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Enseignants remarquables

Ian Williams, auteur primé, souriant.

La réussite, une histoire de confiance

L’auteur Ian Williams, prix Giller, se souvient d’un enseignant qui a encouragé son don de l’écriture.

De Richard Ouzounian
Photo : Justin Morris

L’automne dernier, au beau milieu d’un tourbillon de félicitations et d’émotions dans la salle de bal du Four Seasons, à Toronto, Ian Williams est monté sur le podium pour accepter le prix Giller, le plus prestigieux prix littéraire de langue anglaise au Canada, pour son premier roman, Reproduction. Dans son discours de remerciements, il a mentionné Peter Lucic, l’enseignant de la Sir John A. Macdonald Sr. Public School, à Brampton, en Ontario, qui lui a ouvert les portes du monde de l’écriture.

«Quand il arrive de bonnes choses, on dit que c’est surréel, raconte M. Williams au téléphone, depuis Vancouver, où il enseigne dans le programme de création littéraire à l’Université de la Colombie-Britannique. On dirait que l’on se dédouble, que l’on est en train de vivre de multiples réalités. À cet instant-là, j’étais à la fois l’étudiant universitaire qui sentait le besoin de remercier Margaret Atwood pour tout ce que son travail représentait pour lui et le garçon de 12 ans qui avait passé trois années magiques avec M. Lucic.»

Peter Lucic décrit le jeune Ian Williams, dont il a fait la connaissance en 1991, comme un garçon timide. «Il était difficile de le cerner au début. Mais j’ai tout de suite remarqué qu’il avait une écriture manuscrite méticuleuse.»

«Oui, j’étais timide. Jusqu’à l’université, je crois, dit M. Williams, en riant. J’étais cérébral, tranquille, introverti et attentif.»

Le cours que M. Lucic donnait en partenariat avec sa collègue Ursula Keuper-Bennett s’inscrivait dans le cadre du programme enrichi du Peel Board of Education à l’intention des élèves doués. «J’ai passé trois ans avec M. Lucic, se rappelle M. Williams. Dès le début, il m’a impressionné. Un homme de grande taille, du genre ours en peluche. Très gentil. Il était notre papa à l’école. Il était tellement chaleureux.»

Ian Williams et son ancien enseignant Peter Lucic, souriants.
Peter Lucic (à droite) a retrouvé Ian Williams, son ancien élève, à la fin de l’automne de 2019.

«Quand on enseigne aux mêmes jeunes pendant trois ans, explique M. Lucic, on peut vraiment personnaliser le travail que l’on accomplit avec eux. On peut presque devenir un instrument de canalisation pour leur avenir.»

Pour le jeune Ian, c’était beaucoup plus simple : «On se présentait en classe et on lui faisait confiance, et ensemble, nous accomplissions tout notre travail. On n’était pas conscient qu’on apprenait. On était à un endroit, à un moment donné avec quelqu’un, mais on ne subissait pas un enseignement.»

M. Williams se souvient distinctement que M. Lucic leur lisait des romans et des histoires à voix haute… avec un microphone. «Notre salle de classe était particulière, explique M. Lucic. Deux groupes de 6e année se partageaient une très grande salle divisée en deux par un mur de séparation. J’avais besoin du micro pour que l’on m’entende, mais j’aimais aussi l’aspect dramatique que ça donnait à mes lectures.»

M. Williams s’esclaffe en se remémorant ces lectures. «Oui, il avait un peu l’âme d’un conteur. En 6e année, on est un peu trop grand pour qu’on nous fasse la lecture, mais on aime toujours ça.» Quel genre de livres M. Lucic lisait-il en classe? «Une sélection très éclectique, avoue-t-il. Des romans primés, comme Le royaume de la rivière de Katherine Paterson, et d’autres que j’avais simplement appréciés, comme Sacrées sorcières de Roald Dahl.»

«Il comprenait que la meilleure chose à faire était d’encourager et d’appuyer les élèves au lieu de critiquer et de corriger à outrance leur travail. Il attisait notre enthousiasme et nous encourageait. C’était un brillant pédagogue.»

Le jeune Ian n’a «jamais eu l’impression qu’il manquait quelque chose, c’était très naturel. En 6e an-née, on écrivait chaque jour. On avait des exercices d’écriture intense de sept minutes. On nous donnait un sujet, et il fallait écrire autant que possible. On écrivait des poèmes ou des histoires». La partenaire d’enseignement de M. Lucic suggérait un sujet et donnait une structure. «Et nous, les jeunes, on s’en emparait et on se mettait tout de suite à écrire», se rappelle M. Williams.

M. Lucic se souvient que cette période était fertile en expérimentations artistiques. «Parfois, on créait des recueils de textes. Je me souviens d’un en particulier qui s’intitulait Choices. Ian avait écrit un poème très intéressant au sujet de deux sœurs, dont l’une était maltraitée par son père. C’était presque effrayant.»

M. Lucic se souvient d’une activité portes ouvertes qui s’appelait le Café de l’imagination. «Au cours d’une séance, Ian jouait du piano pendant que sa camarade de classe, Vicky, lisait un poème. C’était vraiment émouvant. Les jeunes servaient des boissons chaudes et vendaient des biscuits. Il y avait des lumières de toutes les couleurs et la musique se prêtait à l’ambiance d’un café. Nombre des poèmes des élèves étaient illustrés et imprimés pour le public.»

Aujourd’hui, M. Williams comprend que, «parmi les élèves de M. Lucic, il y avait quelques vieilles âmes qui avaient le don de s’intéresser intensément à un sujet en particulier. Il y avait une communauté stable dans cette salle de classe et une personne veillait sur nous, ce qui nous donnait la liberté d’être nous-mêmes, se souvient-il. Il y avait un comité interne qui évaluait les poèmes, mais M. Lucic n’en était pas la figure d’autorité. Il comprenait que la meilleure chose à faire était d’encourager et d’appuyer les élèves au lieu de critiquer et de corriger à outrance leur travail. Il attisait notre enthousiasme et nous encourageait. C’était un brillant pédagogue.»

M. Lucic utilisait l’internet en classe bien avant que cela ne devienne chose courante. «Je me suis mis à l’ordinateur assez tôt, admet-il. J’apportais ces vieux ordinateurs Commodore PET et je les connectais en réseau primitif. J’avais reçu des fonds pour obtenir une ligne téléphonique et acheter un modem. Mes jeunes auteurs pou-vaient ainsi communiquer avec les membres de l’International Poetry Guild de l’Université du Michigan et de la WIER (Writers in Electronic Residence) de l’Université York.»

Ce souvenir égaye M. Williams. «Grâce à ce réseau de fortune, il nous avait branchés avec des types de l’Université du Michigan, des Canadiens et des Américains qui s’échangeaient des poèmes, et ce, dès les balbutiements de l’internet! Il fallait faire des travaux sur l’actualité en communiquant avec de jeunes Américains. On apprenait les uns des autres tout en découvrant le monde technologique, lequel était peu connu à l’époque. M. Lucic nous mettait au défi. En fait, il nous a préparés à l’ère numérique qu’il avait anticipée.»

M. Lucic repousse l’idée qu’il ait pu être un pédagogue clairvoyant. «En enseignement, on fait ce que l’on a à faire et l’on espère que ça répondra aux besoins des enfants.»

Il est clair que son travail a répondu aux besoins du jeune auteur. En effet, M. Williams a obtenu un B. Sc. spécialisé en psychologie et en anglais, ainsi qu’une M.A. et un doctorat en anglais à l’Université de Toronto, et ce, avant même d’avoir 25 ans, ce qui est déjà un véritable tour de force. Il est ensuite allé à l’Université d’État de Fitchburg au Massachusetts et a publié un recueil de nouvelles et deux recueils de poésie, dont l’un, Personals, a été sélectionné comme finaliste pour le prix Griffin pour la poésie.

Mais Fitchburg, c’est aussi là où M. Williams a tout perdu quand l’immeuble dans lequel il vivait a été rasé par un incendie. Sa vie ayant alors pris un tournant, après cet évènement, il a décidé de rentrer au Canada et a commencé à écrire Reproduction peu de temps après.

Il compare la nuit de l’incendie à la soirée de remise du prix Giller. «Ces moments ont quelque chose en commun. Tous deux m’ont rendu lucide. Je me sentais fort et puissant.» Il se souvient d’avoir pensé en voyant sa vie s’envoler en fumée : «Ian, tu devras te reconstruire une fois de plus, mais tu as tout ce dont tu as besoin dans la tête.»

M. Williams est conscient qu’il a commencé à acquérir cette assurance dans la classe de Peter Lucic il y a près de 30 ans. «Parfois, la magie est possible si l’on fait confiance aux gardiens de son enfance, conclut Ian Williams. M. Lucic ne nous a jamais déçus.»

Cette rubrique met en vedette des personnalités canadiennes qui rendent hommage aux enseignantes et enseignants qui ont marqué leur vie en incarnant les normes de déontologie de la profession enseignante (empathie, respect, confiance et intégrité).