Commissaire aux langues officielles pendant sept ans et nommée membre de l’Ordre du Canada en 2013, Dyane Adam se souvient de Jean Comtois, son enseignant du secondaire et pionnier de l’éducation de langue française en Ontario.
De Philippe Orfali
Photo : James Heaslip
La brillante carrière de Dyane Adam n’étonne en rien celui qui fut son enseignant du secondaire, Jean Comtois. Aujourd’hui retraité, lui-même pionnier de l’éducation franco-ontarienne, il se souvient de Dyane alors qu’elle fréquentait l’école secondaire de Casselman à la fin des années 1960. C’était une élève souriante, touche-à-tout et un brin espiègle, qui le bombardait de questions. Tout indiquait déjà qu’elle se destinait à de grandes choses.
«C’était une élève modèle, en ce sens qu’elle se poussait à fond et nous poussait aussi. Déterminée, elle était partout à l’école, puisqu’elle était très impliquée dans le mouvement étudiant. Elle avait beaucoup de leadership et d’imagination», se remémore M. Comtois, qui fut aussi son directeur d’école.
Cadette d’une famille de 16 enfants, Dyane Adam a dû apprendre très vite à faire preuve d’indépendance. Son père étant décédé alors qu’elle n’avait que 5 ans, sa famille comptait parmi les moins nanties du village. Peut-être en réaction aux regards de certains dans la communauté, Dyane s’efforçait d’exceller à l’école. De son propre aveu d’un naturel obstiné, elle n’hésitait pas à braver l’autorité des religieuses de l’école élémentaire Sainte-Euphémie. «J’étais déjà rebelle, et la discipline comme l’exerçaient les sœurs à l’époque, ce n’était pas mon genre», dit-elle en riant.
Dyane Adam garde un bien meilleur souvenir de son secondaire. Elle se souvient de l’intérêt profond que M. Comtois portait à l’histoire, sa matière, ce qui faisait de lui un pédagogue passionnant. «On pouvait l’écouter pendant des heures alors qu’il nous parlait d’histoire. Il nous transportait dans de vrais voyages. Ça nous faisait rêver!»
Bien plus tard en 1999, Dyane Adam devenait la cinquième commissaire aux langues officielles du Canada, après une carrière remarquée dans le monde universitaire, notamment à titre de principale du collège universitaire Glendon. Première femme à occuper ce poste prestigieux au sein de l’administration fédérale, elle s’est intéressée plus précisément à l’évolution de la composition linguistique du pays.
Remarquant que le Canada devenait de plus en plus multiculturel, elle a compris que cette réalité était sur le point de transformer la vision traditionnelle de la dualité linguistique. Cette question est plus que jamais d’actualité alors qu’elle examine, à la demande du gouvernement de l’Ontario, les options visant la création d’une université de langue française dans les régions du Centre et du Sud-Ouest où la population francophone est parmi les plus diversifiées au pays. Le comité qu’elle préside doit remettre son rapport cet été.
Dyane Adam attribue notamment cette sensibilité à certains de ses enseignants du secondaire, dont M. Comtois, et le père André DeGuire aujourd’hui décédé. Bien que ce dernier n’eût pas directement enseigné à Dyane, il supervisait le conseil des élèves et a marqué sa vie.
M. Comtois et le père DeGuire avaient un souci constant du bien-être de leurs élèves, dit-elle. «Ils veillaient à notre développement sur tous les plans : culturel, social, personnel, intellectuel, affectif et scolaire. Ils nous ont ouvert les yeux sur les enjeux internationaux. Ce que j’ai appris à Casselman m’a servi toute la vie.»
Alors qu’elle présidait le conseil des élèves, l’entreprenante adolescente avait convaincu M. Comtois d’accorder aux élèves la gestion des machines distributrices de boissons gazeuses de l’école. Une initiative qui s’est révélée lucrative et qui a permis d’organiser une panoplie d’activités. Le conseil scolaire s’est d’ailleurs empressé d’en prendre le contrôle, quand il a réalisé combien cette initiative pouvait être payante, se rappelle Mme Adam. «Si aujourd’hui j’en ris, à l’époque je n’ai pas trouvé ça drôle. C’est ce jour-là que j’ai appris à faire la distinction entre l’autorité formelle et le leadership intuitif. Il ne faut pas que l’un sape l’autre. Ce fut une leçon importante qui m’a beaucoup servi.»
Tout comme celui de son ancienne élève, le parcours de Jean Comtois est bien étoffé, et l’éducation et la langue y jouent un rôle conducteur. À 78 ans, M. Comtois est aujourd’hui l’un des pionniers de l’éducation de langue française en Ontario.
Ce natif d’Hawkesbury a dû, à l’adolescence, devenir pensionnaire dans un collège privé pour continuer sa scolarité en français. À l’époque, les écoles secondaires de langue française n’existaient pas. S’il songeait d’abord à être médecin, c’est finalement vers l’enseignement qu’il s’est tourné. «Je ne l’ai jamais regretté», s’exclame-t-il.
Au début de sa carrière, il a enseigné au palier élémentaire, à Hawkesbury et à Alexandria, puis il s’est dirigé vers l’école secondaire bilingue de Casselman.
«On parle d’enseignants remarquables… Jean en était véritablement un, insiste Mme Adam. Pour moi, Jean Comtois faisait toute la différence.»
Par la suite, la carrière de M. Comtois l’a mené à Toronto, au ministère de l’Éducation, à une époque où les francophones étaient à peu près absents de la fonction publique provinciale. Gravissant un à un les échelons, il fut très actif dans l’élaboration du système scolaire de langue française, des années 1970 jusqu’à sa retraite en 1994.
Il fut notamment responsable de l’élaboration des premières ressources pédagogiques en français pour le secondaire. Seul francophone dans son équipe, il a accompli un travail monumental. «À ce moment-là, il existait très peu de manuels et de documents en français en Ontario», dit-il.
Il devint directeur régional associé du Ministère et responsable des questions francophones à une époque où les tensions étaient vives, puisque les Franco-Ontariens réclamaient davantage d’autonomie en éducation. Jean Comtois a joué un rôle important dans la création des premières sections francophones des conseils scolaires bilingues : un premier pas vers l’indépendance des conseils scolaires de langue française.
Ceux qui pensaient que Jean Comtois allait couler une retraite paisible n’auraient pu se tromper davantage. Après la cause de l’enseignement, il s’est dévoué à celle des aînés, par l’entremise de la Fédération des aînés francophones de l’Ontario (devenue la FARFO), puis à l’ACFO, aujourd’hui l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario. Lauréat du Prix de la francophonie de l’Ontario, en 2010, il aura défendu toute sa vie la cause des Franco-Ontariens.
Au fil des ans, Dyane Adam et son ancien mentor se sont croisés à maintes reprises, alors que leurs occupations respectives les amenaient à travailler sur des enjeux connexes. «J’ai toujours senti qu’elle avait une passion véritable pour ce qu’elle accomplissait. C’est une travailleuse acharnée, mais discrète. Elle sait aussi s’entourer de personnes dont les forces sont complémentaires aux siennes. Dyane, c’est une grande source de fierté.»
Cette rubrique met en vedette des personnalités canadiennes qui rendent hommage aux enseignantes et enseignants qui ont marqué leur vie en incarnant les normes de déontologie de la profession enseignante (empathie, respect, confiance et intégrité).