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Par-delà les frontières

Quatre membres de l’Ordre ayant un handicap nous confient comment la vie a façonné les enseignants qu’ils sont devenus.

De Stuart Foxman
Photos : Matthew Liteplo

Photo de Kristin Plue, enseignante agréée de l'Ordre, debout dans une salle de classe, s'appuyant sur deux cannes en aluminium avec coudière.
Kristin Plue, EAO

Il y a quelques années, sur la piste de course, un élève a demandé à Kristin Plue, EAO, si elle avait déjà fait de la compétition dans sa jeunesse. «Je lui ai répondu que non, je n’étais pas douée pour la course.» Mais elle a aimé la question. «C’est fantastique quand les élèves oublient mon handicap. Ils voient au-delà des défis.»

Mme Plue est née avec le spina bifida. Normalement, le tube neural se referme dans le mois suivant la conception. Chez les fœtus ayant le spina bifida, une partie du tube ne se développe pas adéquatement, ce qui entraîne des anomalies de la moelle épinière. Mme Plue est un cas modéré. Elle marche avec des béquilles et porte des orthèses, mais elle n’y pense pas souvent, car il en a toujours été ainsi.

Sa carrière en éducation est presque aussi innée. Son père était directeur d’école, plusieurs de ses oncles et tantes étaient enseignants, et sa belle-mère est directrice de l’éducation. «Je voulais être enseignante dès la 3e année», se souvient-elle.

«J’essaie d’être honnête et authentique. Je leur parle de moi, y compris de ma perte auditive. Laissez vos élèves savoir que vous êtes humain et vulnérable, tout comme eux.» — Kim Handley, EAO

Depuis maintenant plus de 13 ans, Mme Plue est enseignante-bibliothécaire à la Williamsburg Public School de Whitby, au sein du Durham District School Board. Le slogan de l’école, «On en parle» (en anglais We say something), provient d’un credo anti-intimidation.

«Il ne faut pas se contenter d’être spectateur. Il faut avoir le courage de ses opinions pour faire bouger les choses», explique Mme Plue. Pour elle, le slogan signifie de façon plus profonde qu’il faut donner aux élèves le courage d’agir.

C’est dans une grande mesure ce qui la satisfait dans son rôle d’enseignante. «Les élèves veulent sentir qu’on les écoute. La voix des élèves est importante quand ils savent qu’ils peuvent faire la différence.»

Mme Plue met l’accent sur les habiletés individuelles (ce qu’ils peuvent faire, et non ce qu’ils ne peuvent pas faire) et sur la façon de travailler ensemble pour tirer le meilleur d’eux. Son handicap a influencé cette mentalité, mais elle souligne que c’est le travail de tout enseignant.

Parfois, les élèves lui posent des questions sur ses défis physiques. Elle répond quelque chose comme : «Depuis que je suis née, mes muscles ne sont pas aussi forts que les tiens.» Discuter de sa condition ne la dérange pas. «Écouter l’histoire des autres et apprendre d’où ils viennent ne peut qu’être positif.»

Elle encourage les enseignantes et enseignants à explorer les façons d’appuyer les collègues qui ont un désavantage physique ou intellectuel, mais uniquement parce que c’est une bonne pratique à adopter avec quiconque.

«Personne ne devrait avoir peur d’exprimer comment il peut appuyer quelqu’un, de la même façon qu’il appuierait tout collègue, élève ou ami, indépendamment d’un handicap.»

Bien que Mme Plue ne pratique pas l’athlétisme, elle participe à l’entraînement de l’équipe à Williamsburg. Elle travaille aussi sur un programme de danse avec l’enseignant d’éducation physique. Elle assume surtout des tâches de supervision et d’administration.

Est-ce ironique d’être entraîneure d’athlétisme avec le spina bifida? Pas pour Mme Plue, car d’abord et avant tout, elle est enseignante : «Être handicapée ne définit pas qui je suis.»

Un sentiment d’appartenance

Kim Handley, EAO, avait 18 ans quand elle a remarqué pour la première fois que quelque chose clochait avec son audition. Toutefois, son médecin n’étant pas inquiet, elle n’a pas cherché davantage. À 28 ans, elle a passé un examen auditif et a appris qu’elle aurait dû porter des prothèses auditives depuis des années.

Aujourd’hui, Mme Handley a une grave perte auditive et porte de puissantes prothèses auditives. Elle sait aussi que la perte auditive est génétique dans sa famille. Elle est la seule de sa génération à en être atteinte, mais deux cousins de la génération suivante ont une perte auditive progressive. C’est aussi le cas de ses fils, âgés de 14 et 16 ans. De plus, l’un d’eux a un trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité, et l’autre, un trouble d’apprentissage. Élever ses fils a eu de plus grandes répercussions sur son enseignement que sa propre perte auditive.

«Les années passées à les appuyer à l’école et à se frayer un chemin dans le système d’éducation de l’enfance en difficulté m’ont aidée à percevoir les besoins particuliers de chaque enfant dans ma classe et à comprendre le point de vue des parents», raconte-t-elle.

«Ne sous-estimez jamais ce qu’une personne handicapée peut accomplir. Montrez-lui comment procéder, donnez-lui les outils et le langage. Avec le temps, vous verrez ses progrès.» — Eric Grenier, EAO

Mme Handley a enseigné maintes matières, surtout les mathématiques, l’éducation physique et les arts. Cette année, elle est enseignante-ressource d’éducation de l’enfance en difficulté à la Parkview Public School de Lindsay, au sein du Trillium Lakelands District School Board. En fait, son handicap l’a rapprochée de ses élèves au fil des années. Elle leur semble plus humaine.

«J’essaie d’être honnête et authentique. Je leur parle de moi, y compris de ma perte auditive. Laissez vos élèves savoir que vous êtes humain et vulnérable, tout comme eux. Chaque élève a ses propres défis à surmonter. Trouver ce qui aide chacun d’eux à franchir les obstacles rend notre travail difficile, mais en même temps satisfaisant.»

Pour Mme Handley, l’enseignement, ce n’est pas juste le fait d’attribuer des notes. «Pour moi, c’est surtout le sentiment d’appartenance et de confiance, quand je vois un élève sortir de sa zone de confort pour se poser lui-même un défi, puis en être récompensé.»

Elle raconte l’histoire d’un élève qui avait des troubles du spectre autistique et qui avait plusieurs années de retard en littératie. Mme Handley savait qu’il était très intelligent, mais que ses compétences en lecture et en écriture le limitaient. En travaillant avec l’équipe d’éducation de l’enfance en difficulté, elle a obtenu un ordinateur doté d’une fonction de transcription de la parole. «Quand il a compris ce qu’il pouvait faire, il s’est épanoui et a commencé à avoir du plaisir à apprendre activement. Lui qui souriait rarement a désormais presque toujours le sourire aux lèvres et il a commencé à nouer des relations avec d’autres élèves.»

Mme Handley se souvient d’un autre élève qui arrivait à peine à garder le nez au-dessus de l’eau et qui se dissociait de son apprentissage. Elle savait qu’il était un grand frère fantastique. «Nous en avons beaucoup parlé et je l’ai encouragé.» À la fin de l’année, il avait des A et continue à exceller. Il a pris de l’assurance.

Les deux récits montrent comment Mme Handley s’efforce d’établir des liens avec ses élèves.

«J’essaie de déterminer comment je peux les aider à atteindre leur potentiel s’ils y mettent l’effort, dit-elle. Quelque chose d’aussi simple que de dire à l’enfant qu’il peut recommencer à neuf ou que vous avez eu hâte de le voir en classe peut grandement aider à tisser une relation positive avec lui.»

Ne jamais cesser de croire

Quand il était enseignant titulaire de classe, Eric Grenier, EAO, appliquait ce principe fondamental : «Croyez en vos élèves. Vous ne savez jamais ce que l’avenir leur réserve. Ne cessez jamais de croire en eux».

Aujourd’hui, à titre de conseiller ressource pour le ministère de l’Éducation, M. Grenier affiche la même conviction. Il est rattaché au Centre Jules-Léger, lequel aide le personnel des conseils scolaires de langue française à offrir des programmes et des services aux élèves ayant des besoins particuliers. Ceux-ci comprennent les élèves ayant de graves problèmes d’apprentissage ainsi que des troubles auditifs ou visuels.

M. Grenier est basé à Sudbury. Il appuie cinq conseils scolaires et se concentre sur les élèves ayant des troubles auditifs. Entre autres, il forme le personnel à servir de tels élèves, il enseigne la langue des signes, il donne des conseils sur les plans d’enseignement individualisés et il fait des recommandations sur les stratégies à adopter ou les adaptations à effectuer pour répondre aux besoins des élèves.

Il comprend bien quels sont ces besoins, car il a lui-même des troubles auditifs depuis la naissance. Né à Sudbury, M. Grenier a grandi à Val Thérèse et à Casselman. Quand il était adolescent, il ne songeait pas à embrasser une carrière en enseignement. À l’école secondaire, il a travaillé pour son père et pour d’autres entrepreneurs en maçonnerie. Il a ensuite tenté de lancer sa propre carrière dans le domaine des fondations, mais sans savoir, en fin de compte, ce que l’on construirait dessus.

À l’université, à Ottawa, M. Grenier a d’abord étudié la psychologie, puis a fait du bénévolat à l’Association ontarienne des sourd(e)s francophones, organisme qui l’a embauché à titre de coordonnateur de la littératie. Même si son travail au sein de la communauté sourde le comblait, il a décidé de retourner à l’école. Il a étudié les affaires et les sciences politiques. Mais il a eu du mal à décrocher un emploi après avoir obtenu son diplôme, confie-t-il. Il soupçonne que son handicap y était pour quelque chose : «J’ai posé ma candidature à de nombreux postes, mais mon audition a influencé la décision des embaucheurs.»

Un jour, un ami de la Société canadienne de l’ouïe a dit à M. Grenier que le Conseil scolaire catholique Franco-Nord cherchait à pourvoir un poste d’enseignant à l’intention des élèves ayant un trouble auditif. M. Grenier a décroché le poste, puis a fait des études à l’Université Laurentienne pour devenir enseignant qualifié. Il a travaillé de près avec les élèves de façon individuelle. À Sturgeon Falls, il en a même accompagné un du jardin d’enfants à la 6e année.

«Pour moi, nous sommes tous pareils, affirme-t-il. Nous [affrontons tous les mêmes défis]; nous luttons tous. Le secret est de garder le sourire et de tisser des liens avec les autres, quels qu’ils soient.»

Selon M. Grenier, son contexte personnel a son lot d’avantages et de désavantages. «Dans mon travail, je possède une force particulière qu’un enseignant non sourd n’a pas : ma perte auditive. Je comprends ce que les élèves sourds ou malentendants vivent. Le désavantage, selon moi, c’est que, pour de nombreuses personnes non sourdes, je ne suis qu’un enseignant sourd incapable d’enseigner autre chose.»

«Avec du temps et de la créativité, on arrive à résoudre n’importe quel problème. Je peux démontrer que chaque problème a une solution.» — Pieter Harsevoort, EAO
Photo de Kim Handley, enseignante agréée de l'Ordre, assise sur une chaise dans une salle de classe. Un groupe de jeunes élèves en train de lire sur une table se trouve à sa gauche.
Kim Handley, EAO

Tout de même, M. Grenier a l’habitude de surmonter l’adversité. Il se souvient du temps où il se démenait souvent sur les bancs d’école. «À un certain moment, j’ai eu du mal à accepter ma surdité. J’ai vécu des hauts et des bas, mais je m’en suis sorti à force de détermination.»

De nombreux élèves qu’il rencontre ont la même détermination, et il recommande vivement à ses collègues de le reconnaître. «Ne sous-estimez jamais ce qu’une personne handicapée peut accomplir, affirme M. Grenier. Montrez-lui comment procéder, donnez-lui les outils et le langage. Avec le temps, vous verrez ses progrès. Si je peux le faire, elle peut le faire aussi.»

Les outils pour réussir

Quel processus intellectuel suivez-vous pour ouvrir un livre (non pas pour le lire, mais pour l’ouvrir littéralement)? Quand il était enfant, Pieter Harsevoort, EAO, devait penser à ce processus. «Si la couverture était trop lourde, je devais trouver une règle ou un bâton et l’utiliser en guise de levier. J’ai passé ma vie à m’adapter.»

M. Harsevoort, qui a enseigné à Hamilton jusqu’à son décès en janvier dernier, était atteint d’une maladie dégénérative neuromusculaire appelée amyotrophie spinale. Il se déplaçait en fauteuil roulant et avait besoin d’aide pour se vêtir et se nourrir. Bien que les désavantages de l’amyotrophie spinale soient évidents, vivre avec cette maladie a aussi façonné l’enseignant efficace qu’il était.

«J’ai appris que l’on pouvait surmonter nos limites. Avec du temps et de la créativité, on arrive à résoudre n’importe quel problème. Je peux démontrer que chaque problème a une solution.»

M. Harsevoort travaillait à la Timothy Christian School, une école indépendante confessionnelle du jardin d’enfants à la 8e année. Il y enseignait l’histoire en 8e année et l’éducation de l’enfance en difficulté, et y dirigeait un club d’échecs.

M. Harsevoort n’avait que un an quand on a appris qu’il avait l’amyotrophie spinale. Il a ensuite perdu progressivement de la force dans ses muscles moteurs. Il disait que sa vie n’avait rien de spécial : «Je ne connais rien d’autre.»

Alors qu’il était tout jeune, la profession enseignante attirait déjà Pieter Harsevoort. Il aimait apprendre et travailler avec les enfants, et croyait que son handicap n’aurait aucune importance en classe. Au contraire, il pouvait compter sur ses compétences en communication pour tisser de bonnes relations avec ses élèves et pour mettre en pratique ses connaissances en matière de résolution de problèmes.

«Je n’ai jamais remis en question ma capacité à devenir enseignant parce que je savais que j’en avais la capacité», a affirmé M. Harsevoort, avec conviction.

Dans sa salle de classe, il créait un milieu où les élèves pouvaient à la fois en apprendre sur leurs forces et progresser.

«Ils doivent être prêts à vivre le succès, mais aussi à vivre l’échec comme une occasion d’approfondir leurs connaissances, a-t-il affirmé. Voir un élève qui comprend un concept ou démontre qu’il a acquis une compétence après des heures de travail, d’étude ou de pratique est inégalable.»

Son histoire personnelle l’a aidé à comprendre que ses élèves étaient en mesure de relever les défis et que sa présence leur permettait de faire preuve d’empathie.

«De nombreuses façons, je compte sur l’aide de mes élèves. Si j’ai besoin de fournitures, de distribuer des feuilles ou d’écrire quelque chose au tableau, je demande à des volontaires de le faire. Les enfants adorent être serviables. Aider ceux qui en ont besoin est une bonne habitude à inculquer. Les élèves ont un aperçu d’une vie très différente. C’est une façon d’en apprendre sur la diversité.»

Même s’il comptait sur l’aide de ses élèves, M. Harsevoort avait relativement besoin de peu d’accommodements. Il utilisait un microphone, car il ne pouvait projeter sa voix dans toute la classe, et il avait besoin d’assez d’espace entre les pupitres pour se déplacer en fauteuil roulant.

Les gens n’ont besoin que des outils nécessaires pour réussir, que ce soit un levier pour ouvrir un livre ou autre chose. «Tout ce dont on a besoin quand on est apprenant, c’est d’être au bon endroit et de recevoir les bons outils pour réussir. C’est d’ailleurs notre travail en tant qu’enseignants : offrir les conditions pour que nos élèves se développent et progressent.»

Photo de Pieter Harsevoort, enseignant agréé de l'Ontario, dans son fauteil roulant électrique.
Pieter Harsevoort, EAO