Les enseignantes et enseignants agréés de l’Ontario portent aussi le chapeau d’apprenant, et ils peuvent façonner des stratégies créatives quand ils collaborent sur des questions qui touchent les besoins des élèves.
De Stuart Foxman
illustrations : pete ryan
Certains élèves du secondaire ont peine à multiplier les bonnes notes en mathématiques. Comment peuvent-ils s’investir davantage et mieux comprendre? C’est la question que se posait Amanda Barry, EAO, il y a trois ans. Le questionnement collaboratif lui a fourni la réponse.
En tant que conseillère pédagogique au Sudbury Catholic District School Board, elle a réuni les 44 enseignants de mathématiques des écoles secondaires pour leur offrir du perfectionnement professionnel. Peter Liljedahl, auteur du livre Building Thinking Classrooms in Mathematics (Instaurer des classes réflexives en mathématiques), a dirigé le groupe.
Professeur à la Faculté d’éducation de l’Université Simon Fraser, M. Liljedahl avait travaillé pendant 15 ans avec des pédagogues dans ce qu’il appelle un projet de recherche de grande envergure. L’objectif : déterminer si une classe est réflexive ou non réflexive, de même que les pédagogies influant sur chaque variable. À Sudbury, l’auteur a discuté avec les enseignants de mathématiques de ses concepts concernant, entre autres sujets, la façon dont les tâches sont données et dont les groupes sont formés, l’espace de travail idéal, la façon dont les élèves travaillent et l’évaluation de l’apprentissage.
Les enseignants ont ensuite mené une enquête de suivi en se réunissant pendant un semestre pour transmettre leurs apprentissages et leurs stratégies. Ils ont effectué un test de référence pour mesurer les résultats des élèves, ont mis en œuvre diverses approches autour d’un cadre de classes réflexives, puis ont de nouveau testé les élèves. Les résultats, la réflexion et l’engagement en mathématiques avaient nettement progressé.
Pour Amanda Barry, qui enseigne maintenant les sciences sociales et l’anglais à la St. Benedict Catholic Secondary School, à Cambridge, ce constat illustre les avantages du questionnement collaboratif. Il s’agit d’un moyen systématique pour les enseignants d’examiner ensemble les pratiques pédagogiques en s’appuyant sur des exigences claires pour les élèves et en utilisant des techniques de recherche. «Nous ne pouvons changer que ce que nous pouvons mesurer», souligne-t-elle.
Comment les enseignantes et enseignants agréés de l’Ontario ont-ils utilisé au mieux cette méthode? Et pourquoi est-ce si important pour l’efficacité en enseignement et, par conséquent, pour le rendement des élèves?
On pratique le questionnement collaboratif sans nécessairement y faire référence par ce nom ni en nommant toutes ses étapes. Ce processus peut être naturel, mais intentionnel.
«Vous devez adopter une approche disciplinée, cibler le dilemme ou le problème, le relier à un besoin d’apprentissage des élèves, faire des recherches sur les approches prometteuses et vous engager à mettre en place de nouvelles pratiques», explique Jenni Donohoo, EAO, auteure de Collaborative Inquiry for Educators: A Facilitator’s Guide to School Improvement (Questionnement collaboratif pour les pédagogues : guide d’animation pour l’amélioration des écoles) et coauteure de The Transformative Power of Collaborative Inquiry: Realizing Change in Schools and Classrooms (Le pouvoir transformateur du questionnement collaboratif : concrétiser le changement dans les écoles et les classes).
Il ne s’agit pas d’une thèse de doctorat ni d’un simple remue-méninge dans la salle du personnel. «Je pense qu’il faut trouver le juste milieu», tranche Mme Donohoo, qui est maintenant animatrice professionnelle de l’apprentissage sous contrat avec le Conseil ontarien des directions de l’éducation.
Les niveaux de sophistication du processus peuvent varier, mais ils nécessitent tous une réflexion approfondie, la collecte de données et un questionnement ciblé. Selon Mélissa Balthazar, EAO, l’objectif dans tous les cas est d’améliorer l’apprentissage des élèves.
Mme Balthazar enseigne le français, l’anglais et les sciences sociales en 8e année à l’école secondaire publique Louis-Riel, à Gloucester, au Conseil des écoles publiques de l’Est de l’Ontario. Elle a remarqué récemment que les élèves ont parfois du mal à faire des liens entre les différentes matières. Elle s’est donc posé la question suivante : comment les élèves peuvent-ils concrétiser l’apprentissage en intégrant différentes matières?
«Une stratégie adoptée pour les élèves en difficulté consistait à revenir à l’essentiel : beaucoup de répétitions, une routine fixe, de plus petits groupes et des leçons modifiées.»
Pour trouver la réponse, elle a parlé à des collègues et a également observé attentivement ses élèves. Dans une classe, elle leur a demandé d’utiliser le tableau blanc pour dépeindre un enjeu social qui ne pouvait être deviné qu’à l’aide de repères visuels. Un élève a dessiné une série de voitures avec d’énormes panaches sortant des tuyaux d’échappement. Un autre a dessiné de grandes maisons juxtaposées à des mendiants. Mme Balthazar a trouvé intéressante l’expression des élèves.
Avec des collègues, l’enseignante a discuté de la possibilité d’essayer un projet interdisciplinaire qui pourrait être évalué dans plusieurs matières. Leur choix s’est arrêté sur les études sociales et l’art. Les élèves ont été chargés de produire, en utilisant un point de fuite, une peinture ou un dessin qui représente un enjeu social, par exemple les changements climatiques ou la pauvreté.
Le résultat : les élèves ont démontré plus d’enthousiasme et une compréhension plus claire des enjeux. Qu’ils soient attirés davantage par les sciences sociales ou par l’art, ce travail les a tous mobilisés. Par exemple, Mélissa Balthazar explique que certains élèves ayant des capacités d’apprentissage visuelles et kinesthésiques se sont davantage intéressés aux concepts des études sociales grâce au volet artistique du projet.
Pour le questionnement collaboratif, la base de référence peut inclure des observations ou des données concrètes. Amanda Barry a participé à un questionnement qui visait à combler l’écart de réussite en mathématiques lors du passage de l’élémentaire au secondaire.
Ainsi, 10 enseignants de la 7e à la 9e année ont examiné le rendement et les différentes approches pour préparer les élèves à la transition. Ils ont compilé une base de données commune de questions de résolution de problèmes pour étayer l’apprentissage. Ensemble, ils ont établi un continuum plus fluide pour les attentes en mathématiques. Ils vont comparer les deux cohortes avant et après le projet pour voir si l’écart de réussite s’est réduit. En outre, ce questionnement a réuni des enseignants de différentes années d’études qui ne collaborent généralement pas de cette manière.
«Cette démarche a permis d’ouvrir la communication entre ces années d’études et de créer un meilleur alignement», affirme Mme Barry.
De nombreux exemples tendent vers ce qu’on pourrait appeler un questionnement collaboratif «léger», mais les principes demeurent.
Laura Lee Matthie, EAO, enseigne la musique à l’Orillia Secondary School du Simcoe County District School Board. Elle fait souvent appel à ses pairs pour trouver de nouvelles approches afin d’aider ses élèves. Par exemple, elle a utilisé le groupe Facebook de l’Ontario Music Educators’ Association (OMEA Pot Luck Resource Group) pour recueillir des techniques éprouvées sur toutes sortes de sujets, de l’enseignement virtuel aux rubriques de performance.
Mme Matthie a également travaillé avec des collègues pour intégrer la technologie dans l’enseignement de la musique et pour puiser de meilleures façons d’évaluer ses élèves. Trois nouvelles leçons significatives sont nées du premier objectif, et l’enseignante a découvert des outils de suivi quotidien du rendement et des compétences d’apprentissage.
En ce qui concerne le questionnement, Mme Matthie estime qu’il est important d’explorer non seulement au sein de son école, mais aussi dans d’autres écoles et conseils scolaires. Un excellent moyen, selon elle, de recueillir plus d’idées pour sa boite à outils.
Marium Chowdhury, EAO, a également utilisé un questionnement collaboratif moins formel pour accélérer les solutions. Elle soutient les apprenants de l’ALS et de l’anglais à la Thornwood Public School, à Mississauga, qui fait partie du Peel District School Board. Apprendre une nouvelle langue et s’adapter à un nouveau pays peuvent être difficiles, même dans les meilleures conditions. Le stress de la pandémie et les milieux d’apprentissage souvent changeants n’ont rien facilité.
À la Thornwood Public School, les enseignants de soutien et d’autres pédagogues ont cherché à savoir comment les élèves pouvaient acquérir au mieux le vocabulaire anglais en apprenant à distance. Mme Chowdhury et ses collègues ont examiné non seulement les résultats scolaires, mais aussi la concentration des élèves en ligne et leur état émotionnel. L’équipe s’est entretenue avec les élèves, mais aussi avec leurs parents (par l’intermédiaire d’interprètes, si nécessaire).
Une stratégie adoptée pour les élèves en difficulté consistait à revenir à l’essentiel : beaucoup de répétitions, une routine fixe avec moins d’interruptions, de plus petits groupes et des leçons modifiées.
Idéalement, selon Marium Chowdhury, le questionnement collaboratif devrait être «perturbateur», c’est-à-dire qu’il devrait permettre aux enseignants de trouver de nouvelles façons de comprendre afin de favoriser la compréhension des élèves.
Pour Matthew Aslett, étudiant en enseignement, il s’agit parfois d’appliquer une réflexion existante à une nouvelle situation. C’est l’expérience qu’il a vécue au cours de deux stages effectués en 2021 à l’Halton Catholic District School Board.
M. Aslett, qui poursuit son baccalauréat en éducation à l’Université de Niagara, a remarqué que ses élèves de 7e et de 8e année étaient démotivés. La pandémie faisait des ravages. Il s’est demandé comment ils pourraient être plus enthousiastes à l’idée d’apprendre, alors que leur monde est en pleine mutation.
Il a donc collaboré avec un conseiller pédagogique, des enseignants, l’équipe administrative ainsi que des professeurs et d’autres étudiants du programme de l’Université de Niagara. D’un éventail d’idées a émergé une notion précieuse : en période d’incertitude, il faut donner plus d’autonomie aux élèves.
Pour une leçon de mathématiques sur les fractions, le stagiaire a laissé les élèves utiliser n’importe quel exemple réel qui leur plaisait, du sport à l’investissement. Pour une autre leçon, où les élèves devaient dépenser une somme fictive de 500 $ (en calculant les rabais et les taxes), il a fourni un grand catalogue d’articles; les élèves pouvaient ainsi choisir parmi d’innombrables combinaisons. Et pour un projet en lecture, les élèves ont eu l’occasion de sélectionner n’importe quel poème en lien avec leur patrimoine ou les idées d’inclusion et d’équité.
Il n’y a rien de nouveau à promouvoir l’autonomie des élèves. Ce que M. Aslett a observé, c’est le contexte. Lorsque les élèves ont ressenti une perte de contrôle dans leur vie, leur donner encore plus de pouvoir sur leur apprentissage a donné d’excellents résultats. Le stagiaire l’a constaté à la fois dans l’amélioration des notes et dans le plaisir d’apprendre.
«J’ai remarqué un regain d’enthousiasme et d’énergie pour les tâches», s’est réjoui le stagiaire.
Même de brèves rencontres peuvent contenir des éléments de questionnement collaboratif, selon Terri Sinasac, EAO, enseignante de soutien en littératie et en numératie au St. Clair Catholic District School Board.
Elle décrit l’initiative d’un groupe de pédagogues œuvrant au début de l’élémentaire. Ces derniers ont constaté que les élèves s’impatientaient lorsque l’enseignement formel durait trop longtemps. Ils ont donc voulu voir comment un apprentissage plus ludique pouvait améliorer les connaissances en mathématiques.
Sous le regard d’un groupe de collègues, un enseignant a donné une leçon planifiée sur l’addition. Le cours a duré 25 minutes et, à la fin, certains élèves ne se souvenaient même plus du problème qu’ils essayaient de résoudre. Ils ont alors fait une pause, et les enseignants ont élaboré une autre stratégie.
Cette fois, ils ont divisé les 25 élèves en groupes de cinq. Chaque groupe a répété la leçon, mais en cinq minutes seulement. Les mêmes 25 minutes ont donc été utilisées, mais d’une manière plus ciblée. Avant ou après leur tour, les élèves ont joué. Les enseignants avaient préparé la zone avec des «provocations», soit des horloges, compteurs, blocs et autres objets pouvant être utilisés pour les mathématiques. Qu’allait-il se passer?
Les élèves ont fini par compter, combiner des nombres, comparer la taille de leurs tours de blocs et effectuer d’autres manipulations mathématiques. «C’était fantastique de voir l’apprentissage qui se transférait entre les élèves», se souvient Mme Sinasac.
Les enseignants ont ciblé un besoin chez les élèves, se sont concentrés sur les approches possibles et ont mesuré les résultats avant et après leur intervention.
Lorsqu’elle était enseignante, Mme Donohoo trouvait que l’expérience d’entreprendre un questionnement collaboratif, sans même compter les résultats, était inestimable. Selon elle, le processus de découverte est motivant en soi, car l’enseignant est alors responsable des résultats.
Or, c’est vrai pour les enseignants comme pour les élèves. Mettre en pratique ce qu’on prêche constitue un autre avantage de participer à un questionnement collaboratif.
Après tout, les enseignants attendent régulièrement des élèves qu’ils ciblent un sujet d’intérêt, posent des questions d’approfondissement, effectuent des recherches, analysent, tirent des conclusions, appliquent et transmettent leurs résultats. C’est la démarche qui conduit à un nouvel apprentissage. C’est le questionnement collaboratif. Les enseignantes et enseignants agréés de l’Ontario devraient être encouragés à faire de même.
«Le plus beau cadeau que nous puissions faire à nos élèves, croit Terri Sinasac, c’est de comprendre que nous sommes nous aussi des apprenants.»