Le 8 février, des représentants dun large éventail dintervenants, notamment les fédérations denseignantes et denseignants, les directions décoles, les groupes de parents, les chefs de police et les sociétés daide à lenfance, se sont réunis à lOrdre pour discuter des propositions de lOrdre visant à modifier en profondeur les lois et règlements en ce qui concerne la conduite professionnelle et la sécurité des enfants dans les écoles. Ces changements visent à fournir au personnel enseignant des repères bien définis et de meilleurs procédés pour faire face à linconduite sexuelle de collègues. Un cas particulier a souligné la nécessité dapporter des changements. Le gouvernement provincial a chargé Sydney L. Robins, juge à la retraite, de mener un examen de linconduite sexuelle dans la profession enseignante après que Ken DeLuca, ancien enseignant de Sault Ste. Marie, eut été reconnu coupable davoir agressé sexuellement 13 élèves au cours dune période de 21 ans séchelonnant de la fin des années 1970 au début des années 1990. Le juge Robins a été appelé à étudier ce cas et à «formuler des recommandations concernant les protocoles, les politiques et les procédures en vue didentifier et de prévenir efficacement les agressions sexuelles, le harcèlement sexuel ou la violence sexuelle». Son rapport final, intitulé Protégeons nos élèves - Examen visant à identifier et à prévenir les cas dinconduite sexuelle dans les écoles de lOntario, a été publié en avril 2000. Le résumé et les recommandations du rapport Robins sont accessibles sur Internet à www.attorneygeneral.jus.gov.on.ca/french/robins/robinsrvw_f.htm. À la suite de cet examen, le juge Robins a formulé 101 recommandations destinées au gouvernement de lOntario, aux conseils scolaires, à lOrdre des enseignantes et des enseignants de lOntario, à lappareil judiciaire et au gouvernement fédéral. Trente-six dentre elles ont trait au devoir de lOrdre de réglementer la profession enseignante et dassurer la discipline, et sept autres concernent la responsabilité de lOrdre dagréer les programmes de formation du personnel enseignant. Depuis la publication, six comités du conseil de lOrdre examinent divers aspects du rapport et de ses recommandations. LOrdre a mené des recherches approfondies, et a notamment obtenu des avis juridiques concernant les conséquences des recommandations sur les droits des membres de lOrdre qui sont convoqués à une audience disciplinaire.
UN PROBLÈME BIEN RÉEL Depuis 1997, le comité de discipline de lOrdre a tenu des audiences sur 59 cas de faute professionnelle. Quarante-deux dentre eux comportaient des incidents dinconduite sexuelle à légard délèves. «Il y a longtemps quon ne se demande plus si linconduite sexuelle représente un véritable problème au sein du personnel enseignant. Sans être généralisé, ce problème existe», affirme Joe Atkinson, registrateur de lOrdre. «Dans toutes les sphères de la société, linconduite sexuelle est inacceptable, et elle lest encore plus au sein dune profession dont les membres sont dans une situation de confiance aussi privilégiée. Toutes les professions sont aux prises avec ce problème; en tant quenseignantes et enseignants, nous devons faire tout en notre pouvoir pour prévenir et éliminer ce comportement. Nous collaborerons avec nos partenaires provinciaux et locaux pour assurer la sécurité des enfants à lécole.» RECOMMANDATIONS
ACCENT SUR LA CONDUITE Linconduite sexuelle comprend également pour lenseignant «le défaut de se conformer aux obligations qui lui incombent aux termes de la Loi sur les services à lenfance et à la famille» (LSEF). En vertu de cette loi, il est illégal dinfliger des mauvais traitements à un enfant ou de permettre quil en subisse en ne subvenant pas à ses besoins ou en ne le surveillant ou ne le protégeant pas adéquatement. Dans la LSEF, «mauvais traitements» sentend «de maux physiques, dune atteinte aux murs ou dune exploitation sexuelle dont une personne est victime». Le juge Robins considère que le terme «mauvais traitements de nature sexuelle» nest pas assez précis. Par exemple, certains pourraient croire à tort quil ne désigne que les contacts physiques. Il est également davis que ce terme accorde trop dimportance à leffet des actes sur la victime plutôt quà la conduite de lagresseur. Le juge Robins voudrait que certains actes soient considérés comme clairement inacceptables, que la victime en porte ou non des marques physiques ou affectives. Les enseignantes et enseignants sont dans une situation de confiance à légard des élèves et exercent sur eux une autorité morale que lon ne retrouve pas dans une relation entre adultes. Cest pourquoi ils ne peuvent se livrer envers les élèves à des comportements qui violent ce lien de confiance. Selon le juge Robins, lobligation des enseignantes et des enseignants de se conformer à des normes de conduite plus élevées que la population en général doit être établie dans le cadre dune définition de faute professionnelle qui soit plus large et plus claire. Ainsi, pour les membres de lOrdre, linconduite sexuelle ferait partie intégrante de la définition de faute professionnelle. Le juge Robins propose de la définir comme «une conduite offensante de nature sexuelle qui peut affecter lintégrité personnelle ou la sécurité de lélève ou le milieu scolaire». Il ajoute que linconduite sexuelle comprendrait au moins trois notions. TROIS NOTIONS Harcèlement sexuel Conduite ou commentaires offensants de nature sexuelle qui menacent lintégrité personnelle ou la sécurité de lélève ou le milieu scolaire. Sans être toujours de nature ouvertement sexuelle, ils peuvent être dégradants ou embarrassants pour lélève et être fondés sur son sexe. Rapports sexuels en général Rapports dordre sexuel avec des élèves ou anciens élèves de moins de 18 ans, et toute conduite visant à créer un tel lien. Le juge Robins a rédigé ces définitions en se fondant sur les lois actuelles et en tenant compte du contexte particulier de la profession enseignante. Par exemple, la définition de «mauvais traitements dordre sexuel» se fonde sur le Code criminel. Elle vise les élèves de lenseignante ou de lenseignant, dautres élèves ou enfants, voire des adultes, quils soient ou non des élèves, si le comportement en question menace lintégrité personnelle ou la sécurité de lélève ou le milieu scolaire. Le juge Robins fournit des exemples. Il sagirait pour lenseignant de toucher un élève à des fins sexuelles; dinviter un élève à le toucher à des fins sexuelles; davoir une relation de nature sexuelle avec un élève; de montrer ses organes génitaux à un élève à des fins sexuelles; de toucher un élève à des fins sexuelles ou non dune manière qui viole son intégrité sexuelle. La notion de harcèlement sexuel sinspire du Code des droits de la personne de lOntario, mais sa portée est élargie dans le contexte de lenseignement. Ainsi, dans une relation enseignant-élève, le fait que lélève juge une conduite importune ou non na pas dimportance. En effet, on ne peut se défendre en alléguant que lélève souhaitait faire lobjet de harcèlement, quil y avait consenti ou quil ne sy était pas opposé. Lenseignante ou lenseignant est responsable de son propre comportement et ne peut le justifier en invoquant le comportement de lélève. Le juge Robins souligne que même un incident isolé peut constituer du harcèlement, et que le harcèlement sexuel comprend les représailles ou menaces de représailles motivées par le refus des avances sexuelles. Il donne les exemples suivants : commentaires sur les caractéristiques physiques de lélève; contact physique non désiré ou injustifié; remarques ou insinuations suggestives ou offensantes à lendroit des fillettes ou des garçons; propositions dintimité physique; violence verbale, menaces, remarques ou railleries liées au sexe; regards suggestifs; vantardise à propos de ses prouesses sexuelles; demande de rendez-vous amoureux ou de faveurs sexuelles; blagues osées ou commentaires de nature sexuelle au sujet dune ou dun élève; photos, graffiti ou autres documents déplacés au plan sexuel; questions ou discussions très personnelles au sujet des activités sexuelles; humour ou langage brutal ou vulgaire lié au sexe; «compliments» répétés au sujet de lapparence, des cheveux et des vêtements dune ou dun élève. Le fait quune relation de nature sexuelle soit incluse dans les formes dinconduite souligne le fait que le personnel enseignant doit respecter non seulement les lois civiles et criminelles, mais également les règles de la profession. Le juge Robins et de nombreuses autres autorités judiciaires, y compris la Cour suprême du Canada, sont davis que les enseignantes et enseignants doivent se conformer à des normes de conduite plus élevées que les autres membres de la société. Par exemple, selon le juge Robins, une relation de nature sexuelle entre un enseignant et un élève représente une faute professionnelle :
Linterdiction des relations de nature sexuelle entre enseignants et élèves sapplique à toute conduite visant à établir une telle relation. Par exemple, il pourrait sagir de lettres quun enseignant envoie à un élève, dappels téléphoniques personnels, dun dialogue de nature sexuelle sur Internet, de commentaires suggestifs en classe et de rendez-vous amoureux. DIVULGATION ET ENQUÊTE Si ces motifs raisonnables existent, lenseignante ou lenseignant ne doit pas attendre que les mauvais traitements aient été prouvés de façon manifeste. Lattente ou le silence, dans ce contexte, sont contraires à la loi. Si lon ne fait rien, comme dans laffaire DeLuca et dautres cas de mauvais traitements, dautres enfants risquent dêtre maltraités. Selon le juge Robins, «la loi accorde la priorité aux intérêts des enfants. Comme on accorde une importance primordiale à leur sécurité, il est inévitable quà la suite dune enquête, certaines situations signalées à une société daide à lenfance ne donnent pas lieu à des poursuites criminelles ou à des procédures disciplinaires.» Ce devoir sapplique aux administrateurs, représentants ou employés dune société qui autorisent une infraction, permettent quelle soit commise ou y contribuent. Un conseil scolaire étant une «personne morale» au sens du paragraphe 58.5 (1) de la Loi sur léducation, les responsables des écoles et des conseils partagent la responsabilité de signaler les cas dinconduite en vertu de la LSEF et de la Loi sur lOrdre des enseignantes et des enseignants de lOntario. Comment lenseignante ou lenseignant peut-il déterminer sil existe des «motifs raisonnables de soupçonner» une inconduite? Quen est-il des cas dinconduite qui ne sont pas de nature criminelle ou qui ne violent pas la LSEF, mais qui pourraient être considérés comme une faute professionnelle? Même avec les meilleures intentions, on ne sait trop quoi faire. On ne sattend pas à ce que le personnel enseignant acquière lexpertise des enquêteurs professionnels de lOrdre, des sociétés daide à lenfance ou de la police. Le juge Robins confirme cependant quen vertu de la loi, il est possible pour lécole de faire une évaluation préliminaire avant de signaler lincident aux autorités. Daprès le juge Robins, le déroulement de cette enquête préliminaire et le personnel responsable varieraient selon le conseil. En effet, chaque conseil est doté dune structure administrative particulière en fonction de sa taille et de son emplacement (rural ou urbain). Un enseignant qui a des motifs raisonnables de soupçonner quun enfant subit des mauvais traitements dordre sexuel ou a besoin de protection pour dautres raisons doit faire part de ses soupçons à la société daide à lenfance. Sil observe une activité douteuse de la part dun collègue qui pourrait aboutir à une inconduite sexuelle, il est tenu de le signaler aux responsables du système scolaire. Les recherches du juge Robins démontrent que le personnel enseignant et administratif ne respecte pas toujours son obligation légale de signaler les signes avant-coureurs aux autorités. Cette situation est attribuable en partie à la croyance paradoxale, et fausse, selon laquelle la Loi sur la profession enseignante (LPE) leur interdit de le faire. RAPPORTS DÉFAVORABLES Pour éviter toute méprise, le juge Robins recommande de mentionner explicitement dans la LPE que cette disposition ne sapplique pas en loccurrence. «À titre denseignants, nos devoirs à légard de nos collègues ne lemportent pas sur notre obligation de protéger lintérêt public et la sécurité des enfants dont nous avons la responsabilité. La législation et les normes de déontologie de notre profession sont claires. Si un membre de lOrdre soupçonne un collègue dinconduite sexuelle ou est au courant de tels soupçons, il doit intervenir en le signalant aux autorités», affirme Joe Atkinson, registrateur de lOrdre. Un conseil scolaire peut assujettir la conduite du personnel enseignant à des restrictions qui vont au-delà de celles de lOrdre. Par exemple, le Conseil scolaire de district de Toronto interdit à son personnel et à ses bénévoles dentreprendre des relations de nature sexuelle avec les élèves pendant quils entretiennent des rapports de nature professionnelle avec eux et pendant une période dun an par la suite.
PRÉPARATION DE LENFANT Le juge Robins propose des exemples et fournit des explications. «La préparation comprend les gestes qui visent à créer des rapports étroits avec lélève, comme lui donner des friandises ou lui accorder des gentillesses, des faveurs et de lattention, des contacts physiques non sexuels visant à évaluer la réaction de lenfant et, dans certains cas, des commentaires de nature sexuelle et lutilisation de pornographie.» «La préparation a pour but de déterminer, parmi les cibles choisies, lesquelles seront les moins susceptibles de divulguer le comportement, de désensibiliser lenfant par des comportements à composante sexuelle croissante, de tisser des rapports étroits que lenfant ne voudra pas mettre en péril en divulguant le comportement et dapprendre des faits qui pourraient servir à discréditer lenfant si ce dernier dévoile la situation.» Les sceptiques diront que le fait de signaler les cas soupçonnés de «préparation» denfants ou denquêter à leur sujet relève de la paranoïa ou stigmatise à tort une conduite qui ne semble pas sexuelle. Cependant, les prédateurs sexuels profitent justement de cette réaction pour éviter dêtre découverts. «Lorsque les enfants divulguent le cas dinconduite à létape de la préparation, leurs plaintes sont généralement rejetées car lintention sexuelle qui se cache derrière le comportement allégué échappe à lobservateur inexpérimenté, qui considère ce dernier comme équivoque ou innocent», souligne le juge Robins. Tous les cas dinconduite sexuelle ne sont pas précédés par des actes de préparation. De toute évidence, les gentillesses, les faveurs et lattention que lon accorde aux élèves de même que les contacts physiques non sexuels naboutissent pas toujours à une inconduite sexuelle. Pour plus de précisions, le personnel enseignant devrait consulter la politique du conseil scolaire, consulter des experts et prendre les enfants au sérieux lorsquils signalent des incidents. SITUATIONS ÉQUIVOQUES Cependant, les enseignantes et les enseignants sont conscients du fait que sils ne peuvent plus ramener les élèves dans leur voiture, nombre dentre eux ne pourront plus participer aux activités parascolaires. Le juge Robins propose aux enseignantes et enseignants de se poser les questions suivantes avant de se livrer à de telles activités :
QUELQUES MYTHES Mythe n° 1 : «On ne peut ajouter foi aux allégations de mauvais traitements dordre sexuel formulées par des enfants.» En réalité, bien des enfants ne révèlent pas les mauvais traitements dordre sexuel quils ont subis pour diverses raisons, notamment la honte ou la peur de représailles. «Cest avant tout par crainte que leur entourage refuse de les croire que la plupart des jeunes ne divulguent pas les mauvais traitements», affirme le juge Robins. Certains contrevenants alimentent cette crainte chez leurs victimes pour réduire les risques de divulgation et éviter ainsi dêtre découverts. Le personnel enseignant doit donc éviter de rendre la divulgation encore plus difficile pour les victimes en tenant pour acquis que le témoignage des enfants nest pas fiable. Lenseignante ou lenseignant a le devoir découter le témoignage de lenfant sans préjugés ni parti pris et de façon équitable. Dailleurs, la législation a changé à cet égard. Par exemple, le Code criminel et la Loi sur la preuve de lOntario ont été modifiés ces dernières années pour quil ne soit plus nécessaire de corroborer le témoignage dune personne de moins de 14 ans. Mythe n° 2 : «Les allégations dinconduite sexuelle formulées par un élève à lendroit dun enseignant ne sont pas fiables à moins que la plainte ou la divulgation nait été faite peu après lincident.» Le fait que la victime mette du temps, parfois même des années, à divulguer des incidents ne signifie pas que ses allégations sont fausses. La crédibilité du plaignant doit être évaluée au cas par cas. Des enquêteurs chevronnés, comme ceux de lOrdre, des sociétés daide à lenfance et de la police, ont la formation et lexpérience nécessaires pour mener une telle évaluation. Lenseignante ou lenseignant qui a des soupçons devrait les signaler et laisser les experts déterminer la crédibilité de lenfant. Mythe n° 3 : «Les allégations dinconduite sexuelle formulées par un élève à lendroit dun enseignant ne sont pas fiables si cet élève sest déjà livré à des activités sexuelles.» En règle générale, la réputation de la victime au plan sexuel ne peut être prise en compte dans une instance criminelle concernant une infraction de nature sexuelle. Le juge Robins recommande que les panels de discipline de lOrdre appliquent les mêmes règles sur ladmissibilité de la preuve. En outre, le fait que lélève ait ou non consenti à une activité sexuelle avec une enseignante ou un enseignant ou lait sollicitée est sans importance. Quil y ait ou non consentement, selon le juge Robins, une telle activité représente une faute professionnelle.
RÈGLES DE PROCÉDURE Le juge Robins souligne quil peut être traumatisant de témoigner pour les victimes et témoins dinconduite sexuelle, particulièrement les jeunes enfants, qui préfèrent parfois ne pas révéler ce quils ont vécu. Cest notamment le cas dans une salle daudience ou lors dune audience disciplinaire, où le contrevenant présumé ou reconnu coupable pourrait être présent pendant leur témoignage et même les contre-interroger personnellement. Pour régler ce problème, le juge Robins recommande de modifier les règles de procédure du comité de discipline et du comité daptitude professionnelle de lOrdre. La plupart de ces changements sappuient sur des dispositions existantes de la Loi sur la preuve et de la Loi sur lexercice des compétences légales, qui établissent de nombreuses procédures pour les tribunaux administratifs. Ces changements mettraient diverses options à la disposition des témoins vulnérables, généralement des jeunes enfants et des membres de la famille ou des amis qui les accompagnent, comme celle de témoigner derrière un écran ou par télévision en circuit fermé, sans être exposé aux regards des autres. Le juge Robins recommande également déviter que les victimes ne soient appelées à revivre trop souvent leur traumatisme en relatant les mauvais traitements qui leur ont été infligés, par exemple, dabord à leurs parents, puis à la direction de lécole, et ensuite à un enquêteur, à un agent de police, à des avocats, à des juges et enfin au comité de discipline de lOrdre. Le juge Robins propose que si le témoin a déjà fourni un témoignage pertinent à la police ou devant un tribunal avant que le comité de discipline ne soit saisi de laffaire, ce témoignage soit reçu de sorte que le témoin nait pas à témoigner à nouveau. |
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