Partagez cette page 

Enseignants remarquables

Photo de l'animateur de télévision et designer Steven Sabados assis sur un tabouret dans un studio avec, à l'arrière-plan, quelques œuvres peintes..

L'art du succès

Aujourd’hui animateur de télévision, designer et auteur, Steven Sabados se souvient de Mme Wallace, l’enseignante qui a su stimuler son esprit créatif et qui lui a montré que la passion artistique peut mener à une belle carrière.

De Bill Harris
Photos : KC Armstrong

Dans la famille de Steven Sabados, on valorisait la créativité. Or, si ses parents encourageaient les élans d’imagination de leur fils (toujours en train de fabriquer ou de peindre quelque chose), l’expression artistique n’était pas à leurs yeux un choix de carrière viable.

«Ma mère aurait voulu faire de moi un électricien, se rappelle M. Sabados. J’ai suivi des cours tout au long du secondaire – d’ailleurs, je pourrais refaire le circuit électrique du chalet, et c’est une bonne chose! Ma mère n’arrêtait pas de me dire : “Tu as besoin d’un métier!”»

Malgré son talent naturel pour le câblage, M. Sabados s’est plutôt orienté vers les arts, en grande partie grâce à Glenda Tennyson (connue alors sous le nom de Glenda Wallace), son enseignante d’art de la 9e à la 12e année à l’A.N. Myer Secondary School, à Niagara Falls, en Ontario.

Près de 40 ans plus tard, M. Sabados s’adonne toujours à la peinture, mais on le reconnaît surtout pour ses talents de décorateur très en vue et pour ses nombreuses émissions à succès telles que Designer Guys, Design Rivals, Steven and Chris et The Goods. Or, avant d’entrer dans la salle de classe de Mme Tennyson, M. Sabados ne connaissait rien des débouchés qu’offrait le monde artistique.

Férue des beaux-arts, Mme Tennyson explique qu’elle avait à la fois le grand plaisir et le mandat de faire découvrir à ses élèves autant de formes d’expression artistique que possible. «J’essayais de leur ouvrir les yeux. Je leur disais toujours que, quel que soit leur choix de carrière, ils allaient devoir s’investir pleinement et en faire une passion. Réussir dans les arts, c’est possible, mais il faut se donner à fond.»

M. Sabados a mis du temps à dessiner son parcours professionnel ou même à pouvoir l’imaginer. De son propre aveu «extrêmement solitaire» et en marge au secondaire, M. Sabados trouve toutefois sa place dans la salle d’arts, qui deviendra son second chez soi. Avec l’aide de Mme Tennyson, il repousse continuellement les limites de sa créativité.

«Je me souviens d’elle comme d’une enseignante cool et un peu bohème, qui portait des jupes fluides et une tonne de bijoux, dit-il. Elle avait la tête de l’emploi.»

Aujourd’hui retraitée à Vancouver, Mme Tennyson s’esclaffe en entendant cette description : «Merveilleux! Il faut que je dise ça à mon fils. Steven se réjouira d’apprendre que je n’ai pas changé; dans la maison de retraite où je vis, on ne sait trop quoi penser de moi!»

À l’école, M. Sabados n’avait pas le loisir de puiser son inspiration dans YouTube; il lui fallait faire les choses à tâtons. Or, lorsqu’une idée lui venait à l’esprit, Mme Tennyson était là pour l’encourager à foncer, à ajouter sa touche personnelle, puis à voir grand.

M. Sabados se remémore notamment le jour où lui vint l’idée de faire un corset de plâtre. Mme Tennyson, fidèle à elle-même, l’encouragea à revenir après les cours pour tenter le coup. Il ne lui resta plus qu’à convaincre un copain de se sacrifier pour la cause. Tout allait bien jusqu’à ce que le moule du torse, trop épais, durcisse. Il fallut à M. Sabados plusieurs heures pour libérer son malheureux cobaye.

Photo de Glenda Tennyson (Wallace), qui a enseigné les arts à Steven Sabados à l’A.N. Myer Secondary School.
Photo de l’ancienne enseignante d’art de Steven Sabados, Glenda Tennyson (Wallace) à l’A.N. Myer Secondary School, prise cet été à Vancouver.

«L’autre élève était vraiment bon joueur, mais je ne pouvais m’arrêter de rire, se rappelle-t-il. Je ne voulais certainement pas que ce projet se termine par une visite aux urgences.»

«Loin d’être une réussite, mon corset se retrouva néanmoins pendant un bon moment exposé au sein d’une installation réalisée dans le foyer de l’école. J’avais quand même acquis une certaine notoriété, à l’époque.»

Sans nécessairement se douter que M. Sabados allait connaître autant de succès, Mme Tennyson avait tout de même flairé le potentiel de son élève et suivi son cheminement, du programme des beaux-arts au Fanshawe College à sa carrière de designer et d’animateur vedette à la télé.

Si elle convient que M. Sabados était plutôt solitaire, Mme Tennyson se rappelle néanmoins un élève qui, en plus d’être doué pour les arts, pouvait aisément tisser des liens. En fait, elle avait l’habitude de le faire travailler avec un autre élève qui, parce qu’il avait du mal à se concentrer, nuisait au bon déroulement de la classe, car elle savait pertinemment que la gentillesse et l’empathie de M. Sabados auraient un effet salutaire sur lui.

«J’avais parfois l’impression d’être davantage psychologue qu’enseignante, affirme Mme Tennyson. Or, dans une salle d’arts, on a le loisir de parler à tous les élèves parce qu’ils ne sont pas assis sagement en train de faire des maths. Il est important de faire de la salle de classe un endroit accueillant, où les élèves peuvent libérer leur créativité.»

Née au Brésil de parents canadiens (son père était ingénieur électrique à Rio de Janeiro), Mme Tennyson est issue d’un milieu qui, dès son plus jeune âge, a nourri son amour de l’art et l’a encouragée à s’ouvrir sur le monde.

Atteinte de polio, Mme Tennyson dut subir neuf opérations qui la forcèrent à s’absenter de l’école pendant de longues périodes. Pour lui permettre de se rattraper, ses parents l’inscrivirent à Branksome Hall, un pensionnat à Toronto.

Après un bref passage au Stephens College dans le Missouri, Mme Tennyson passe à l’Université de Syracuse, dans le nord de l’État de New York, où elle décroche un baccalauréat en beaux-arts avec spécialisation en design. «À l’époque, les universités canadiennes exigeaient des cours d’histoire de l’art. Or, ce qui m’intéressait, c’était le design et la pratique.»

À son retour des États-Unis, Mme Tennyson s’installe chez ses parents à Toronto où ils venaient de redéménager, et elle suit un programme de formation à l’enseignement. Elle enseigne la 3e année à la Frankland Community School, puis les arts aux élèves de 7e et de 8e année à la Hodgson Middle School, deux écoles du Toronto District School Board. Elle travaille également à titre de guide touristique au Toronto Board of Education Centre, alors fraîchement inauguré, où elle présente les installations artistiques.

«Sa salle de classe était pour moi un refuge, un endroit paisible où je pouvais me montrer sous mon vrai jour comme nulle part ailleurs.»

Elle se marie en 1962 et déménage à Welland où elle devient consultante pour les écoles publiques du District School Board of Niagara, un boulot qu’elle adore parce qu’il lui permet d’enseigner la pédagogie de l’art à ses pairs. Or, elle doit démissionner subitement pour une raison typique de l’époque : «En avril 1965, j’ai dû laisser mon poste – non pas prendre un congé, mais démissionner – parce que j’étais enceinte de quatre mois, et ce, même si j’étais mariée, se rappelle-t-elle. Les choses ont bien changé.»

Elle demeure mère au foyer pendant une dizaine d’années avant de reprendre le collier. En 1976, elle devient chef du Département d’arts visuels de l’A.N. Myer Secondary School. «J’y ai enseigné jusqu’en 1990, quand j’ai dû partir pour des raisons de santé, dit-elle. J’adorais enseigner, et ça me manque encore.»

Lorsqu’on a demandé à M. Sabados s’il aimerait transmettre un message à Mme Tennyson – ou plutôt Mme Wallace, comme il la connaissait à l’époque –, il a répondu : «D’abord et avant tout, je tiens à la remercier de son appui. Sans elle et le programme qu’elle dirigeait, je n’aurais sans doute jamais été exposé à autant de facettes de la création artistique.

«Sa salle de classe était pour moi un refuge, un endroit paisible où je pouvais me montrer sous mon vrai jour comme nulle part ailleurs. Je lui suis très reconnaissant d’avoir vu en moi quelque chose qui l’encouragea à me prendre sous son aile et, du coup, à favoriser mon épanouissement.»

Mme Tennyson se dit touchée par ces paroles : «Vous allez me faire pleurer, dit-elle. Mon Dieu, c’est tellement gentil de sa part!»

«J’ai suivi le parcours de Steven, et je suis flattée par cette marque de reconnaissance. C’est un homme formidable et, s’il vient à Vancouver, je serais ravie de le revoir. Passez-lui le message!»

Cette rubrique met en vedette des personnalités canadiennes qui rendent hommage aux enseignantes et enseignants qui ont marqué leur vie en incarnant les normes de déontologie de la profession enseignante (empathie, respect, confiance et intégrité).