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Pratiques exemplaires

Photo de Chantal Larivière, enseignante agréée de l’Ontario, debout, les pouces dans les poches de son pantalon devant un mur de briques et de pierres.

Innover avec Chantal Larivière

Symbole d’une société moderne, l’innovation est omniprésente dans tous les secteurs d’activité. On la redoute parfois, mais une chose est sûre : elle est devenue inéluctable. Rencontre avec une enseignante qui a le regard tourné vers l’avenir.

De Philippe Orfali
Photos : Matthew Liteplo

Exclusivité en ligne : Visionnez une vidéo de nos Pratiques exemplaires à Pour parler profession

Il suffit de poser les pieds dans la salle de classe de Chantal Larivière, EAO, au sein de l’édifice centenaire de l’école élémentaire publique Francojeunesse d’Ottawa, pour comprendre aussitôt qu’on a affaire à une enseignante qui sort de l’ordinaire.

Au centre de sa salle de classe de 2e année, là où se trouveraient habituellement les pupitres des élèves, se situe plutôt un grand tapis, où l’on s’assoit en cercle. Il y a aussi une table de travail et quelques étagères garnies de crayons de couleur et de feuilles de papier. Une bibliothèque débordant de livres de même qu’une «table de provocation» sur laquelle des papillons se métamorphosent paisiblement dans une volière complètent le tableau. Les pupitres, en petits groupes, sont installés en périphérie de la classe, le long de murs à la décoration épurée.

Un milieu chaleureux

À l’instar des monarques de la classe, voilà presque quatre ans que Chantal Larivière a complètement transformé son enseignement en adoptant l’approche par l’enquête. Partant de la prémisse que tous ses élèves sont d’un naturel curieux et qu’ils ont quelque chose à contribuer à l’apprentissage de leurs camarades, quelles que soient leurs forces, l’enseignante multiplie les occasions qui leur sont données d’explorer des sujets liés aux matières du programme et qui les passionnent. Des dinosaures à la neige fondue en passant par les camions et les animaux, améliorer l’apprentissage en éveillant les passions et la curiosité des élèves, et mesurer l’efficacité de ces stratégies sur le développement des connaissances liées aux attentes du curriculum de l’Ontario est au cœur de sa pédagogie.

Photo de Chantal Larivière, enseignante agréée de l’Ontario, assise à une table avec de jeunes élèves. Elle regarde une élève qui tente de faire claquer ses doigts.
Un élève ayant remarqué que les oiseaux avaient des becs différents, Mme Larivière, EAO, a recréé les becs avec des spatules. En les manipulant, les élèves peuvent mieux comprendre la raison d’être des différentes formes.

«Je les appelle mes petits enquêteurs», dit fièrement la lauréate du Prix d’excellence en enseignement de la capitale 2015 en parlant de sa vingtaine d’élèves, réunis en «cercle de connaissances » sur le tapis de la classe. La leçon d’aujourd’hui porte sur les monarques. L’enseignante au sourire contagieux leur demande : «Que savons-nous jusqu’à maintenant sur les papillons?».

Immédiatement, les élèves s’animent. L’un souligne qu’ils se dirigeront vers le Mexique une fois leur croissance terminée. L’autre ajoute qu’il sait maintenant que c’est la chrysalide qui contient le papillon. Un autre, qu’ils grandissent très rapidement. Tour à tour, on construit un ensemble d’apprentissages.

«Quand on pose des questions aux enfants, on se rend compte à quel point leurs connaissances sont riches et variées. La méthode par l’enquête peut faire des choses incroyables pour rehausser la confiance de jeunes qui sont timides, qui viennent de milieux plus difficiles ou qui sont nouveaux au Canada», affirme la native d’Hawkesbury.

L’approche par l’enquête permet de répondre à une question, de résoudre un problème ou d’assimiler un concept par l’exploration. Ces enquêtes menées avec toute la classe ou en petites équipes poussent les élèves à raisonner en s’appuyant sur des preuves, sur leurs propres connaissances et sur celles des autres. Pour les enseignants, le processus demande une bonne dose d’adaptabilité… et d’audace. Il leur faut pouvoir s’effacer devant le groupe, tout en sachant piloter l’évolution de la discussion. Une connaissance approfondie du curriculum est également nécessaire afin de pouvoir le «voir» à travers les questions des élèves et rattacher leurs démarches à ses objectifs.

«Elle est finie l’époque où, comme enseignante, je détenais toute la vérité et la transmettais de façon uniforme à tous les élèves», constate la pédagogue issue d’une famille de quatre enfants, dont la grand-mère était autrefois institutrice dans une école de rang.

«Aujourd’hui, tous contribuent à leur propre apprentissage et à celui de leurs pairs.»

Un élément utile est la table de provocation (pédagogie de Reggio), située à l’entrée de la classe, qui pique non seulement la curiosité des élèves, mais également celle de ses collègues. «Quand je conçois ma table, laquelle change régulièrement, j’ai comme une intention en tête, un sujet ou une thématique que je souhaite aborder. Cette semaine, je veux qu’on parle des animaux et de leurs capacités d’adaptation à la nature, comme le prévoit le curriculum. J’ai donc mis des objets et des livres liés à ce sujet : un nid d’oiseau, de la fourrure, de la laine de mouton et des animaux en plastique, même un hibou empaillé. Déjà, dès leur entrée dans la classe, je vois que ça a piqué leur curiosité!»

Mme Larivière le concède, innover peut être déstabilisant pour un enseignant. Depuis le début de sa carrière il y a une quinzaine d’années, elle s’efforce néanmoins de se tenir à l’affût des nouveautés en pédagogie. C’est pourquoi sa directrice d’école, Chantal Leclerc, EAO, a tout de suite accepté lorsque la direction des politiques et des programmes d’éducation en langue française du ministère de l’Éducation lui a demandé de participer à un projet visant à développer l’utilisation de l’approche basée sur l’enquête dans les écoles de langue française de la province. «Elle n’hésite jamais à oser, et l’engagement et la réussite de ses élèves sont véritablement au premier plan de sa méthode, affirme la directrice. Même si c’est une enseignante chevronnée, le statu quo n’est jamais acceptable pour elle.»

Isabelle Binnie ne tarit pas d’éloges pour Mme Larivière. Bénévole dans la classe de son fils Alex l’année dernière, elle a été à la fois témoin et partie prenante de l’apprentissage par l’enquête. «C’était l’hiver, les élèves étaient intrigués par la neige fondue et l’ont fait savoir dans le cercle de connaissances», se rappelle-t-elle. Après avoir vu en classe ce que ça contenait – neige, glace, eau, sel, roches, saletés –, on est sortis et on s’est mis à en fabriquer! Il faisait si froid! Mais on a tellement appris, rigole-t-elle. Ça peut sembler anodin, mais cette expérience faisait appel à toutes leurs compétences : l’observation, la réflexion et l’analyse, l’écriture, le travail manuel, le calcul des quantités, la collaboration en équipe et la communication.»

Les élèves semblent eux aussi apprécier son approche. «Tout le monde connaît quelque chose et tout le monde échange des idées. Dans les autres classes, on ne fait pas ça», opine Justin, l’un de ses anciens élèves aujourd’hui en 3e année.

«Les enfants ont des connaissances riches et variées. La méthode par l’enquête peut faire des choses incroyables pour rehausser la confiance des jeunes.»

Et les recherches démontrent que cette méthode fonctionne. Son efficacité dépend toutefois de l’encadrement fourni par les enseignants, note l’Association canadienne d’éducation. Sans structure appropriée, l’enquête pourrait ne pas s’avérer concluante pour les élèves qui éprouvent des difficultés. L’enseignante franco-ontarienne est bien consciente de cette limite. C’est pourquoi toutes les journées commencent de la même manière : tous les enfants rassemblés sur le tapis, devant le tableau blanc interactif. On passe alors en revue l’emploi du temps de la journée, qui suit généralement la même structure d’un jour à l’autre. L’enseignante est également en liaison constante avec les parents, par l’entremise d’un site web où elle met en ligne des vidéos et d’autres éléments multimédias liés au programme. Les parents et d’autres professionnels (p. ex., ingénieur en foresterie, scientifique, prof de yoga) sont appelés à venir en classe pour contribuer à l’apprentissage. «Dès que j’entends un parent qui a une passion ou un sujet intéressant à partager, j’essaie de l’intégrer à l’enseignement.»

Au-delà de l’enquête, Mme Larivière multiplie les efforts pour appliquer les meilleures pratiques en pédagogie. Sa bibliothèque regorge de livres pour enfants adaptés à tous les goûts et à tous les niveaux de lecture. Ses élèves peuvent choisir à quel pupitre s’asseoir et avec quels amis travailler, que ce soit en grands ou en petits groupes. En début d’année, elle observe attentivement chacun de ses élèves afin de cibler ses champs d’intérêt et les défis qui pourraient se poser.

Par exemple, dans le cercle, lorsqu’un enfant a la bougeotte et a de la difficulté à écouter calmement ses camarades, elle cherche à le faire participer. Si, au bout de quelques minutes, son attention se relâche, elle lui suggère d’aller boire un verre d’eau ou d’aller faire un tour à pied. «Il faut faire preuve de souplesse. L’enseignement est une question de différenciation, et il faut trouver la bonne façon d’encadrer chaque enfant. À cet âge-là, certains peuvent se concentrer assez longtemps, d’autres pendant seulement quelques minutes. J’essaie de toujours rester à l’écoute. L’important, c’est que l’élève réussisse.»

Cette rubrique met en vedette des enseignantes et enseignants qui ont reçu un prix en enseignement. Ces personnes répondent aux attentes de l’Ordre en incarnant des normes d’exercice professionnel élevées.

Innover en quatre étapes faciles

Avec un emploi du temps bien chargé et tous les tracas de la vie quotidienne, il peut être tentant de remettre l’innovation à plus tard. On peut toutefois instaurer des approches d’enseignement avant-gardistes, comme l’apprentissage par l’enquête, plus facilement qu’on le pense, dit Chantal Larivière, qui propose quatre conseils pratiques pour réussir.

  1. S’informer

    Se tenir à l’affût des nouvelles tendances en pédagogie grâce au web, aux réseaux sociaux, à des infolettres et à des revues spécialisées.

  2. Plonger

    Il ne faut pas avoir peur d’essayer, quitte à réajuster le tir! On en ressortira toujours grandi, les enfants aussi.

  3. Structurer

    Il est important de ne pas tout changer du jour au lendemain. Les changements peuvent mieux s’incorporer dans cette nouvelle approche technologique s’ils sont modestes.

  4. Partager

    Innover seul, c’est bien, mais à plusieurs, c’est mieux! En échangeant avec les collègues et la direction, le fruit de notre labeur s’en trouve décuplé et nos réussites peuvent avoir des retombées ailleurs dans l’école.