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Prendre un nouveau virage

Une deuxième carrière qui se remarque.

De John Hoffman
Photos : Matthew Plexman; Illustrations : Marlo Bisautti / Studio 141

Photo illustrée d’un enseignant souriant, debout, les mains dans les poches de son jean. Sur un fond blanc recouvert de dessins représentant un bureau, des livres, des masques de théâtre et des draperies, les mots illustrés «professionnel», «confiance» et «bonjour» entourent l’enseignant.
John Barclay, EAO, s’est inscrit à un programme de formation à l’enseignement à l’âge de 39 ans, après avoir mené plusieurs carrières, y compris directeur d’une troupe théâtrale.

«L’année dernière, dans un cours d’anglais au secondaire, nous avons étudié Fahrenheit 451 de Ray Bradbury et j’ai eu des conversations très intéressantes avec les élèves sur la censure en ligne. Jamais je n’aurais pu imaginer avoir de telles conversations quand j’ai lu le roman pour la première fois il y a plus de 25 ans, mais elles étaient très pertinentes pour les thèmes traités. J’adore explorer ces concepts avec les élèves et leur faire vivre de nouvelles expériences.»

John Barclay, EAO, est passionné par sa nouvelle profession. Quand il s’est inscrit à un programme de formation à l’enseignement, à l’âge de 39 ans, il avait connu un parcours professionnel plutôt sinueux. Après l’université, M. Barclay a occupé huit emplois aussi variés les uns que les autres. Il a d’abord été directeur d’une troupe théâtrale, puis d’un regroupement d’artistes, chef des ressources humaines pour une société spécialisée en conception par ordinateur, propriétaire d’une boutique de fabrication de vin maison, directeur d’une franchise Cinnabon, propriétaire d’un club vidéo, coordonnateur de la salle de courrier chez Gillette et agent de saisie de données pour une compagnie d’assurance.

À son grand soulagement (et sans doute à celui de ses parents!), M. Barclay décroche, à 43 ans, un contrat d’enseignement à temps plein au sein du Toronto District School Board et peut enfin entrevoir une carrière stable. Après avoir quitté un emploi particulièrement démoralisant à la fin de la trentaine, M. Barclay s’était retrouvé à la croisée des chemins. «J’ai parlé à beaucoup de personnes sur les choix qui s’offraient à moi, dit-il. J’ai réalisé que, dans tout ce que j’aimais faire, l’enseignement était le dénominateur commun.»

M. Barclay, qui enseigne au Parkdale Collegiate Institute, à Toronto, ne regrette pas sa décision. Mais comme bien de nouveaux enseignants, un doute planait au début de sa carrière. «Après avoir obtenu mon diplôme, j’ai réussi à mettre mon nom sur une liste de suppléance assez rapidement. Toutefois, au cours des premiers 18 mois, je n’ai eu aucun appel», souligne- t-il. Il s’est débrouillé tant bien que mal pour trouver d’autres emplois. M. Barclay se demandait s’il allait un jour travailler comme enseignant quand, inopinément, il a décroché un contrat de suppléance à long terme et amorcé sa carrière. Après trois contrats à long terme, il a finalement obtenu un poste à temps plein.

Il s’agit d’un parcours assez typique en Ontario, où le nombre de nouveaux pédagogues est de beaucoup supérieur au nombre de départs à la retraite. La situation est telle que la moitié des nouveaux enseignants sont toujours sous-employés ou sans emploi trois ou quatre ans après avoir accédé à la profession. En outre, comme le montrent les données de l’Ordre, l’enseignement est une deuxième carrière pour environ un tiers des récents diplômés et, de ce nombre, 12 à 15 pour cent ont 35 ans ou plus.

Se retrouver dans une situation de précarité dans la vingtaine, c’est une chose, mais dans la quarantaine, c’est une tout autre expérience.

Prenons le cas de Samantha Simpson, EAO. Au cours de l’année scolaire 2014-2015, alors qu’elle avait 45 ans, elle a travaillé moins de trois mois en tant que suppléante. Pour quelqu’un qui, pendant 11 ans, avait bien gagné sa vie dans le domaine de la publicité de détail, ce n’est pas un gros salaire. «Se retrouver au bas de l’échelle après avoir eu une brillante carrière dans un autre domaine est très difficile pour une personne de mon âge», de dire Mme Simpson.

Photo illustrée d’une enseignante agréée de l’Ordre, confiante, debout, les pouces dans les poches de son pantalon. Sur un fond blanc recouvert de dessins représentant un avion, des sièges d’avion, un pupitre, un globe et un livre de français, les mots illustrés «horizons», «patience», «intégrité», «respect» et «empathie» entourent l’enseignante.
«L’expérience n’a pas de prix. J’ai élevé des enfants et j’ai vécu des bons et mauvais moments. Mais c’est ce qui m’a permis d’acquérir de la patience et d’élargir mes horizons.»Danielle Breau, EAO, agente de bord pendant 17 ans, a décidé de devenir enseignante.

Au départ, elle aspire à une carrière en enseignement. Toutefois, à l’université, son conseiller pédagogique le lui déconseille vu le manque de débouchés dans le marché du travail. Ayant abandonné l’idée, elle suit un cours collégial en édition et décroche un emploi. Dix-huit mois plus tard, elle révise le catalogue de Sears. Mais, il y a six ans, elle perd sa passion pour son travail. «C’était un bon emploi, mais mon cœur n’y était plus. Et les possibilités d’avancement étaient toutes en marketing, ce qui ne me convenait pas», précise Mme Simpson.

En 2009, elle décide de poursuivre la carrière à laquelle elle avait toujours aspiré et s’inscrit à l’Institut d’études pédagogiques de l’Ontario, à l’Université de Toronto. Après l’obtention de son diplôme, elle peine à trouver un emploi dans le sud de l’Ontario. Elle réussit à en trouver un à Garden Hill, communauté des Premières Nations dans le nord-est du Manitoba. «Ce fut une expérience enrichissante qui a changé ma vie. Ça m’a aussi convaincue que l’enseignement était le bon choix de carrière pour moi», affirme Mme Simpson.

Après avoir passé trois années dans le nord du Manitoba, Mme Simpson décide de rentrer au bercail, espérant que son expérience en enseignement l’aide à trouver un emploi en Ontario. Ce ne sera malheureusement pas le cas. Outre son contrat de suppléance en 2014-2015, elle travaille comme correctrice d’épreuves pour le test provincial de compétences linguistiques et donne des cours d’été, ce qui ne suffit pas. Elle retourne donc dans le Nord, cette fois-ci pour enseigner la 8e année à Cambridge Bay (Nunavut).

Deuxième vocation

Qu’est-ce qui pousse quelqu’un à abandonner une brillante carrière pour vivre dans l’incertitude? Comme le dit simplement Mme Simpson : «J’ai toujours voulu enseigner». C’est l’un des thèmes que l’on retrouve dans une étude menée par le Bank Street College of Education de New York en 1990. On y classe les pédagogues en seconde carrière dans différentes catégories. Dans l’une d’entre elles, il y a les homecomers (retour au foyer), c’est-à-dire ceux qui poursuivent finalement la carrière qu’ils avaient envisagée dès le début. Dans une autre, il y a les pédagogues dont la décision d’enseigner a été influencée par un évènement marquant. C’est là que figurent John Barclay, EAO, Sylvie Forest Palkovits, EAO, et Danielle Breau, EAO.

Photo de Samantha Simpson, enseignante agréée de l’Ontario, souriante. Son prénom en texte illustré et des roues dentées figurent à côté de sa photo.

«[Enseigner dans une communauté des Premières Nations] fut une expérience enrichissante qui a changé ma vie. Ça m’a aussi convaincue que l’enseignement était le bon choix de carrière pour moi.»Samantha Simpson, EAO, est passée de l’édition à l’enseignement, décrochant son premier emploi en enseignement dans la communauté des Premières Nations de Garden Hill (Manitoba).

Photo de Sylvie Forest Palkovits, enseignante agréée de l’Ontario, souriante. Son prénom en texte illustré et un diplôme roulé figurent à côté de sa photo.

«Ma mère était enseignante. Je connaissais donc bien la profession et j’ai toujours eu des emplois où je jouais un rôle de soutien. L’enseignement semblait donc m’aller parfaitement.»Sylvie Forest Palkovits, EAO, a travaillé pendant 13 ans comme esthéticienne, réceptionniste et aide-dentiste avant de poursuivre une carrière en enseignement.

Mme Breau fait peut-être partie des deux catégories. Au départ, elle avait envisagé d’être enseignante, mais après une année d’études universitaires, elle a accepté un emploi comme agente de bord. «J’ai voulu voyager pendant quelques années avant de terminer mes études», explique Mme Breau, qui enseigne aujourd’hui le programme d’immersion française en 3e-4e année, à Lakefield (Ontario). Cette brève interruption de ses études a duré 17 ans.

C’est le renforcement des mesures de sécurité à l’échelle de l’industrie aérienne qui a poussé Mme Breau à réévaluer son choix de carrière. «Ça a vraiment gâché mon plaisir et j’étais prête à passer à autre chose», affirme-t-elle. Son désenchantement à l’égard de l’industrie aérienne et une indemnité de départ qui l’a aidée à payer ses études universitaires lui ont donné l’élan nécessaire pour changer de carrière à 37 ans.

Après un début de carrière difficile, qui a commencé par de nombreux contrats de suppléance à long terme au sein du Peterborough Victoria Northumberland and Clarington Catholic District School Board, Mme Breau obtient enfin un poste permanent à la Ridpath Public School de Lakefield.

Pour Sylvie Forest Palkovits, qui a travaillé pendant 13 ans comme esthéticienne, réceptionniste et aide-dentiste, deux évènements marquants ont influé sur sa décision de poursuivre une carrière en enseignement. Le premier fut la mise à pied temporaire de son mari. C’est à ce moment-là que Mme Forest Palkovits, qui n’avait jamais fréquenté l’université, décide d’obtenir un diplôme en sciences humaines. Elle avait également envisagé une carrière en médecine mais, après avoir évalué tous les facteurs, y compris des études postsecondaires à Sudbury, elle choisit l’enseignement.

«Ma mère était enseignante, de dire Mme Forest Palkovits, actuellement conseillère pédagogique en éducation de la petite enfance pour le Conseil scolaire public du Grand Nord de l’Ontario. Je connaissais donc bien la profession et j’ai toujours eu des emplois où je jouais un rôle de soutien. L’enseignement semblait donc m’aller parfaitement.»

La valeur de l’expérience

Mme Forest Palkovits croit que son expérience lui a bien servi dans sa transition à l’enseignement. Après avoir travaillé comme enseignante-ressource, elle a été embauchée comme enseignante en vertu de l’article 23 à l’école publique Jean-Éthier-Blais, à Sudbury, où elle a travaillé avec des élèves ayant des troubles de comportement, des troubles affectifs et des problèmes de santé mentale.

Il s’agit là d’une affectation particulièrement difficile pour une enseignante en deuxième année de carrière. Selon Mme Forest Palkovits, travailler aux côtés d’un dentiste spécialisé dans le traitement d’enfants ayant des besoins particuliers l’a beaucoup aidée. «J’ai travaillé avec des enfants atteints d’autisme et du syndrome de Down, et j’étais aussi mère de deux adolescents, explique-t-elle. C’est ce qui m’a donné la confiance nécessaire pour m’occuper des enfants de ma classe.»

Presque tous les pédagogues en seconde carrière reconnaissent la valeur de l’expérience. Selon Mme Breau : «L’expérience n’a pas de prix. J’ai élevé des enfants et j’ai vécu des bons et mauvais moments. Mais c’est ce qui m’a permis d’acquérir de la patience et d’élargir mes horizons».

M. Barclay est d’avis que son âge et son expérience professionnelle lui permettent d’apporter un point de vue précieux quand il parle de parcours professionnels et d’études postsecondaires à ses élèves. «Je sais ce que c’est que de chercher un emploi et de ne rien trouver, affirme-t-il. Quand je travaillais à mon compte, je savais très bien que je devais faire mon travail pour gagner de l’argent. Je peux donc m’inspirer de mon expérience quand j’enseigne.»

«Si j’avais à tout refaire, cette fois-ci, je demanderais de l’aide à mes collègues. Je n’osais pas dire que je me sentais perdu par crainte de conséquences. Bien sûr, c’est le contraire qui s’est produit et on m’a apporté beaucoup de soutien.» —John Barclay, EAO

Mme Breau, quant à elle, est d’avis que les écoles ont besoin d’un mélange de pédagogues de tous âges. «L’un des meilleurs enseignants que j’ai jamais eus s’est lancé dans l’enseignement tout de suite après ses études universitaires. J’ai beaucoup appris d’enseignants qui étaient plus jeunes que moi», affirme-t-elle.

Changer de carrière dans la quarantaine n’est rien de nouveau et cela n’est pas près de changer. «Il est beaucoup plus fréquent de changer d’employeur ou de carrière de nos jours que dans les années 1970 ou 1980, affirme Eddy Ng, professeur de comportement organisationnel et titulaire de la chaire F. C. Manning des études économiques et commerciales à l’Université Dalhousie. Nous avons constaté une augmentation de la mobilité de la main-d’œuvre chez ceux qui appartiennent à la génération X et à la génération du millénaire, surtout au cours des dix dernières années.»

M. Barclay et Mme Breau ont surmonté les défis et réussi à accéder à une nouvelle carrière. «C’était très important, je crois, d’accepter tout emploi qui m’était proposé, qu’il s’agisse d’un contrat de suppléance à long terme ou à la journée, ou d’enseigner une nouvelle matière», affirme M. Barclay. Tout compte.

Quant à Mme Breau, certains de ses anciens collègues ont jeté l’éponge après plusieurs années de sous-emploi en enseignement. «J’y ai également pensé à un moment donné, avoue-t-elle. Mais, au lieu d’abandonner, j’ai pris davantage de cours menant à une QA, j’ai acquis de nouvelles compétences pour enseigner à différents cycles et je n’ai jamais cessé de consulter les offres d’emploi. Je me félicite d’avoir maintenu le cap, car j’ai fini par décrocher le poste rêvé. Je ne pourrais pas être plus heureuse!»

Des conseils pour les pédagogues en deuxième carrière

Pour accéder à la profession

«La persévérance et une attitude positive sont essentielles. Soyez disponible et acceptez des contrats à court terme pour acquérir de l’expérience.» —Sylvie Forest Palkovits, EAO

«Faites preuve de souplesse! Apprenez à connaître la direction de l’école et le personnel des différentes écoles. Impliquez-vous dans la communauté et faites-vous connaître!»Danielle Breau, EAO

Pour maîtriser l’art d’enseigner

«Apprenez avec vos élèves. Faites-les participer au processus et ils s’épanouiront avec vous. Les élèves apprennent des enseignants qu’ils aiment. Respectez-les et ils vous respecteront.»Sylvie Forest Palkovits, EAO

«Mettez à profit votre expérience professionnelle. Par exemple, je puise dans mes connaissances en édition pour expliquer le processus de rédaction dans mon cours d’anglais.»Samantha Simpson, EAO

Pour s’ajuster à sa nouvelle profession

«Ralentissez le pas et prenez soin de vous [en travaillant] plus intelligemment, et non pas plus fort. Je passais beaucoup de temps à planifier et je me couchais tard. J’aurais dû simplifier ma routine.» Danielle Breau, EAO

«Si j’avais à tout refaire, cette fois-ci, je demanderais de l’aide à mes collègues. Je n’osais pas dire que je me sentais perdu par crainte de conséquences. Bien sûr, c’est le contraire qui s’est produit et on m’a apporté beaucoup de soutien.» John Barclay, EAO