Les membres du personnel enseignant de l’Ontario suivent les conseils de l’Ordre pour créer un milieu positif et sécuritaire.
De Stuart Foxman
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Pendant son cours, Anthony Chuter, EAO, est constamment à la recherche de signaux d’alarme. Un élève fait-il exprès de mal prononcer le nom d’un camarade? Y a-t-il des tensions entre les élèves d’un groupe? L’humeur d’un élève est-elle inhabituelle? Durant un projet collaboratif en ligne, quel est le ton employé dans les bavardoirs? Étouffe-t-on la voix d’un élève?
Une partie de ce travail est attribuable à la gestion de classe. Cela dit, M. Chuter, qui enseigne l’histoire et les technologies de la communication à Bayview Glen, une école secondaire indépendante située à Toronto, tente aussi de détecter les indices d’intimidation ou des signes avant-coureurs. Mieux vaut prévenir que guérir.
L’intimidation influe sur l’amour-propre, le développement, la santé mentale et l’apprentissage. Peuvent alors s’ensuivre l’absentéisme et la perte d’intérêt pour les études.
L’intimidation peut être néfaste non seulement pour la victime, mais aussi pour l’intimidateur et les témoins, et cela peut secouer le milieu d’apprentissage dans son ensemble.
Les membres du personnel enseignant sont les mieux placés pour prévoir, prévenir et détecter l’intimidation. Une des recommandations professionnelles de l’Ordre : Mieux réagir à l’intimidation entre élèves, aborde la part de responsabilité des enseignants ainsi que des moyens pour eux d’être proactifs. Comment la mettent-ils en œuvre?
Tout d’abord, il faut comprendre ce qu’est l’intimidation. Il s’agit d’un comportement qui met mal à l’aise, qui fait peur, qui blesse ou qui humilie. Mais un tel acte n’est pas forcément de l’intimidation. La recommandation reprend la définition du Réseau pour la promotion de relations saines et l’élimination de la violence (PREVNet), qui est l’autorité canadienne en matière de prévention de l’intimidation. Voici les trois éléments que comporte cette définition :
Selon Jason Prichard, EAO, consultant en comportement pour le Trillium Lakelands District School Board, il est important pour les élèves et les enseignants de comprendre la différence entre des taquineries et une agression. «Définissez les termes de l’intimidation pour mettre tout le monde sur la même longueur d’onde», explique-t-il.
En plus des trois éléments de définition mentionnés plus haut, il faut noter que l’intimidation peut prendre différentes formes, y compris physique, verbale et sociale (exclusion et commérage), et que la cyberintimidation (textos, courriels et médias sociaux) en est aussi une forme.
«Pour réduire le risque, il faut surveiller l’environnement de la salle de classe, explique Danielle Hunter, EAO, animatrice de français et de langues vivantes pour le Durham District School Board. L’intimidation est un problème relationnel, et la seule façon de réduire les actes d’intimidation est de miser sur les relations.»
Faire la promotion de relations saines est une part importante du travail d’un pédagogue, dit Mme Hunter, qui favorise des activités qui renforcent l’esprit d’équipe. Par exemple, les élèves de sa classe ont travaillé en petits groupes pour fabriquer un caléidoscope. Chacun ne pouvait manipuler que ses propres matériaux, mais pouvait offrir des suggestions aux membres du groupe. L’accent était alors mis sur la recherche d’une solution commune. «Avant cette activité, nous avons discuté des attentes concernant le travail de groupe», explique-t-elle.
Au cours d’un projet centré sur la Journée internationale de la fille, elle a veillé à ce que chaque élève ait l’occasion de briller. Les élèves ont choisi la façon dont ils voulaient contribuer à la réussite de cet évènement. Certains ont confectionné des affiches, d’autres ont monté une présentation de diapositives pour les classes et d’autres encore ont coordonné une collecte de fonds.
Mme Hunter a également demandé aux élèves de débattre de sujets d’actualité en adoptant différents points de vue. Par exemple, si le sujet traité était la possibilité de commencer les cours plus tard, les élèves pouvaient l’aborder de leur point de vue ou prendre celui de leurs parents ou du conseil scolaire.
Ce genre d’exercices aide les élèves à collaborer pour atteindre un objectif commun, à développer l’empathie et à valoriser l’individualité de chacun.
«Les activités planifiées en classe correspondent aux compétences que vous voulez développer, dit Mme Hunter. En renforçant les compétences rela-tionnelles, on forme des liens. Il est plus difficile de dire des méchancetés et de recourir à l’intimidation lorsqu’on connait la personne et qu’on respecte ses différences en tant qu’individu.»
Mme Hunter forme elle-même les groupes de travail en classe. Elle ne croit pas que les élèves devraient pouvoir choisir les membres de leur groupe, car cela peut mener à l’exclusion.
France Campeau, EAO, est du même avis. «Je constate un genre de déséquilibre pendant les travaux en groupe», affirme l’enseignante de 6e année à l’école élémentaire catholique Sainte-Lucie du Conseil scolaire de district catholique de l’Est ontarien, à Long Sault, en Ontario.
Les élèves doués peuvent se faire taquiner parce que leurs camarades se sentent intimidés, dit-elle. Mais les élèves qui éprouvent des difficultés peuvent eux aussi se faire taquiner et se sentir à l’écart. Mme Campeau jumèle de tels élèves afin que les plus forts se sentent utiles et que les plus faibles prennent de l’assurance. En plus de réduire le risque d’être victime d’intimidation, l’environnement dans la salle de classe s’en trouve amélioré.
En classe, M. Chuter insiste sur le fait qu’il est tout à fait valable d’avoir des divergences d’opinions et que les origines, la culture et les idées de chacun ont leur place.
Pour ce faire, il établit des normes durant les discussions, par exemple chercher des occasions d’apporter de l’eau au moulin des autres ou de montrer des façons positives d’exprimer son désaccord : «Je me demande si…» ou «D’un autre côté…» ou encore «On pourrait considérer…», ce qui se fait positivement et sans agressivité. L’école peut aussi contribuer à concilier les différents points de vue en organisant des assemblées et des clubs qui célè-brent la diversité des élèves. L’inclusion devient ainsi une stratégie de lutte contre l’intimidation.
Dans sa salle de classe, Natasha Charpentier, EAO, discute des attentes sociales. «Quel genre de communauté désirons-nous avoir? Qu’est-ce que la justice? L’objectif est d’avoir un milieu dans lequel nous tenons chaque personne responsable», explique Mme Charpentier, qui enseigne l’anglais, l’histoire, les sciences sociales et l’art à l’Almonte District High School de l’Upper Canada District School Board, à Almonte, en Ontario.
Elle ne tolère pas les commentaires qui ciblent les groupes marginalisés ni les plaisanteries supposément innocentes, mais qui blessent, et encore moins le ton ou les gestes dédaigneux (comme lever les yeux au ciel). «C’est comme ça que peut commencer l’inti-midation», dit-elle.
Sarah Reilly, EAO, apprécie le fait que la recommandation de l’Ordre donne à tous les pédagogues les mêmes normes pour détecter et contrer l’intimidation. Elle a recours aux cercles communau-taires pour examiner les comportements intimidants.
«Dans nos discussions, nous parlons de la façon dont les comportements d’autrui peuvent faire boule de neige et avoir des effets durables, tant sur le plan social qu’émotif, dit Mme Reilly, enseignante de e année à la Boyne River Public School du Simcoe County District School Board. En reconnaissant les microaggressions et les formes insidieuses d’intimidation, en les nommant et en créant un milieu où les élèves de la classe peuvent discuter de leurs émotions, on peut créer un sentiment d’autonomisation.»
À l’aide de livres, de films, d’émissions de télévision et de discussions en classe au sujet de situations personnelles, Mme Reilly aide les élèves à reconnaitre les différentes formes d’intimidation. «Ces discussions ont ouvert les yeux de certains élèves et les ont amenés à se demander comment ils peuvent changer leurs propres comportements», affirme-t-elle.
Le curriculum peut aussi servir de véhicule pour créer un milieu où les risques d’intimidation sont réduits. Dans son cours d’anglais, Mme Charpentier utilise des nouvelles qui traitent de sujets comme la solitude ou la marginalité, ou demande aux élèves de réécrire une histoire du point de vue d’un autre personnage. Dans son cours d’his-toire, elle parle de préjugés à l’égard de certains groupes sociaux et des effets dévastateurs qu’ils ont sur des populations entières. Et dans son cours d’art, elle explique comment la voix d’un artiste peut déclencher l’action sociale.
Tout cela fait partie de l’enseignement de l’intelligence sociale et de la compréhension de l’autre.
Dans sa classe, Mme Campeau rappelle à ses élèves que tout le monde peut se tromper, souligne la valeur du pardon et parle de santé mentale. Tout cela dans le but de les aider à faire preuve de gentillesse les uns envers les autres.
Mais cela n’élimine pas l’intimidation, et c’est pourquoi il est important d’être à l’affut des indices qui montrent que quelque chose se trame. Mme Hunter observe la dynamique de classe. Qui gravite autour de qui? Qui exerce son pouvoir sur qui? Qui est à l’écart quand les élèves sont laissés à eux-mêmes? Mme Charpentier remarque les élèves qui pouffent de rire autour d’un téléphone. Parfois, quelque chose cloche. En repérant les signes, vous pourrez peut-être prévenir les problèmes.
Tout de même, éliminer l’intimidation n’est pas une mince affaire. «Il faut développer chez les élèves des compétences en communication et des apti-tudes sociales pour qu’ils puissent établir des limites», affirme M. Prichard.
Mme Charpentier et ses élèves travaillent ensemble pour trouver une réponse adéquate. Si quelqu’un vous dit quelque chose de blessant, vous pouvez lui répondre «Ça m’attriste» ou «Que veux-tu dire par là?» L’objectif n’est pas d’avoir une altercation phy-sique ou verbale, mais de tenir tête. «Ça ne fonctionne pas toujours, mais ça peut désamorcer la situation. Ça responsabilise les gens et ça compte pour beaucoup», explique-t-elle.
Les élèves doivent pouvoir se sentir à l’aise de parler de l’intimidation dont ils ont été victimes ou témoins à leur enseignant, à leurs parents ou à un autre adulte de confiance. Ce n’est pas au moment où l’élève est blessé dans son orgueil ou exclu que vous l’amènerez à se confier. Il est trop tard. Ça commence par la relation que vous avez établie avec l’élève.
«Toutes les stratégies sont fondées sur les relations, explique M. Prichard. De simples gestes suffisent, comme se tenir à la porte pour accueillir les élèves le matin, leur demander comment ils vont et avoir une relation avec les parents pour qu’ils se sentent à l’aise de venir nous parler.»
Il n’est pas nécessaire d’avoir suivi une formation spéciale en prévention de l’intimidation, affirme M. Prichard.
«Soyez capable de repérer le stress, poursuit-il. Détectez les signes avant-coureurs, comme un changement de comportement ou le langage corporel d’un élève, et ayez un plan en tête.»
M. Prichard s’inquiète aussi des conséquences de l’intimidation sur les spectateurs de l’intimidation. «Beaucoup d’enfants se sentent coupables de n’avoir rien dit, ce qui risque d’ébranler leur assurance et leur estime de soi», déclare-t-il.
Il est important d’encourager les spectateurs à intervenir. M. Prichard va même jusqu’à dire qu’ils ont en quelque sorte le devoir de signaler, ce qui peut s’avérer un défi. «Les élèves disent souvent qu’ils ne veulent pas moucharder ou commérer. Toutefois, en responsabilisant les spectateurs et en leur proposant des stratégies, ce sentiment de honte laisse place à un autre type de pouvoir social», affirme Mme Reilly.
Mme Charpentier, elle, n’aime pas le terme «spectateur», car il implique un regard passif. Les gens qui observent l’intimidation ou savent qu’elle a lieu sont des témoins et peuvent faire partie de la solution.
Si on la met au courant d’un incident, elle en parle aussi à l’intimidateur, calmement et en privé, non pas pour excuser son comportement inacceptable, mais pour en comprendre la cause.
On dit, dans la recommandation de l’Ordre, que l’intimidation est une caisse de résonance. Elle touche toutes les personnes impliquées et peut avoir des répercussions à long terme. «Voilà pourquoi, dit M. Prichard, il est si important d’avoir une culture de classe où les élèves se sentent en sécurité sur les plans spirituel, physique et émotif.»