Miser sur l’apprentissage authentique pour doter les élèves de compétences pratiques.
De James Pedrech, EAO
Illustrations : Maguma/Illustration Web
Dans un cours d’histoire de 11e année d’une école secondaire rurale du sud-ouest de l’Ontario, un projet sur la Rome antique ne ressemble guère à un exercice scolaire typique.
À la Holy Cross Catholic Secondary School, à Strathroy, en Ontario, les élèves utilisent une imprimante 3D pour concevoir et assembler des répliques en plastique de constructions romaines notables. Chaque réplique est munie d’un code à barres qui permet de relier un utilisateur de téléphone cellulaire à un fichier audio où l’on entend un élève décrire l’importance de chaque structure. Les élèves placent ensuite les répliques sur un plan de ville interactif, mesurant trois mètres carrés et représentant la cité antique, qu’ils ont créé avec un rideau de douche à même le sol.
Dans une salle de classe traditionnelle, le projet n’aurait eu comme auditoire que l’enseignant d’histoire James Pedrech, EAO, et ses élèves. Mais puisqu’il tient dans un coffre portable – du genre coffre au trésor –, le projet devient une sorte d’exposition itinérante qui aura une portée plus large, car elle s’arrêtera dans d’autres écoles du London District Catholic School Board et peut-être même ailleurs dans le monde. Le projet de la Holy Cross correspond parfaitement à la définition de l’«apprentissage authentique», une approche pédagogique qui gagne en popularité auprès des enseignantes et enseignants de l’Ontario. Dans les salles de classe où l’on pratique l’apprentissage authentique, les enseignants encouragent leurs élèves à explorer le curriculum en faisant preuve de curiosité et d’imagination, et à communiquer avec des élèves d’autres écoles.
Les inquiétudes concernant le désengagement croissant d’élèves ayant grandi à l’ère du numérique, sans pour autant être cyberfutés, expliquent en partie l’intérêt des pédagogues pour l’apprentissage authentique.
«Le curriculum est plus efficace quand il se rattache à quelque chose de réel, de pertinent et de significatif», dit un pionnier de l’apprentissage authentique, Steven Revington, enseignant à la retraite et consultant.
Les élèves qui participent à des activités mémorables en classe et qui établissent des liens avec le monde réel acquièrent «des compétences durables qu’ils pourront développer et appliquer [plus tard]. C’est ça la véritable définition de l’apprentissage continu», dit-il.
M. Pedrech, qui est chef de la section d’anglais et d’études canadiennes et mondiales à la Holy Cross, s’est intéressé à l’apprentissage authentique il y a plusieurs années, souvent en mettant à profit la technologie. L’an dernier, il a obtenu une subvention pour acheter une imprimante 3D dans le cadre de son projet de classe sur la reconstruction de Rome, élément phare d’un cours d’histoire facultatif de 11e année (cours offert à tous les élèves de 11e et de 12e année). Comme dans toutes les classes, les élèves doivent répondre aux attentes du programme, mais M. Pedrech leur permet de choisir le rôle qu’ils veulent jouer dans ce projet en particulier. Par exemple, un élève qui avait des difficultés en lecture et en écriture s’est rapidement porté volontaire pour les activités de construction, une expérience qui a renforcé sa confiance en lui en tant qu’apprenant. «Une fois que tout le monde a bien compris l’objectif du projet, tous les groupes y ont mis du leur», fait remarquer M. Pedrech.
Alec, élève de 12e année, tient son téléphone à bout de bras pour qu’on puisse écouter sa description orale du Panthéon, laquelle dure une minute. «Ça me fait penser davantage à ce que je fais, et je travaille plus fort pour m’assurer que c’est bien fait», dit-il, sachant que sa contribution dépassera les frontières de l’école.
Enseignante depuis 16 ans, Rebecca Chambers, EAO, qui enseigne de la 9e à la 12e année à la John McCrae Secondary School de l’Ottawa-Carleton District School Board, à Nepean, en Ontario, explique que son intérêt pour l’apprentissage authentique s’est accru au cours des trois dernières années, quand elle a commencé à observer que des élèves de tous les niveaux d’habileté réagissaient en prenant en charge leur propre travail.
L’automne dernier, dans le cadre d’un cours de 11e année d’introduction à l’anthropologie, à la psychologie et à la sociologie, elle a encouragé ses élèves à entreprendre un «projet de passion», c’est-à-dire un sujet de leur choix lié aux objectifs du cours.
Ashley, 16 ans, a choisi l’autisme parce que son frère aîné présente des traits du spectre autistique. En équipe avec deux de ses camarades, elle a utilisé des outils de recherche conventionnels et a fait part de ses découvertes sur l’autisme et le comportement humain à ses pairs à l’école par l’entremise des médias sociaux.
Mme Chambers a ensuite incité l’équipe d’Ashley à informer la communauté. C’est ainsi que les trois élèves ont communiqué avec Children at Risk, à Ottawa, un organisme de bienfaisance qui aide les familles de personnes autistes, afin d’organiser une course à pied de cinq kilomètres pour recueillir des fonds. L’automne dernier, ils ont géré tous les aspects de l’évènement qui a rapporté 2 000 $ pour l’organisme.
«J’ai trouvé ça super, s’exclame Brenda Reisch, directrice générale de Children at Risk, appréciatrice d’un programme d’études qui enseigne aux élèves du secondaire la valeur des organismes de bienfaisance. Le milieu scolaire et les classes peuvent être quelque peu déconnectés du monde réel et de la communauté, et c’était une bonne façon d’établir ce lien.»
L’engagement communautaire est un élément essentiel de l’apprentissage authentique qui permet aux élèves de se connecter au monde réel. «Leur travail a un but et un public cible, précise Garfield Gini-Newman, professeur de curriculum, d’enseignement et d’apprentissage à l’Institut d’études pédagogiques de l’Ontario de l’Université de Toronto. L’apprentissage a une valeur qui va au-delà du bulletin scolaire.»
Pour Julie Cyr, EAO, enseignante de la 9e à la 12e année à l’école secondaire Cité-Supérieure du Conseil scolaire public du Grand Nord de l’Ontario, la participation de la communauté dans l’apprentissage est essentielle.
Depuis presque 20 ans, Mme Cyr enseigne à Cité-Supérieure, une école de langue française de 18 élèves située à Marathon, en Ontario. Il y a deux ans, elle a essayé une nouvelle approche pour éveiller l’intérêt des élèves en organisant, pour devoir principal, une compétition culinaire en équipe dans son cours d’alimentation et de nutrition de 9e-10e année. Chaque équipe avait pour mission de préparer un repas à trois plats pour montrer leurs connaissances du programme-cadre. Elle a même recruté des dégustateurs dans la communauté pour juger les plats.
Le fait de devoir présenter devant un auditoire «pousse vraiment les élèves, et je crois qu’ils se surprennent», poursuit-elle.
Selon Marc Gauthier, EAO, directeur de l’éducation du Conseil scolaire public du Grand Nord de l’Ontario, la pratique de l’enseignement efficace est au cœur de l’apprentissage authentique : «Vous devez prendre les élèves où ils sont et les amener à se dépasser. Pour qu’ils retiennent ce qu’ils apprennent, il faut que ça signifie quelque chose pour eux.»
Pour Donna Forster, EAO, enseignante-ressource pour les programmes à l’intention des élèves à la Blessed Sacrament Catholic School, à London, en Ontario, mettre l’accent sur les besoins des élèves a ouvert la porte à l’apprentissage authentique.
Il y a trois ans, elle a vu un élève de 4e année dans le couloir de l’école qui avait été expulsé de la classe en raison de son comportement.
Comme l’élève se plaignait qu’il s’ennuyait, elle lui a demandé ce qui l’intéressait : le codage et la robotique, lui a-t-il répondu. Ces matières n’étaient pas offertes à l’école, mais Mme Forster a promis de faire quelque chose, une décision qui continue à porter ses fruits aujourd’hui. Elle a depuis organisé un club de codage fort populaire à l’école avec l’aide d’enseignants et d’élèves technophiles de la Mother Teresa Secondary School, une école secondaire préparatoire offrant un programme de Majeure haute spécialisation.
Mme Forster a également recruté des élèves de Blessed Sacrament, y compris l’élève qui s’ennuyait (alors en 5e année), afin qu’ils agissent à titre de leaders pour enseigner le codage à de jeunes élèves et aux membres intéressés du personnel. «Tout a commencé avec un élève, puis l’intérêt pour le codage et la robotique s’est répandu», dit-elle.
Aujourd’hui, l’élève, qui est en 7e année, est fier de son rôle dans les cours parascolaires de codage : «J’oriente une génération et je leur donne des connaissances». Sa mère Maria dit qu’avant, son fils n’allait à l’école «que pour voir ses amis… Maintenant, il y va pour apprendre.»
L’engagement des élèves est important, mais Mme Forster est aussi d’avis qu’il faut faire le lien entre la classe d’aujourd’hui et le monde numérique dans lequel les élèves vivront demain.
«Nous avions commencé à envisager le codage et la robotique, mais pour intégrer l’apprentissage authentique, nous devions aller au-delà de la salle de classe», explique Mme Forster. Elle a recruté Luigi Sorbara, statisticien de basketball pour les Celtics de Boston et parent ayant des enfants inscrits dans une autre école. L’an dernier, il a enseigné le décodage du texte à des élèves de Blessed Sacrament en leur apprenant à visualiser les tracés point par point de leurs tirs de ballon sur un terrain de basketball en arrière-plan. «Ils sont plus impliqués dans leur apprentissage quand ça les concerne», dit M. Sorbara.
L’apprentissage authentique a aussi permis à Mme Forster de s’épanouir en tant qu’enseignante. «J’ai eu l’occasion d’apprendre aux côtés d’élèves qui en savaient plus que moi, dit-elle. J’ai vraiment envie de continuer à apprendre des élèves et avec eux.»
La Fédération des enseignantes et des enseignants de l’Ontario a publié un rapport sur l’utilisation de la technologie et des médias sociaux pour communiquer avec des experts à l’extérieur de la salle de classe (oct-oeeo.ca/AuthenticLearning).
Steven Revington, ancien enseignant pour le Thames Valley District School Board et lauréat, entre autres, d’un Prix du Premier ministre pour l’excellence dans l’enseignement en 2016, est consultant en apprentissage authentique (authenticlearning.weebly.com/steve-revington.html).
Rebecca Chambers, EAO, enseignante pour l’Ottawa-Carleton District School Board, publie un blogue sur son expérience avec l’apprentissage authentique (unlearnwithus.com).
James Pedrech, EAO, enseignant pour le London District Catholic School Board, a publié une vidéo sur YouTube sur un de ses projets d’apprentissage authentique (oct-oeeo.ca/ScanningHistoryProject).
Le nouveau Programme d’insertion professionnelle du nouveau personnel enseignant du ministère de l’Éducation de l’Ontario décrit les 4R de l’apprentissage authentique (oct-oeeo.ca/les4R).