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Enseignants remarquables

Photo d’Elaine «Lainey» Lui illuminée par les feux de la rampe.

La crème de la crème

Elaine «Lainey» Lui en a vu de toutes les couleurs pendant sa 7e année : nouvelle école, nouveaux enseignants, nouveaux amis, nouvelles mœurs. Alors qu’elle tentait de s’intégrer, elle a adopté plusieurs personnalités, certaines plus louables que d’autres.

De Bill Harris
Photos : Mike Ford

«J’ai tout d’abord été la «nouvelle», une fille timide et maladroite, puis je suis devenue populaire et plutôt insolente, se rappelle Mme Lui, aujourd’hui personnalité bien connue de la télévision, blogueuse professionnelle et auteure. Je suis passée par toute une gamme d’identités, et Mme Grimsley a été mon enseignante d’anglais pendant cette période de ma vie.»

Caryl Grimsley s’est avérée une figure stable dans la vie de la jeune Elaine à la Toronto French School (TFS). Et même si les deux femmes ne se sont jamais parlé depuis, Mme Lui dit qu’encore aujourd’hui, elle est marquée par les souvenirs qu’elle a gardés d’elle.

«Ces propos me touchent beaucoup, confie Mme Grimsley, qui enseigne toujours à la TFS (l’école se nomme maintenant TFS – L’école internationale du Canada). Je pense que les enseignants ne réalisent pas l’effet qu’ils peuvent laisser sur leurs élèves. Même si l’on ne marque qu’une seule personne, c’est considérable, n’est-ce pas?»

On connaît surtout Mme Lui pour son site web de divertissement (laineygossip.com), mais aussi en tant qu’auteure, coanimatrice de l’émission The Social, diffusée en journée à CTV, et collaboratrice et journaliste de longue date d’etalk, l’émission de variétés diffusée en soirée sur la même chaîne. Quand Mme Lui se rappelle des difficultés qu’elle a vécues en 7e année, elle s’attend à ce que de nombreuses familles immigrantes au Canada reconnaîtront son parcours.

Ses parents sont arrivés de Hong Kong, et son père a arrêté son choix sur la TFS, même s’il a dû cumuler trois emplois pour payer les droits de scolarité.

Après avoir réussi l’examen d’admission (Mme Grimsley se rappelle à quel point cet examen était difficile), la jeune Elaine s’est retrouvée dans une classe formée d’élèves qui se connaissaient depuis plusieurs années. C’était un monde intimidant sur plusieurs plans. Elle raconte en riant qu’un élève arrivait chaque jour à l’école dans une Ferrari jaune et qu’elle, pour sa part, incitait son père à la déposer un coin de rue plus loin, dans sa Ford Fiesta orange.

Mme Lui admet qu’elle n’est pas une de ces personnes qui se souviennent des détails de leur scolarité. Mais Mme Grimsley est l’enseignante dont elle se souvient clairement.

Étant donné l’importance que les communications jouent dans la carrière de Mme Lui, il est logique qu’en tant qu’élève, elle ait noué des liens naturels avec une enseignante d’anglais. Outre ce fait, elle décrit Mme Grimsley comme une personne «cinématogénique » parce qu’elle lui semblait sortie tout droit d’un film.

«C’était une femme mince, qui affectionnait les vestes et les hauts à col montant. Elle portait toujours sa jupe sous le genou, et des chaussures confortables. Si l’on ferme les yeux pour imaginer l’enseignante d’anglais classique, c’est elle que l’on voit, soutient Mme Lui. Et même son nom : Mme Grimsley. Dans un livre pour enfants ou pour adolescents, le personnage d’une enseignante d’anglais qui peut parfois être dure mais qui donne des leçons de vie se nommerait, à coup sûr, Mme Grimsley. Je pense qu’un jour j’utiliserai son nom dans une émission de télé!»

Mme Lui se rappelle la présentation de Mme Grimsley sur Shakespeare et le vaste univers de la littérature et de la poésie anglaises : même sa façon de s’exprimer était mémorable. L’élève rapprochait le langage soutenu de son enseignante à celui de la reine Elizabeth II. Aux oreilles de la jeune Elaine, elle recevait la plus pure éducation en anglais qui soit, de la personne qui, à ses yeux, était la crème de la crème. Mme Grimsley lui semblait royale. C’est pourquoi elle lui a toujours imaginé des origines britanniques, sans jamais en être certaine.

Cela fait rire Mme Grimsley : «Oui et non. Mon père était écossais et ma mère anglaise. On a donc vécu un peu en Angleterre, puis en Inde avant de revenir en Écosse. Donc oui, je viens de la Grande-Bretagne, absolument.»

Après le secondaire au Marr College à Troon, en Écosse, Mme Grimsley a posé sa candidature à ce qu’on appelait localement l’Athenaeum, à Glasgow, pour étudier la musique. Elle était pianiste (interprète de musique classique et accompagnatrice) et aussi chanteuse dans un trio sur la côte sud-ouest de l’Écosse. Comme le dépôt tardif de sa demande d’admission l’a forcée à attendre une année de plus, elle s’est dirigée ailleurs, croyant revenir à la musique plus tard.

Mme Grimsley a obtenu un diplôme en enseignement du Jordanhill College of Education, qui faisait partie de l’Université de Glasgow. Elle a ensuite commencé sa carrière à la Newton Park Secondary School, à Ayr, dans une classe combinée de 6e et de 7e année, où elle a enseigné toutes les matières : anglais, éducation religieuse, mathématiques, géographie et histoire.

Pourtant, elle n’était pas prête à s’établir; voyageuse invétérée, elle a fini par déposer ses valises à Toronto où elle a eu plusieurs emplois avant de décrocher un poste en enseignement de deux ans en 5e, 6e et 7e année à la Cottingham Junior Public School du Toronto District School Board.

Photo d’Elaine «Lainey» Lui assise en compagnie de son enseignante Caryl Grimsley dans les fauteuils d’un théâtre.
Caryl Grimsley retrouve son élève de 7e année, Elaine «Lainey» Lui, à qui elle a enseigné l’anglais.

Mais ses ambitieux projets de voyage l’ont forcée à démissionner. Après avoir roulé sa bosse pendant encore de nombreux kilomètres, elle est revenue à Toronto pour une raison bien spéciale. «J’avais rencontré un homme qui m’a demandé de revenir à Toronto et de l’épouser, raconte Mme Grimsley, le sourire aux lèvres.»

À son retour à Toronto, elle a postulé à la TFS. «Le fondateur de l’école, Harry Giles, m’a accordé une entrevue et j’ai obtenu un poste, se rappelle Mme Grimsley. J’y travaille depuis.» D’abord enseignante de la 2e à la 4e année, Mme Grimsley a aujourd’hui enseigné à tous les niveaux, de la 2e année au niveau V (un équivalent de la 13e année). Son champ d’intérêt principal demeure l’anglais et la littérature, mais elle a également enseigné l’athlétisme et l’art oratoire, en plus de diriger des chorales. Elle a été directrice adjointe de la Junior School pendant quelques années avant de se joindre à la Senior School. Elle est actuellement responsable du concours national Les voix de la poésie.

Mme Grimsley reconnaît que bien des choses ont changé en éducation au fil des ans, comme la technologie, les pressions sociales et les exigences du Ministère. Quand on lui demande si elle a un conseil à donner aux nouveaux enseignants, elle répond qu’il est important d’être ouvert au changement, mais qu’il faut quand même inculquer certaines habitudes aux élèves, dont la politesse et le respect.

«Il est important d’être ouvert au changement, mais il faut inculquer certaines habitudes à ses élèves, dont la politesse et le respect.»

Mme Lui se rappelle clairement un jour qu’elle n’avait pas suivi les règles de Mme Grimsley. C’était pendant une répétition du spectacle des Fêtes. Elle s’était récemment liée d’amitié avec l’une des filles les plus populaires de la classe. Elle admet qu’elle était condescendante, disait des âneries, ricanait, levait les yeux au ciel et ne chantait pas avec les autres.

«Mme Grimsley m’a alors prise à l’écart, raconte Mme Lui. Elle m’a dit quelque chose comme «Même si tu crois que ton attitude est cool, elle ne l’est pas du tout. Tu ne respectes pas tes camarades de classe, et ça ne m’impressionne pas».

Même aujourd’hui, le simple fait de raconter cet incident lui rappelle très nettement ce qu’elle avait ressenti ce jour-là. «Je savais qu’elle avait raison», confirme Mme Lui.

Mme Grimsley ne se souvient pas précisément de cet incident, mais cela lui dit quelque chose. «Je le dirais encore aujourd’hui, confie-t-elle. Le savoir-vivre est très important à mes yeux.»

Mme Lui ne prétend pas être devenue parfaite après le spectacle des Fêtes, mais à la fin de sa 7e année, elle se rappelle avoir reçu plusieurs distinctions scolaires dont son père avait été très fier.

«Elle a honoré les efforts de son père, n’est-ce pas merveilleux?», mentionne l’enseignante.

Quand on lui demande quel message «Il est important d’être ouvert au changement, mais il faut inculquer certaines habitudes à ses élèves, dont la politesse et le respect.»elle souhaite envoyer à Mme Grimsley après toutes ces années, Mme Lui répond : «Je lui dirais simplement merci. Je ne peux rien trouver de mieux. Alors oui, je lui dirais merci.»

L’enseignante est visiblement touchée lorsqu’on lui rapporte les paroles de Mme Lui.

«Remerciez-la pour moi, dit doucement Mme Grimsley. Ça me fait tellement chaud au cœur.»

Cette rubrique met en vedette des personnalités canadiennes qui rendent hommage aux enseignantes et enseignants qui ont marqué leur vie en incarnant les normes de déontologie de la profession enseignante (empathie, respect, confiance et intégrité).