Partagez cette page 

Entretien avec Jean-François Roberge

Le ministre de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur du Québec – et ancien enseignant –, préconise plusieurs réformes, dont des classes de maternelle accessibles dès l’âge de 4 ans et la création d’un organisme d’autorèglementation professionnel pour les enseignants.

De Gabrielle Barkany, EAO
Photo : Francis Fontaine

Photo de Jean-François Roberge, ministre de l'Éducation et de l'Enseignement supérieur du Québec, en costume-cravate, debout et souriant. Sa main droite est posée sur son veston.
Jean-François Roberge, ministre de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur du Québec

Jean-François Roberge a rencontré les dirigeants de l’Ordre pour en savoir plus sur son mandat de protection de l’intérêt du public. Lors de la visite du ministre à Toronto, Pour parler profession s’est entretenu avec lui.

Q : Que retenez-vous de votre visite?

R : C’est très éclairant pour moi, pour mon gouvernement, de voir le fonctionnement de l’Ordre de l’intérieur; comment se sont faits la mise en œuvre et l’agrément des programmes. Cela nous instruit sur la démarche ontarienne.

Q : Qu’est-ce qui retient votre attention en ce qui concerne notre mandat?

R : L’agrément des programmes de formation est particulièrement intéressant. Cela semble central aux missions de l’Ordre au niveau de la qualité de la formation initiale et continue. J’ai trouvé intéressante la démarche de passer d’une année d’études à deux années pour avoir une formation à l’enseignement qui soit vraiment à jour. C’est intéressant de voir la capacité de l’Ordre à influer sur les universités.

Q : Pourquoi un ordre professionnel des enseignants est-il important?

R : Parce que sans ordre professionnel, personne n’est là pour les enfants et les adolescents à 100 pour cent. Personne ne parle vraiment entièrement au nom des élèves.

Le gouvernement a des impératifs politiques et financiers. Bien sûr qu’il pense aux élèves, mais il a d’autres préoccupations au quotidien, il faut l’admettre.

Les syndicats sont là, bien sûr, pour le bienêtre des élèves, mais leur mission est de travailler d’abord pour leurs membres, et c’est normal. On ne peut pas leur reprocher de s’occuper de leurs membres.

Il manque un joueur : l’ordre professionnel, dans la plupart des provinces canadiennes d’ailleurs, dont le Québec. C’est, en grande partie, la plus-value; quelqu’un qui, sans compromis, défend l’intérêt des élèves.

Q : Il y a près de 50 ordres professionnels au Québec qui encadrent l’exercice de professionnels, comme les avocats, les hygiénistes dentaires ou les infirmières et infirmiers. Pourquoi n’y a-t-il pas d’ordre professionnel des enseignantes et enseignants au Québec?

R : Beaucoup d’enseignantes et d’enseignants nous disent que la profession est déjà très bien encadrée. Il y a la Loi sur l’instruction publique qui précise des obligations, qui explique bien les normes et règlements, qui régit ce qui se passe dans les écoles.

Il y a les conventions collectives qui, à la fois, protègent les enseignants et leur expliquent aussi les exigences à respecter dans leur travail.

Il y a peut-être aussi cette crainte de remettre en cause l’équilibre des pouvoirs. En ce moment, il y a les syndicats et les patrons. Si on ajoutait un troisième joueur, certains s’inquièteraient peut-être de son effet sur la balance des pouvoirs.

Mais quand on se pose ces questions- là, on est bien loin de l’intérêt des élèves.

«Un ordre a sa mission : la professionnalisation. C’est la garantie que les gestes posés sont des gestes professionnels.»

Q : Comment communiquer l’importance d’instaurer un ordre professionnel à celles et à ceux qui éprouvent des craintes?

R : Il faut reconnaitre que ces craintes sont normales. On a un enseignant qui est professionnel. Il a suivi sa formation et a réussi avec brio ses cours. Il s’investit dans sa profession tous les jours et on lui demande si ça lui tente d’utiliser son argent personnel pour financer un organisme qui pourrait l’évaluer négativement.

Présenté comme cela, ce n’est pas tentant. Cela a beaucoup été présenté de cette façon, comme quelque chose qui pourrait être couteux, qui pourrait remettre la sécurité de l’emploi en cause. On agite parfois des épouvantails.

Pendant des années, on a fait valoir l’ordre comme étant un danger plutôt qu’une opportunité. On n’a pas assez parlé de la possibilité que l’ordre garantisse une formation initiale supérieure, aide les enseignantes et enseignants dans leur cheminement professionnel et leur offre un contexte qui soit professionnalisant.

Je comprends que certaines craintes sont légitimes, bien qu’elles aient été parfois alimentées par la peur. Il faut écouter les gens. Il faut entreprendre un dialogue. Je pense qu’on ne peut pas débarquer et imposer un ordre. Ça doit vraiment être précédé d’une grande discussion, d’un débat honnête.

On ne peut pas avoir, d’un côté, quelqu’un qui fait croire que tout serait rose et, de l’autre, quelqu’un qui peindrait tout en noir. Je pense que ça ne ferait que polariser davantage. On a déjà assez de polarisation.

Cela nous permettrait de regarder avec plus de lucidité ce qu’un ordre professionnel pourrait apporter concrètement à la profession, et au Québec tout entier.

Q : Qu’est-ce qu’un ordre pourrait apporter à la profession?

R : Je pense qu’il pourrait apporter une meilleure formation initiale et continue. Ce qui veut dire clairement un meilleur enseignement. Avec un ordre, les enseignants pourraient avoir une plus grande confiance en leur formation.

Parfois, en tant qu’enseignant, on se fait imposer des formations auxquelles on ne croit pas vraiment. Et ça, ça tue le désir de continuer à se perfectionner tout au long de sa carrière. Pourtant, c’est nécessaire.

Je pense qu’à long terme, ça pourrait contribuer à valoriser la profession enseignante. Mais, pour moi, ce n’est pas la mission première. Il ne faut pas faire croire que mettre en place un ordre aurait comme effet direct de valoriser la profession.

Un ordre a sa mission : la professionnalisation. C’est la garantie que les gestes posés sont des gestes professionnels. Après plusieurs années, ça pourrait amener une meilleure valorisation de la profession et une meilleure reconnaissance, entre autres.

Si on leur expliquait concrètement ce qui se passe, je pense que la plupart des enseignants verraient des opportunités et non des dangers. En ce sens, l’exemple de nos voisins ontariens est fort utile.

Q : Que signifie, pour vous, la valorisation de la profession enseignante?

R : Pendant des siècles, on confiait l’enseignement aux communautés religieuses. On s’attendait à ce que celles et ceux qui faisaient ce travail aient la vocation, tout simplement. Donc, on reconnaissait le dévouement, mais peut-être pas le professionnalisme.

Maintenant, on passe à une autre étape. C’est plus qu’une vocation. Ça devient une profession, une profession de passionnés, mais une profession quand même.

Ça exige de la part du public de passer d’une reconnaissance à une valorisation, donc de reconnaitre les compétences des enseignants et les exigences de la profession. C’est un changement de paradigme. Du côté des enseignants, c’est déjà fait, mais du côté du public, ce changement de perception n’est pas fait. Et c’est nécessaire.

Q : Quelle est la réaction des syndicats des enseignantes et enseignants du Québec en ce qui concerne l’idée d’un ordre professionnel? Comment vont les discussions?

R : La mise au jeu n’est pas faite. Durant ma campagne électorale, je leur avais annoncé que je n’allais pas imposer un ordre durant le présent mandat; qu’avant de se pencher sur la création d’un ordre, il y aurait une grande discussion. Cette discussion n’a pas encore commencé. Nous ne sommes au pouvoir que depuis quelques mois. Nous avons eu d’autres chantiers à lancer. On ne peut pas tout faire en même temps.

Je pense que les syndicats sont restés sur leur position, mais je ne peux pas le leur reprocher puisque la conversation n’a pas encore été engagée dans ce domaine-là.

Q : Pensez-vous engager la conversation d’ici trois ans?

R : J’aimerais bien, mais je ne peux pas m’y engager en ce moment, car il y a beaucoup de réformes à mettre en place à court terme. Je ne sais pas si on pourra entamer la conversation durant ce mandat-ci. Il est trop tôt pour le dire.

Q : Parlez-nous d’un enseignant qui vous a marqué.

R : Léonce Simard était mon enseignant de français au secondaire pendant plus d’une année.

C’était quelqu’un de très, très passionné par sa matière, mais très exigeant. C’est vraiment celui qui m’inspire à conjuguer bienveillance et exigence.

C’était quelqu’un qui aimait profondément ses élèves, mais qui voulait amener chacune et chacun à se dépasser dans la matière qu’il enseignait. Il écrivait des messages personnalisés dans nos cahiers. C’est quelqu’un qui consacrait beaucoup de temps aux élèves après les cours.

C’est grâce à lui que je suis devenu enseignant, cela ne fait aucun doute.

L’entrevue a été condensée pour les besoins de la publication.