Patrick Chan, le patineur artistique le plus décoré du Canada, attribue à sa conseillère d’orientation du secondaire le mérite de l’avoir mis sur la voie de la victoire.
De Teddy Katz
Photos : Kim Bellavance Photographe et Robert Grond
Patrick Chan dit en riant qu’à l’école secondaire, ses camarades de classe ont dû penser qu’il séchait les cours et était un fauteur de troubles. Il est vrai qu’afin de pouvoir participer à des compétitions dans le monde entier, le jeune Patrick manquait l’école, des jours et des semaines d’affilée, et ce, bien avant que son nom ne soit célèbre dans le monde du patinage artistique.
«Ils ont dû penser que j’étais un mauvais gamin et qu’on m’avait viré de la classe. Personne n’avait la moindre idée de ce que je faisais et on ne m’a jamais interrogé à ce sujet», se rappelle M. Chan, jusqu’à ce qu’on commence à le voir à la télé. Très bientôt, tout le pays a commencé à s’intéresser à lui aussi. Son diplôme en main, Patrick Chan, âgé de 19 ans, a représenté le Canada aux Jeux olympiques de Vancouver en 2010. La décennie suivante l’a vu devenir le patineur artistique masculin le plus décoré de l’histoire du Canada : trois fois champion du monde, il a remporté l’or aux Jeux olympiques de Pyeongchang en 2018, une médaille d’argent à l’épreuve masculine et une autre à l’épreuve d’équipe aux Jeux de Sotchi en 2014.
En temps normal, hors pandémie, il voyage toujours aux quatre coins du monde pour participer à des spectacles et tournées de patinage artistique et, autrement, il travaille dans l’immobilier commercial à Vancouver. M. Chan et sa femme auront un petit garçon ce mois-ci.
Avec le recul, M. Chan, aujourd’hui âgé de 30 ans, affirme que rien de ce qu’il a accompli dans le sport n’aurait été possible sans l’école secondaire Étienne-Brûlé qu’il a fréquentée à Toronto, et sans la présence d’une conseillère d’orientation qui l’a aidé à se mettre sur la bonne voie.
«C’est incroyable de voir toute l’influence qu’une seule personne a exercée sur moi. Je peux vous dire que je n’aurais pas atteint le succès qui est le mien si ce n’était pas grâce à Mme Popiel et à cette école.»
M. Chan a commencé à patiner dès l’âge de six ans et, à huit ans, à participer à des compétitions. Ses parents, tous deux des immigrants au Canada, ont vu leur fils grandir dans un foyer bilingue, la mère lui parlant le cantonais, son père, le français.
Quand est venu le temps de passer au secondaire, la famille envisageait de l’inscrire à l’école de langue française située à deux pas du Granite Club, la patinoire torontoise où il s’entrainait. Mais, Étienne-Brûlé, une école de taille moyenne forte d’une excellente réputation dans l’art dramatique, la musique, les sports et les sciences, avait aussi de quoi l’intéresser.
D’emblée, Patrick et sa mère ont rencontré la conseillère d’orientation Christine Popiel, pour voir s’il serait à même de concilier ses études et le patinage. Celle-ci les a rassurés en leur disant que l’école avait beaucoup d’expérience en la matière, ayant accueilli des athlètes olympiques, des joueurs de hockey visant la LNH, des acteurs aspirants et des chanteurs en devenir.
«L’école s’est efforcée de rendre la vie un peu plus facile aux athlètes ou aux élèves qui faisaient du théâtre ou qui avaient d’autres occupations dans leur vie. Les enseignants voulaient aider ces élèves, qui avaient tant de choses à gérer, à réussir», dit-elle.
Mme Popiel se souvient de sa première rencontre avec le jeune Patrick et ajoute que son visage s’est illuminé d’un «beau sourire dentifrice», comme elle le lui a souvent dit par la suite.
Les deux se sont tout de suite entendus, comme l’explique M. Chan : «C’était juste le caractère décontracté qu’avait Mme Popiel. Elle usait du parler des jeunes. Elle ne nous intimidait pas comme la plupart des autres pédagogues ou membres de l’administration.»
«Oh oui, il a raison de dire que je parlais comme eux, dit Mme Popiel. Si je voulais attirer l’attention d’un élève dans le couloir parce qu’il faisait quelque chose qu’il n’aurait pas dû faire, je criais ‘Hey, Yo’», ajoute-t-elle.
Elle-même ancienne élève de l’école, Mme Popiel est devenue une figure emblématique en tant qu’enseignante. Au fil de sa carrière de 32 ans, elle a enseigné de nombreuses matières, dont les études familiales, les sciences, les mathématiques, l’anglais langue seconde, ou encore dans le cadre des programmes d’enseignement coopératif et d’éducation de l’enfance en difficulté.
«Elle était comme une figure maternelle pour beaucoup d’entre nous. Elle savait se faire rassurante», se rappelle M. Chan.
Patrick portait deux casquettes : celle d’un élève du secondaire qui n’était pas très bavard, qui ne cherchait pas à se faire remarquer et qui voulait être comme tous les autres jeunes; et celle du patineur artistique qui se produisait devant des foules, s’absentait souvent et se sentait souvent coupé de ses amis.
«Demandez aux élèves comment ils vont, puis attendez. Vous les regardez dans les yeux, et vous les écoutez attentivement, et ils vous diront tellement de choses.»
Les pressions étaient réelles. Patrick Chan qui, selon lui, n’était pas un élève très doué, dit qu’il s’inquiétait de ses notes lorsqu’il devait consacrer plus de temps à l’entrainement et qu’il a fini par manquer la dernière période de sa scolarité pendant plus d’un an.
«Mme Popiel m’en a donné la possibilité en faisant en sorte que ce ne soit pas du tout une corvée. À mon sens, elle se demandait toujours comment me donner la meilleure éducation qui soit, mais aussi la possibilité de vivre mes rêves», dit M. Chan.
Mme Popiel dit que ça faisait partie de la philosophie de l’école. Elle a confié à quelques élèves la tâche de prendre des notes pour Patrick, comme l’école l’avait fait pour d’autres élèves dans des circonstances similaires. De son côté, elle a travaillé avec lui pour faire en sorte que ses cours se trouvent concentrés dans les périodes où il n’avait pas à être à la patinoire. Elle s’est concertée avec ses autres enseignants pour l’aider à se réintégrer, au retour de longues absences, en lui fournissant des trousses de documents traitant des cours importants qu’il avait manqués. Patrick, dit-elle, faisait aussi des travaux et des devoirs lorsqu’il était en voyage.
Pour sa part, M. Chan est d’avis que les conversations dans son bureau étaient ce qui distinguait le plus Mme Popiel. «Il y avait tout ce bruit dans les couloirs, mais quand on entrait dans son bureau, c’était un tout autre monde. Elle me demandait : ‘Comment ça va? Es-tu stressé? Comment puis-je rendre les choses plus faciles pour toi?’ C’était là l’un des rares endroits où je pouvais exprimer ce que je pensais.»
Il ajoute : «Je pense que, dans le chaos de l’école secondaire, on n’a parfois personne vers qui se tourner. Même dans le monde du patinage, je n’avais pas vraiment beaucoup de personnes à qui je pouvais me confier. C’est dire dans quelle mesure Mme Popiel m’a offert un lieu de réconfort, un lieu où je me suis senti écouté.»
En effet, l’écoute est l’une des forces maitresses de Mme Popiel. «Demandez aux élèves comment ils vont, puis attendez. Vous les regardez dans les yeux, et vous les écoutez attentivement, et ils vous diront tellement de choses.
«Si j’avais un conseil à donner à un pédagogue, je lui dirais d’écouter. Je sais que c’est très difficile. Nous avons tant d’élèves, et il est parfois vraiment difficile de s’arrêter et d’écouter», ajoute-t-elle.
Elle avait aussi l’habitude de sourire beaucoup lorsqu’elle se trouvait dans les couloirs. «On vous rendra peut-être le sourire. Sinon, c’est peut-être un indice non verbal qu’il se passe quelque chose et que vous devez garder l’œil ouvert.»
Depuis un an et demi, alors que la pandémie bat son plein et que l’on manifeste contre le racisme systémique, M. Chan fait remarquer que les gens se voient encouragés à prendre des nouvelles de leurs amis et collègues, et à leur demander comment ils vont. Selon lui, Mme Popiel, bien des années auparavant, avait fait de cette pratique instinctive une véritable forme d’art.
«Les personnes que j’admire le plus ont cet air de confiance tranquille : Bill Gates, Roger Federer, Michelle Obama, Warren Buffet. Ils ne sont ni bavards ni tape-à-l’œil. Mme Popiel est tout à fait comme ça. Elle exerçait son influence discrètement, une année après l’autre.»
M. Chan, lui aussi, a eu des effets retentissants sur l’école secondaire Étienne-Brûlé. Elle décerne aujourd’hui, chaque année, un prix sportif en son honneur. Gravés sur le prix sont des propos de Patrick Chan : «J’essaie simplement de me conduire avec bonté, sur la glace comme dans la vie.»
À cause de ses absences répétées pour raisons de compétitions, M. Chan dit qu’il a même dû manquer la cérémonie de remise de son propre diplôme. Malgré cela, il avoue : «J’ai été vraiment triste quand mes études secondaires se sont terminées.»
Il ajoute : «Tout le monde se précipite pour en finir, puis on en sort et on se dit : ‘Oh, mon Dieu, je ne pourrai plus jamais vivre ça.’ Je souhaiterais que tout le monde soit de cette humeur à propos de l’école secondaire. Pour moi, cela avait quelque chose de spécial. J’y retournerais sans hésiter.»
Cette rubrique met en vedette des personnalités canadiennes qui rendent hommage aux enseignantes et enseignants qui ont marqué leur vie en incarnant les Normes de déontologie de la profession enseignante (empathie, respect, confiance et intégrité).