Les enseignants remarquables de Christopher Plummer

L’acteur de 83 ans est généralement considéré comme l’un des meilleurs acteurs anglophones, et ce, depuis plus de 60 ans. En février, il est devenu la personne la plus âgée à gagner un Oscar (pour sa performance dans Beginners), et en août, il a joué à guichets fermés dans A Word or Two, son spectacle solo sur les joies de la littérature.

Avec une carrière aussi riche et variée, on pourrait croire qu’il citerait de nombreux mentors, mais M. Plummer en nomme seulement deux. «L’enseignant le plus remarquable que j’ai connu? Sans contredit, il s’agit de M. Wright, un homme extraordinaire qui a été mon enseignant d’anglais à la High School of Montreal.»

Cependant, l’enfance de M. Plummer l’avait formé de manière distinctive avant même de rencontrer Henry E. Wright, aujourd’hui décédé, au début des années 1940. Son père était avocat et sa mère était la petite-fille de John Abbott, troisième premier ministre du Canada. Mais, quand M. Plummer est né, le mariage était déjà dissout.

Henry E. Wright

Henry E. Wright

«Est-ce que je sais pourquoi mes parents ont divorcé? Bien sûr que non! Verboten! Une disgrâce à ne pas aborder, explique M. Plummer. Ma mère n’a jamais dit un mot à ce sujet. Mon père m’envoyait des cadeaux à Noël, et on les lui renvoyait chaque fois. Des années plus tard, il est venu me voir en coulisse après un spectacle et s’est présenté. Il était trop tard.»

Donc, bien que la voix si caractéristique de M. Plummer ait d’abord retenti à Toronto où il est né le 13 décembre 1929, il s’est bientôt retrouvé à vivre dans la famille du côté de sa mère, à Montréal. «J’étais un enfant unique qui a été éduqué par un groupe de femmes qui me cajolaient. Mon Dieu! Je devais être un vrai petit monstre, dit-il en rigolant doucement. Mais je me souviens fort bien qu’on lisait de la poésie à haute voix le soir.»

Ce sont ces expériences qui ont été déterminantes pour la première rencontre de M. Plummer avec M. Wright à l’école secondaire. «Il est entré et nous a dit d’ouvrir notre livre de Shakespeare. Si je me souviens bien, c’était Le Songe d’une nuit d’été. Ensuite, il nous a dit de nous lever et de lire les rôles à haute voix, se souvient M. Plummer. C’était une façon efficace d’enseigner une littérature extraordinaire sans en faire une corvée. On jouait des rôles. C’était un moyen formidable de nous flatter et c’était tellement amusant. Mais le plus formidable, c’est le fait qu’on comprend toujours les mots qu’on joue et qu’on s’en souvient aussi.»

M. Plummer estime aujourd’hui que le style discret de M. Wright en classe était le secret de son succès. L’enseignant n’essayait pas de vendre les pièces de théâtre qu’ils étudiaient. Il laissait la puissance des œuvres émerger d’elle-même.

Les méthodes pédagogiques de M. Wright n’étaient pas réservées à l’étude de Shakespeare et ses choix éclectiques se retrouvent aussi dans la sélection variée d’auteurs qui habitent le scénario d’A Word or Two de M. Plummer. «Il nous a fait étudier de la poésie aussi, des œuvres vraiment difficiles pour des jeunes de notre âge. Mais il n’était jamais condescendant. Il était convaincu que nous pouvions les comprendre. Alors, je me levais et je lisais du Wordsworth et, mon Dieu, je comprenais et j’aimais ça et j’allais m’en souvenir toute ma vie.»

L’enseignant de M. Plummer est demeuré à l’école de nombreuses années pour en devenir enfin le directeur. Un ancien élève se souvient de ses discours aux élèves dans les années 1960. Bien entendu, M. Wright faisait usage du même style discret mais persuasif qui avait tant impressionné le jeune Christopher.

L’amour du théâtre que M. Plummer a découvert dans les cours de M. Wright l’a amené à la troupe de théâtre de l’école. C’est alors que sa performance dans Orgueil et préjugés a attiré l’attention de celui qui allait l’orienter vers sa carrière professionnelle, le critique de théâtre Herbert Whittaker.

M. Plummer a poli son art à la Stage Society (renommée plus tard la Canadian Repertory Company), à Ottawa. À 22 ans, il tenait la vedette à Broadway avec la légende américaine du théâtre Katherine Cornell. Mais pendant ce temps-là, il se passait quelque chose de nouveau et d’important dans son pays natal.

«J’ai raté les premières saisons du festival de Stratford, dit-il avec nostalgie. Je l’ai regretté à l’époque, mais je suppose que tout est bien qui finit bien, parce que, quand j’y suis allé en 1956, j’avais un rôle formidable, celui d’Henri V, et je jouais sous la direction d’un metteur en scène brillant, Michael Langham, l’autre enseignant formidable dans ma vie.»

M. Langham est décédé en 2011, mais il nous a laissé énormément en héritage. Après avoir passé 12 saisons à la direction artistique du festival de Stratford, saisons pendant lesquelles il a aidé à façonner le festival et le style distinctif de récitation des vers qui le caractérise encore aujourd’hui, M. Langham a fait la même chose au théâtre Guthrie de Minneapolis de 1971 à 1977, avant de devenir le directeur du département de théâtre de la renommée Julliard School de New York, où il a passé 8 ans, jusqu’en 1992. Il est souvent retourné à Stratford pour travailler avec la Young Company, et le programme actuel de formation des jeunes metteurs en scène du festival porte son nom en son hommage.

Michael Langham

Michael Langham

«Au théâtre, Michael était unique, dit Antoni Cimolino, le nouveau directeur artistique du festival de Stratford, qui a travaillé avec M. Langham pendant de nombreuses années. Il a été un grand pédagogue et un grand metteur en scène, ce qui est rare, en effet.»

M. Langham a combiné les deux dons quand il a dirigé M. Plummer dans Hamlet, en 1957, à Stratford. L’acteur était préoccupé de la tendance d’Hamlet à toujours se plaindre de sa destinée dès qu’il en avait l’occasion. «Le public n’endurera pas cela pendant trois heures. Il n’aura pas la patience de supporter quelqu’un qui se plaint toujours ainsi», avait dit M. Plummer. Mais son metteur en scène l’a guidé pour qu’il évite ce piège en lui donnant un seul conseil incisif. «Il m’a dit qu’avant de parler, je devrais ressentir de l’émerveillement, comme si je venais de me dire “Comme c’est extraordinaire!” Il m’a dit que tout est une découverte pour Hamlet.»

Même dans sa plus récente performance théâtrale, A Word or Two, la musicalité des paroles et la rapidité d’élocution de M. Plummer sont de pures merveilles et il en attribue aussi le crédit à M. Langham. «Il m’a toujours dit de ne pas couper les discours. “Non, non et non, disait-il, il s’agit d’une seule idée. Tous les grands soliloques ne sont qu’une seule idée. Vas-y doucement sans t’arrêter et ils deviendront parfaitement clairs. Mais si tu essaies de faire de chaque vers un joyau, tu nous ennuieras à mourir.”»

Ce n’est donc pas une coïncidence : l’ennui ne rime pas avec Christopher Plummer.

Alors, comment parvient-il à maintenir une telle énergie à son âge? M. Plummer se souvient de M. Wright. «Chaque fois que j’envisage un projet, je prends le scénario, je l’ouvre et je me lève comme un garçon à l’école. Comme dirait Shakespeare, “with smiling morning face”, je me retrouve dans la classe de M. Wright, prêt à me lancer dans une autre aventure, en lisant tout simplement à haute voix des textes extraordinaires en vue de les personnifier. C’est la plus grande leçon que j’ai apprise dans ma vie.»