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Pratiques exemplaires

Photo d’André Roberge, enseignant agréé de l’Ontario, les mains dans les poches. Il est debout, devant une murale multicolore qui représente des enfants franco-ontariens, des maisons et des rues.

La force d’une équipe

André Roberge, EAO, ou «monsieur André» comme l’appelle ses élèves, croit dur comme fer que la collaboration entre le personnel enseignant et les éducatrices et éducateurs est le meilleur moyen d’accompagner les élèves ayant un trouble d’apprentissage.

D’Hélène Matteau
Photos : Matthew Liteplo

Exclusivité en ligne : Visionnez une vidéo de nos Pratiques exemplaires à pourparlerprofession.oeeo.ca.

Nichée au cœur d’un quartier patrimonial d’Ottawa, l’école élémentaire catholique Saint-François-d’Assise, entièrement modernisée en 2009, accueille quelque 300 enfants. À l’intérieur règne un calme studieux avec parfois, en fond sonore, le joyeux babillage des tout-petits ou un chant de la chorale. Un garçon de 5e année, le visage éclairé d’un large sourire, s’avance vers son enseignant titulaire, fier de lui montrer le travail qu’il a réalisé : «Regarde, Dani, j’ai fait le devoir avec monsieur André!» Dani Abou Tanoss, EAO, est tout heureux. «Cet enfant bénéficie d’un plan d’enseignement individualisé, précise-t-il. Faire ses devoirs, c’est au-dessus de ses forces. Il prend des médicaments, sa maman est débordée. Mais André a trouvé une solution : il reste après l’école pour l’accompagner au club des devoirs et lui fournir de l’aide.» C’est connu, monsieur André, comme les élèves l’appellent, ne compte pas son temps.

Ce dévouement légendaire pour les élèves et leur apprentissage est en partie la raison pour laquelle André Roberge, EAO, l’enseignant-ressource de l’école, a reçu, au printemps dernier, le Prix d’excellence en enseignement de la capitale. «Ses interventions témoignent qu’il est possible d’avoir un impact positif sur la vie des élèves en allant au-delà de ses fonctions d’enseignant», avait écrit Francine Beaudin, EAO, sa directrice d’école à l’époque et jusqu’à l’année dernière, dans son texte de présentation. Elle faisait référence à l’ensemble du travail d’André Roberge, mais aussi à un cas spécifique que Dani Abou Tanoss n’a pas oublié non plus. «Il y a deux ans, un garçonnet de 10 ans est arrivé dans ma classe. Il avait été témoin du suicide de sa mère. Et voilà qu’il vivait avec son père – qu’il connaissait peu, qu’il changeait d’école et de communauté. André ne s’est pas contenté de l’aider, il lui a reconstruit une famille!» Francine Beaudin poursuit en disant : «Il a inscrit le garçon dans la ligue de hockey du quartier; il a accompagné le père aux séances d’entraînement, l’a présenté aux autres parents; avec sa conjointe, il a invité le père et le fils à un match des Sénateurs… Il l’a fait parce qu’il a un grand cœur et qu’il était en mesure d’offrir un tel appui. À mes yeux, c’est du vrai professionnalisme.»

Photo d’André Roberge, enseignant agréé de l’Ontario, assis à une table avec des élèves. Ils rient tous. À l’arrière-plan, un tableau vert et des étagères pleines de livres.
André Roberge, EAO, aide un petit groupe d’élèves bénéficiant d’un plan d’enseignement individualisé à faire un exercice d’écriture en utilisant la tablette Google Chrome.

Parcours atypique

Le visage ouvert sous sa crinière blanche, André Roberge marche d’un pas ferme, le long des couloirs, saluant tout le monde avec la même chaleur. «J’aime sincèrement les gens. J’ai hérité cela de mon père!» Né à Québec en 1956, enfant unique d’un cardiologue reconnu pour sa grande humanité pour ses patients, André Roberge aurait pu suivre les traces de son père. Il a cependant préféré les sciences sociales à la médecine. Son baccalauréat en relations industrielles en poche, il a travaillé trois ans à la gestion des ressources humaines chez SNC-Lavalin, l’une des plus grandes firmes d’ingénierie du pays, mais il avoue que la routine de bureau ne lui «collait pas». De retour aux études, il obtient un certificat en coopération internationale qui lui ouvre les portes d’une carrière de 20 ans à l’Agence canadienne de développement international (ACDI), puis au Centre de recherches pour le développement international (CRDI). Comme conseiller principal en développement des ressources humaines, il a œuvré sur le terrain à la formation de futurs coopérants, en Afrique, au Moyen-Orient et en Amérique latine, «des contextes difficiles, mais extraordinaires!»

Quand la belle aventure se termine, André Roberge retourne au bureau. «Ça n’allait pas, dit-il, j’étais retombé dans la routine. Alors j’ai repris les études. J’avais 50 ans, deux jeunes enfants, ma mère était très malade… mais j’étais motivé!» Il obtient son B. Éd. en 2005.

Pour lui, l’enseignement était tout naturel. «C’était en droite ligne avec mon expérience aux ressources humaines et en formation, dit-il. D’ailleurs, cela aurait dû être mon tout premier choix de carrière!» Pourquoi a-t-il choisi l’enfance en difficulté comme domaine? «Je ne me voyais pas comme titulaire de classe traditionnelle à… 50 ans!, répond l’enseignant. J’ai suivi un cours menant à une qualification additionnelle sur l’éducation de l’enfance en difficulté, un cours passionnant, concret, avec des études de cas. Cela m’a convaincu que j’étais au bon endroit et que je pouvais apporter des solutions. Les difficultés d’apprentissage, c’est la réalité de tellement d’enfants aujourd’hui!

Modèle masculin

«André est arrivé à Saint-François d’Assise en 2009, raconte Francine Beaudin. Il a su d’instinct répondre à la fois aux exigences de la salle de classe et aux besoins administratifs en mettant à profit ses compétences de gestionnaire.J’ai aussi beaucoup apprécié qu’il donne l’exemple d’un bon modèle masculin dans une école ayant une grande présence féminine.»

«En effet, rappelle M. Roberge, la clientèle de l’enfance en difficulté compte une majorité de garçons ayant souvent de gros problèmes de comportement. Or, les méthodes traditionnelles d’apprentissage ne les rejoignent pas. Leurs intérêts sont différents et portent davantage sur les sports et les jeux vidéo. Rédiger des contes, ça ne les intéresse pas! Il faut les sortir de la salle de classe.» On ne s’étonne plus, durant les récréations ou à l’heure du dîner, dans le local d’André, de voir des jeunes discuter avec lui ou de partager la nourriture qu’il apporte parfois. Il organise des activités sociales et des tournois sportifs. Grand amateur de hockey, il pratique lui-même plusieurs sports et se tient en bonne forme physique. Francine Beaudin souligne aussi : «Il parle beaucoup aux jeunes de respect envers les adultes. Mais pour que l’enfant respecte l’adulte, l’adulte doit respecter l’enfant. Ça, il sait le faire.»

«J’investis beaucoup dans l’estime de soi des enfants, sur leurs problèmes d’anxiété, précise André Roberge. Si un jeune élève entre au secondaire avec un peu plus d’assurance qu’il n’en avait à l’élémentaire, qu’il croit en lui-même, et qu’il a la conviction qu’il peut réussir même s’il est différent des autres, je lui aurai fait faire un bon bout de chemin.»

C’est bien l’avis de Suzanne D’Eon, dont les deux enfants souffrent de problèmes d’apprentissage. «Mon fils et lui, c’est le hockey qui les a connectés! M. Roberge s’en est servi pour renforcer sa confiance. Quant à ma fille de 10 ans, elle souffre d’anxiété et a des problèmes en maths. Il réussit à rendre les études amusantes, en lui suggérant de nouvelles approches. Il lui a fait traverser les étapes pas à pas, sans stress. Ce sera long, mais elle est déjà tellement plus à l’aise dans tous ses apprentissages! C’est bien que monsieur André puisse travailler individuellement avec les enfants. Il leur parle simplement, positivement – à nous aussi, les parents. Ses cheveux blancs nous rassurent tous!»

Équipe-école

Il n’est pas toujours évident, quand on a 25 élèves, de pouvoir offrir de l’attention individuelle. «Sur mes 22 élèves, dit Dani Abou Tanoss, 10 ont un PEI. André est là pour m’aider. Il a le don de tisser une relation hors du commun avec les enfants. Je le vois bien quand il rentre à l’école, les enfants le réclament : «Est-ce que je peux travailler avec toi? Est-ce que je peux te voir aujourd’hui?»

«Bien sûr, poursuit M. Roberge, offrir des stratégies aux titulaires, c’est bien. Mais ça ne suffit pas quand beaucoup d’élèves ne sont même pas dans un climat propice à l’apprentissage. Ils ne savent pas qui ils sont, ils vivent des choses, chez eux, qui les perturbent. Certains sont si gênés qu’ils ne posent jamais de questions! Mais si je peux travailler en petits groupes ou en tête-à-tête, prendre le temps de connaître chacun d’eux pour qu’ils se sentent appréciés, je peux créer un lien individuel qui fera que l’enfant se sentira accepté à l’école.»

Présence ponctuelle en classe, retraits, accompagnement, suivis, rencontres avec les spécialistes, gestion d’horaires, de processus, plans d’intervention et de transition, comités d’identification, de placement… Les tâches de l’enseignant-ressource impliquent parfois la participation des titulaires de classe : «Ils ont beaucoup de documents à remplir; c’est lourd, admet André Roberge, mais ils savent combien c’est important de laisser des traces pour que l’enfant puisse bénéficier d’un suivi, pour que son futur enseignant connaisse ses forces et ce qui lui convient. Alors je soutiens autant que je peux les titulaires, pour qu’ils puissent accéder d’eux-mêmes aux plans d’intervention.»

«Si un jeune élève entre au secondaire avec la conviction qu’il peut réussir même s’il est différent des autres, je lui aurai fait faire un bon bout de chemin.»

Travail en perspective

En ce qui concerne les problèmes d’apprentissage, le boulot ne manquera pas de sitôt, hélas. André Roberge est réaliste : «On détecte de plus en plus de difficultés d’attention et de concentration. Il s’avère souvent que les troubles du langage décelés au préparatoire sont en fait des problèmes d’apprentissage. Les problèmes de santé mentale, comme l’anxiété sévère ou les troubles obsessifs-compulsifs, augmentent. Le ratio de l’autisme a doublé depuis cinq ou six ans, de sorte que trop d’enfants ayant des troubles du spectre de l’autisme se trouvent dans une classe traditionnelle, ce qui exige une approche très différente.»

Positif et déterminé, l’enseignant-ressource mise sur le travail d’équipe. «Il faut travailler en collaboration, enseignants-ressources, éducateurs et titulaires. Car même si l’enfant est catégorisé, il reste unique et différent. Nous devons sans conteste miser sur l’intervention personnalisée.»

Cette rubrique met en vedette des enseignantes et des enseignants qui ont reçu un prix national en enseignement. Ces personnes répondent aux attentes de l’Ordre en incarnant des normes d’exercice professionnel élevées.

5 attitudes gagnantes

«Quand les enseignants se respectent les uns les autres, rappelle André Roberge, quand ils se font confiance et se serrent les coudes, leur attitude crée un climat ouvert, agréable, où les jeunes se sentent acceptés, en sécurité et soutenus dans leurs efforts.»

  1. Faire preuve de souplesse, d’ouverture d’esprit face aux changements, aux nouveaux outils, aux nouvelles directives – essayer avant de contester!
  2. Partager idées, tâches et expériences : s’entraider, donner un coup de main au collègue en difficulté.
  3. Faire confiance aux élèves : ils peuvent nous apprendre à leur apprendre, surtout avec la technologie.
  4. Entretenir une attitude positive, autrement dit, avoir confiance en nos compétences mutuelles.
  5. Faire équipe!