Durant la pandémie, des stratégies créatives ont facilité l’apprentissage expérientiel à distance.
De Jennifer Lewington
Photos : Matthew Liteplo
L’année dernière, dès l’éclosion de la pandémie de COVID-19, qui a bouleversé la vie scolaire,les enseignantes et les enseignants de matières à dominante expérientielle ont dû surmonter un défi : comment offrir un apprentissage pratique à distance?
«J’ai alors senti qu’il était temps de monter d’un cran», dit Valerie Hodowanski, EAO, enseignante d’études familiales et de sciences sociales et humaines à la Brooklin High School de Whitby, exprimant là un sentiment que partagent ses pairs dans toute la province de l’Ontario. «Il faut sortir des sentiers battus ou nous inventer un tout autre parcours.»
Dans les cours d’éducation en plein air, d’études familiales, de danse et de métiers, où l’apprentissage par l’expérience fait son plein, les enseignants ont su conjuguer de nouvelles technologies, des approches pédagogiques innovatrices, de l’empathie et de l’humour pour susciter l’intérêt des élèves en ces temps sans précédent.
«La pandémie a mis à l’épreuve l’ingéniosité des enseignantes et des enseignants désireux de reproduire le déroulement en classe.»
Ainsi, au printemps 2020, quand les écoles sont passées à l’apprentissage à distance, Mme Hodowanski a reconfiguré ses cours de mode de 10e et de 11e année en mettant les élèves au défi de s’exercer à ce qu’elle appelle «ISEWlation sociale» (la couture par temps d’isolement social). Après avoir préparé des trousses de tissus et d’accessoires de couture, elle les a envoyées aux élèves pour qu’ils cousent des masques à la main ou à la machine. Elle a publié en ligne des vidéos didactiques et adapté au contexte du domicile les «défis du dessin de mode» prévus au programme d’études. Certains élèves devaient analyser leur garde-robe et se composer de nouvelles tenues et de nouveaux looks sans s’acheter de nouveaux vêtements. D’autres avaient la tâche de décoder les symboles de lavage des étiquettes, les parents étant appelés à évaluer les aptitudes de leur enfant à gérer la lessive familiale et le soin donné aux vêtements sur une période de deux semaines.
Puisque les élèves n’étaient pas tenus d’activer la caméra de leur ordinateur, Mme Hodowanski a fait des efforts particuliers pour rester en contact. Chaque dimanche, elle envoyait aux parents et aux élèves un courriel leur exposant le programme de la semaine à venir. Quand une élève de 11e année pleurait à la suite du décès de sa grand-mère, Mme Hodowanski l’a invitée à faire inscrire son travail – une veste faite de jeans usagés –, à un concours de dessin de mode lancé par Compétences Ontario. L’élève a remporté le deuxième prix.
Au milieu de l’anxiété suscitée par la pandémie, l’enseignante s’est juré de s’en tenir à une attitude positive. «Tout à coup, je n’ai tenu que de beaux propos, nous confie Mme Hodowanski. Je ne me plaignais jamais lorsque j’étais en ligne et je ne me permettais pas de formulations comme “attentes du programme d’études”.»
Même à distance, les enseignants ont su faire du plein air un moyen d’apprentissage, comme en témoigne Kathleen McFayden, EAO, spécialiste de la formation en plein air de la section d’éducation en plein air du centre d’études urbaines du Toronto District School Board. Elle s’inspire de diverses stratégies – dont l’activité physique – pour donner vie à l’enseignement à distance devant les élèves de l’élémentaire. Créant animations et clips vidéo, et les agrémentant parfois de propos loufoques, elle a réussi à faire comprendre, par exemple, comment différents types de terre retiennent l’eau. Alors qu’ils suivaient les démonstrations à l’écran de chez eux, elle encourageait les élèves à se lever et à s’accroupir pour illustrer la vitesse variable à laquelle l’eau s’écoulait dans chaque échantillon.
«En offrant ainsi des cours en mode virtuel, j’essaie très consciemment de ne pas faire des élèves des consommateurs passifs d’informations sur un écran plat et unidimensionnel», explique Mme McFayden.
Les programmes scolaires en personne ayant été annulés, elle a opté pour des activités sur le terrain à partir de son téléphone. Par exemple, pour que les élèves étudient les types de roches utilisées dans la construction de bâtiments, elle a visité le campus de l’Université de Toronto. En observant depuis leur domicile, les élèves ont enregistré leurs observations et en ont discuté en temps réel entre eux et avec l’enseignante.
«C’est tout à fait comme s’ils suivaient un programme offert sur le terrain; c’est réel et interactif», dit-elle en insistant sur les possibilités que revêt la connectivité des élèves, même à distance, à leur environnement extérieur. «Nous les mettons à contribution et rendons la matière accessible sur une plateforme d’apprentissage virtuelle.»
Durant la pandémie, certains enseignants, soucieux de bonifier l’apprentissage, ont davantage privilégié le plein air, comme Elisabeth Heathfield, EAO, de l’Hepworth Central Public School, dans le comté de Bruce. Enseignante à l’élémentaire passionnée par les mathématiques et les arts, elle incorporait déjà dans ses cours, avant la pandémie, des activités axées sur la nature. Dès septembre 2020, elle a augmenté le temps que ses élèves de 1re et de 2e année d’immersion française passaient à l’extérieur – qu’il pleuve, qu’il neige ou qu’il fasse soleil – dans une forêt comprise dans les limites de la propriété de l’école. «Ils sont devenus si proches les uns des autres, et serviables et calmes, en cherchant à résoudre les problèmes. Ils ont aussi gagné en assurance et en résilience, dit-elle en commentant leur expérience. C’est incroyable.»
«Les enseignants de métiers le reconnaissent : rien ne peut se substituer à l’apprentissage en présentiel, en chair et en os.»
Mme Heathfield, qui a par ailleurs monté des vidéos et d’autres ressources en ligne, soutient que les expériences en plein air se sont révélées précieuses lorsque les écoles ont de nouveau fermé leurs portes en janvier 2021. Lors des chasses au trésor et d’autres activités menées dans l’arrière-cour à l’appui des mathématiques et de la lecture, elle fait savoir que les élèves «se voyaient comme de véritables enfants de la nature et tout à fait habitués… Il leur fallait manifestement cette dimension extérieure de l’apprentissage.»
Évoquant la santé mentale des élèves, d’autres enseignants ont constaté que l’apprentissage en plein air était très bénéfique. «Si l’on néglige leur bien-être, ils n’apprendront pas, observe Julie McLean, EAO. Cette relation avec nos élèves et leur bienêtre est bien plus importante [en cette période] de pandémie.» Mme McLean, enseignante en chef de mathématiques, de lecture et d’éducation en plein air à l’école élémentaire et secondaire publique Rivière Rideau (située sur le campus de l’ancien collège agricole de Kemptville, d’une superficie de plus de 243 hectares), donne des cours de mathématiques, de lecture et d’éducation expérientielle en plein air. Elle défend aussi depuis longtemps l’apprentissage en plein air et son école est partenaire de Child and Nature Alliance of Canada, un organisme sans but lucratif.
Mme McLean a fait parvenir à ses élèves de 5e année des cahiers, crayons, loupes, rubans à mesurer et autres outils pour leur permettre d’explorer la nature dans le jardin ou depuis la fenêtre de leur appartement.
Alors qu’elle faisait une lecture virtuelle à ses élèves dans sa cour arrière, ceux-ci lui ont demandé pourquoi il y avait tant d’oiseaux dans son jardin. La discussion qui s’en est suivie a débouché sur un projet portant sur l’alimentation des oiseaux et, avec le concours des parents, sur des recettes de «gâteaux» pour oiseaux, à base de suif et de graines, préparés par les élèves. Un devoir de suivi leur a demandé de compter les oiseaux dans leur jardin.
«Ce que nous faisons est vraiment, mais alors réellement authentique, de telle sorte que les enfants se sentent investis dans ce qu’ils font, dit-elle. Leur apprentissage est durable, car ils ont envie de s’instruire et ils en comprennent la raison.»
Dans l’intervalle, Mme McLean et une collègue du Conseil des écoles publiques de l’Est de l’Ontario ont produit des ressources en français, notamment des vidéos sur Facebook et des webinaires sur l’apprentissage authentique en plein air.
La pertinence du contenu des cours importe également aux enseignants francophones du secondaire, comme l’explique Antoine Labbé, EAO, enseignant de technologie des transports et de la fabrication à l’école secondaire catholique E. J. Lajeunesse, à Windsor. «On trouve beaucoup de produits provenant de France en ligne, explique-t-il. Sauf que, dans la collectivité de Windsor-Essex, notre français est unique et comme nulle part ailleurs sur la planète… et je ne peux pas me permettre de bombarder les élèves de mots qu’ils ne comprennent pas.»
M. Labbé et son frère Daniel, EAO, enseignant des métiers de la cons-truction à la même école, ont donc adapté des vidéos didactiques YouTube en y ajoutant, en français, leur voix hors champ.
Pour compenser les sorties scolaires, les frères en ont simulé l’expérience. C’est-à-dire qu’Antoine s’est arrangé pour qu’un de ses anciens élèves, aujourd’hui mécanicien aéronautique, fasse suivre virtuellement une inspection d’avion à l’aéroport Pearson, à Toronto.
De son côté, Daniel, profitant d’une visioconférence en direct – un service fourni par le conseil scolaire –, a offert aux élèves la possibilité de s’entretenir avec un porte-parole de l’industrie de la construction dans la région, qui a également abordé la question de la pénurie d’élèves diplômés. Dans la même veine, il a fait appel à un rénovateur local en construction, qui a bien voulu donner une tournée virtuelle, en temps réel, d’un projet en cours. «Nous faisons découvrir l’industrie aux élèves sans risquer qu’ils se blessent», dit-il.
Pour autant, la pandémie a mis à l’épreuve l’ingéniosité des enseignantes et des enseignants désireux de reproduire le déroulement en classe.
À la Bishop P.F. Reding Catholic Secondary School, à Milton, Cesar Da Silva, EAO, enseignant de technologie des transports, a emprunté la caméra à 360 degrés de l’école pour filmer une tournée virtuelle de l’atelier automobile. Pour effectuer un devoir sur la sécurité, les élèves ont cliqué sur l’image, se sont déplacés virtuellement dans la salle de classe pour identifier l’équipement essentiel et lui ont téléversé leurs réponses.
Par ailleurs, M. Da Silva a réalisé de courtes vidéos didactiques pour montrer comment faire la rotation des pneus sur un véhicule et y a joint des codes QR pour chaque vidéo afin que les élèves puissent suivre la session sur leur téléphone portable. Attachant une caméra à un vieux casque de soudage, il a diffusé les démonstrations en direct aux élèves, lesquels ont posé des questions de chez eux.
En parlant de l’enseignement dans un contexte de pandémie, M. Da Silva affirme : «L’expérience d’apprentissage la plus riche a probablement été acquise en personne, aux côtés d’un professionnel chevronné. Cependant, enseigner en temps de pandémie nous a poussés à apprendre sans cesse à nous adapter.»
Stephan Szeideman, EAO, enseignant de techno-logie des transports à la Christ the King Catholic Secondary School, à Georgetown, a usé de ses compétences de scénariste autonome pour produire cinq vidéos sur divers sujets tels que les systèmes de chauffage de véhicules. Selon l’année d’études, les élèves ont effectué huit ou dix travaux évalués en virtuel. À l’automne 2020, devant une classe d’élèves en présentiel et à distance, M. Szeideman, équipé de son ordinateur portable, s’est servi de la caméra pour montrer comment vidanger une voiture. À l’instar de leurs camarades en classe, les élèves à domicile pouvaient également poser des questions, virtuellement dans leur cas, en levant la main.
Tirant parti de la plateforme d’apprentissage de son conseil scolaire, il a également pu noter les élèves en temps réel, une étincelle motivante pour certains d’entre eux. «Nous avons dû nous accommoder des défis que nous a lancés la pandémie, déclare-t-il. Je ne suis pas un vrai technologue, mais je dois en devenir un. Il n’y a pas d’excuses; je ne peux pas laisser tomber mes élèves.»
Pourtant, les enseignants de métiers le reconnaissent : rien ne peut se substituer à l’apprentissage en présentiel, en chair et en os.
Au printemps dernier, l’Holy Cross Catholic School de Strathroy s’est associée à un constructeur local pour offrir aux élèves de 11e et de 12e année, pendant une session, une nouvelle expérience leur permettant de cumuler des crédits d’enseignement coopératif et de construction en travaillant aux côtés de gens de métier qualifiés, tout en respectant la distanciation sociale, pour construire des habitations.
«C’est difficile de donner des cours de technologie en ligne», soutient John Drahushchak, EAO, enseignant de construction à l’Holy Cross, et qui, conjointement avec le chef du département, Michael Stevenson, EAO, et le directeur de l’école, John Marinelli, EAO, a fait le nécessaire pour mettre en place le programme Home Build (Construction domiciliaire) de JF Homes. «Lorsque nous pouvons aller dans le sens opposé et faire vivre aux [élèves] l’expérience pratique la plus immersive qu’on puisse offrir tout en étant à l’école, [c’est là] une occasion merveilleuse.»
Encadré par l’enseignant de sa classe et par les membres du personnel du constructeur, Leo Austin, élève de 11e année, a passé sa première semaine à apprendre la plomberie, la construction d’une charpente et la pose de cloisons sèches. «À l’école, on nous apprend ce qu’il faut faire, mais on ne pourra jamais nous apprendre ce que c’est réellement sur le chantier tous les jours», dit-il. Pendant que la moitié de la classe construit des maisons, l’autre moitié étudie à distance, les élèves étant à domicile.
Les enseignantes et enseignants d’arts ont aussi eu leurs propres défis à relever. En témoigne Sheri Talosi, EAO, de l’école secondaire virtuelle du Toronto District School Board, qui, en consultant les horaires des enseignants en septembre dernier, a appris qu’elle avait quatre jours pour préparer ses cours de danse de la 10e à la 12e année, à dispenser en ligne, et s’adressant à des élèves aux niveaux d’aptitude variables en matière de mouvements créatifs.
Enseignante de danse, de mathématiques et de théâtre depuis 12 ans, Mme Talosi savait que les élèves seraient réticents à l’idée de se prêter au partage de leur écran. «Comment faire pour que ça marche [quand] je sais que les enfants ne vont pas activer leur caméra?», s’est-elle demandé. Elle leur a envoyé sur-le-champ un courriel de bienvenue sur le cours et les a invités à poser des questions. «Je voulais leur faire savoir que quelqu’un était là pour eux», ajoute-t-elle. Elle explique qu’elle ouvrait chaque séance de cours par un «monologue de Mme Talosi», un échauffement bavard ponctué de questions amusantes pour que s’instaure une relation entre les élèves et avec elle.
Mme Talosi était toujours devant la caméra, face à ses élèves. Elle les voyait rarement en direct et seulement en virtuel lorsqu’ils téléchargeaient leurs devoirs. Elle s’est attachée à modifier le programme scolaire afin de leur donner le temps de réfléchir, collectivement, à ce qu’ils apprenaient.
«Il est très important de laisser les enfants s’exprimer en ce moment», dit-elle en parlant du poids émotionnel que représente la pandémie chez les élèves. «Ce que cette année m’a appris, en tant qu’enseignante, c’est qu’il faut ralentir le rythme.»
Ne pouvant tenir de cours en présentiel, donc privée de la possibilité de demander aux élèves de se produire devant la classe, Mme Talosi est devenue l’unique interprète, exécutant des mouvements qui incitaient les élèves à faire des variations, qu’elle reprenait ensuite devant la classe. À de rares occasions, lorsque certains élèves partageaient leurs travaux en ligne, elle dit avoir été frappée par la réaction «solidaire, encourageante et positive» de leurs camarades.
En réfléchissant à l’impact de la pandémie sur l’enseignement, elle déclare : «On a découvert de la beauté dans tout ce chaos et on a su faire marcher les choses.»