Le rêve de tout enseignant est d’être là au bon moment pour l’élève qui en a besoin. C’est ce qui est arrivé à Mort Paul avec Eric McCormack.
De Richard Ouzounian
Photo : Jens Kristian Balle
Né à Scarborough, Eric McCormack est fort connu dans le monde du divertissement grâce à la série humoristique Will et Grace, où il a joué le premier rôle pendant huit saisons. Mais il n’en fut pas toujours ainsi. Remontons jusqu’en 1977. Eric McCormack, adolescent, se promène dans les couloirs d’une nouvelle école, la tête aussi remplie que son sac à dos. Une grande question le tracasse : doit-il réaliser son rêve et devenir interprète ou se lancer dans l’enseignement comme ses parents le lui avaient conseillé?
Heureusement pour lui, M. McCormack n’a pas eu à prendre cette décision seul. «Bien que j’aie su que je voulais devenir acteur, Mort m’a donné des ailes très tôt», raconte-t-il.
À l’époque, M. Paul, un natif de Toronto, avait 30 ans. Comme le jeune Eric McCormack, il avait été un adolescent tout aussi indécis devant son choix de carrière.
«Je voulais devenir interprète, mais la médecine m’intéressait aussi, explique l’ancien enseignant, chez lui, à Nanaimo (Colombie-Britannique), où il a pris sa retraite avec son épouse. Je m’étais donc inscrit à un programme de sciences à l’Université de Toronto. J’ai obtenu mon diplôme en enseignement, puis je suis devenu enseignant. J’étais persuadé que j’allais devenir acteur après quelques années.»
Il n’a jamais changé de carrière. M. Paul a été embauché en tant qu’enseignant d’art dramatique et de sciences au Sir John A Macdonald Collegiate Institute de Scarborough. Bien qu’il admette que c’était une combinaison inusitée, il appréciait la liberté qu’elle lui donnait. Il a eu la chance de travailler avec des artistes de talent au tout début de leur développement, comme David Furnish et Damon D’Oliveira.
Toutefois, de tous les élèves talentueux que M. Paul a guidés au fil des ans, Eric McCormack est celui qui a laissé la marque la plus durable dans l’industrie du spectacle. Fait intéressant : ils ne se seraient probablement jamais rencontrés sans l’instinct d’une autre enseignante.
«Je suivais le cours d’art dramatique en 10e année, se souvient la vedette hollywoodienne. Mais la première semaine, Lois Kivesto, mon enseignante, est venue me voir et m’a dit : “Je ne crois pas que tu devrais être dans ce cours. Tu devrais être dans le cours de M. Paul, en 11e année.”»
La rencontre entre les deux hommes a été chargée d’humour, laquelle allait définir leur relation. «Ce gars est venu me voir et m’a dit : “Appelle-moi Mort”, se souvient M. McCormack. Il ressemblait à Groucho Marx, avec ses lunettes et sa grosse moustache. On aurait dit que son nez était attaché à ses lunettes.»
M. Paul avait demandé à ses élèves de préparer un monologue pour un cours, mais le jeune McCormack n’avait pas compris que son enseignant s’attendait à un discours de deux à trois minutes, tout au plus.
«J’ai choisi une histoire de Stephen Leacock que je trouvais amusante et je l’ai mémorisée au complet. Ça durait 22 minutes», de dire M. McCormack.
Presque quatre décennies plus tard, ce souvenir fait encore rire M. Paul. «Ce jeune culotté entre dans ma classe et récite My Financial Career au complet. Après 10 minutes, j’ai essayé de l’arrêter, mais il m’a dit : “Je n’en suis qu’à la moitié.” Il était époustouflant.
«Ce qu’Eric a fait à bien des égards a été de donner le ton au reste du groupe. Immédiatement, tout le monde y a mis tout ce qu’il avait de meilleur et, très vite, ce cours est devenu celui dont je rêvais.»
La voix de l’acteur vibre d’une chaleur authentique. «Il n’y avait pas de bonnes façons de procéder pour Mort. Mais il n’y en avait pas de mauvaises non plus. Il appréciait le talent de tout le monde.»
En ce qui concerne Eric McCormack, M. Paul avait déjà cerné quelques-uns des talents qui l’ont rendu unique. «Sa présence et sa concentration étaient vraiment formidables. Il travaillait si fort que vous n’aviez pas d’autres choix que de le laisser faire.»
Puis est venue la rencontre parents-enseignant. Les parents de M. McCormack ont rencontré M. Paul parce qu’ils n’étaient pas certains de la direction dans laquelle ils devaient guider leur fils.
«Je n’ai appris cela que bien des années plus tard, confie M. McCormack. Ils sont allés rencontrer Mort ce soir-là avec un programme en tête. Ils m’ont toujours entièrement appuyé, mais ils devenaient nerveux. Ils savaient à quel point l’industrie du spectacle pouvait être difficile et ils ne voulaient pas que je me fasse du mal ou que je foute ma vie en l’air.»
M. Paul poursuit l’histoire : «Quand la mère d’Eric s’est mise à s’interroger sur le choix de carrière de son fils, je lui ai mis la main sur l’épaule en disant : “Je crois qu’il veut être acteur. Ne l’arrêtez pas.”»
Quand la prochaine année scolaire fut entamée, M. Paul avait en tête une idée bien spéciale pour Eric McCormack et ses camarades de classe. «Au lieu de monter l’habituelle comédie musicale à grand déploiement, explique M. McCormack, Mort a décidé de monter Godspell avec une distribution de dix acteurs. Les autres allaient se charger des décors et de la billetterie.»
Bien que l’enseignant d’art dramatique ait choisi cette production en pensant à ce groupe en particulier, il n’était pas certain de la meilleure façon de distribuer les rôles. Il a alors tenu des auditions individuelles.
«Je ne m’y connaissais pas beaucoup en comédies musicales, se souvient M. McCormack, en riant. J’ai donc présenté la chanson Child in Time de Deep Purple. C’était une chanson vraiment longue. Je me souviens d’avoir été debout sur la scène, alors que Mort était assis quelque part — la seule personne dans un théâtre de 1000 places.
«J’ai donné tout ce que j’avais et, à la fin de l’audition, il a dit : “Ça y est!” Je n’ai pas su ce qu’il voulait dire jusqu’au lendemain, quand j’ai appris que j’allais jouer le rôle de Jésus!»
Ce n’est pas étonnant que, même après toutes ces années, un moment aussi déterminant soit encore aussi frais dans la mémoire de M. McCormack. Ce moment fut également important pour M. Paul. «Je me souviens de toute cette période comme si c’était hier. Le dévouement dont la classe faisait preuve pour le projet était incroyable. Le conseil d’élèves nous avait donné un budget pour monter le spectacle, mais les droits de Godspell étaient très élevés.
«Le groupe a donc décidé d’organiser un danse-o-thon d’une nuit pour ramasser des fonds. Ils m’avaient demandé de superviser l’évènement. Ils ont dansé de 22 h à 6 h du matin.»
«Je suis fier de tous mes élèves, affirme M. Paul. Essentiellement, ce que je voulais faire, c’était valoriser le merveilleux potentiel que chacun possède et qui, si souvent, est réprimé.»
M. Paul a enseigné à ses élèves que ce n’est pas seulement ce que l’on fait qui compte, mais comment on le fait. Ce groupe avait aussi appris cette leçon. M. McCormack rit avec jubilation en se souvenant.
«Vous savez comment, au début d’un spectacle scolaire, la distribution présente quelques chansons à l’assemblée pour piquer la curiosité des élèves et, habituellement, ils bayent aux corneilles en regardant la démonstration? Avec Godspell, c’était différent. Nous avons commencé avec Prepare Ye the Way of the Lord, puis avons poursuivi avec Save the People. Ce fut un succès retentissant!
«Je me souviens comment on a chanté cette dernière note. La musique avait arrêté et l’école était devenue dingue, c’était du jamais vu! C’était Mort à son meilleur.» Le spectacle fut un tel succès qu’ils l’ont joué au port de Toronto pendant une fin de semaine.
Godspell ne fut pas la dernière fois que M. Paul a vu Eric McCormack jouer sur scène. C’est avec enthousiasme qu’il est allé voir son ancien élève en vedette dans The Music Man à Broadway et, plus récemment, dans Glengarry Glen Ross à l’Arts Club de Vancouver.
«Je suis fier de tous mes élèves, affirme M. Paul. Essentiellement, ce que je voulais faire, c’était valoriser le merveilleux potentiel que chacun possède et qui, si souvent, est réprimé.»
M. McCormack a appris une autre leçon de M. Paul. «Ce que j’ai appris avec Mort, c’est que j’ai un bon instinct et que je dois me faire confiance. Il m’a appris que la chose la plus unique que j’ai à offrir au monde, c’est moi-même, et c’est une chose que chaque jeune acteur devrait apprendre.»
Cette rubrique met en vedette des personnalités canadiennes qui rendent hommage aux enseignantes et enseignants qui ont marqué leur vie en incarnant les normes de déontologie de la profession enseignante (empathie, respect, confiance et intégrité).