Forces canadiennes à l’œuvre

En s’approchant d’une école à Kaboul, Jennifer Martin, EAO, a aperçu des enfants qui la regardaient d’un air interrogateur à travers les barreaux des fenêtres. Mme Martin, lieutenante de la Réserve de la Marine royale du Canada en congé de son poste d’enseignante en mathématiques au Collingwood Collegiate Institute en 2010, visitait un poste de police afghan à Kaboul lorsqu’elle a été intriguée par l’état lamentable dans lequel se trouvait l’école avoisinante.

«C’était horrible; le bâtiment aurait dû être condamné, dit-elle. L’école n’avait pas été entretenue depuis des années. La peinture s’écaillait et les murs extérieurs portaient encore des traces de la guerre. La cour était occupée par un bassin d’eau infecte avec quelques endroits dénudés.» L’intérieur du bâtiment était humide et mal éclairé. La pourriture avait envahi les planchers aux quelques endroits où il y en avait. Mais l’école accueillait tout de même 1 800 élèves par jour en trois vagues. «Les enfants étaient littéralement assis les uns sur les autres. Ceux qui ne pouvaient pas se tailler de place sur les bancs étaient assis par terre. Certaines classes étaient dotées d’un tableau, mais sans craie, explique Mme Martin. La plupart des enfants n’avaient ni livres, ni crayons ni papier.»

Ce fut tout un contraste pour elle lorsqu’elle revint à Collingwood. Aux yeux des gens, elle a l’air d’une enseignante de mathématiques comme les autres. Mais Mme Martin mène une double carrière : elle travaille à temps plein comme enseignante et à temps partiel pour la Réserve de la Marine. Et elle n’est pas la seule. On compte en effet un bon nombre d’enseignants ontariens dans les Forces canadiennes. Les facteurs de motivation varient d’une personne à l’autre, mais leur expérience les suit tous jusque dans leur vie personnelle et professionnelle.

Le dégoût qu’a inspiré l’état du bâtiment de Kaboul à Mme Martin a cependant été compensé par le charme des enfants de l’école. «Durant ma visite à l’école, ils sautaient de joie en me voyant. Je pense que j’incarnais l’espoir à leurs yeux.» Avec l’aide d’un interprète, les enfants ont pu poser des questions à Mme Martin et vice versa. «Ils disaient vouloir devenir président ou avocat. Ça me brisait le cœur, et je m’en voulais parce que je me disais dans ma tête : “Comment y arriverez-vous? Vous n’avez rien.”»

Jennifer Martin, EAO, mène une double carrière : elle travaille à temps plein comme enseignante et à temps partiel pour la Réserve de la Marine.

Mme Martin est d’avis qu’elle représente l’espoir pour les élèves afghans.

Mme Martin est d’avis qu’elle représente l’espoir pour les élèves afghans.

Même si le travail de Mme Martin en Afghanistan n’avait rien à voir avec le soutien aux écoles, elle a commencé à recueillir des fournitures scolaires avec l’aide de sa famille, de ses amis, d’élèves et enseignants du Collingwood Collegiate Institute, de collègues de l’armée américaine et même de parfaits inconnus qui avaient entendu parler de l’initiative.

Elle a réussi à accumuler 10 000 $ en fournitures scolaires, assez pour équiper les 1 800 élèves de l’école de Kaboul et des centaines d’autres dans un orphelinat tout près et dans une école de la province de l’Helmand. «Chaque enfant a reçu une boîte avec des ciseaux, des crayons, des crayons de couleur, un surligneur et un cahier», précise Mme Martin.

Pour une vie meilleure, une femme à la fois

Sarah Surtees, EAO, membre de la Réserve de l’Armée canadienne, s’est aussi portée volontaire pour aller en Afghanistan en 2010 où elle a travaillé à renforcer la coopération entre l’armée, les fonctionnaires locaux et la population. L’une des grandes fiertés de l’enseignante d’immersion française en 7e et 8e année à la St. Theresa Catholic Elementary School est d’avoir créé un programme pour aider les Afghanes à améliorer leurs compétences en couture et en tissage. «En plus de fabriquer des vêtements pour leur famille, explique Mme Surtees, elles ont pu se faire un peu d’argent en vendant le fruit de leur travail dans des marchés locaux et une coopérative féminine.»

Mme Surtees a aussi fait des patrouilles. Un jour, dans un village de la province de Kandahar, elle a aperçu un petit garçon avec une entaille à la jambe. «Il l’avait couverte d’un genre de pellicule d’emballage transparente», explique-t-elle en ajoutant qu’elle avait ensuite découvert qu’on manquait à cet endroit de matériel de premiers soins et de connaissances pour traiter les blessures. Mme Surtees a travaillé auprès de dirigeants locaux pendant des mois pour gagner leur confiance et pour trouver des infirmières afghanes prêtes à faire le dangereux périple depuis la ville de Kandahar. Finalement, 30 femmes ont été formées en premiers soins et ont reçu les fournitures nécessaires. «Chaque femme allait être responsable des soins de 10 à 20 personnes, ce qui me laisse croire que nous avons eu un effet réel sur bon nombre de personnes», ajoute Mme Surtees, réjouie.

Une journée interminable

L’effet va dans les deux sens. Daniel Stepaniuk, EAO, directeur adjoint à l’Ancaster High School, a eu droit à l’une des journées les plus sinistres de sa vie le jour du 11e anniversaire de sa fille. Enseignant à la Westdale High School d’Hamilton, il avait pris congé pour participer à une mission de paix de l’ONU en Haïti où il était le planificateur en chef des mesures de sauvetage et de rétablissement d’une école écroulée dans une banlieue de Port-au-Prince. «C’était une école de trois étages. Elle s’était tout simplement effondrée, explique-t-il. Le troisième étage a abouti dans le sous-sol.» Une centaine de personnes sont mortes, la plupart des enfants.

M. Stepaniuk a dû notamment communiquer avec l’ambassade des États-Unis pour demander que l’on forme une équipe de recherche et de sauvetage en milieu urbain, coordonner les mesures de sécurité et assurer la planification et la résolution des problèmes sur place au fur et à mesure que la situation évoluait. Il a veillé à l’approvisionnement en eau des gens affairés à creuser dans les décombres, trouvé des génératrices pour assurer le fonctionnement de leur équipement, fait acheminer du bois de charpente et des poteaux pour renforcer les charpentes, prêté sa lampe frontale à un médecin et, à un certain moment, pénétré dans un bâtiment avec une équipe d’experts pour en faire le plan et veiller à ce qu’aucune pièce ne soit oubliée. Ce fut une expérience atroce, voire déchirante par moments. Voici ce qu’il a écrit à ce sujet dans son journal :

Le retour à l'école des élèves constitue une grande part du rétablissement d'une population ayant subi une guerre civile.

«J’ai l’impression de visiter un tombeau et je traite chaque chose avec respect. C’est une classe de cycle intermédiaire. L’enseignant avait fait faire des poissons colorés aux enfants, qui les avaient attachés les uns aux autres comme des maillons. Les chaînes de poissons étaient suspendues au plafond en guise de décoration. Là-bas, il y a des boîtes à lunch parmi les pupitres brisés et les morceaux de béton. Certains enfants se demandaient peut-être ce que leur mère leur avait préparé à manger au moment de la catastrophe... Le plafond de la pièce s’est tout simplement affaissé, et non pas effondré. J’espère que tous les enfants qui s’y trouvaient ont pu sortir.»

Heureusement, M. Stepaniuk a aussi eu la chance de participer à des projets plus heureux lors de son séjour en Haïti et pendant son service en Bosnie en 1998 dans le cadre de la mission de paix et de stabilisation de l’OTAN après la guerre civile qui a secoué l’ex-Yougoslavie.

«Les soldats de la paix de l’OTAN ont réalisé ce qu’on appelle des projets à impact rapide dans le but d’établir des relations avec la population locale, explique-t-il. Nous allions voir les gens pour leur demander ce dont ils avaient besoin et comment nous pouvions les aider, dit-il. Là où j’étais, beaucoup s’étaient réfugiés dans des camps ou s’étaient cachés dans les sous-sols. Les enfants n’allaient plus à l’école depuis longtemps et les écoles avaient été détruites ou endommagées. Nos soldats et ingénieurs ont refait le toit des écoles et les ont peintes, et ils ont aménagé des aires de jeu et même construit des pupitres. Nous avons aussi fait don de fournitures scolaires. Le retour à l’école des élèves constitue une grande part du rétablissement d’une population ayant subi une guerre civile.»

De retour en classe

Mmes Martin et Surtees ne parlent pas nécessairement de leur expérience à leurs élèves même si elles admettent avoir acquis de nouvelles compétences et une certaine perspective des choses dont elles tirent parti en classe.

Le séjour de Mme Surtees en Afghanistan, par exemple, lui a fait connaître des histoires qui soutiennent concrètement l’apprentissage des élèves. «Au cycle intermédiaire, on veut élargir la vision que les élèves ont du monde. Au cours d’une leçon de sciences sur l’énergie et le chauffage, un élève m’a demandé comment étaient chauffées les maisons en Afghanistan. Il s’en est suivi une discussion très intéressante sur le bukhari, un four de combustion de bois en métal qu’utilisent la plupart des Afghans pour chauffer leur maison. »

Aider les élèves haïtiens permet à M. Stepaniuk de mieux vivre les tragédies dont il est témoin.

Aider les élèves haïtiens permet à M. Stepaniuk de mieux vivre les tragédies dont il est témoin.

L’expérience de Mme Martin en Afghanistan a été pour elle une occasion de comprendre que les enfants canadiens tiennent pour acquis leur droit à l’éducation. «J’ai rencontré deux fillettes qui s’étaient fait lancer de l’acide au visage simplement parce qu’elles étaient allées à l’école. Mais elles y sont retournées quand même, précise-t-elle. J’ai mal à penser que ces enfants luttent pour aller à l’école, tandis que certains de mes élèves ici en Ontario s’absentent quand ça leur chante et ne se rendent pas compte de la chance qu’ils ont.»

À la suite de son affectation au Soudan en 2006, Christopher Federico, EAO, coordonnateur du département des études canadiennes et mondiales de l’University of Toronto Schools, a pu mettre directement en pratique ses compétences en résolution de conflits et en relations internationales, des compétences qu’il a certes rapportées en classe. «J’ai travaillé auprès de Soudanais et d’observateurs onusiens de près de 100 pays, dont le Rwanda, le Pakistan, l’Inde et les anciens pays de l’Union soviétique, ajoute-t-il. Mon expérience m’aide à faire voir aux enfants que l’histoire n’est pas qu’une simple liste d’évènements, mais plutôt un moyen de comprendre les décisions qui ont été prises et les répercussions qu’elles ont eues.»

Bien entendu, les civils se demandent toujours si l’armée rend les militaires plus sévères. M. Federico répond que oui, mais pas de la manière dont on pourrait le croire. «On voit souvent le cliché du commandant militaire qui donne des ordres auxquels on doit se soumettre, sinon on prend la porte. Mais c’est en fait rarement le cas. C’est souvent une question de motiver les gens à faire un travail et de les inspirer à avoir de bonnes idées. Travailler auprès d’enfants revient un peu au même.»

M. Stepaniuk abonde dans le même sens. On lui dit souvent que son expérience dans l’armée lui permettra de forcer ses élèves à suivre le droit chemin. Mais il rétorque qu’il a plutôt le rôle d’un rassembleur dans l’armée. «Ma stratégie auprès des enfants consiste à établir une relation. Je réussis mieux à communiquer avec eux si je peux leur montrer que leurs intérêts me tiennent à cœur. En effet, j’aime l’idée qu’un conseil scolaire donne le droit aux enseignants de prendre congé pour une mission dans les forces armées pour qu’ils reviennent meilleurs et fassent un travail plus humain.»