Luke Kirby est né en tant qu’acteur sur la scène du cours de Dennis Johnson, son enseignant d’art dramatique au secondaire. Les deux hommes se remémorent cette époque.
De Richard Ouzounian
photos : AVEC L’AIMABLE AUTORISATION D’AMAZON Prime Video; Dean Palmer
En septembre 2019, l’Hamiltonien Luke Kirby a remporté un prix Emmy dans la catégorie du meilleur acteur invité dans une série humoristique. Quand il a accepté le trophée pour son interprétation de Lenny Bruce dans La fabuleuse Mme Maisel (surpassant de grandes vedettes du cinéma comme Robert DeNiro, Matt Damon et Adam Sandler), une personne en a été particulièrement touchée.
C’était Dennis Johnson, l’enseignant d’art dramatique au secondaire de M. Kirby, qui suit la carrière du jeune acteur depuis le début.
«Cela a été très satisfaisant de voir Luke triompher – finalement! Il travaille très fort et mérite tout le succès qu’il connait.»
Et M. Kirby lui retourne joyeusement les compliments. «Je ne me serais jamais imaginé cette vie si ce n’avait été de M. Johnson.»
Ils se sont rencontrés au Guelph Collegiate Vocational Institute en 1992, où M. Johnson enseignait l’art dramatique depuis déjà 17 ans. Six ans plus tard, en 1998, il prenait sa retraite.
Né en 1944, M. Johnson a étudié l’histoire et la religion à l’Université McMaster de 1962 à 1966. «Que peut-on faire avec un diplôme dans ces deux matières? demande-t-il en gloussant. J’ai suivi une formation en enseignement après avoir exploré d’autres possibilités de carrière.»
Après avoir passé deux années à l’Institut d’études pédagogiques de l’Ontario (1967 et 1968), M. Johnson a commencé à enseigner l’histoire à l’Aldershot High School, mais s’est ensuite réorienté vers le théâtre. Il a vite réalisé qu’il avait certaines lacunes à combler dans cette spécialisation.
«Je suis allé à l’Université de Waterloo et ensuite à Queen’s, puis je suis revenu à Waterloo. Pendant deux ans, j’ai suivi toutes sortes de cours, de la musique électronique à la scénographie. Je crois avoir suivi tous les cours liés de près ou de loin au théâtre que j’ai pu trouver! Ensuite, j’ai postulé à Guelph Collegiate, et c’est là où j’ai passé le reste de ma carrière d’enseignant.»
Bien que M. Johnson ait enseigné à de nombreux élèves au cours de ses 30 années de carrière, c’est Luke Kirby qui lui a laissé la plus forte impression. «J’ai un vif souvenir de lui, dit M. Johnson. Il était le plus petit de la classe, mais il s’assoyait en cercle avec de grands gaillards en 12e année et c’était lui qui dirigeait. Il était l’élève le plus motivé que j’aie jamais eu.»
M. Kirby se souvient des choses un peu différemment, sauf pour sa taille. «Quand j’ai commencé le secondaire, j’étais un peu paumé. Lent à m’épa-nouir. Des cheveux jusqu’aux épaules. Côté études, je n’aspirais à rien. Mais j’étais très curieux et tout dans le monde m’intéressait.»
Quand on lui demande pourquoi M. Johnson et son cours l’ont tellement marqué, M. Kirby répond sans hésiter : «C’était le milieu qu’il avait créé. Il donnait aux élèves de la liberté et de l’espace, et c’était si attrayant.»
Selon M. Johnson, ça sonne juste. «Espace et liberté. Je suppose que cela s’applique à n’importe quel bon cours d’art dramatique. Je n’essayais pas de les diriger tout le temps. Du moins, pas à l’époque où j’ai rencontré Luke. Au cours de mes 10 premières années d’enseignement, c’était moi qui dirigeais. Mais après, à l’orée de la retraite, je jouais plutôt le rôle de facilitateur des élèves metteurs en scène et du leadeurship.»
Et c’est exactement comme ça que M. Kirby se souvient du temps passé ensemble. «M. Johnson ne plaidait pas pour ce qu’il enseignait, mais si cela vous intéressait, vous n’aviez qu’à faire la route avec lui. Il offrait un enseignement approfondi de l’histoire du théâtre. J’aimais beaucoup ses histoires à propos de Paul Robeson, Sarah Siddons, Bernhardt ou Booth. Et Brecht, toujours et encore. J’avais l’impression que ce monde était là, accueillant et à portée de la main.»
Toutefois, toute expérience solide en théâtre connait un moment décisif. C’est arrivé à Luke Kirby l’été qui a suivi sa 9e année.
«M. Johnson m’a donné une brochure pour le programme d’été de Theatre Ontario et c’est ainsi qu’au mois d’aout, j’ai passé une semaine sur le campus de l’Université Brock avec des jeunes de partout dans la province, explique-t-il. L’expérience m’a vraiment fait réfléchir à la possibilité et à la réalité de devenir acteur. C’était comme si je me lançais dans une grande quête : un destin où le plaisir et la beauté seraient dans chaque instant vécu en tant qu’acteur.»
M. Johnson explique comment il y est parvenu. «On avait pour coutume d’utiliser les profits des productions réalisées par les élèves pour payer le cout des programmes d’été de Theatre Ontario.» C’était en fait un magnifique endroit où les âmes sœurs se retrouvaient.
M. Kirby est d’accord : «Un grand nombre des jeunes que j’ai rencontrés cet été-là et les étés suivants sont aujourd’hui mes collègues et amis.»
Et lorsque Luke est entré dans sa dernière année avec M. Johnson, l’acteur qu’il deviendrait s’était déjà manifesté.
«Il offrait un enseignement approfondi de l’histoire du théâtre. J’aimais beaucoup ses histoires à propos de Paul Robeson, Sarah Siddons, Bernhardt ou Booth. J’avais l’impression que ce monde était là, accueillant et à portée de la main.»
«Nous avions interprété Le songe d’une nuit d’été, et Luke et les autres jeunes amoureux ont volé la vedette. Ensuite, il a mis en scène la pièce La résistible ascension d’Arturo Ui de Brecht et sa mise en scène était, disons, un peu crue…»
M. Johnson décrit une scène où une fonction corporelle généralement réservée aux toilettes a été simulée sur scène, ce qui en a surement fait sourciller plus d’un à Guelph en 1997… mais n’aurait pas semblé bizarre venant de Lenny Bruce, l’humoriste au franc-parler qu’incarne M. Kirby au petit écran et qui lui a valu un prix Emmy.
M. Kirby admet avoir été fasciné par Lenny Bruce dès un jeune âge. Il a lu Irrécupérable, l’autobiographie de l’humoriste, qu’il avait trouvée dans le grenier de ses grands-parents, a loué le film biographique Lenny (1974) de Bob Fosse mettant en vedette Dustin Hoffman et a regardé la dernière entrevue télévisée qu’il avait accordée à Nat Hentoff.
«Ça m’a donné de l’espoir que peut-être un jour mes cernes me seraient utiles», plaisante M. Kirby.
Or, M. Johnson pense plutôt que le succès de M. Kirby dans le rôle de Lenny Bruce va au-delà de l’apparence physique : «Il a réincarné l’âme de l’homme. Luke tentait toujours d’entrer dans la peau du personnage.»
Quand on lui demande s’il se souvient d’un conseil particulier de M. Johnson, Luke Kirby répond sans hésiter : «En cas de doute, tombe par terre.»
M. Johnson rit en entendant ce conseil, qui remonte à un cours d’improvisation qu’il avait suivi en Californie dans les années 1970. Un des enseignants avait dit : «Le sol est votre ami. Si rien ne se passe et que les choses se tarissent subitement, tombez par terre.»
Bien que les deux hommes n’aient pas gardé le contact depuis des années, chacun a laissé une impression durable sur l’autre.
«Je vois ma vie professionnelle avec amour et curiosité, affirme M. Kirby, et c’est attribuable à l’encouragement subtil de M. Johnson et à l’espace qu’il laissait aux élèves pour explorer.»
M. Johnson conclut : «C’était le genre d’élève qui était à la fois enseignant et apprenant. Il était curieux de tout et avait une énergie qui était positivement contagieuse, soit des qualités que j’avais besoin qu’on me rappelle, après toutes ces années d’enseignement. Je suppose qu’on pourrait dire que je lui enseignais le théâtre et qu’il m’apprenait ce qu’est la vie.»
Cette rubrique met en vedette des personnalités canadiennes qui rendent hommage aux enseignantes et enseignants qui ont marqué leur vie en incarnant les Normes de déontologie de la profession enseignante (empathie, respect, confiance et intégrité).