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Apprentissage à distance

En travaillant loin de chez eux, les enseignantes et enseignants de l’Ontario ont une tout autre appréciation de leur métier.

De Stuart Foxman
Illustration : Janice Kun/i2i Art

Nombreux sont les enseignants de l’Ontario qui choisissent d’enseigner dans des régions éloignées, voire des communautés du Nord accessibles par avion ou même à l’autre bout du monde. Qu’ont-ils appris de cette expérience et quelles Pratiques exemplaires en ont-ils tirées?

S’ouvrir à l’insolite

>Diana Yalowica, Yukon
Diana Yalowica, Yukon

De son salon, Diana Yalowica, EAO, a une vue imprenable sur les aurores boréales. «Incroyable!», s’exclame-t-elle.

Depuis deux ans, elle enseigne à la Ross River School, située dans une communauté des Premières Nations de moins de 400 habitants, à environ 5 heures au nord-est de Whitehorse, au Yukon. La localité a, en tout et pour tout, un magasin général (qui fait également office de banque et de bureau de poste), une station-service, un poste de soins infirmiers, un bureau de la GRC, un centre communautaire et l’école.

Mme Yalowica a commencé sa carrière en tant qu’enseignante de la petite enfance dans le sud de l’Ontario. Son B. Éd. en poche, elle a fait de la suppléance en Ontario et s’est ensuite envolée pour la Chine afin de travailler dans une école internationale à Shanghai. De retour au Canada, les emplois à temps plein étaient si rares qu’elle songeait à quitter la profession quand son mari a vu une offre d’emploi au Yukon et l’a encouragée à postuler.

Son école accueille environ 50 élèves du jardin d’enfants à la 10e année. Mme Yalowica passe la moitié de son temps à enseigner à la plus grande classe, composée de 10 élèves de la maternelle et du jardin d’enfants, et l’autre moitié à donner des cours de rattrapage en lecture. À Ross River, on suit le curriculum de la Colombie- Britannique, lequel accorde une grande place à la culture des Premières Nations.

«Nous accueillons les aînés dans notre école et les enfants participent à des activités telles que le récit oral et l’artisanat traditionnel, explique Mme Yalowica. Nous mettons aussi l’accent sur la préservation des langues autochtones et avons commencé à intégrer des motsclés dans chaque classe.»

Son contrat d’un an a été renouvelé pour une seconde année, et elle aimerait qu’il soit prolongé à plus long terme. Elle a appris que, dans une petite école, il faut jouer plusieurs rôles. Bien qu’aucun enseignant ne soit spécialisé, chacun d’eux contribue par son domaine d’expertise. «Nous mettons nos forces en commun», explique-t-elle.

Mme Yalowica applique à Ross River certaines des leçons qu’elle a apprises à Shanghai, où elle devait tenir compte des sensibilités d’élèves venant du monde entier. «Je suis devenue plus compréhensive. Même si le Yukon est au Canada, les façons de faire et de savoir des Premières Nations peuvent être très différentes. Je dois y être sensible et faire preuve de respect.»

L’importance d’être inclusif

Tim Gernstein, Taïwan et Chine
Tim Gernstein, Taïwan et Chine

Tim Gernstein, EAO, a enseigné en Ontario pendant presque toute sa carrière. Toutefois, les deux étés qu’il a passés à Taipei, à Taïwan, et à Pékin, en Chine, et son premier poste en enseignement dans le nord du Manitoba l’ont énormément marqué.

M. Gernstein enseigne à l’élémentaire (classe combinée de 4e-5e année) pour le York Region District School Board. De 2015 à 2017, il a participé au programme Summer Teach Abroad, lequel permet au personnel enseignant d’acquérir de l’expérience professionnelle dans une culture et un milieu pédagogique différents.

À Taïwan et en Chine, M. Gernstein était conscient d’être l’«autre». Ça lui a rappelé que n’importe quel élève peut se sentir ainsi en raison de ses origines, de champs d’intérêts ou de sa personnalité.

«Les gens peuvent se sentir isolés, dit-il. Je conçois mes activités de façon à ce qu’elles soient aussi inclusives que possible, avec de multiples points d’entrée. Tout le monde peut y participer, quelles que soient les aptitudes.»

Selon M. Gernstein, les élèves ont apprécié les méthodes pédagogiques des enseignants occidentaux. Il a passé la grande partie de sa carrière à enseigner aux élèves du cycle primaire, où il est naturel d’apprendre par le jeu. Le fait d’avoir enseigné à des élèves plus âgés à Taipei et à Pékin (certains étaient en 7e et en 8e année) lui a confirmé que tous les élèves prisent une approche imaginative de l’éducation. «Vous apprenez sans le réaliser parce que vous avez du plaisir!»

Son expérience à Granville Lake, au Manitoba, localité située à deux heures et demie de Thompson, s’est avérée encore plus mémorable. Il a accepté le poste à une période où il n’y a avait pas d’emploi dans la région de Toronto. M. Gernstein n’oubliera jamais l’«autobus» local, c’est-à-dire une motoneige qui tirait une douzaine d’enfants sur un traîneau, un parent au volant.

C’était l’isolement total : la communauté comptait environ 75 habitants et une école de 20 élèves. Il n’y avait pas grand-chose à faire et nulle part où aller. M. Gernstein a passé la plupart de son temps libre à lire et à écrire, ou à jouer au Scrabble avec sa collègue, une religieuse retraitée.

«Cette première expérience a marqué ma carrière, explique-t-il. J’ai dû faire preuve de souplesse. Je n’avais pas le luxe de sortir chercher mes fournitures. Il faut apprendre à utiliser ce qu’on a pour réaliser ses idées.» Cette leçon perdure.

Une approche holistique

Melissa Fernandes, Inde
Melissa Fernandes, Inde

Melissa Fernandes, EAO, travaille sans relâche. Elle enseigne les langues et la littérature aux élèves de 3e et de 4e année à la Good Shepherd International School, un pensionnat à Ooty, en Inde.

Mme Fernandes vit sur le campus. Après les heures de cours, les élèves jouent pendant qu’elle prépare leurs devoirs. Elle mange avec eux dans la salle à manger. Outre ses heures en salle de classe, elle donne des cours particuliers à cinq élèves, deux fois par semaine, et prépare des élèves à des concours d’élocution et de poésie. Sa journée typique commence à 8 h et se termine à 20 h, parfois même à 21 h 30.

Bien que son horaire soit extrêmement chargé, Mme Fernandes est reconnaissante de cette expérience unique pour un premier poste en enseignement.

Pendant 15 ans, elle a été chef de publicité d’agence, à Toronto. À différentes étapes de sa carrière, elle a fait du bénévolat en tant que mentor et au sein d’organismes liés à l’éducation, dont un qui venait en aide aux jeunes à risque. Quand elle a décidé de suivre une formation en enseignement, elle a fait un stage de trois semaines dans une école offrant un programme de baccalauréat international (BI) à Bangalore, en Inde. Mme Fernandes trouvait intéressante l’idée d’enseigner à l’étranger pour entamer sa seconde carrière.

Ooty est une ville de 88 000 habitants située au Tamil Nadu, un État du sud-est de l’Inde. Le marché est très animé, mais la zone entourant l’école est calme. Les terres à proximité servent à la culture maraîchère (carottes, choux) et pour les plantations de thé.

Malgré ses journées surchargées, Mme Fernandes dit qu’elle «apprend à être plus patiente et à prendre les choses comme elles viennent», ce qu’elle attribue en partie à la sérénité des environs et à la culture du sud de l’Inde.

Les divers aspects de son rôle lui ont aussi fait réaliser que l’enseignement n’était pas qu’une vocation et un engagement. «J’ai découvert le côté “service” de la profession, grâce aux tâches qui m’ont été assignées à l’école. Cette expérience m’a permis de contribuer de manière concrète à l’épanouissement personnel et à la réussite scolaire des élèves, ainsi qu’à mon propre développement professionnel.»

Compétences interculturelles

>Natalie Pitre, Chine
Natalie Pitre, Chine

Enfant, Natalie Pitre, EAO, n’a pas eu l’occasion de voyager. Elle a plus que compensé ce manque depuis.

Mme Pitre a enseigné au Japon, en Égypte, en Suisse et aux Émirats arabes unis. Son mari, Jason Palmer, EAO, a également enseigné aux Émirats arabes unis; c’était la première fois qu’ils travaillaient ensemble à l’étranger. Ils travaillent maintenant tous les deux à Shanghai pour le Dipont Education Management Group, une société chinoise de services éducatifs.

Au Canada, ils ont travaillé pour l’Upper Canada District School Board; Mme Pitre y a enseigné l’anglais langue seconde, tandis que M. Palmer y a occupé les postes d’enseignant, de chef de service, de directeur adjoint et de directeur d’école. (Il est actuellement en congé autorisé.) Après avoir obtenu son doctorat en leadership pédagogique (jardin d’enfants à 12e année) de l’Université de Calgary et le titre de professeure agrégée adjointe, Mme Pitre a enseigné à temps partiel à la Faculté d’éducation de l’Université Queen’s, où elle donne toujours des cours en ligne.

Dipont offre des programmes d’études internationaux et des programmes d’enrichissement éducatif aux élèves chinois, y compris les programmes Advanced Placement (AP), les examens de niveau avancé (A-Level) de Cambridge International Examinations et les programmes de BI.

Mme Pitre est directrice adjointe du programme de formation du personnel enseignant chinois. Elle dirige une équipe chargée de mettre au point une version améliorée du curriculum national chinois en anglais (1re à 6e année) pour deux nouveaux campus que Dipont ouvrira en septembre, où des programmes internationaux pour les expatriés seront offerts. Elle dirige également une équipe chargée de concevoir un programme de formation bilingue. M. Palmer est directeur d’études adjoint et supervise des centres offrant les programmes AP et BI à Beijing.

Pour Mme Pitre, le fait d’enseigner partout dans le monde a renforcé chez elle la valeur accordée au développment des compétences interculturelles. «Quel que soit l’endroit où je travaille, il est important de m’adapter à la culture et de bien comprendre les élèves afin de ressentir un sentiment d’appartenance à la communauté», explique-t-elle.

Son exposition à différents milieux l’a aidée à garder l’esprit ouvert. Partout où elle a enseigné, elle a constaté que «les élèves sont prêts à essayer de nouvelles façons d’apprendre si l’enseignant est disposé à apprendre d’eux. Que j’enseigne en Ontario ou ailleurs dans le monde, je suis d’abord et avant tout une apprenante.»

Accepter le changement

Richard Llanera, nord de l'ont
Richard Llanera, nord de l'Ont.

En 2015, après avoir enseigné pendant 12 ans aux Philippines, son pays natal, Richard Llanera, EAO, est venu vivre à Toronto pour commencer une nouvelle vie. Sa femme l’ayant précédé, il avait hâte d’obtenir son autorisation d’enseigner dans la province.

Deux ans plus tard, son certificat en poche, il n’a pas réussi à décrocher un poste en enseignement. Il a donc (beaucoup) élargi ses recherches et a obtenu un contrat d’un an pour enseigner la 7e et la 8e année à la Native Sena School, à North Caribou Lake, une communauté ontarienne située à 320 kilomètres au nord de Sioux Lookout.

M. Llanera devait entre autre participer à l’éducation de l’enfance en difficulté, domaine dans lequel il n’avait aucune formation. Il a donc suivi des cours en ligne pour se familiariser avec les divers besoins comportementaux et concevoir un plan d’enseignement individualisé.

Dans sa nouvelle terre d’adoption, M. Llanera était ouvert à toutes sortes d’expériences, de la viande d’orignal à la pêche blanche. Il jugeait important d’en apprendre sur la culture et de l’intégrer à son enseignement. Par exemple, le processus d’utilisation d’une foreuse mécanique pour faire un trou dans la glace peut servir de leçon de science très utile. «Il faut être créatif», dit-il.

Pour enseigner dans une communauté éloignée, il faut s’adapter, de dire M. Llanera. Il a dû s’habituer à enseigner à une classe combinée, être loin de sa famille et vivre dans une communauté bien différente de Toronto ou de Manille.

M. Llanera estime qu’il a renforcé ses compétences professionnelles au Canada, de même que sa capacité à s’adapter. Tout enseignant doit savoir prendre les choses comme elles viennent, dit-il.

«Chaque salle de classe vous amène différents élèves. Il faut les comprendre et s’adapter à eux.»

Régions éloignées

Quel est l’aspect le plus enrichissant ou l’avantage de travailler dans des endroits éloignés? Quatre autres enseignants se penchent sur la question.