ainsi l’occasion de prendre conscience de l’information que l’avocat recherche. M. Rosen conseille toutefois aux enseignants et aux directions d’école d’être prudents. «Certains renseignements recherchés par les avocats, tels les dossiers scolaires, ne peuvent être fournis que s’il y a ordonnance d’un tribunal ou consentement de la personne concernée par le dossier. Il est important de s’assurer que la personne demandant des renseignements est autorisée à les recevoir.» Par exemple, s’il s’agit d’un litige portant sur la garde d’un enfant, il se peut qu’une entente de séparation ou de divorce vous interdise de donner des renseignements au parent non gardien. Cela veut dire que vous ne devez pas donner ces renseignements à son avocat. «Sans un consentement ou une autorisation, même si vous avez reçu une sommation, vous n’êtes pas autorisé à fournir ces renseignements avant de vous présenter à l’audience», souligne M. Rosen.
Même si vous avez le consentement et l’autorisation, vous n’avez aucune obligation de parler à une des parties concernées avant la procédure judiciaire, et ce, même si la demande d’information provient d’un parent, d’un avocat ou d’une autre personne impliquée dans le litige. Bref, si vous avez reçu une assignation à témoigner, votre obligation se limite à témoigner en cour.
Que faire si l’on vous demande par écrit de présenter un dossier scolaire de l’Ontario? Comme ce dossier est confidentiel en vertu de la Loi sur l’éducation, l’école doit avoir la permission écrite du parent ou du tuteur de l’élève avant de le divulguer. Dans le cas d’un litige civil, si cette permission n’a pas été accordée, l’école garde le dossier confidentiel jusqu’à la réception d’une ordonnance de la cour. Dans le cas d’une affaire criminelle, toutefois, le Code criminel et la Loi sur la preuve au Canada ont prépondérance sur la Loi sur l’éducation.
Lorsqu’une école doit fournir le dossier scolaire d’un élève, c’est une bonne idée d’en apporter une copie, ainsi que l’original, à la cour. «Habituellement, le tribunal accepte les photocopies», affirme M. Roher, puisque les écoles ont la responsabilité de conserver le dossier original en vertu de la Loi sur l’éducation.
Vos notes personnelles deviennent la propriété du conseil scolaire et vous devez les présenter si elles font l’objet d’une assignation à produire des documents.
«Si le nom d’autres élèves apparaît dans vos notes, supprimez-le, conseille M. Roher. Gardez également à l’esprit qu’un parent pourrait avoir accès à vos notes en vertu de la Loi sur l’accès à l’information municipale et la protection de la vie privée. Donc, limitez-vous à des commentaires factuels et objectifs.»
Il est possible qu’un enseignant arrive au tribunal à 10 h et attende toute la journée, ou encore ne soit pas appelé à témoigner. Un représentant du conseil scolaire peut appeler un avocat et lui demander de préciser vers quelle heure vous devrez témoigner. Les avocats peuvent négocier en votre nom pour essayer de limiter les répercussions sur la classe, étant donné que votre absence affecte les élèves.
Si votre présence est nécessaire, analysez bien la situation et préparez-vous. «Il est normal de ressentir de la nervosité, explique Mme Dowhaniuk. Parlez à des collègues qui l’ont déjà fait.»
Si vous témoignez pour le conseil scolaire et que vous avez accepté de répondre à des questions avant le début des audiences, son avocat voudra vous préparer. Vous aurez probablement à parler de vos déclarations passées, à discuter d’autres témoignages, et à vous exercer à répondre aux questions et à soutenir un contre-interrogatoire.
«Les enseignantes et enseignants, comme la plupart des professionnels, ont des obligations qui dépassent celles des autres témoins», souligne M. Rosen. Tout témoin a la responsabilité de dire la vérité, sinon il risque d’être coupable d’un parjure. «Mais il faut également se montrer professionnel, coopératif et franc avec les avocats, la cour et le tribunal, sinon cela pourrait équivaloir à une faute professionnelle», ajoute-t-il.
Livrez votre témoignage de manière objective et factuelle. «Ne montrez aucune préférence, conseille M. Roher. Même si vous avez une opinion, ce n’est pas votre rôle de favoriser l’une ou l’autre des parties.» L’avocat souligne également que les apparences ont de l’importance. Veillez donc à vous habiller professionnellement et à faire preuve de respect. «Écoutez attentivement chaque question et répondez seulement à la question, ajoute-t-il. Ne vous étendez pas sur le sujet et évitez d’ajouter de l’information. Si vous n’avez pas compris une question, dites-le.»
N’argumentez pas et ne tentez pas de jouer au plus malin avec le juge ou l’avocat, souligne M. Roher. Ne jamais parler d’autres élèves ou commenter l’état physique, mental ou émotif des gens. Laissez ces détails aux témoins experts.
Il importe de vous rappeler que votre profession est d’enseigner, et non de témoigner en cour. «Je ne me souviens plus» est une réponse parfaitement légitime lorsque vous ne vous souvenez vraiment plus de la situation. «On considère que vous possédez une expertise que d’autres dans la salle d’audience ne possèdent pas. C’est pourquoi on souhaite vous entendre et on vous accorde une grande crédibilité», dit Mme Dowhaniuk.
Tenir des audiences sur des questions d’agrément et de discipline fait partie du mandat de l’Ordre. Il est important de noter que les enseignantes et enseignants doivent coopérer avec l’Ordre dans son enquête, y compris parler à l’avocat de l’Ordre avant l’audience, sans sommation.