Un enseignant a propulsé Bruny Surin vers le succès, tant sur la piste que dans la vie.
De Teddy Katz
Photos : Jean-Sébastien Senécal et Claus Anderson
Bruny Surin ne passe jamais plus d’une semaine ou deux sans que des étrangers le reconnaissent dans la rue et discutent de son exploit à Atlanta, il y a près de 25 ans.
«Le plus souvent, on me dit : “Je me souviens où j’étais et ce que je faisais quand nous avons gagné”. La première fois que j’ai entendu ce “nous”, j’ai été un peu surpris», dit M. Surin. Mais, au fil du temps, la portée de ce mot a fait son effet.
«J’ai commencé à comprendre l’impact de cette victoire sur la nation. C’est nous, les Canadiens, qui avons gagné, et non les quatre gars sur la piste. Vingt-cinq ans plus tard, les gens en parlent encore de la même façon. C’est fou!»
En 1996, M. Surin faisait partie d’une équipe masculine de relais 4 fois 100 mètres aux Jeux olympiques d’Atlanta. Le jour de la course, un samedi soir où il faisait très chaud, 83 000 personnes se sont entassées dans le stade pour l’évènement. Lors d’une entrevue télévisée plus tôt dans la journée, l’entraineur de l’équipe américaine avait garanti le succès de son équipe. Les médias américains n’avaient accordé que peu d’attention aux Canadiens et avaient pratiquement décerné les médailles d’or aux Américains avant mêmele début de la course.
Or, ce soir-là, les quatre athlètes Canadiens ont semé l’équipe américaine grandement favorisée. Ils ont remporté la première place et battu les Américains sur leur propre territoire, gagnant ainsi le cœur des Canadiens.
«Je ne pense pas que j’aurai encore l’occasion de ressentir une telle montée d’adrénaline avant la fin de mes jours», déclare M. Surin.
Bruny Surin et ses coéquipiers Donovan Bailey, Glenroy Gilbert et Robert Esmie ont gravé leur nom dans les livres d’histoire, faisant d’eux l’une des plus grandes dynasties sportives du Canada. Entre 1994 et 1998, ils faisaient partie des équipes les plus rapides de la planète, devançant leurs rivaux non seulement aux Jeux olympiques, mais aussi aux Jeux du Commonwealth et aux Championnats du monde.
«Tout le monde s’est moqué de moi quand j’ai dit que je voulais participer aux Jeux olympiques. Ils ont tous dit que je n’y arriverais pas. Quatre-vingt-dix-neuf pour cent des gens disaient que j’étais fou.»
M. Surin souligne que, sans l’influence de son enseignant d’éducation physique, M. Seguy, de l’école secondaire Lucien-Pagé à Montréal, il n’aurait peut-être pas suivi ce parcours.
En janvier 1975, quand Bruny Surin est arrivé d’Haïti à l’âge de sept ans, il était timide, peu sûr de lui et peu enclin à prendre des risques. «J’étais un vrai fils à maman, probablement jusqu’à l’âge de 19 ou 20 ans», s’exclame M. Surin.
Pendant ses études à l’élémentaire et au début du secondaire, il était toujours assis au dernier rang. «J’étais craintif et trop timide pour parler devant les gens. Quand il fallait parler ne serait-ce que cinq minutes devant d’autres élèves, je détestais ça», explique-t-il. Mais quand l’enseignant d’éducation physique, M. Seguy (l’athlète n’a jamais connu son prénom), a constaté la vitesse sur piste du jeune Bruny et ses sauts en longueur, à la fin de sa première année du secondaire, cela a changé sa vie pour de bon.
Trois semaines avant une rencontre régionale d’athlétisme, M. Seguy a fait participer ses élèves de gymnastique aux épreuves de compétition. Quand Bruny s’est lancé dans un sprint pour une course d’entrainement, son enseignant n’en croyait pas ses yeux.
«Je ne me souviens pas exactement de ce qu’il a dit, mais je me rappelle comment il a réagi, car, à cet âge-là, on courait 80 mètres, et non 100. C’était la première fois qu’il voyait quelqu’un d’aussi jeune courir aussi vite les 80 mètres.»
Lors de la rencontre, M. Seguy a aidé Bruny à prendre de l’assurance. «La façon dont il me parlait, je me disais : “Ouah! C’est intéressant. C’est très bien. Peut-être que je ne suis pas si mal que ça.”»
Bruny Surin a fini par remporter plusieurs médailles ce jour-là. De toute évidence, il était un athlète à prendre au sérieux. Son enseignant lui a conseillé de s’inscrire à un club d’athlétisme pour s’adonner au sport.
«C’est lui qui m’a donné confiance en moi et qui m’a appris à croire en moi, ajoute M. Surin. Il a eu un très très grand impact sur moi.»
Daniel St-Hilaire, entraineur de l’équipe nationale canadienne d’athlé-tisme, était également présent à cette même rencontre. Tout aussi impressionné de voir la façon dont l’adolescent pouvait courir, il a convenu avec Bruny qu’il avait le talent nécessaire pour devenir un champion mondial.
«En fait, j’ai essayé de le recruter pendant cinq ans», affirme M. St-Hilaire. Mais cela ne l’intéressait pas. L’entraineur n’a pas admisla défaite.
Après cinq ans d’encouragement, M. Seguy et M. St-Hilaire l’ont convaincu de faire de l’athlétisme son principal objectif. Un autre évènement majeur a aussi joué un rôle déterminant.
«Je me suis décidé après avoir vu Carl Lewis [sprinteur] aux Jeux olympiques de 1984. Je voulais être ce gars-là, dit M. Surin. Il est devenu mon idole et la raison pour laquelle je me suis finalement lancé dans l’athlétisme.»
À 17 ans, Bruny Surin a exprimé ouvertement son nouveau et ambitieux rêve.
«Tout le monde s’est moqué de moi quand j’ai dit que je voulais participer aux Jeux olympiques. Ils ont tous dit que je n’y arriverais pas. Quatre-vingt-dix-neuf pour cent des gens disaient que j’étais fou.»
Son objectif ne se limitait pas à la compétition. «J’ai dit : “Un jour, vous verrez, je serai l’un des coureurs les plus rapides.”»
Dans le cadre du programme d’entrainement, M. St-Hilaire lui a appris à discipliner son corps et son esprit. Plus important encore, comme M. Seguy, il l’a convaincu que son rêve était possible.
En 1999, aux Championnats du monde, M. Surin a remporté une médaille d’argent en courant le 100 mètres en 9,84 secondes, rattrapant le record mondial de Donovan Bailey.
«Mon but ultime était de courir plus vite que mon idole, Carl Lewis. À 32 ans, je l’ai atteint.»
Timide hier, entrepreneur aujourd’hui, M. Surin déclare que l’ironie de la situation le fait rire : prêt à partager les leçons qu’il a tirées de sa jeunesse, il est très demandé comme conférencier et ne perd pas une occasion pour motiver les jeunes.
«Aujourd’hui, quand je prends la parole lors d’évènements, j’encourage toujours les gens à dire tout haut ce qu’ils pensent tout bas et à ne pas avoir peur, à ne pas être timides parce que je me souviens que j’étais comme ça. Si M. Seguy, Daniel et mes parents ne m’avaient pas toujours poussé à me persuader que c’était en effet possible, peut-être serais-je encore la même personne timide.»
La dernière fois que M. Surin a vu son ancien enseignant, il y a environ 15 ans, c’était au Centre national d’entrainement de Montréal, où se déroulaient les compétitions d’anciens de l’école secondaire.
Ensemble, ils ont ri en évoquant les premiers jours.
«Je l’ai remercié deux ou trois fois de m’avoir poussé, d’avoir cru en moi et de m’avoir fait croire en moi.» Pour M. Surin, cela montre bien l’importance des enseignantes et enseignants d’éducation physique. Il déplore le fait qu’ils sont souvent les premiers, en période de restrictions budgétaires, à subir des compressions dans les écoles du Canada.
«J’ai toujours été d’avis que les enseignants d’éducation physique comme M. Seguy n’obtiennent pas la reconnaissance qu’ils méritent.» Il espère bien contribuer à changer cela.
Lors de leur dernière conversation, M. Seguy ne voulait pas s’attribuer la gloire des exploits de M. Surin, qui a été intronisé aux temples de la renommée des sports du Canada et des Jeux olympiques.
M. Seguy était ravi de voir l’athlète et l’homme qu’est devenu M. Surin, affichant une confiance tranquille tout en restant modeste, malgré son succès dans l’épreuve de 100 mètres, connue pour ses athlètes célèbres à l’égo démesuré.
«Il m’a dit qu’il n’était pas du tout surpris en voyant tout ce que j’avais accompli dans ma carrière sportive, et il est très fier de m’avoir connu depuis le début.»
«Tout le monde s’est moqué de moi quand j’ai dit que je voulais participer aux Jeux olympiques. Ils ont tous dit que je n’y arriverais pas. Quatre-vingt-dix-neuf pour cent des gens disaient que j’étais fou.»
Cette rubrique met en vedette des personna- lités canadiennes qui rendent hommage aux enseignantes et enseignants qui ont marqué leur vie en incarnant les normes de déontologie de la profession enseignante (empathie, respect, confiance et intégrité).