L'inconduite sexuelle dans la profession enseignante : L'Ordre prépare sa réponse au rapport Robins

«Je reconnais, à l’instar des syndicats d’enseignants et des conseils scolaires, que les cas d’inconduite sexuelle sont rares compte tenu du grand nombre d’enseignants et d’élèves au sein du système scolaire. Cependant, leur incidence et leur gravité m’apparaissent suffisantes pour justifier qu’on y accorde plus d’attention. L’inconduite sexuelle peut causer des torts considérables. Pour que l’école soit effectivement un lieu sûr où les enfants apprennent et s’épanouissent, il faut s’attaquer à ce problème et mettre tout en œuvre pour protéger les élèves.»
– M. le juge Sydney L. Robins



Comme les bons enseignants, qui mettent en pratique ce qu’ils ont appris dans leur classe, la profession enseignante tente d’appliquer les leçons tirées de certains cas d’inconduite sexuelle qui ont fait la manchette récemment pour sensibiliser les éducateurs de l’Ontario et les inciter à adapter leurs méthodes.

Le 8 février, des représentants d’un large éventail d’intervenants, notamment les fédérations d’enseignantes et d’enseignants, les directions d’écoles, les groupes de parents, les chefs de police et les sociétés d’aide à l’enfance, se sont réunis à l’Ordre pour discuter des propositions de l’Ordre visant à modifier en profondeur les lois et règlements en ce qui concerne la conduite professionnelle et la sécurité des enfants dans les écoles. Ces changements visent à fournir au personnel enseignant des repères bien définis et de meilleurs procédés pour faire face à l’inconduite sexuelle de collègues.

Un cas particulier a souligné la nécessité d’apporter des changements. Le gouvernement provincial a chargé Sydney L. Robins, juge à la retraite, de mener un examen de l’inconduite sexuelle dans la profession enseignante après que Ken DeLuca, ancien enseignant de Sault Ste. Marie, eut été reconnu coupable d’avoir agressé sexuellement 13 élèves au cours d’une période de 21 ans s’échelonnant de la fin des années 1970 au début des années 1990.

Le juge Robins a été appelé à étudier ce cas et à «formuler des recommandations concernant les protocoles, les politiques et les procédures en vue d’identifier et de prévenir efficacement les agressions sexuelles, le harcèlement sexuel ou la violence sexuelle». Son rapport final, intitulé Protégeons nos élèves - Examen visant à identifier et à prévenir les cas d’inconduite sexuelle dans les écoles de l’Ontario, a été publié en avril 2000. Le résumé et les recommandations du rapport Robins sont accessibles sur Internet à www.attorneygeneral.jus.gov.on.ca/french/robins/robinsrvw_f.htm.

À la suite de cet examen, le juge Robins a formulé 101 recommandations destinées au gouvernement de l’Ontario, aux conseils scolaires, à l’Ordre des enseignantes et des enseignants de l’Ontario, à l’appareil judiciaire et au gouvernement fédéral. Trente-six d’entre elles ont trait au devoir de l’Ordre de réglementer la profession enseignante et d’assurer la discipline, et sept autres concernent la responsabilité de l’Ordre d’agréer les programmes de formation du personnel enseignant.

Depuis la publication, six comités du conseil de l’Ordre examinent divers aspects du rapport et de ses recommandations. L’Ordre a mené des recherches approfondies, et a notamment obtenu des avis juridiques concernant les conséquences des recommandations sur les droits des membres de l’Ordre qui sont convoqués à une audience disciplinaire.

Le comité de discipline de l’Ordre a demandé à Pour parler profession de rédiger le présent article pour sensibiliser les membres de la profession enseignante à ce problème sérieux, décrire les comportements interdits et rappeler que le personnel enseignant doit prévenir ou signaler les cas d’inconduite sexuelle dans les écoles.

UN PROBLÈME BIEN RÉEL
«Nous ne disposons pas de statistiques précises sur le nombre de cas d’inconduite sexuelle au sein du personnel enseignant, mais un examen des causes criminelles, des décisions des comités de discipline et d’arbitrage et des reportages dans les médias révèle que de toute évidence, un grand nombre d’enseignantes et d’enseignants se sont livrés à une forme d’inconduite sexuelle. On peut également affirmer sans conteste qu’il y a eu de nombreux autres incidents d’inconduite sexuelle impliquant des enseignants», affirme le juge Robins.

Depuis 1997, le comité de discipline de l’Ordre a tenu des audiences sur 59 cas de faute professionnelle. Quarante-deux d’entre eux comportaient des incidents d’inconduite sexuelle à l’égard d’élèves.

«Il y a longtemps qu’on ne se demande plus si l’inconduite sexuelle représente un véritable problème au sein du personnel enseignant. Sans être généralisé, ce problème existe», affirme Joe Atkinson, registrateur de l’Ordre.

«Dans toutes les sphères de la société, l’inconduite sexuelle est inacceptable, et elle l’est encore plus au sein d’une profession dont les membres sont dans une situation de confiance aussi privilégiée. Toutes les professions sont aux prises avec ce problème; en tant qu’enseignantes et enseignants, nous devons faire tout en notre pouvoir pour prévenir et éliminer ce comportement. Nous collaborerons avec nos partenaires provinciaux et locaux pour assurer la sécurité des enfants à l’école.»

RECOMMANDATIONS
Le rapport Robins propose quatre moyens d’identifier et de prévenir l’inconduite sexuelle dans les écoles :

  1. Élaborer une définition élargie et plus claire de l’inconduite sexuelle afin de décrire les comportements interdits et d’éviter de banaliser certains types d’agression sexuelle.
  2. Élaborer des politiques, procédures et protocoles clairs pour le personnel enseignant, les conseils scolaires, les sociétés d’aide à l’enfance, les corps de police et l’Ordre des enseignantes et des enseignants. Ainsi, lorsqu’un enseignant soupçonne qu’un élève subit des mauvais traitements d’ordre sexuel, il saura comment réagir et à qui s’adresser.
  3. Sensibiliser le public et la profession à ce problème. Ainsi, on peut identifier les signes qui pourraient révéler des cas d’inconduite sexuelle dans les écoles, notamment les comportements auxquels se livrent les prédateurs sexuels pour «préparer» les enfants, et chasser les «mythes spéculatifs, stéréotypes et hypothèses généralisées» au sujet de l’inconduite sexuelle. Ces idées fausses peuvent obscurcir la véritable nature du problème et entraver une réaction rapide du personnel enseignant et des autorités.
  4. Soutenir les témoins vulnérables pendant les enquêtes et les audiences disciplinaires, en les rassurant et en créant une atmosphère propice à la divulgation des cas d’inconduite. Ce faisant, il faut également respecter le droit de l’accusé à l’application régulière de la loi et à une audience impartiale.

ACCENT SUR LA CONDUITE
Selon la définition actuelle de l’Ordre, «le fait d’infliger à un élève des mauvais traitements d’ordre physique, sexuel, verbal, psychologique ou affectif» est une faute professionnelle. Cette définition se trouve dans le Règlement de l’Ontario 437/97 sur la faute professionnelle pris en application de la Loi sur l’Ordre des enseignantes et des enseignants de l’Ontario. C’est la seule mention sur la conduite sexuelle que l’on retrouve dans ce règlement, la loi et les règlements administratifs de l’Ordre.

L’inconduite sexuelle comprend également pour l’enseignant «le défaut de se conformer aux obligations qui lui incombent aux termes de la Loi sur les services à l’enfance et à la famille» (LSEF). En vertu de cette loi, il est illégal d’infliger des mauvais traitements à un enfant ou de permettre qu’il en subisse en ne subvenant pas à ses besoins ou en ne le surveillant ou ne le protégeant pas adéquatement. Dans la LSEF, «mauvais traitements» s’entend «de maux physiques, d’une atteinte aux mœurs ou d’une exploitation sexuelle dont une personne est victime».

Le juge Robins considère que le terme «mauvais traitements de nature sexuelle» n’est pas assez précis. Par exemple, certains pourraient croire à tort qu’il ne désigne que les contacts physiques. Il est également d’avis que ce terme accorde trop d’importance à l’effet des actes sur la victime plutôt qu’à la conduite de l’agresseur. Le juge Robins voudrait que certains actes soient considérés comme clairement inacceptables, que la victime en porte ou non des marques physiques ou affectives.

Les enseignantes et enseignants sont dans une situation de confiance à l’égard des élèves et exercent sur eux une autorité morale que l’on ne retrouve pas dans une relation entre adultes. C’est pourquoi ils ne peuvent se livrer envers les élèves à des comportements qui violent ce lien de confiance. Selon le juge Robins, l’obligation des enseignantes et des enseignants de se conformer à des normes de conduite plus élevées que la population en général doit être établie dans le cadre d’une définition de faute professionnelle qui soit plus large et plus claire.

Ainsi, pour les membres de l’Ordre, l’inconduite sexuelle ferait partie intégrante de la définition de faute professionnelle. Le juge Robins propose de la définir comme «une conduite offensante de nature sexuelle qui peut affecter l’intégrité personnelle ou la sécurité de l’élève ou le milieu scolaire». Il ajoute que l’inconduite sexuelle comprendrait au moins trois notions.

TROIS NOTIONS
Mauvais traitements d’ordre sexue
l – Contacts sexuels, incitation à des contacts sexuels, exploitation sexuelle, exploitation sexuelle d’une personne handicapée, actions indécentes, exhibitionnisme, agression sexuelle ou autre acte criminel qui menace l’intégrité personnelle ou la sécurité de l’élève ou le milieu scolaire.

Harcèlement sexuel – Conduite ou commentaires offensants de nature sexuelle qui menacent l’intégrité personnelle ou la sécurité de l’élève ou le milieu scolaire. Sans être toujours de nature ouvertement sexuelle, ils peuvent être dégradants ou embarrassants pour l’élève et être fondés sur son sexe.

Rapports sexuels en général – Rapports d’ordre sexuel avec des élèves ou anciens élèves de moins de 18 ans, et toute conduite visant à créer un tel lien.

Le juge Robins a rédigé ces définitions en se fondant sur les lois actuelles et en tenant compte du contexte particulier de la profession enseignante.

Par exemple, la définition de «mauvais traitements d’ordre sexuel» se fonde sur le Code criminel. Elle vise les élèves de l’enseignante ou de l’enseignant, d’autres élèves ou enfants, voire des adultes, qu’ils soient ou non des élèves, si le comportement en question menace l’intégrité personnelle ou la sécurité de l’élève ou le milieu scolaire.

Le juge Robins fournit des exemples. Il s’agirait pour l’enseignant de toucher un élève à des fins sexuelles; d’inviter un élève à le toucher à des fins sexuelles; d’avoir une relation de nature sexuelle avec un élève; de montrer ses organes génitaux à un élève à des fins sexuelles; de toucher un élève à des fins sexuelles ou non d’une manière qui viole son intégrité sexuelle.

La notion de harcèlement sexuel s’inspire du Code des droits de la personne de l’Ontario, mais sa portée est élargie dans le contexte de l’enseignement. Ainsi, dans une relation enseignant-élève, le fait que l’élève juge une conduite importune ou non n’a pas d’importance. En effet, on ne peut se défendre en alléguant que l’élève souhaitait faire l’objet de harcèlement, qu’il y avait consenti ou qu’il ne s’y était pas opposé. L’enseignante ou l’enseignant est responsable de son propre comportement et ne peut le justifier en invoquant le comportement de l’élève.

Le juge Robins souligne que même un incident isolé peut constituer du harcèlement, et que le harcèlement sexuel comprend les représailles ou menaces de représailles motivées par le refus des avances sexuelles. Il donne les exemples suivants : commentaires sur les caractéristiques physiques de l’élève; contact physique non désiré ou injustifié; remarques ou insinuations suggestives ou offensantes à l’endroit des fillettes ou des garçons; propositions d’intimité physique; violence verbale, menaces, remarques ou railleries liées au sexe; regards suggestifs; vantardise à propos de ses prouesses sexuelles; demande de rendez-vous amoureux ou de faveurs sexuelles; blagues osées ou commentaires de nature sexuelle au sujet d’une ou d’un élève; photos, graffiti ou autres documents déplacés au plan sexuel; questions ou discussions très personnelles au sujet des activités sexuelles; humour ou langage brutal ou vulgaire lié au sexe; «compliments» répétés au sujet de l’apparence, des cheveux et des vêtements d’une ou d’un élève.

Le fait qu’une relation de nature sexuelle soit incluse dans les formes d’inconduite souligne le fait que le personnel enseignant doit respecter non seulement les lois civiles et criminelles, mais également les règles de la profession. Le juge Robins et de nombreuses autres autorités judiciaires, y compris la Cour suprême du Canada, sont d’avis que les enseignantes et enseignants doivent se conformer à des normes de conduite plus élevées que les autres membres de la société. Par exemple, selon le juge Robins, une relation de nature sexuelle entre un enseignant et un élève représente une faute professionnelle :

  • même si l’élève a l’âge requis pour y consentir;
  • même si la relation a lieu avant ou après l’année scolaire;
  • même si la relation a lieu entre l’enseignante ou l’enseignant et un ancien élève qui n’a pas encore 18 ans.

L’interdiction des relations de nature sexuelle entre enseignants et élèves s’applique à toute conduite visant à établir une telle relation. Par exemple, il pourrait s’agir de lettres qu’un enseignant envoie à un élève, d’appels téléphoniques personnels, d’un dialogue de nature sexuelle sur Internet, de commentaires suggestifs en classe et de rendez-vous amoureux.

DIVULGATION ET ENQUÊTE
Le personnel enseignant doit prendre soin des enfants qui sont sous sa garde et a l’obligation de déclarer les cas de mauvais traitements. Ainsi, tous les enseignants et enseignantes sont tenus, en vertu de la LSEF, de faire appel à une société d’aide à l’enfance s’ils soupçonnent qu’un enfant fait l’objet d’une atteinte aux mœurs ou d’exploitation sexuelle. D’après la LSEF, cette divulgation doit être fondée sur des «motifs raisonnables de soupçonner» des mauvais traitements.

Si ces motifs raisonnables existent, l’enseignante ou l’enseignant ne doit pas attendre que les mauvais traitements aient été prouvés de façon manifeste. L’attente ou le silence, dans ce contexte, sont contraires à la loi. Si l’on ne fait rien, comme dans l’affaire DeLuca et d’autres cas de mauvais traitements, d’autres enfants risquent d’être maltraités.

Selon le juge Robins, «la loi accorde la priorité aux intérêts des enfants. Comme on accorde une importance primordiale à leur sécurité, il est inévitable qu’à la suite d’une enquête, certaines situations signalées à une société d’aide à l’enfance ne donnent pas lieu à des poursuites criminelles ou à des procédures disciplinaires.»

Ce devoir s’applique aux administrateurs, représentants ou employés d’une société qui autorisent une infraction, permettent qu’elle soit commise ou y contribuent. Un conseil scolaire étant une «personne morale» au sens du paragraphe 58.5 (1) de la Loi sur l’éducation, les responsables des écoles et des conseils partagent la responsabilité de signaler les cas d’inconduite en vertu de la LSEF et de la Loi sur l’Ordre des enseignantes et des enseignants de l’Ontario.

Comment l’enseignante ou l’enseignant peut-il déterminer s’il existe des «motifs raisonnables de soupçonner» une inconduite? Qu’en est-il des cas d’inconduite qui ne sont pas de nature criminelle ou qui ne violent pas la LSEF, mais qui pourraient être considérés comme une faute professionnelle? Même avec les meilleures intentions, on ne sait trop quoi faire.

On ne s’attend pas à ce que le personnel enseignant acquière l’expertise des enquêteurs professionnels de l’Ordre, des sociétés d’aide à l’enfance ou de la police. Le juge Robins confirme cependant qu’en vertu de la loi, il est possible pour l’école de faire une évaluation préliminaire avant de signaler l’incident aux autorités.

D’après le juge Robins, le déroulement de cette enquête préliminaire et le personnel responsable varieraient selon le conseil. En effet, chaque conseil est doté d’une structure administrative particulière en fonction de sa taille et de son emplacement (rural ou urbain).

Un enseignant qui a des motifs raisonnables de soupçonner qu’un enfant subit des mauvais traitements d’ordre sexuel ou a besoin de protection pour d’autres raisons doit faire part de ses soupçons à la société d’aide à l’enfance. S’il observe une activité douteuse de la part d’un collègue qui pourrait aboutir à une inconduite sexuelle, il est tenu de le signaler aux responsables du système scolaire.

Les recherches du juge Robins démontrent que le personnel enseignant et administratif ne respecte pas toujours son obligation légale de signaler les signes avant-coureurs aux autorités. Cette situation est attribuable en partie à la croyance paradoxale, et fausse, selon laquelle la Loi sur la profession enseignante (LPE) leur interdit de le faire.

RAPPORTS DÉFAVORABLES
Bien des enseignantes et enseignants croient qu’il leur est interdit de dénoncer un collègue qu’ils soupçonnent d’inconduite sexuelle en raison de la disposition sur les rapports défavorables du règlement pris en application de la LPE. Aux termes de l’alinéa 18 (1) b) de ce règlement, un enseignant qui fait un rapport défavorable contre un de ses collègues doit en informer celui-ci par écrit aussitôt que possible. Cependant, «presque tous les intéressés s’entendent pour dire que la disposition sur les rapports défavorables ne devrait pas s’appliquer aux rapports qui portent sur des soupçons d’inconduite sexuelle», affirme le juge Robins.

Pour éviter toute méprise, le juge Robins recommande de mentionner explicitement dans la LPE que cette disposition ne s’applique pas en l’occurrence.

«À titre d’enseignants, nos devoirs à l’égard de nos collègues ne l’emportent pas sur notre obligation de protéger l’intérêt public et la sécurité des enfants dont nous avons la responsabilité. La législation et les normes de déontologie de notre profession sont claires. Si un membre de l’Ordre soupçonne un collègue d’inconduite sexuelle ou est au courant de tels soupçons, il doit intervenir en le signalant aux autorités», affirme Joe Atkinson, registrateur de l’Ordre.

Un conseil scolaire peut assujettir la conduite du personnel enseignant à des restrictions qui vont au-delà de celles de l’Ordre. Par exemple, le Conseil scolaire de district de Toronto interdit à son personnel et à ses bénévoles d’entreprendre des relations de nature sexuelle avec les élèves pendant qu’ils entretiennent des rapports de nature professionnelle avec eux et pendant une période d’un an par la suite.

Les enseignantes et enseignants sont dans une situation de confiance à l’égard des élèves et exercent sur eux une autorité morale que l’on ne retrouve pas dans une relation entre adultes. C’est pourquoi ils ne peuvent se livrer envers les élèves à des comportements qui violent ce lien de confiance.

PRÉPARATION DE L’ENFANT
Le rapport Robins ainsi qu’un éventail de documents sur les mauvais traitements d’ordre sexuel font état d’un comportement courant chez certains prédateurs sexuels qui consiste à «préparer» les enfants. Ce comportement, qui aboutit aux mauvais traitements, est délibéré, insidieux et difficile à déceler. Les prédateurs sexuels s’y livrent pour identifier leurs victimes éventuelles, les préparer à l’exploitation, les rendre dociles et réduire leur capacité de se défendre et de divulguer les mauvais traitements à leur entourage.

Le juge Robins propose des exemples et fournit des explications. «La préparation comprend les gestes qui visent à créer des rapports étroits avec l’élève, comme lui donner des friandises ou lui accorder des gentillesses, des faveurs et de l’attention, des contacts physiques non sexuels visant à évaluer la réaction de l’enfant et, dans certains cas, des commentaires de nature sexuelle et l’utilisation de pornographie.»

«La préparation a pour but de déterminer, parmi les cibles choisies, lesquelles seront les moins susceptibles de divulguer le comportement, de désensibiliser l’enfant par des comportements à composante sexuelle croissante, de tisser des rapports étroits que l’enfant ne voudra pas mettre en péril en divulguant le comportement et d’apprendre des faits qui pourraient servir à discréditer l’enfant si ce dernier dévoile la situation.»

Les sceptiques diront que le fait de signaler les cas soupçonnés de «préparation» d’enfants ou d’enquêter à leur sujet relève de la paranoïa ou stigmatise à tort une conduite qui ne semble pas sexuelle. Cependant, les prédateurs sexuels profitent justement de cette réaction pour éviter d’être découverts. «Lorsque les enfants divulguent le cas d’inconduite à l’étape de la préparation, leurs plaintes sont généralement rejetées car l’intention sexuelle qui se cache derrière le comportement allégué échappe à l’observateur inexpérimenté, qui considère ce dernier comme équivoque ou innocent», souligne le juge Robins.

Tous les cas d’inconduite sexuelle ne sont pas précédés par des actes de préparation. De toute évidence, les gentillesses, les faveurs et l’attention que l’on accorde aux élèves de même que les contacts physiques non sexuels n’aboutissent pas toujours à une inconduite sexuelle. Pour plus de précisions, le personnel enseignant devrait consulter la politique du conseil scolaire, consulter des experts et prendre les enfants au sérieux lorsqu’ils signalent des incidents.

SITUATIONS ÉQUIVOQUES
Le juge Robins recommande que l’Ordre affirme clairement que l’enseignante ou l’enseignant «a le devoir non seulement d’éviter l’inconduite sexuelle, mais également d’éviter toute activité qui pourrait sembler déplacée dans le contexte», par exemple, garder des élèves à coucher chez soi ou ramener des élèves à la maison après une partie ou une séance d’entraînement. «En soi, ces activités ne représentent pas une inconduite sexuelle, mais elles pourraient aboutir à l’établissement d’une relation de nature sexuelle; il y a donc lieu de les régir afin d’éviter toute suggestion d’inconduite sexuelle», souligne le juge Robins.

Cependant, les enseignantes et les enseignants sont conscients du fait que s’ils ne peuvent plus ramener les élèves dans leur voiture, nombre d’entre eux ne pourront plus participer aux activités parascolaires.

Le juge Robins propose aux enseignantes et enseignants de se poser les questions suivantes avant de se livrer à de telles activités :

  • Les superviseurs, parents ou tuteurs sont-ils au courant de l’activité, qu’il s’agisse, par exemple, d’une sortie parascolaire ou d’un voyage pendant lequel l’élève devra coucher ailleurs? Sinon, cette activité pourrait soulever à juste titre des inquiétudes. Il est toujours sage de demander l’autorisation au préalable.
  • L’activité a-t-elle lieu à un endroit où l’enfant est isolé, par exemple, s’agit-il de séances individuelles de tutorat pendant lesquelles personne d’autre n’est présent? Dans ce cas, l’activité pourrait soulever des inquiétudes raisonnables, et l’enseignante ou l’enseignant devrait choisir un endroit public ou plus fréquenté.
  • S’agit-il d’une situation d’urgence, par exemple, ramener un élève chez lui pendant une tempête de neige? Sinon, il y a lieu de s’inquiéter. L’enseignante ou l’enseignant devrait consulter la politique du conseil ou demander la permission aux parents ou tuteurs de l’enfant.
  • L’activité nuira-t-elle au milieu scolaire? Pourrait-elle être considérée comme constituant un risque pour l’intégrité personnelle ou la sécurité de l’élève, ou risque-t-elle de le mettre mal à l’aise?

QUELQUES MYTHES
Il existe bien des raisons pour lesquelles les éducateurs ne se rendent pas compte des cas d’inconduite. Cependant, le juge Robins souligne un certain nombre de «mythes spéculatifs, de stéréotypes et d’hypothèses généralisées» au sujet de l’inconduite sexuelle qui sont assez courants pour contribuer à cette situation.

Mythe n° 1 : «On ne peut ajouter foi aux allégations de mauvais traitements d’ordre sexuel formulées par des enfants.»

En réalité, bien des enfants ne révèlent pas les mauvais traitements d’ordre sexuel qu’ils ont subis pour diverses raisons, notamment la honte ou la peur de représailles. «C’est avant tout par crainte que leur entourage refuse de les croire que la plupart des jeunes ne divulguent pas les mauvais traitements», affirme le juge Robins. Certains contrevenants alimentent cette crainte chez leurs victimes pour réduire les risques de divulgation et éviter ainsi d’être découverts. Le personnel enseignant doit donc éviter de rendre la divulgation encore plus difficile pour les victimes en tenant pour acquis que le témoignage des enfants n’est pas fiable. L’enseignante ou l’enseignant a le devoir d’écouter le témoignage de l’enfant sans préjugés ni parti pris et de façon équitable. D’ailleurs, la législation a changé à cet égard. Par exemple, le Code criminel et la Loi sur la preuve de l’Ontario ont été modifiés ces dernières années pour qu’il ne soit plus nécessaire de corroborer le témoignage d’une personne de moins de 14 ans.

Mythe n° 2 : «Les allégations d’inconduite sexuelle formulées par un élève à l’endroit d’un enseignant ne sont pas fiables à moins que la plainte ou la divulgation n’ait été faite peu après l’incident.»

Le fait que la victime mette du temps, parfois même des années, à divulguer des incidents ne signifie pas que ses allégations sont fausses. La crédibilité du plaignant doit être évaluée au cas par cas. Des enquêteurs chevronnés, comme ceux de l’Ordre, des sociétés d’aide à l’enfance et de la police, ont la formation et l’expérience nécessaires pour mener une telle évaluation. L’enseignante ou l’enseignant qui a des soupçons devrait les signaler et laisser les experts déterminer la crédibilité de l’enfant.

Mythe n° 3 : «Les allégations d’inconduite sexuelle formulées par un élève à l’endroit d’un enseignant ne sont pas fiables si cet élève s’est déjà livré à des activités sexuelles.»

En règle générale, la réputation de la victime au plan sexuel ne peut être prise en compte dans une instance criminelle concernant une infraction de nature sexuelle. Le juge Robins recommande que les panels de discipline de l’Ordre appliquent les mêmes règles sur l’admissibilité de la preuve. En outre, le fait que l’élève ait ou non consenti à une activité sexuelle avec une enseignante ou un enseignant ou l’ait sollicitée est sans importance. Qu’il y ait ou non consentement, selon le juge Robins, une telle activité représente une faute professionnelle.

Extrait du mémoire présenté par la Fédération des enseignantes et des enseignants de l’Ontario à l’enquête du juge Robins sur l’inconduite sexuelle dans la profession enseignante

Le 5 octobre 1999
Recommandations découlant de l’expérience du personnel enseignant (page 3)

«Les conseils scolaires doivent adopter des politiques sur les aspects suivants : cadeaux, rédaction de notes de nature personnelle, interdiction des séjours au domicile des enseignantes et enseignants, rapports entre entraîneurs et élèves à l’école, comportement au vestiaire et pendant les tournois, fait de ramener les élèves chez eux après une partie ou une séance d’entraînement.

Les conseils devraient adopter des politiques concernant d’autres disciplines qui comportent des interactions entre enseignants et élèves après les heures de cours normales, comme le théâtre et la musique.

Pour favoriser la protection des élèves, il serait bon d’adopter des politiques sur la conduite du personnel enseignant après les heures de cours à des endroits où il y a des élèves ou d’autres jeunes, p. ex., pièces de théâtre, concerts, matchs sportifs, chorales, activités de scoutisme, bars.»

RÈGLES DE PROCÉDURE
Le juge Robins aborde également le déroulement des audiences disciplinaires de l’Ordre. Il propose des changements qui visent à réduire le risque que des prédateurs sexuels échappent à la justice parce que leurs victimes ou des témoins ne veulent ou ne peuvent témoigner.

Le juge Robins souligne qu’il peut être traumatisant de témoigner pour les victimes et témoins d’inconduite sexuelle, particulièrement les jeunes enfants, qui préfèrent parfois ne pas révéler ce qu’ils ont vécu. C’est notamment le cas dans une salle d’audience ou lors d’une audience disciplinaire, où le contrevenant présumé ou reconnu coupable pourrait être présent pendant leur témoignage et même les contre-interroger personnellement.

Pour régler ce problème, le juge Robins recommande de modifier les règles de procédure du comité de discipline et du comité d’aptitude professionnelle de l’Ordre. La plupart de ces changements s’appuient sur des dispositions existantes de la Loi sur la preuve et de la Loi sur l’exercice des compétences légales, qui établissent de nombreuses procédures pour les tribunaux administratifs.

Ces changements mettraient diverses options à la disposition des témoins vulnérables, généralement des jeunes enfants et des membres de la famille ou des amis qui les accompagnent, comme celle de témoigner derrière un écran ou par télévision en circuit fermé, sans être exposé aux regards des autres.

Le juge Robins recommande également d’éviter que les victimes ne soient appelées à revivre trop souvent leur traumatisme en relatant les mauvais traitements qui leur ont été infligés, par exemple, d’abord à leurs parents, puis à la direction de l’école, et ensuite à un enquêteur, à un agent de police, à des avocats, à des juges et enfin au comité de discipline de l’Ordre. Le juge Robins propose que si le témoin a déjà fourni un témoignage pertinent à la police ou devant un tribunal avant que le comité de discipline ne soit saisi de l’affaire, ce témoignage soit reçu de sorte que le témoin n’ait pas à témoigner à nouveau.

HAUT