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Enseignants remarquables

Photo de Michael Wekerle, entrepreneur et vedette de l'émission télévisée Dragon's Den, en costume-cravate, assis sur une chaise.

L'artisane du succès

Grosse pointure de la haute finance canadienne, Michael Wekerle se souvient d’une enseignante qui lui a transmis son amour de la culture et enseigné la valeur du travail – sa mère.

De Richard Ouzounian
Photos : Mike Ford

Le soir du 11 mai 2012, l’Opéra royal du château de Versailles retentit d’applaudissements, saluant l’Opera Atelier du Canada, qui vient de livrer sa première prestation étincelante d’Armide, un opéra baroque datant de 1686.

Bien que la troupe rayonne de fierté, on voit les plus grands sourires se dessiner sur les visages d’une enseignante et de son élève, qui est aussi son fils.

Hermine Wekerle a savouré ce triomphe depuis la loge royale – jadis occupée par Marie-Antoinette. Elle rêvait de ce moment depuis son enfance, quand elle assistait à des productions de l’Opéra d’État de Vienne depuis les fauteuils bon marché de la dernière rangée.

Son fils, Michael Wekerle, l’une des vedettes de l’émission Dragons’ Den de la CBC, est l’un des entrepreneurs canadiens les plus prospères – et la raison pour laquelle elle est à Versailles. Lui aussi caressait un rêve depuis que sa mère avait emmené la classe assister à une représentation de La veuve joyeuse de la Compagnie d’opéra canadienne dans les années 1980 : la voir célébrer un tel triomphe.

Beaucoup d’eau a passé sous les ponts depuis que M. Wekerle a quitté les bancs de l’école. En 1982, il accepte un poste à la Bourse de Toronto et, en moins de dix ans, «Wek» s’illustre comme l’un des meilleurs investisseurs institutionnels au pays. Depuis lors, ce multimillionnaire ne cesse de faire les délices de Bay Street. Fait notable : il joue un rôle essentiel dans le préfinancement de Research In Motion (aujourd’hui BlackBerry) et son premier appel public à l’épargne.

Plus connu pour ses prouesses financières, M. Wekerle apporte du soutien philanthropique aux arts et à la jeunesse. Interrogé sur ses plus grandes réussites, M. Wekerle affirme : «Tout ce qui est bon en moi vient de ma mère.»

Avant de devenir une conseillère d’orientation influente et respectée, Mme Wekerle enseigne l’allemand et l’histoire pendant de nombreuses années à la Michael Power-St. Joseph High School, à Etobicoke. Elle se souvient particulièrement du Culture Club, qui organisait des sorties scolaires conçues pour élargir les horizons de ses élèves. «Elle nous emmenait à l’opéra, au ballet, au théâtre et au musée, entre autres, se souvient son fils. On s’est même retrouvés dans une discothèque; elle voulait qu’on profite de toute une gamme d’expériences culturelles.»

«Mes origines européennes y sont pour beaucoup, admet l’enseignante retraitée. Mes parents m’emmenaient toujours au ballet et à l’opéra, et je voulais que mes élèves canadiens profitent des mêmes expériences culturelles.»

La jeune Hermine immigre au Canada en 1952, envoyée par ses parents qui voulaient qu’elle connaisse une vie meilleure que dans l’Europe de l’après-guerre. Elle arrive au Quai 21 d’Halifax, le célèbre point d’arrivée, et est prise en charge par une sœur des Sisters of Service of Canada, organisme qui a aidé des centaines d’arrivants à s’adapter à leur nouvelle vie.

«Elles avaient une maison résidentielle [la Mary Perram House] à Toronto pour les jeunes filles catholiques au 4, Wellesley Place», se souvient-elle.

Quelques années plus tard, lors d’un thé, elle rencontre Anthony Wekerle, qui travaille dans l’import-export. Ils se marient en 1956 et ont quatre enfants. Mme Wekerle s’épanouit dans son rôle de maman, mais quand une amie découvre qu’elle parle couramment l’allemand et l’anglais et lui suggère d’enseigner, son parcours change subitement. Elle obtient son autorisation d’enseigner du Collège d’éducation de l’Ontario de l’Université de Toronto en 1971.

Une fois ses enfants au secondaire, Mme Wekerle fait en sorte qu’ils fréquentent l’école où elle enseigne. Même si Michael Power-St. Joseph se trouve assez loin de la maison, elle les y emmène en voiture tous les jours. «Il fallait traverser toute la ville», se souvient Michael.

C’est dans le cours d’histoire de 11e année que le chemin des Wekerle se croise, mais ça ne veut pas dire que son fils bénéficiera de privilèges spéciaux. «Je n’arrivais pas à l’appeler “Mme Wekerle”! Je l’appelais alors “maman”, mais il n’y avait pas de favoritisme, dit M. Wekerle en souriant. La plupart du temps, tout se passait bien, mais si je la mettais en colère, gare à moi! Il y avait parfois de longs silences en rentrant à la maison.»

Photo de Michael Wekerle, entrepreneur et vedette de l'émission télévisée Dragon's Den, assis sur une chaise avec sa mère, Hermine. Ils se regardent et sourient. M. Wekerle tient une guitare dans ses mains et sa mère a un chien sur les genoux.
Michael Wekerle est assis avec sa mère, Hermine Wekerle, qui fut son enseignante remarquable. «Tout ce qui est bon en moi vient de ma mère.»

Mme Wekerle a toujours su déchiffrer les gens, une aptitude qui lui a bien servi dans son rôle de conseillère. Elle constate que son fils, bien que travailleur, se met souvent à rêvasser. «Le succès ne vient avant le travail que dans les dictionnaires», lui disait-elle souvent.

Le charismatique entrepreneur, qui a connu des hauts vertigineux et des bas abyssaux, trouve du réconfort dans un autre dicton de sa mère : «L’échec n’est pas une option.»

Quand on demande à Michael ce qu’il a acquis en ayant une mère enseignante, ses yeux s’illuminent. «La chose la plus importante était de voir ma mère se préparer tous les soirs pour le lendemain. Je la vois encore assise là, élaborant ses plans de leçons. Ça m’a aidé à réaliser qu’on ne peut pas obtenir de succès sans préparation.»

Mme Wekerle nous fait profiter d’un de ses bons souvenirs. «Parfois, à la fin de la journée, je gardais les élèves pour les aider avec leurs devoirs. Michael restait souvent pour m’aider. Il se souciait des autres. Je savais qu’il irait loin dans la vie.»

C’est cette passion d’aider les autres et les riches influences culturelles de sa mère qui ont amené M. Wekerle et l’Opera Atelier à collaborer. Marshall Pynkoski, codirecteur artistique de l’organisation, se rappelle la fois où il a parlé de l’importance pour les élèves de recevoir une éducation culturellement diversifiée, indépendamment de leur situation financière. «À peine étais-je rassis à ma table qu’on me remettait un chèque de 25 000 $, s’exclame M. Pynkoski. C’était de la part de Michael Wekerle, et je ne l’avais jamais rencontré!»

Depuis lors, M. Wekerle a donné plus de un million de dollars à des organismes qui offrent aux jeunes et jeunes artistes des occasions d’apprentissage et de développement personnel. Il a même financé et présenté des spectacles à l’étranger.

«Je n’oublierai jamais la soirée d’ouverture, affirme M. Pynkoski. Michael a fait venir sa mère à Versailles dans son avion privé pour qu’elle arrive à temps parce qu’il ne voulait pas qu’elle manque quoi que ce soit.»

Même si M. Wekerle a mené l’une des plus brillantes carrières dans le monde des finances canadiennes, c’est à sa mère que revient le mérite : «Tout a été possible grâce à ma mère et à ce qu’elle m’a appris, à l’intérieur comme à l’extérieur de la classe. Mon goût pour l’histoire et les arts, et mon esprit d’entraide – tout cela me vient d’elle.»

Cette rubrique met en vedette des personnalités canadiennes qui rendent hommage aux enseignantes et enseignants qui ont marqué leur vie en incarnant les normes de déontologie de la profession enseignante (empathie, respect, confiance et intégrité).