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Pratiques exemplaires

Photo de Dominique Lorraine, enseignante agréée de l’Ontario, assise à un piano, entourée d’instruments de musique.

L’odeur du succès

Après avoir respiré l’odeur d’une école, Dominique Lorraine Hutchinson, EAO, a embrassé une carrière qu’elle ne pensait pas vouloir. Elle vit maintenant sa passion et exerce sa profession dans une petite école d’Elliot Lake, où elle s’épanouit dans ce milieu qui lui est si naturel.

D’Hélène Matteau
Photos : Markian Lozowchuk

Exclusivité en ligne : Visionnez une vidéo de nos Pratiques exemplaires à Pour parler profession.

Que ce soit autour de la musique, de la langue ou de défis particuliers à relever, Dominique Hutchinson, enseignante de musique, aime orchestrer des équipes. Et les voir à l’œuvre!

C’est blanc et froid aujourd’hui sur la colline, à Elliot Lake, mais quand on entre dans l’école secondaire Villa française des Jeunes, on se croirait sous le couvert des arbres à la fin du printemps! C’est que la lumière, qui abonde ici, se teinte du vert des boiseries. Le calme règne. Sur la scène ouverte vers la grande salle, des lutrins, des partitions, des instruments de musique : il y aura répétition, après le dîner, en vue du concert de ce soir.

«C’est tellement important pour les jeunes de jouer en public, s’exclame Mme Hutchinson. Ils doivent travailler beaucoup, mais ça leur apporte beaucoup aussi : le sentiment d’appartenance à un groupe, l’esprit d’équipe, la confiance en soi, la persévérance, la réussite individuelle et collective… Le concert, c’est l’élément déclencheur qui les encourage, attise leur intérêt, les fait avancer, depuis le “Ça m’tente pas de l’faire” jusqu’aux applaudissements. Après, surtout quand leurs parents sont présents, quelle fierté dans leurs yeux!»

Photo de Dominique Lorraine avec ses élèves dans la classe de musique lors d’une répétition de l’orchestre de l’école.
Répétition de l’orchestre de l’école secondaire Villa française des Jeunes sous la direction de Dominique Hutchinson, EAO

En avant, la musique!

«À l’arrivée de Dominique, en 2008, raconte Christian Giroux, EAO, son directeur et ancien collègue, il n’y avait plus de programme de musique. Mais il restait des instruments de la belle époque où notre école comptait une centaine d’élèves. Dominique a décidé de relancer les classes musicales. Elle est musicienne, chanteuse, elle est douce, les jeunes ont accroché. Et maintenant, ils viennent ici pour ça!»

Mme Hutchinson enseigne la théorie et la pratique musicales, et s’occupe de former et de diriger les orchestres, dont l’harmonie. «Mon but, c’est de leur donner une formation générale dans laquelle ils pourront puiser. Alors j’ai trouvé un compromis, explique-t-elle. Je glisse quelques pièces classiques dans le répertoire. Les jeunes finissent par aimer ça et développent des goûts musicaux très variés.»

Jusqu’ici, les concerts étaient jumelés à des représentations théâtrales, pour lesquelles l’école avait acquis un certain renom et qui ont d’ailleurs valu à Mme Hutchinson, il y a deux ans, sur recommandation de la Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants, la prestigieuse médaille du jubilé de diamant de la reine Élisabeth II. Cela se souligne, la conception, la mise en scène et la production de dix spectacles de variétés en sept ans!

Malheureusement… «Il y a deux ans, les coupures d’effectifs nous ont forcés à choisir entre le cours d’art dramatique et le cours de musique», explique l’enseignante. Ce qui ne l’a pas arrêtée. Elle a simplement fait passer le théâtre au parascolaire. «C’est devenu une sorte de club, explique-t-elle. Je rencontre les jeunes de 15 h à 16 h 30. On fait de l’improvisation, des vocalises, on étudie les personnages, puis on répète la pièce choisie.» La représentation est prévue pour le printemps.

Au printemps aura lieu aussi la finale de Radio-Chaud. Ce concours annuel est organisé par le Conseil scolaire public du Grand Nord de l’Ontario depuis 2002. Chaque école secondaire doit créer une chanson du début à la fin, y compris l’enregistrement et la vidéo promotionnelle, sur un thème et dans un style totalement libres! L’auteur-compositeur-interprète Jean- Guy «Chuck» Labelle, qui en a eu l’idée (voir notre article de juin 2010 : «Construction identitaire»), donne un atelier de composition musicale et s’occupe des enregistrements finals. Et quel rôle joue l’enseignante de musique? «J’encadre les jeunes et je vois au bon déroulement du processus jusqu’à la représentation finale. Naturellement, ajoute Mme Hutchinson en riant, je gère aussi les émotions! Et je supervise la composition musicale. Notre école a ceci d’original que nous intégrons aux arrangements des instruments inhabituels dans des groupes rock, comme la clarinette ou la flûte traversière.»

La musique a toujours fait partie de la vie de Mme Hutchinson. À Crysler, dans l’Est ontarien où elle passe son adolescence, toute sa famille chante («papa, maman, les quatre filles et les cousines») à Noël, aux mariages, aux réunions de famille. «Et la musique est encore un lien très fort entre nous.» À 10 ans, la petite Dominique Jean – de son nom de jeune fille – reçoit sa première guitare, étudie sérieusement jusqu’à la 7e année du Conservatoire, puis entreprend son baccalauréat en musicothérapie à l’Université Wilfrid- Laurier. Pourquoi la musicothérapie? «Je voulais changer le monde!»

Mais le matin où un stage l’amène dans une école, c’est le coup de foudre! «Rien qu’à l’odeur, raconte-t-elle, j’ai compris que l’école était mon milieu naturel. J’avais vu mes parents enseignants travailler tellement fort. Je ne voulais pas les imiter. Mais ce jour-là, tout a changé.» Trois ans plus tard, elle sortait de l’Université d’Ottawa avec, en poche, un bac tout neuf en éducation.

La musique ne l’a pas quittée pour autant, on l’a vu! Et quand elle ne tâte pas d’un peu tous les instruments, elle écoute «un peu de tous les styles». Et elle chante avec Tandem, un quatuor vocal qui se produit dans la région d’Elliot Lake.

S’ouvrir à l’autre

Mme Hutchinson ne s’occupe pas que des arts. Elle enseigne aussi l’anglais appliqué et théorique, de la 9e à la 12e année, aux 24 élèves de l’école, dont 60 pour cent sont anglophones. (Les élèves sont admis selon divers critères, y compris parce qu’ils ont fréquenté une école élémentaire en français ou qu’un comité spécial a approuvé leur admission selon certaines conditions, dont un soutien adéquat en français après les heures de classe.)

Et puis, cette année, comme spécialiste en éducation de l’enfance en difficulté, elle est responsable de huit jeunes. Suivis, tests, plans d’enseignement individualisé : «Je remplis un rôle de liaison», résume-t-elle. «Dominique fait plus que le nécessaire, affirme sans ambages Michael Mantha, député provincial d’Algoma-Manitoulin, dont le fils Roch a des problèmes d’apprentissage. Elle est une vraie grande sœur pour notre fils, en quelque sorte notre extension, à ma femme et à moi. Elle s’assure que Roch se sente en sécurité, qu’il apprivoise ses contenus, qu’il soit bien dans sa peau. Elle lui donne confiance en lui. Avec elle, Roch a fait de grands, grands pas. Il sait maintenant reconnaître les influences négatives et s’en éloigner, établir le respect autour de lui. En fait, ajoute-t-il, nous avions pensé déménager à Sault-Sainte-Marie pour que Roch reçoive un suivi spécialisé, mais nous sommes restés à Elliot Lake. Grâce à Dominique!» Comment l’enseignante explique-t-elle ce succès? «J’ai toujours voulu aider ceux qui ont des défis à relever… C’est dans ma personnalité d’encourager les autres!»

Je trouve que le français est un beau cadeau à offrir à des jeunes : il peut leur ouvrir plein de portes!

Dans le petit bureau où elle reçoit les adolescents dont elle a la charge, Mme Hutchinson montre, sur le mur, le certificat aux armoiries de la reine Élisabeth II qui atteste officiellement de sa contribution au service de la collectivité. Elle n’en revient toujours pas. «C’est drôle, ce que je ressens, confie la jeune femme. Encore aujourd’hui, ça me fait chaud au cœur, et en même temps, très honnêtement, ça me gêne. Pourquoi moi? Ici, tout le monde participe tout le temps, s’implique, donne des idées, des coups de main! Je fais simplement ce que font plein d’autres enseignants : ce que je crois être bon pour les jeunes.»

Comme préparer les élèves à se produire dans des festivals (par exemple, Quand ça nous chante), organiser des échanges culturels avec un lycée français (deux ans de suite) et même superviser des chars allégoriques pour le défilé de Noël! Rien ne semble éteindre son énergie rassembleuse. «Elle se donne toujours entièrement, reconnaît Christian Giroux. Pour les activités, mais aussi pour la langue française. Elle ne veut pas qu’Elliot Lake perde son école. Quand elle en parle, on voit qu’elle est très sensible à ce sujet.»

«Mes parents viennent tous deux de Sudbury raconte Mme Hutchinson. Jeunes, ils se parlaient en anglais. Puis, quand ils ont eu des enfants, ils ont fait consciemment le choix du français. Nous, on jouait en anglais dehors, on parlait français à la maison. Il n’y avait pas d’interdiction envers les Anglais, mais une ouverture à la culture de l’autre. Je ne me suis jamais sentie inférieure de parler français. Et je trouve que le français est un beau cadeau à offrir à des jeunes : il peut leur ouvrir plein de portes!»

Cela dit, l’école française d’Elliot Lake survivra-t-elle? «Pour le moment, répond elle, émue, je veux y croire, avoir une pensée positive. Je garde espoir.»

Cette rubrique met en vedette des enseignantes et des enseignants qui ont reçu un prix national en enseignement. Ces personnes répondent aux attentes de l’Ordre en incarnant des normes d’exercice professionnel élevées.

Les stratégies de Mme Hutchinson