Partagez cette page 

Pratiques exemplaires

Julie Meloche, enseignante agréée de l’Ontario, souriante.

FOCUS action sociale

Après une brève remise en question de sa vocation d’enseignante, Julie Meloche a décidé d’enseigner aux élèves à être heureux. Il lui fallait pour cela concevoir un programme pas comme les autres.

De Philippe Orfali
Photos : Caroline Meloche

Exclusivité en ligne : visionnez un portrait numérique de nos Pratiques exemplaires.

Tous les matins, les élèves de Julie Meloche, EAO, ne retrouvent pas le chahut habituel des corridors d’une école secondaire. À vrai dire, ils ne se rendent même pas à l’école, et aucune cloche ne vient annoncer la récréation ni le changement de période durant la journée. La salle de classe, si on peut l’appeler ainsi, ne comporte que des tables et quelques coussins, mais pas de pupitres. Et pourtant, les élèves de la 11e et de la 12e année viennent de partout dans la région de la capitale nationale pour suivre un programme de développement personnel et commu-nautaire unique en son genre.

Appelé FOCUS action sociale, ce programme, qui comprend un stage d’éducation coopérative, permet d’acquérir de l’expérience pratique dans le domaine de l’action sociale et du travail communautaire. La quinzaine d’élèves de Mme Meloche se retrouvent tantôt dans les espaces qui leur sont fournis par l’Université Saint-Paul, tantôt directement dans la communauté à laquelle ils souhaitent tant contribuer.

«Je n’enseignais pas à nos élèves à être heureux, à être bien, à contribuer à la société. Je leur enseignais juste à comprendre la biologie, à fournir la bonne réponse aux questions ou à obtenir la note requise ou attendue. Cela me contrariait.»

«Si l’on veut effectuer des changements dans le monde, des changements positifs pour le bien commun, eh bien! il faut opérer des transformations sur le plan des structures, des valeurs, des façons dont on fonctionne en tant que société, mais aussi sur le plan individuel. Avec moi, l’élève travaille sur lui-même pour essayer de comprendre comment il peut contribuer positivement à sa communauté selon ses forces, ses intérêts et ce qui se passe autour de lui», explique Mme Meloche. Des objectifs ambitieux auxquels elle s’attelle avec détermination.

La jeune femme enseigne au collège catholique Franco-Ouest, là même où elle a commencé sa carrière en 2009. Au fil des années, elle y a enseigné les sciences et l’éducation physique. Elle porte à bout de bras ce projet depuis maintenant trois ans, ne ménageant aucun effort pour faire de ses élèves des citoyens éduqués, informés, engagés et bienveillants envers leurs proches et les moins fortunés de la société. L’année précédant la mise en place de son programme, après sept années d’enseignement, elle avait traversé une période de remise en question de sa vocation d’enseignante. Elle sentait le besoin d’en faire plus.

«Je m’interrogeais sur notre définition collective du succès. Je voyais les limites de cette façon de faire. Je n’enseignais pas à nos élèves à être heureux, à être bien, à contribuer à la société. Je leur enseignais juste à comprendre la biologie, à fournir la bonne réponse aux questions ou à obtenir la note requise ou attendue. Cela me contrariait», explique la native d’Orléans, qui a d’abord effectué des études en sciences de la santé à l’Université d’Ottawa avant de bifurquer vers l’enseignement.

Elle se souvient d’avoir été particulièrement marquée par une élève qui, après avoir réussi à améliorer sa note de 40 à 70 % d’un test à l’autre, avait fondu en larmes en voyant sa note, insatisfaite malgré cette progression substantielle. «On avait travaillé super fort ensemble, elle avait changé ses stratégies d’études, puis elle avait réussi à obtenir cette note. Pour moi, c’était un beau succès, mais elle ne le voyait pas ainsi. À ses yeux, son succès ne comptait pour rien, puisqu’elle n’avait eu que 70 %», explique-t-elle.

Cet épisode et bien d’autres alimentèrent sa réflexion. Peu à peu, de façon informelle, elle a démarré un projet de «santé globale» en salle de classe. Toutes les semaines, les élèves avaient un défi à relever; par exemple, faire une bonne action aléatoire. «La semaine suivante, on y revenait, et les élèves parlaient de ce qu’ils avaient vécu, des difficultés rencontrées, ce qui avait résonné [en] eux. Les élèves ont vraiment embarqué. Et moi, ça m’a ouvert les yeux.»

Le programme qu’elle a ensuite mis sur pied est en quelque sorte le prolongement de ces défis hebdo-madaires, et c’est une des raisons pour lesquelles on lui a décerné un certificat d’honneur en 2019 dans le cadre des Prix du Premier ministre du Canada pour l’excellence dans l’enseignement.

Le fait d’avoir la volonté de s’impliquer, de se questionner et de comprendre pour ensuite mieux contribuer a toutes sortes de ramifications. Par exemple, en janvier 2019, appuyés par l’enseignante, les élèves du groupe FOCUS action sociale sont allés jusqu’à Consuelo, en République dominicaine. Ce voyage avait été précédé d’une campagne de financement qui a permis de récolter près de 10 000 $ grâce au leadeurship de l’enseignante et de ses élèves. Au cours de ce séjour dans les Antilles, le groupe a eu l’occasion d’explorer cette culture que Mme Meloche qualifie d’«unique et chaleureuse», mais aussi d’offrir sa main-d’œuvre. Les élèves ont ainsi participé, par exemple, à la construction d’une maison et d’une douche dans une communauté d’Haïtiens.

Le groupe a également visité un orphelinat et plusieurs écoles où ils ont organisé des jeux et parlé avec des jeunes vivant une réalité diamétralement opposée à la leur.

Le voyage s’est terminé par une introduction à la diplomatie, grâce à une rencontre avec Shauna Hemingway, ambassadrice du Canada en République dominicaine. C’est ainsi que le groupe a pris connaissance de multiples projets amorcés par le gouvernement canadien afin de contrer les injustices sociales dans ce pays.

Les nombreuses qualités de Mme Meloche font d’elle un atout important au sein d’une équipe-école, souligne Caroline Tessier, EAO, directrice du collège catholique Franco-Ouest, auquel est rattaché le programme FOCUS.

«Tout au haut de la liste, il faut dire que Mme Meloche est bienveillante, insiste-t-elle. Elle se soucie véritable-ment de l’élève en tant que personne entière, pas juste comme une tête dans sa classe. Sa façon d’enseigner s’éloigne du format traditionnel qui consiste à parler à un groupe placé en rangs d’ognons. Elle abat les murs, sort de l’école pour parfaire l’ensei-gnement dans la communauté. Cela fait des élèves du programme des gens plus équilibrés et plus impliqués au sein de la communauté.»

Elle salue également le fait que l’enseignante franco-ontarienne puise énormément de son matériel pédagogique dans l’actualité, outillant ainsi davantage ces citoyens en devenir. Avec elle, les compressions en éducation, la crise franco-ontarienne de l’automne 2018, l’arrivée de réfugiés syriens ou même la propagation du coronavirus causant la COVID-19 deviennent en un tournemain des sujets d’étude, de réflexion et d’apprentissage.

«C’est une chose de planifier ses cours à l’avance, mais Mme Meloche a une capacité de s’ajuster, de se revirer en quelques instants. Elle utilise la vie de tous les jours en classe, ce qui rend l’enseignement vivant et captivant», dit Mme Tessier, qui travaille avec elle depuis maintenant plus de cinq ans.

La salle de classe de Mme Meloche est d’abord et avant tout un espace de partage. C’est un milieu stimulant, propice à mettre en pratique maintes stratégies d’apprentissage, de l’enseignement direct à la pratique indépendante, en passant par les communautés de recherche philosophique – une réflexion en groupe qui invite les élèves à penser par et pour eux-mêmes. L’enseignante vise à faire de ses élèves des citoyens à part entière, engagés et sensibles.

«En classe, on va lire un texte, composer une question centrale, commune et contestable. Ce sont les élèves qui formulent la question. Puis, ils discutent. Quelquefois, je m’exprime, j’apporte de l’eau au moulin, d’autres fois, non.» Les élèves évaluent ensuite leur participation, leur partage de la parole et leur écoute. Car la pensée attentive et la capacité d’écoute sont également des éléments essentiels. 

Après la réflexion vient l’action, généralement directement dans la communauté. Owen, un élève de la classe de Mme Meloche, donne la pauvreté pour exemple.

Les jeunes, une quinzaine environ, ont d’abord discuté de la question en classe, puis ils ont reconnu qu’ils entretenaient envers la population itinérante certains préjugés, tels que la toxicomanie et la criminalité. Orientés par leur enseignante, ils ont cherché à en savoir davantage en s’appuyant sur les faits et l’expertise d’intervenants dans la communauté. Owen explique : «Nous sommes allés à la Mission d’Ottawa et aux Bergers de l’espoir, deux refuges et centres de services pour les sans-abris à Ottawa, et on a pu voir que leur réalité était bien loin de ce qu’on s’imaginait. On a compris qu’ils sont des humains comme nous et que, comme nous, ils ont leurs défis. Mme Meloche nous a accompagnés tout au long de cette réflexion et moi, ça a changé mon opinion des itinérants.»

Tout au long du processus, les élèves expriment ce qu’ils pensent, et cela montre bien que la pensée évolue. Ils échangent de vive voix bien sûr, mais également sous la forme de blogues ou sur les réseaux sociaux. Alors que ces plateformes sont régulièrement critiquées en milieu scolaire, les élèves de Mme Meloche sont la preuve qu’il est possible d’en faire une utilisation saine et utile. Pour le reste, l’enseignement se fait essentiellement sur le terrain. «C’est bien beau d’utiliser l’internet, mais si les élèves n’ont pas la chance d’aller à la rencontre des autres, d’écouter et de voir, l’information reste moins concrète, et ils absorbent moins l’expérience.»

Aujourd’hui, le principal indicateur de performance de Mme Meloche n’est pas la note obtenue à l’examen, mais plutôt le degré d’engagement de ses élèves, tant dans sa salle de classe que dans la communauté. Une performance qui dépasse les attentes de tous.

Cette rubrique met en vedette des enseignantes et enseignants qui ont reçu un prix en enseignement. Ces personnes répondent aux attentes de l’Ordre en incarnant des normes d’exercice professionnel élevées.