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La conduite après le travail

Avoir un sens du professionnalisme en tout temps est le meilleur moyen de s’assurer de la confiance renouvelée en la profession enseignante.

De Stuart Foxman

Le devoir d’un enseignant s’arrête-t-il vraiment à la sortie de l’école? Pas totalement.

Prenons l’exemple d’un enseignant agréé de l’Ontario actif sur les médias sociaux, qui publie un billet de blogue contenant des propos discriminatoires. Sur son site web, il utilise aussi un langage homophobe (ou renvoie à des sites qui tiennent de tels propos), par exemple en qualifiant la communauté LGBT de «nouvel ordre social immoral». De plus, cet enseignant a fait des remarques déplacées à une élève, lui disant que les homosexuels nuisent à la société.

À l’Ordre, un sous-comité du comité de discipline a reconnu cet enseignant coupable de faute professionnelle, et son certificat de qualification et d’inscription a été suspendu pendant un mois. De plus, cet enseignant a dû suivre un cours sur le maintien de limites adéquates.

Les fautes professionnelles ne se produisent pas seulement en classe, dans l’école, au conseil scolaire ou dans tout autre lieu où les enseignants travaillent, et c’est parce que la façon dont on perçoit les enseignants et la profession enseignante traverse les murs de l’école et dépasse les activités scolaires et les heures de travail.

«Les enseignants sont des exemples à suivre dans une collectivité, explique Nadine Carpenter, chef des Plaintes et audiences de l’Ordre. Le rôle qu’ils jouent auprès des élèves est prépondérant. Il est essentiel pour eux de respecter des normes élevées en tout temps.»

Faire partie d’une profession tenue en si haute estime constitue un privilège. L’envers de ce privilège, c’est l’obligation de rester à la hauteur.

«La façon dont on perçoit les enseignants et la profession enseignante traverse les murs de l’école et dépasse les activités scolaires et les heures de travail.»

Un rôle particulier

Comme tout le monde, les enseignants ont une vie privée, bien que leur profession soit publique. Cela veut dire qu’ils doivent être conscients de la possibilité que leurs comportements soient examinés.

Ce volet de la profession ne fait pas seulement partie du mandat de l’Ordre, mais c’est une idée qui a des précédents judiciaires. Dans trois arrêts de 1996 et de 1997 (Ross c. Conseil scolaire du district no 15 du Nouveau-Brunswick, R. c. Audet et Conseil de l’éducation de Toronto [Cité] c. FEEESO, district 15), la Cour suprême du Canada a reconnu que la conduite après le travail des enseignants, même lorsqu’elle n’est pas directement liée aux élèves, est pertinente à leur aptitude à enseigner.

Si d’autres professions réglementées ont également certaines attentes en matière de professionnalisme, la profession enseignante est perçue comme étant particulièrement importante dans la société. Pourquoi est-ce si différent pour les enseignants? La Cour suprême a souligné le rôle particulier de responsabilité et d’influence qu’ils jouent. Ce rôle est indissociable de grandes attentes. Et le fait de ne pas répondre à ces attentes peut causer des dommages considérables.

«La conduite après le travail porte à conséquence lorsqu’elle ébranle la confiance du public envers un enseignant ou pour la profession en général, soutient Mme Carpenter. Si vous êtes en état d’ébriété la fin de semaine, qu’une bataille s’ensuit et que la police intervient, cela risque d’inquiéter un parent qui vous a confié son enfant. Quand une conduite entache la confiance de la collectivité envers les enseignants qui portent la responsabilité d’élèves, cette conduite peut devenir un cas de faute professionnelle.»

Le Règlement de l’Ordre sur la faute professionnelle reflète les attentes élevées envers les enseignantes et les enseignants. Il contient des clauses mentionnant des comportements précis qui constituent une faute, comme infliger de mauvais traitements à un élève (de plusieurs ordres), ne pas surveiller adéquatement, falsifier des dossiers et exercer la profession dans une situation de conflit d’intérêts.

Cependant, comme le fait remarquer Mme Carpenter, le Règlement contient aussi plusieurs clauses omnibus, qui réfèrent plus généralement au «défaut de respecter les normes de la profession », à un acte «que les membres pourraient raisonnablement juger honteux, déshonorant ou contraire aux devoirs de la profession» et simplement à toute «conduite qui ne sied pas au statut de membre». Le Règlement est rédigé pour couvrir toute une gamme de situations potentielles, pendant et après le travail.

Conscience permanente

Qu’est-ce qui définit une telle inconduite? Les bonnes et les mauvaises conduites ne se résument pas à une simple liste de choses à encourager ou à proscrire. La conduite professionnelle constitue plutôt une responsabilité : en tant que membres d’une profession publique, les enseignants doivent prendre conscience de leur façon d’agir.

Des questions de discipline touchent assurément les enseignants et les élèves à l’extérieur de la classe. Communiquer de façon inappropriée sur les médias sociaux, se conduire de façon déplacée lors d’une sortie et acheter à un élève des articles qu’il a volés en sont des exemples.

Les cas véritables peuvent paraître plus problématiques. La faute professionnelle semble plus évidente, liée à des interactions avec les élèves. Pourtant, les comportements après le travail pour lesquels les membres ont été reconnus coupables de faute professionnelle n’ont pas impliqué des élèves ou même l’école.

Dans une affaire entendue par le comité de discipline de l’Ordre, un membre a fait des avances physiques non désirées à un collègue, y compris durant une sortie sociale en voiture. Le membre était alors en état d’intoxication. Il a reçu une réprimande, son certificat a été suspendu pendant trois mois, et il a dû suivre un cours sur les interactions professionnelles et sur la transgression des limites. Cette conduite se classe dans la catégorie des clauses omnibus mentionnées précédemment.

«Même si ces situations à l’extérieur du travail ne se concluent pas par une faute professionnelle, il faut tout de même aborder les inquiétudes au sein de la communauté scolaire et les répercussions qui y sont liées.»

Autre cas de discipline touchant la conduite après le travail : un membre a été reconnu coupable de voies de fait contre une personne avec laquelle il entretenait une relation personnelle. Le sous-comité du comité de discipline a avancé que ce membre n’avait pas adopté un comportement approprié, qu’il avait sapé la confiance du public envers les enseignants et entaché la réputation de la profession.

Dans une troisième affaire, une enseignante a été arrêtée et accusée de s’être servie d’une carte bancaire sans le consentement de la personne en question. En deux mois, elle avait retiré 1 140 $ de ce compte. Après avoir plaidé coupable à des accusations criminelles reliées à l’incident, l’enseignante fautive a reçu une libération conditionnelle et une période de probation, et l’accusation de fraude a été retirée. Pendant le processus de discipline de l’Ordre, l’enseignante a soutenu que l’incident se situait à la limite inférieure de gravité des fautes professionnelles et qu’il ne touchait les élèves d’aucune façon. Le comité de discipline a déclaré que cette conduite malhonnête justifiait une réprimande et une obligation de suivre un cours sur l’éthique. Le comité a souhaité que la sanction et la publication du nom du membre produisent «un effet dissuasif général sur les membres de la profession en leur rappelant qu’un tel comportement n’est pas toléré».

Certains diront que les répercussions négatives sur le professionnalisme et la profession sont plus claires lors d’incidents comme celui-là, car ils comprennent un comportement criminel. Une inconduite après le travail n’a pas besoin d’être aussi grave pour être portée à l’attention de l’Ordre. Les zones grises sont nombreuses, ce qui rend le fait d’agir prudemment encore plus important.

Qu’arriverait-il si, par exemple, vous publiiez sur les médias sociaux (même avec des paramètres de confidentialité optimaux) des commentaires désobligeants sur les élèves ou votre école? Et si vous sortiez en public, que vous buviez trop d’alcool et que votre comportement devenait déplacé et perçu comme étant malvenu? Et si les photos risquées que vous avez prises, prévues pour une utilisation privée, étaient rendues publiques?

Cela ne signifie pas que des mesures disciplinaires s’ensuivront forcément. Toutefois, même si ces situations à l’extérieur du travail ne se concluent pas par une faute professionnelle, il faut tout de même aborder les inquiétudes au sein de la communauté scolaire et les répercussions qui y sont liées. Autrement, vous risquez que l’on ait une perception amoindrie de votre professionnalisme.

Une autre affaire qui a aussi souligné la responsabilité et le devoir auxquels sont tenus les enseignants a attiré une certaine attention parce qu’elle portait sur la liberté d’expression.

La conduite du membre dans la salle classe et ses compétences en enseignement n’étaient pas en cause. Pour certains, cela a même ajouté à la complexité de l’affaire. Entre autres choses, le membre a mis sur pied des organisations prônant que le multiculturalisme est dommageable pour notre société, a participé à des activités organisées par un groupe militant pour la suprématie blanche, a pris la parole lors d’activités réunissant des suprémacistes blancs et s’est présenté à une fête soulignant l’anniversaire d’Adolf Hitler.

Cette affaire fut un test important pour l’Ordre. La liberté d’expression l’emporte-t-elle sur tout? Cela importe-t-il si l’enseignant en question n’étale pas ses opinions (même odieuses) devant ses élèves?

Dans cette décision, le comité de discipline a affirmé que le membre avait le droit de dire ce qu’il voulait, à condition que ces propos demeurent dans les limites prévues par la loi. Le sous-comité a toutefois énoncé que la tenue de ces propos ne lui accordait pas nécessairement le droit d’enseigner.

«Commenter l’immigration et le système des réfugiés au Canada est une chose, a avancé le sous-comité. Mais quand ces commentaires sont formulés lors d’une activité réunissant des racistes et des suprémacistes blancs et qu’il est clair que vous avez la même opinion qu’eux, le message que vous envoyez est très différent.»

Le cas n’est pas de savoir si le membre a le droit d’avoir des opinions politiques peu populaires et de participer à des activités politiques légales, peut-on lire dans la décision. Il s’agit plutôt de savoir si un enseignant qui exprime publiquement des opinions contraires aux valeurs de la profession et du système d’éducation, et qui ont des répercussions négatives sur le système d’éducation, a le droit d’être membre de l’Ordre.

Sans balises claires

En matière de conduite en dehors des heures de travail, il serait plus facile de suivre des balises claires sur ce qui est acceptable, sur ce qui dépasse les limites et sur ce qui fait partie du vaste espace entre les deux. Or, il n’existe pas de liste exhaustive de ce qui est permis, et chaque affaire doit se fonder sur ses circonstances propres. Alors, que doivent faire les enseignants?

Ils doivent principalement prendre le temps de s’arrêter et de réfléchir. Considérer les clauses du Règlement sur la faute professionnelle et la façon dont les termes «honteux», «déshonorant » ou «contraire aux devoirs de la profession» peuvent s’appliquer.

En tout temps, que ce soit au travail ou dans la vie privée, vous comportez-vous comme une personne professionnelle? Est-ce que votre comportement pourrait ternir votre image, celle de la profession ou celle de votre école? Publiez-vous un commentaire ou une photo en ligne que vous seriez mal à l’aise de présenter en classe? Vos collègues ou vos supérieurs considèreraient-ils vos actions professionnelles ou honorables? Et quelle serait l’opinion de la collectivité?

«L’Ordre encourage la réflexion chez les enseignants en ce qui concerne leur conduite», résume Mme Carpenter.

Une telle introspection et un jugement éclairé sont incontournables. Certes, vous n’êtes pas toujours au travail, mais quand il est question d’attentes professionnelles, vous êtes un enseignant en tout temps.

Recommandation professionnelle

L’Ordre des enseignantes et des enseignants de l’Ontario fournit des conseils à ses membres en publiant des recommandations professionnelles. Consultez ces recommandations et plus encore à oct-oeeo.ca/recommandations.