L’enseignante remarquable de Guy Mignault

«L’école, je détestais ça pour m’en confesser! avoue d’emblée, dans un grand rire, le comédien et metteur en scène Guy Mignault, directeur du Théâtre français de Toronto. La preuve : il m’a fallu six ans et cinq établissements pour faire mes quatre années de secondaire!»

Car le premier de classe sage comme une image à l’élémentaire a bientôt laissé place à un adolescent rebelle : «Que tout le monde en classe doive faire la même chose en même temps, je trouvais ça contre nature.»

Ironie du sort, une vingtaine d’années plus tard, le mouton noir reviendra à l’école, grâce à une enseignante qui allait devenir une amie inestimable, Lise Boucher. «Vous savez, Lise ne m’a jamais enseigné. Pourtant, elle m’a tellement appris!»

Retour en arrière

Hull, années 1950. Cartier Mignault et Thérèse Lafond ont trois enfants : une fille, Louise (aujourd’hui enseignante à la retraite), et deux garçons, Charles (curé en Outaouais) et Guy. Le couple tient boutique, rue Principale. À l’enseigne : tabac-journaux-livres. «On vendait des pipes, raconte notre invité, des cocos à Pâques, des cœurs en chocolat à la Saint-Valentin. Et des bouquins. Une affiche annonçait Offrez plus qu’un cadeau : un livre. Je ne dirais pas que mes parents étaient des intellectuels, mais ils s’intéressaient à la culture. Ils ont été mes premiers profs.» Son père, qui s’engagera plus tard dans la politique municipale, lui enseigne le respect du public. Sa mère lui transmet son sens de l’humour et son amour de la langue française.

À l’école, Guy s’ennuie. Il cherche sans cesse autre chose à faire qu’étudier. Et il y réussit, par exemple en se faisant élire président de sa classe ou en prenant extrêmement à cœur (c’est-à-dire en y mettant beaucoup trop de temps...) la tâche d’aide-électricien que lui attribuent les Pères du Saint-Esprit (ou Spiritains), chez qui il est pensionnaire au Collège St-Alexandre à Limbour (aujourd’hui Gatineau). L’année de ses 15 ans, il est en syntaxe. L’adolescent va apprendre, à la dure, qu’on ne contourne pas la discipline sans en subir les conséquences, mais il va aussi comprendre pourquoi il n’est pas bien à l’école.

Guy Mignault

«Un jour, le préfet de discipline m’appelle dans son bureau. J’ai droit à une punition puisque j’ai fumé : 13 coups de lanière de cuir sur les fesses, culottes baissées. Mon orgueil a pris toute une débarque! Mais si un professeur m’a aidé, c’est bien lui. Je suis allé le voir une autre fois et j’ai dit : “Je veux qu’on parle.” C’est à lui que j’ai avoué détester le collège et en avoir assez d’être le bouc émissaire. On a discuté fermement. Il m’a expliqué que l’école, ce n’était pas fait pour tout le monde. Être pensionnaire non plus. Je me suis senti soulagé, compris. À la fin de l’année, on m’a mis à la porte en me suggérant de m’orienter ailleurs.»

Guy finit par terminer une 12e année commerciale. Mais c’est le théâtre qui l’intéresse, depuis qu’il a découvert, vers l’âge de 7 ou 8 ans, qu’il peut faire rire ses parents, même en faisant un mauvais coup, comme sauter à pieds joints sur leur lit.

Enfin, arrive 1967! À Montréal, c’est l’Exposition universelle : «On était fous, on était jeunes et on avait des fleurs dans la tête. Quelle belle époque! On préparait mai 68!» Une nouvelle vie pleine d’effervescence s’offre au jeune homme, fraîchement accepté au Conservatoire d’art dramatique. Il déménage dans la métropole quand il a 19 ans. «Un de mes derniers titulaires avait tenté de me décourager : “Voyons donc, tu viens d’un milieu bourgeois, tu seras incapable de vivre ailleurs, de t’installer en appartement, de recommencer à zéro comme étudiant.” Ça m’a tellement fouetté que j’ai passé au travers!

«Naturellement, continue-t-il, le Conservatoire, c’est aussi une école. J’ai dû doubler ma 2e année. Alors, j’ai considéré que trois ans s’étant écoulés, j’avais fini mon cours. Et je suis parti. Je n’ai donc jamais eu mon diplôme. Je suis resté moi-même, quoi!»

Du théâtre à l’école

Au début des années 1980, Guy Mignault, désormais au service de la compagnie permanente du Centre national des Arts, à Ottawa, reçoit un appel de l’un de ses anciens camarades de classe. «Je siège au conseil d’administration de l’école Reboul, explique son interlocuteur. On monte une pièce de théâtre avec les jeunes, mais on n’avance plus. La directrice a besoin d’un coup de main. Peux-tu nous aider?»

«J’y suis allé, raconte Guy. Entre Lise Boucher et moi, ça a cliqué tout de suite. Une grande amitié s’est déclenchée d’un coup sec!»

L’école primaire Reboul desservait un quartier défavorisé dans le Vieux-Hull. «Lise s’est mise à me parler de ses élèves. Elle disait que, chez eux, ils n’entendaient jamais parler d’amour, qu’ils n’étaient pas valorisés non plus. Elle croyait qu’à travers le théâtre, on pourrait arriver à leur donner confiance en eux.

«On a discuté. J’ai rencontré les enfants et on s’est mis au travail. Lise Boucher avait déjà dirigé une chorale. Elle aimait beaucoup faire chanter les petits. Dans la pièce qu’on a montée, il y avait un chœur d’une quarantaine d’enfants et une huitaine de personnages. Ça a été un succès!»

L’année suivante, Lise demande : «On refait ça? Le théâtre a fait tellement de bien aux enfants!» Mais elle n’a pas de pièce. Justement, Guy Mignault en a une dans ses cartons qu’il a écrite quelques années plus tôt. C’est Bonjour, monsieur de La Fontaine. Sur scène, une trentaine de personnages. Cette fois, ce sont tous les enfants de Reboul qui vont chanter. Et on invitera d’autres écoles à venir voir le spectacle.

La troisième année, Lise et Guy décident de tenter une expérience : écrire la pièce avec les enfants. Pas facile... Guy raconte : «Quand je leur ai demandé de quoi ils voulaient parler, c’est parti : Goldorak, Minifée! Mais je voulais les emmener ailleurs... J’ai souligné qu’ils avaient le droit d’inventer des personnages. Alors là, les enfants se sont mis à raconter des situations qu’ils vivaient chez eux. Un exemple : “Chaque fois que c’est ta mère qui nous garde, disait l’un, on se fait crier par la tête.” Et l’autre répondait : “Au moins, y a quelqu’un qui nous parle!”

«C’était spécial, ce qu’on faisait : il se passait vraiment quelque chose. Au fil des années, on en est venus à donner huit représentations, quatre le jour, pour les écoles, quatre le soir, pour le grand public.»

La quatrième année, en 1985, Lise Boucher succombe à la leucémie. Guy se souvient, ému : «On était à monter le spectacle. J’ai eu de longues conversations avec les jeunes, qui demandaient pourquoi Lise était décédée. Quelques chansons importantes sont sorties de ça. Une façon pour les enfants d’apprivoiser l’idée de la maladie et de la mort.»

Guy Mignault et de jeunes élèves explorent divers costumes.

Guy Mignault et de jeunes élèves explorent divers costumes.

Les leçons de Lise

Les pièces annuelles qui renforcent la dynamique de l’école Reboul vont continuer encore six ans après le départ de la directrice. «Lise est restée l’âme de tout ça, dit Guy Mignault, même une fois partie. Un jour, trois ans après sa mort, on est à préparer le spectacle, mais, dans la salle des profs, ça ne va pas. Alors, une enseignante se lève : “Est-ce qu’on peut se rappeler Lise Boucher? Elle disait que les enfants sont de petits princes, peu importe d’où ils viennent et peu importe s’ils nous donnent des baffes.” Du coup, l’atmosphère a changé du tout au tout.»

Guy Mignault n’a jamais oublié les leçons de Lise. «Quand j’ai commencé à écrire des pièces avec les jeunes, je suis allé la voir. J’ai avoué que je n’arrivais à rien, parce que les petits parlaient tout le temps. “Guy, les enfants ont besoin de balises. En as-tu mis?” J’ai répondu que pour créer, il n’y a pas besoin de balises. Lise a répété : “Guy, un enfant a besoin de balises!” Alors, j’ai suivi son conseil. Et ça a marché!

«Une autre fois, raconte-t-il encore, elle m’appelle dans son bureau. Deux semaines avant, j’avais dit aux enfants que j’allais peut-être revenir la semaine suivante. Mais je n’avais pas pu. Lise me dit : “Guy, ne fais jamais de promesses aux enfants. Et dis-toi que peut-être, pour un enfant, c’est une promesse.” J’ai compris...»

Lise Boucher n’a pas laissé que des leçons, mais un véritable héritage : celui du théâtre comme outil, non seulement pédagogique, mais psychologique. «Quelques années après son décès, explique Guy, les profs de Reboul m’ont demandé d’écrire un rôle pour une petite fille abusée par son oncle et qui devait témoigner au procès. Elle était fermée, refusait qu’un homme l’approche. Je lui ai écrit des répliques drôles : elle a eu trois vrais rires du public, rien que pour elle. Ça lui a fait tellement de bien! J’ai des tonnes d’histoires comme celle-là.»

Les devoirs de Guy

Au Théâtre français de Toronto, Guy Mignault ne se contente pas de divertir le public. Il met en œuvre des activités autour de la scène dont on pourrait presque dire qu’elles sont scolaires : cours de théâtre pour enfants, ateliers d’improvisation, discussions avec les protagonistes, cahiers pédagogiques, surtitrage... Sans oublier les spectacles pour enfants et ados. Par exemple, au programme 2012-2013, Le temps des muffins de Joël da Silva et Les Zinspirés, des textes écrits par de jeunes Ontariens, puis créés et interprétés par des artistes professionnels.

Monsieur le directeur serait-il un enseignant sans le savoir? «Enseigner, ça m’a déjà passé par la tête. Au fond, les spectacles à Reboul, c’était une forme d’enseignement.»

Comme quoi le théâtre mène à tout, même à l’école!