Jean-François Boulanger, EAO, avait toute sa tête quand il a pris la barre d’un navire qui prenait l’eau. Aujourd’hui, avec son fidèle équipage, ce directeur d’école dirige maintenant une école modèle. Comment s’est-il débrouillé?
D’Hélène Matteau
Photos : Marc Fowler
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2009. Dans la Basse-Ville d’Ottawa, l’école élémentaire catholique Sainte-Anne fait bien piètre figure. Le bâtiment se détériore, le quartier présente de gros défis socioéconomiques, les parents désertent le conseil d’école, il ne reste plus que 95 élèves, le personnel est démotivé, les directions d’école se succèdent, épuisées… L’établissement est voué à la fermeture.
Cette année-là, alors que le navire sombre inexorablement, Jean-François Boulanger surgit et prend fièrement la barre.
2014. Promenade Beausoleil, une école toute neuve a surgi. L’entrée est large, le couloir, dégagé. Des voix tamisées s’échappent des portes. Tout est calme et clair. Au mur, à côté d’une mosaïque colorée de portraits d’enfants heureux, une niche de photos anciennes raconte un siècle et demi d’histoire : celle de la première école Sainte-Anne, ouverte en 1873 par les Sœurs de la Charité.
C’est un bel après-midi de mai. Dans son bureau, Jean-François Boulanger, en sa qualité de directeur d’école, accepte en toute simplicité (et en rougissant un peu) les félicitations de la journaliste, car il est le premier Canadien français à recevoir le Canada’s Outstanding Principal Award, prix qui récompense les meilleures directions d’école du pays.
Les témoignages adressés au jury en sa faveur ont fait part «du courage de gestion» du candidat. Courage? «Oui, on peut parler de courage, admet Jean-François Boulanger. Parce que, à mon arrivée, tout le monde était découragé et le pessimisme s’était installé.» Il a demandé à tout le monde de ne donner que des nouvelles positives pendant une semaine. Pas un mois, juste une semaine. «Je leur ai dit “Parlez de ce que l’équipe a fait de positif, et on pourra changer le monde. Bien sûr, nous vivons des difficultés, mais mettons les belles choses en lumière”. J’ai même décidé de mettre une surcharge de positif. Et c’était non négociable!»
Cet optimisme indestructible, M. Boulanger en a fait son leitmotiv. Sur le site de l’école, il est écrit : Nous croyons que le positif attire le positif et nous appliquons cette philosophie dans nos pratiques pédagogiques ainsi que dans l’accompagnement des élèves. C’est tout dire.
«Tant qu’il y aura des directions aussi honnêtes, intenses et passionnées que Jean-François Boulanger, les écoles seront remplies d’humanité, d’amour, de joie et de succès.»
– Claudine, Karine, Liane et Natalie, enseignantes
À sa toute première rencontre avec Sylvie Tremblay, EAO, surintendante exécutive au Conseil des écoles catholiques du Centre-Est, le nouveau directeur promettait déjà : «Dans quelques années, on sera devenus fiers. Ça va changer les élèves et la perception de leurs parents.» C’est arrivé. Le bouche à oreille a fonctionné. Si bien, d’ailleurs, que beaucoup de familles sont venues s’installer dans le quartier. L’école compte maintenant plus de 200 élèves. Les résultats scolaires aux évaluations provinciales de l’Office de la qualité et de la responsabilité en éducation (OQRE) grimpent en flèche, l’indice de satisfaction des parents dépasse les 90 pour cent et plus de 80 pour cent d’entre eux se présentent à la rencontre des bulletins!
Un tour de force dans un milieu aussi diversifié. Car les enfants de Sainte-Anne viennent de partout dans le monde et tissent une courtepointe de groupes ethniques, de cultures différentes, de situations économiques, d’antécédents familiaux, de cheminements personnels, de problèmes d’intégration et autres différences. Le défi est d’harmoniser toutes ces nuances de couleurs. Pour y arriver, l’école doit créer un milieu de vie attrayant, rassurant, auquel on est heureux et fier d’appartenir.
«Les enfants de Sainte-Anne n’ont pas plus de difficultés que les autres, affirme le directeur, mais ils ont vécu toutes sortes d’expériences et leurs références culturelles sont bousculées. Un écureuil? La pêche sur la glace? Il faut tout expliquer, illustrer. On ne peut pas changer ce qui se passe chez eux. Mais à l’école, on peut s’occuper du reste, 300 minutes par jour. Leur donner la meilleure éducation possible. Cela demande une pédagogie très souple. Et jusqu’ici, ça marche vraiment bien.»
Ce genre d’entreprise, il va sans dire, ne peut être le fait du seul capitaine, lequel vante spontanément son équipage, «un super personnel, engagé, dévoué, qui veut faire la différence». Quarante et un mariniers, dont 17 pédagogues, qui maintiennent le cap sans faillir.
Le personnel enseignant ne tarit pas d’éloges à son égard : «M. Boulanger est un homme juste, toujours à l’écoute de son personnel»; «il accueille les idées des autres avec une grande ouverture d’esprit»; «il fait partie de ces gens qui acceptent les autres avec leurs forces et leurs faiblesses et ne craint pas de leur rappeler leur importance au sein de l’école».
Quand on lui demande comment il décrirait son propre leadership, le directeur répond : «Intégrité, professionnalisme, optimisme. Une de mes forces, je crois, c’est de savoir reconnaître l’apport de chacun Et j’essaie de saisir toutes les occasions de le faire. Tout le monde a besoin de reconnaître et de se voir reconnaître son travail.»
«Jean-François Boulanger s’est assuré la participation et l’engagement de tous les enseignants par l’entremise des communautés d’apprentissage professionnel (CAP), une structure qu’il a même étendue aux élèves.»
– Sylvie Tremblay, EAO, surintendante exécutive de l’éducation, Conseil des écoles catholiques du Centre-Est
Sylvie Tremblay résume : «Le travail d’équipe est au cœur de la démarche de Jean-François Boulanger», ajoutant qu’il a le don de mobiliser ses troupes et qu’il se fait un devoir de consulter ses enseignants, les parents et même les élèves avant d’entreprendre des projets transformateurs.
Il faut dire qu’en matière de leadership partagé, ce jeune directeur de 38 ans n’est pas un néophyte. Étudiant, il avait suivi la formation en leadership (SFOFEL) au lac Couchiching. En 2003, il est devenu membre fondateur du projet Leadership et pédagogie culturels. L’année suivante, avec Lise Paiement, EAO, Judith Charest et Julie Chénier, il formait l’équipe provinciale chargée de mettre en œuvre la Politique d’aménagement linguistique de l’Ontario pour l’éducation en langue française. Il y restera quatre ans. Plus tard, au baccalauréat alternatif en éducation de l’Université Laurentienne, il donnera un cours, élaboré par ses soins, de pédagogie en milieu minoritaire, lequel accorde au leadership et à l’exemplarité toute l’importance nécessaire.
«Être un modèle, donner l’exemple, cela a toujours fait partie de mes valeurs profondes. Comme mon attachement à la francophonie. C’est ce qui a motivé mon engagement dans la Fédération de la jeunesse franco-ontarienne (FESFO), dès l’adolescence.»
C’est à Hearst, sa ville natale, que Jean-François Boulanger a vécu et étudié jusqu’à l’âge de 19 ans. Un grand sourire aux lèvres, il évoque sa famille : «J’ai deux sœurs, je suis entre les deux. Mais chez mes parents, les familles sont grosses. Ce qui fait beaucoup de cousins et de cousines, et des souvenirs d’enfance incroyables! J’ai vu des Noël à 100, 150 personnes, de toutes les générations. Chaque année, nous organisons encore une partie de golf qui réunit tout le monde. Et tout le monde joue. C’est très important pour moi.» Depuis qu’il est papa de deux fillettes de quatre et deux ans – «C’est si beau de les voir grandir!» – sa vision de l’éducation s’enrichit : «Je la vois et je la vis aussi à travers le cheminement de mes filles.»
Son B.A. de l’Université Carleton d’Ottawa en poche, Jean-François Boulanger entreprendra sa formation en éducation à l’Université Laurentienne, à Sudbury, après quoi il ne quittera plus le monde de l’enseignement. Il a été enseignant titulaire, agent d’éducation, formateur et conseiller pédagogique avant d’être directeur d’école.
«Il a changé la culture pédagogique de l’école», reconnaît la surintendante Sylvie Tremblay. La petite phrase en dit long. «Je m’appuie sur les principes de la pédagogie culturelle, explique Jean-François Boulanger. Ils se transfèrent bien : chaque classe, chaque enseignant les applique à sa façon. Ici, la qualité de l’enseignement tient à ça.»
Accueil authentique, construction identitaire, communication de qualité, responsabilisation des élèves et du personnel, accessibilité aux modèles… mais c’est par la stimulation de l’estime de soi des enfants – il les connaît tous par leur prénom, ce qu’il semble trouver tout à fait normal! – qu’il a amorcé le virage dès son arrivée. Un exemple de geste de valorisation, parmi bien d’autres (voir l’encadré Des idées gagnantes de l’équipe Boulanger) : chaque matin, toute l’école récite en chœur et par cœur «Les 8 J» pour bien les intégrer :
De quoi prendre de l’assurance, à la grande fierté des parents.
Dalelle Mensour, qui préside depuis deux ans le conseil de l’école, raconte : «Quand j’ai rencontré Jean-François Boulanger, j’ai tout de suite décidé de lui confier mes deux garçons, de 6 et 9 ans à l’époque. Dès qu’on met le pied dans cette école, on sent que l’environnement est positif. La joie de vivre est palpable! En fait, les enfants sont heureux à Sainte-Anne».
Ils sont heureux parce qu’ils réussissent : «Les enseignants sont exigeants, dit-elle, ils visent l’excellence. Les élèves travaillent très fort. Alors les résultats suivent. La lecture est une des priorités de M. Boulanger. Mes garçons lisent le matin, le soir… Ils ont fait des progrès incroyables. À l’école, tout le monde a toujours un livre à la main!»
Mais aussi, parce qu’ils sont respectés. «Un vrai respect, insiste Mme Mensour. Entre les enfants. Entre les membres du personnel. Entre le personnel et les enfants. Personne n’est oublié. De sorte que l’école baigne dans le calme. Un calme réel.» Que demander de plus?
De l’aide? Il y en a. Et elle ne vient pas seulement de l’école. Car Jean-François Boulanger est le roi du partenariat!
L’école est une institution qui s’ancre dans la communauté. Or, celle du quartier n’a pas toujours les moyens de répondre à tous les besoins d’un enfant. Mais le directeur s’arrange pour pallier les manques grâce à des bénévoles et partenaires sociaux : déjeuner gratuit pour tous, dîner chaud et collation aussi pour ceux qui n’en ont pas; garderie gratuite Petits pas, à partir de trois ans et plus (idéal pour familiariser les bouts d’choux avec l’école et leur apprendre le français au besoin); soutien à la lecture et aide aux devoirs; on peut emprunter des patins et bientôt aussi des souliers pour l’éducation physique.
Pour les parents : cours de cuisine et de jardinage (qui devraient bientôt se donner à l’école même); Jeux-dis Pizza où ils jouent et soupent à l’école avec leurs enfants. D’autres projets vont bientôt voir le jour en partenariat avec, entre autres, le Centre de ressources communautaires de la Basse-Ville et le Patro d’Ottawa. «C’est essentiel de s’entraider, dit M. Boulanger. Dans le cadre de l’initiative Apprentissage au XXIe siècle, le civisme est incontournable. J’insiste beaucoup là-dessus. Chaque classe, même la première année, sera invitée à imaginer un projet communautaire.» M. Boulanger va toujours de l’avant. «On amorce un virage en éducation. Nos enfants sont nés avec les nouvelles technologies. Apprenons à nous en servir et utilisons-les dans un but pédagogique! À quoi sert d’avoir un labo d’informatique si chacun travaille dans son coin, collé à son écran? Déjà, par exemple, on utilise la stratégie des 5 au quotidien. Et on travaille sur un autre concept : les murs de plexiglas.» Avec le fonds Samsung (de près de 30 000 $) offert aux écoles de chaque gagnant du prix Canada’s Outstanding Principals, il a doté Sainte-Anne de tablettes numériques auxquelles il a fait ajouter des claviers. «C’est plus souple que les portables», dit-il. Il compte investir aussi dans la formation de ses enseignants.
«Jean-François n’est pas seulement un pédagogue d’expérience hors pair, mais un leader qui a réussi à implanter des services de qualité pour les parents et les élèves en tissant des liens étroits avec la communauté de la basse-ville.»
— Bernard Roy, EAO, directeur de l’éducation du Conseil des écoles catholiques du Centre-Est
En septembre, après 14 mois de travaux, on a dû relever de gros défis logistiques, rappelle le directeur. L’ancienne partie de l’école aura été démolie, la cour remise en état et dotée d’un terrain de soccer; et le module des polyhandicapés, qui est déjà doté de tableaux blancs interactifs et d’un équipement spécialisé de pointe, aura son propre ascenseur. «Les enfants seront ainsi en mesure de fraterniser avec les autres, se réjouit M. Boulanger, d’aller à la bibliothèque, de s’intégrer plus facilement. On a très hâte!»
De larges horizons s’ouvrent pour l’école Sainte-Anne. Moussaillons et matelots sont embarqués pour une toute nouvelle et palpitante aventure. Le capitaine tient fermement et joyeusement la barre. Mais qu’est-ce qui motive donc Jean- François Boulanger? «J’y crois!», répond-il tout de go. Rien de plus simple.
Dans cette nubrique, les enseignants exemplaires ont reçu un ou plusieurs prix à l’échelle provinciale ou nationale.