Entrepreneur dans l’âme et mû par une grande passion, Jean-Pierre Dufour n’hésite pas à bousculer l’ordre établi avec ses méthodes novatrices. Ses résultats parlent d’eux-mêmes.
De Philippe Orfali
Photos : Matthew Liteplo
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D’un pas décidé, Jean-Pierre Dufour, EAO, arpente les corridors de l’école secondaire publique L’Alternative d’Ottawa, à quelques semaines de la pause estivale. Tout autour de lui, enseignants et élèves s’activent dans le tumulte entre deux cours. «Je ne m’en cache pas, parfois, je bouscule un peu les choses», lance le surintendant de l’éducation, sourire en coin, en se faufilant tant bien que mal dans la foule compacte. «Il arrive que mes initiatives fassent réagir.»
Le ton de la discussion est donné. Cadre au Conseil des écoles publiques de l’Est de l’Ontario (CEPEO), Jean-Pierre Dufour, avec son bagage combiné d’entrepreneur et d’éducateur, n’a pas peur d’ébranler le statuquo.
Quatre autres personnes occupent comme lui la fonction de surintendant de l’éducation au CEPEO. Mais le rôle que joue M. Dufour est unique, puisque tout le volet de l’éducation pour adulte est sous sa responsabilité.
Le Franco-Ontarien d’adoption supervise ainsi le Centre d’éducation et de formation de l’Est ontarien, issu d’un partenariat entre deux conseils scolaires de langue française de la région, de même que l’école des adultes Le Carrefour d’Ottawa et l’école secondaire publique L’Alternative, où l’on offre un programme d’éducation adapté aux besoins des élèves qui ont abandonné l’école traditionnelle avant d’avoir obtenu leur diplôme d’études secondaires. Et c’est sans compter les écoles élémentaire et secondaire Nouvel Horizon et Le Sommet, à Hawkesbury.
Ce poste, qu’il occupe depuis maintenant 11 ans, l’a amené à se questionner, de concert avec les équipes-écoles, sur les meilleures façons d’attirer les élèves, de les pousser à persévérer malgré les obstacles qui se présentent sur leur route et, surtout, de les retenir. «C’est un défi constant. Pour réussir, se démarquer, et pour trouver les bons programmes qui favoriseront l’engagement des apprenantes et apprenants en vue de les stimuler et de les convaincre du bienfondé de leur démarche, il faut innover et faire preuve de créativité», dit-il.
«C’est en partie pour ça que j’aime mon emploi. Il me permet d’oser, de sortir des sentiers battus et parfois, oui, de prendre certains ordres établis et certaines structures et de les tasser.»
Même son vocabulaire tranche avec celui que ses collègues emploient habituellement. Quand on aborde la mission de chacune de ses écoles, M. Dufour parle de «modèle d’affaires » plutôt que de «plan éducatif».
«C’est effectivement un lexique qui ne fait pas toujours partie du vocabulaire de l’éducation, mais je pense qu’en cette époque de grands changements au niveau de l’éducation, c’est un atout d’avoir une vision différente des autres. C’est complémentaire aux autres forces de l’équipe.»
Si Jean-Pierre Dufour détonne un peu en éducation, c’est qu’il se destinait d’abord à l’administration des affaires ou du sport. Mais une piqure imprévue pour l’enseignement l’a convaincu de se diriger vers la profession.
Pas question pour lui, toutefois, de renoncer à ses aptitudes entrepreneuriales à son arrivée au Conseil scolaire de district catholique de l’Est ontarien (CSDCEO), au début des années 1990.
Dès son entrée dans le domaine, à l’école secondaire catholique Embrun, M. Dufour a fait preuve de leadeurship et d’innovation en mettant sur pied, avec deux collègues enseignants, le Programme de base intégré en communication (PBIC), qui a été cité comme modèle de partenariat entre l’école et la communauté aux échelons provincial, national et international. Cet audacieux programme technologique constituait à l’époque l’une des premières entreprises au sein d’une école secondaire de langue française de la province.
On en était alors aux débuts de l’internet grand public, et la jeune pousse («start-up») étudiante offrait des services complets de conception, de publication et d’hébergement de sites web pour les entreprises de la région. Les élèves participants travaillaient à l’élaboration de ces sites, mais étaient aussi appelés à faire du démarchage auprès de clients potentiels et à gérer les projets ainsi que les finances de la petite compagnie, en plus d’en être actionnaires.
«C’est parti de presque rien et, certaines années, nous réalisions des revenus de l’ordre de 100 000 $», se rappelle M. Dufour. Les profits étaient ensuite redistribués sous forme de bourses d’études. Les élèves obtenaient également des crédits en vue de leur diplôme d’études secondaires de l’Ontario et une expérience professionnelle non négligeable à cet âge.
Après sept années à la tête du PBIC, l’enseignant de biologie et d’éducation physique est devenu conseiller pédagogique, puis directeur adjoint, directeur d’école et, enfin, directeur des services pédagogiques au CSDCEO, en 2004.
En tant que directeur des services pédagogiques, il a notamment accompagné les équipes des écoles élémentaires ciblées dans la mise en œuvre de plans d’amélioration du rendement des élèves, par l’entremise de communautés d’apprentissage professionnelles.
«L’une des choses que je retiens de ce parcours, c’est l’importance de développer collectivement une vision claire de ce que l’on cherche à accomplir», dit-il. Un exemple ? «J’en ai deux», répond M. Dufour.
Il cite à titre de premier exemple la démarche entreprise afin d’améliorer les programmes préscolaires au CEPEO au début de la décennie. «Il fallait revoir leur modèle d’affaires. Notre vision, dès le début, était de s’assurer que, pour chaque élève que l’on nous confie, on dispose non seulement d’éducateurs ayant exactement la bonne formation, mais aussi de l’accompagnement, de la continuité et de la constance nécessaires. En maternelle-jardin, on ne peut pas traiter tous les élèves de la même façon, comme des numéros; il faut s’assurer qu’on leur donne toute l’attention et tous les outils requis pour les préparer aux prochaines étapes de leur parcours.»
Preuve de la polyvalence du pédagogue, le second exemple se situe à l’autre bout du spectre de l’éducation, c’est-à-dire l’enseignement pour adultes. En effet, M. Dufour a été le principal artisan d’une stratégie provinciale d’éducation et de formation des adultes, une collaboration entre les 12 conseils scolaires de langue française.
«Il faut se situer dans le contexte francophone. On a passé les dernières décennies à bâtir nos conseils scolaires à partir de presque rien. Le volet de l’éducation pour adultes, au cours des premières années, avait été mis de côté parce que, peut-être avec raison, on se préoccupait davantage de l’enseignement élémentaire et secondaire», dit-il.
Résultat : faute d’avoir des ressources exhaustives en éducation et en formation des adultes en français, plusieurs élèves adultes se tournaient vers les programmes reconnus offerts par les conseils scolaires de langue anglaise. «Ces élèves adultes, ce sont aussi, bien souvent, des parents ou futurs parents. S’ils vont dans une école de langue anglaise, c’est toute une génération d’élèves qui va nous échapper. On s’est dit qu’en attirant les parents, en les convaincant du bienfondé et de la qualité de notre programmation en français, on attirerait en retour une nouvelle clientèle.»
Il a donc piloté la planification et la mise en œuvre de la première Stratégie provinciale d’éducation aux adultes francophones intégrant les divers partenaires, c’est-à-dire les conseils scolaires, mais aussi les intervenants du secteur de l’alphabétisation et des collèges de langue française.
Cette initiative a mené à la création de centres d’aiguillage visant à guider les apprenants en fonction de leurs besoins et de leurs objectifs et à la clarification de l’offre de services dans le but de définir les rôles et responsabilités de chaque acteur.
Ce cumul de qualités et d’accomplissements a permis à M. Dufour de remporter, l’an dernier, le prestigieux prix Mérite de l’Association des gestionnaires de l’éducation francoontarienne (AGÉFO), une organisation qui regroupe les gestionnaires non syndiqués des conseils scolaires de langue française et ceux des organismes affiliés désignés.
Cet honneur annuel est décerné par l’AGÉFO à des gens qui ont fait preuve de créativité, d’initiative, d’excellence dans leurs fonctions, d’efforts continus au service de l’éducation et de leurs collègues ainsi que d’engagement dans la promotion de la francophonie ontarienne.
Au cours de la soirée organisée par l’AGÉFO, à North Bay, Stéphane Vachon, surintendant des affaires du CEPEO, a expliqué que «l’esprit critique pointu de M. Dufour, sa capacité à faire la synthèse de réflexions diverses, la sagesse qui teinte l’ensemble des décisions qu’il prend et son indéniable passion pour son domaine de prédilection, sont autant de raisons qui nous portent à croire que son action professionnelle a eu un impact sur l’épanouissement de l’éducation en français en Ontario».
M. Dufour est un atout «extrêmement important» au sein du CEPEO, a pour sa part déclaré Ann Mahoney, qui est également surintendante de l’éducation au CEPEO. «Sa longue feuille de route lui a notamment permis de développer une connaissance intime du domaine de l’éducation, tant à l’échelle de la salle de classe qu’au niveau d’enjeux provinciaux », a souligné la gestionnaire.
Jean-Pierre Dufour, lui, garde les deux pieds sur terre. Il attend avec impatience l’occasion de relever son prochain défi.
Cette rubrique met en vedette des enseignantes et enseignants qui ont reçu un prix en enseignement. Ces personnes répondent aux attentes de l’Ordre en incarnant des normes d’exercice professionnel élevées.