Ces 20 dernières années, la profession enseignante de l’Ontario a subi d’importants changements démographiques au chapitre de l’âge, de l’équilibre des sexes et de la diversité raciale.
De John Hoffman
Illustration : Katie Carey
En 1998, année à laquelle Andrew Wilton, EAO, a commencé à enseigner, très peu de femmes occupaient un poste de direction à son conseil scolaire. «Le sommet de la hiérarchie était presque tout occupé par des hommes», se souvient-il. Maintenant qu’il entame les dernières étapes de sa carrière, près de trois membres de l’Ordre sur cinq qualifiés pour assumer un rôle de supervision sont des femmes. M. Wilton a lui-même travaillé sous la direction de plusieurs administratrices et surintendantes, ainsi que de trois directrices de l’éducation, dont l’une était afro-canadienne.
Judy Philpot, enseignante à la retraite, se souvient très bien du jour où elle a posé sa candidature pour la première fois à un poste en enseignement à Toronto. C’était en 1969. Elle pensait avoir un entretien individuel, mais il s’agissait plutôt d’un rassemblement de masse. «Il y avait une file d’attente jusque dans la rue. Nous étions majoritairement des femmes, mais, d’après moi, les hommes ont été interviewés en premier. Avant même que ce soit mon tour, on est venus nous dire que tous les postes étaient déjà pourvus.»
Mme Philpot, qui a fini par décrocher un poste cette année-là, croit que le conseil scolaire cherchait à embaucher des hommes pour l’élémentaire et qu’on leur accordait ainsi la priorité. Le nombre de femmes a toujours dépassé le nombre d’hommes à ce cycle. Aujourd’hui, près de 50 ans après les débuts de Mme Philpot dans le métier, le nombre d’hommes qui enseignent à l’élémentaire semble rétrécir, et ce, malgré un plus grand équilibre entre les sexes dans de nombreux domaines de la profession.
«Le nombre d'hommes qui enseignent à l'élémentaire semble rétrécir, et ce, malgré un plus grand équilibre entre les sexes dans de nombreux domaines.»
Ces deux observations illustrent certains thèmes qui ressortent de notre étude sur l’évolution démographique de la profession enseignante en Ontario. Bien des aspects ont changé ces quelque 20 dernières années, mais certains, comme l’âge des enseignants et leur répartition géographique, demeurent relativement inchangés. Les données présentées ici mettent en relief deux domaines en mutation : l’équilibre entre les sexes et la diversité raciale.
Depuis longtemps, la profession enseignante attire plus de femmes que d’hommes, en particulier dans les écoles élémentaires, et une tendance à la hausse se maintient. En 2014-2015, quatre fois plus de femmes que d’hommes enseignaient à l’élémentaire. La situation est identique au secondaire.
On observe une tendance semblable partout au Canada. En 2011, selon une enquête de Statistique Canada, 84 % des enseignants à l’élémentaire et 59 % de ceux au secondaire étaient des femmes. (Il se peut que les données de Statistique Canada ne soient pas comparables à celles du ministère de l’Éducation.)
Certains intervenants en éducation ont exprimé des préoccupations quant au peu d’hommes dans les écoles élémentaires. Dans un rapport de l’Ordre de 2004 intitulé Réduire l’écart entre les sexes : comment attirer les hommes dans la profession enseignante, on souligne que «la présence d’hommes et de femmes dans les classes est nécessaire pour assurer l’excellence en enseignement» et qu’«il existe un besoin réel de mettre en place des politiques visant à attirer les hommes et de réduire l’écart entre les sexes au sein de la profession enseignante».
Doug Gosse, professeur à la faculté d’éducation de l’Université Nipissing, est d’accord. En 2011, il a cosigné, avec le professeur Mike Parr, un article basé sur un sondage auprès de 223 enseignants : «Plus de 90 % des personnes que nous avons interrogées estimaient que les hommes en enseignement possèdent des qualités uniques qui comptent aux yeux des élèves, allant jusqu’à utiliser des métaphores familiales, comme “figure paternelle” et “grand frère”, déclare M. Gosse. La majorité trouve aussi que les hommes qui veulent enseigner au cycle primaire doivent surmonter des obstacles, comme des perceptions subjectives. Environ un de nos répondants sur huit a déclaré avoir déjà été soupçonné d’avoir eu des contacts inappropriés avec des élèves.»
Il est également juste de dire que le peu d’hommes à l’élémentaire peut refléter un déséquilibre historique entre les sexes qui remonte à l’époque où les enseignants étaient moins payés pour enseigner à l’élémentaire qu’au secondaire. Si le peu d’hommes dans les écoles élémentaires est un problème, alors la plupart des pays occidentaux éprouvent un problème bien plus important que le Canada à ce sujet. Les données de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) révèlent qu’en 2015, la proportion d’hommes enseignant à l’élémentaire était plus élevée au Canada que dans tous les pays occidentaux où les femmes ont un taux d’activité comparable.
À l’autre extrémité du spectre de l’équilibre entre les sexes, on a observé une hausse constante de la proportion de directrices d’école et d’agentes de supervision.
En 1998, dans les écoles de l’Ontario, le nombre de femmes occupant un poste de direction ou de direction adjointe surpassait légèrement le nombre d’hommes : 3 764 femmes contre 3 631 hommes. Depuis, la proportion de femmes occupant un poste dans l’administration scolaire a augmenté de façon importante, bien qu’elle ne corresponde toujours pas à la proportion globale d’enseignantes (soit 62 % et 72 %, respectivement).
Une tendance similaire s’observe chez les personnes qui ont des qualifications en supervision. Une recherche de l’Ordre indique qu’en 1998, 57 % des membres de l’Ordre ayant la qualification d’agent de supervision étaient des hommes. En 2016, cette proportion s’est renversée : 57 % étaient des femmes. Présentement, près de la moitié (34 sur 72) des directions de l’éducation en Ontario sont des femmes, comparativement à 26 % il n’y a que cinq ans.
Selon les statistiques de l’Ordre, l’âge moyen du personnel enseignant de l’Ontario est de 43 ans, lequel est relativement le même depuis 20 ans. Cependant, la proportion d’enseignants de divers groupes d’âge est en train de changer : il y a plus de jeunes enseignants et moins d’enseignants âgés dans les classes d’aujourd’hui, comparativement à 1998. Près de la moitié du personnel enseignant de l’Ontario (47 %) avait 40 ans ou moins en 2014-2015, comparativement à tout juste au-dessus de un tiers (35,6 %) en 1998-1999. À l’autre bout du spectre, près de un tiers des enseignants de la province avaient entre 50 et 60 ans en 1998, comparativement à moins de un cinquième en 2014, soit 17,7 %.
Quoique nous n’ayons pu trouver de données historiques sur les tendances en matière de diversité, on peut affirmer avec assurance que la main-d’œuvre dans le domaine de l’enseignement en Ontario est plus diversifiée aujourd’hui qu’elle ne l’était dans les années 1960, 1970 et 1980. Toutefois, il est aussi très clair que la population enseignante ne reflète pas la diversité de la population ontarienne en général.
«Ces programmes ont réellement permis de faire augmenter le nombre d'enseignants autochtones dans les écoles de de l’Ontario. Toutefois, de nombreux défis perdurent.»
Bien que la plupart des programmes de formation à l’enseignement de la province aient élaboré des politiques d’admission en matière d’équité, faire augmenter la diversité de la population enseignante en Ontario n’est toujours pas facile. Ruth Childs, professeure en éducation à l’Institut d’études pédagogiques de l’Ontario (IEPO) de l’Université de Toronto, a mené une étude sur les tentatives que son établissement a faites pour augmenter la proportion des groupes sous-représentés dans les programmes de formation à l’enseignement. «Nous avons découvert que nos politiques et notre procédure ne désavantageaient pas de groupes en particulier, ce qui aurait pu être le cas par le passé. Cependant, faire les changements qui s’imposaient pour réellement avantager les groupes sous-représentés fut difficile», confie-t-elle.
On a aussi mis en place des initiatives pour faire augmenter le nombre d’enseignants autochtones dans les écoles de l’Ontario, dont les programmes de formation à l’enseignement des personnes d’ascendance autochtone (PFEPA), lesquels permettent aux Autochtones d’obtenir l’autorisation d’enseigner à la suite de l’obtention d’un diplôme plutôt que d’un grade universitaire, et les programmes de baccalauréat en éducation pour les personnes d’ascendance autochtone (BEPA), plus récemment, dans plusieurs universités, dont Brock, Lakehead et Trent.
Ces programmes répondent à un besoin. En 2002, le Groupe de travail national du ministre sur l’éducation a observé que, quoique la population ontarienne soit constituée d’Autochtones à 2,3 %, ces derniers ne représentent que 0,5 % de la main-d’œuvre enseignante.
Toutefois, bien que des données solides sur la proportion d’enseignants autochtones en Ontario ne soient pas disponibles, Julian Kitchen, professeur à la Faculté d’éducation de l’Université Brock, affirme que les PFEPA et les BEPA n’ont eu qu’un modeste succès. «Ces programmes ont réellement permis de faire augmenter le nombre d’enseignants autochtones dans les écoles de l’Ontario. Toutefois, de nombreux défis perdurent», affirme-t-il. Par exemple, certaines facultés réservent des places pour les étudiants autochtones, mais ne peuvent les combler. Nombre d’étudiants autochtones doivent relever des défis particuliers qui, parfois, les empêchent de terminer leur programme. «Si le but est de faire augmenter de façon importante la représentation des Autochtones qui enseignent dans les écoles de l’Ontario, il faut offrir plus de programmes ciblés comme ceux qui existent actuellement», souligne M. Kitchen.
Il est important de noter que nombre d’enseignants autochtones formés en Ontario ne travaillent pas au sein du système scolaire de la province. Comme le souligne Lindsay Morcom coordonnatrice des PFEPA à la faculté d’éducation de l’Université Queens’, les enseignants qui ont suivi un PFEPA retournent souvent dans leur communauté pour travailler dans les écoles des Premières Nations, lesquelles relèvent du fédéral.
Nul doute que la profession enseignante en Ontario est en train de subir un changement démographique. Joseph Picard, EAO, directeur de l’éducation du Conseil scolaire catholique Providence, croit que la profession enseignante en Ontario a emprunté la bonne voie au chapitre de sa composition.
«Quand j’ai commencé à enseigner il y a trois ans, la population enseignante n’était pas très diversifiée, affirme M. Picard. Maintenant, elle est plus hétérogène. Dans 20 ans, j’espère voir une diversité qui reflète davantage celle de la société en général. Pour un conseil scolaire de langue française comme le nôtre, il est difficile d’assurer une certaine diversité; nous devons souvent embaucher du personnel enseignant de l’extérieur de la province, ce qui a ses propres défis.» En outre, le fait qu’il y a de moins en moins d’hommes dans les écoles élémentaires préoccupe M. Picard. «Je crois que nous pourrions en faire plus pour transmettre le message selon lequel l’enseignement est une profession très gratifiante sur les plans personnel et professionnel.»