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De la théorie à la pratique

La Majeure Haute Spécialisation aide les élèves du secondaire à se construire un parcours professionnel.

De Michael Benedict
Photos : Kevin Hewitt; vêtements et accessoires : Kate Curcio/Studio 141 Inc.; maquillage et coiffure : Michelle Rosen/Judy Inc.

Photo de cinq adolescents qui tiennent des plantes ou des outils de jardinage. Un arrosoir, des légumes, une table et des boîtes en bois font partie de la scène.
Élèves du programme d’agriculture de la South Lincoln High School à Smithville, District School Board of Niagara

Les écoles élémentaires et secondaires du Canada sont-elles bien préparées pour affronter les défis du XXIe siècle? C’est la question qu’a débattue un groupe de pédagogues et de hauts dirigeants lors d’une conférence qui s’est tenue à Ottawa en septembre 2012. Les avis étaient partagés.

La plupart des conférenciers se sont montrés sceptiques, à l’exception de Linda Hasenfratz, présidente et chef de la direction de Linamar Corporation. Elle a cité l’exemple d’un programme qui porte fruit dans des écoles secondaires de l’On-tario en produisant des diplômés qui ont la formation et les compétences nécessaires pour conquérir le marché du travail. «Le programme fonctionne en collaboration avec le secteur privé […] afin de permettre aux élèves de vivre une expérience authentique, a-t-elle déclaré à la conférence Canada in the Pacific Century organisée par le Conseil canadien des chefs d’entreprise et le Conseil international du Canada. L’acquisition de compétences qu’ils pourront perfectionner plus tard ne peut que leur être bénéfique.»

Mme Hasenfratz faisait allusion à la Majeure Haute Spécialisation (MHS), un programme lancé en 2006 qui ne cesse de gagner en popularité. Les diplômés du programme ont décroché un emploi ou ont poursuivi des études postsecondaires dans des domaines où ils avaient une longueur d’avance sur les autres. Élèves comme pédagogues soulignent que le programme a permis de tendre la main à des élèves qui éprouvaient des difficultés et a même aidé à contrer le décrochage scolaire. Cela vous semble impressionnant? En quoi ce programme procure-t-il un avantage aux diplômés?

Le programme propose une panoplie de cours et d’activités aux élèves de 11e et de 12e année, y compris des programmes d’éducation coopérative. Les majeures sont offertes dans 19 secteurs allant de l’agriculture aux transports et englobent tous les volets d’éducation afin de préparer les élèves du secondaire à faire la transition vers l’université, le collège, un programme d’apprentissage ou le marché du travail.

Élèves et diplômés apprécient l’approche pragmatique du programme. «Le programme m’a donné un sens d’appartenance à l’école, explique Josta Willebrand, diplômée de l’E.L. Crossley Secondary School de Fonthill (Ontario), qui étudie actuellement le commerce international à l’Université Brock. Il m’a permis de m’orienter et de découvrir ma vocation.»

Apprendre différemment

À l’heure actuelle, plus de 42 000 élèves en Ontario participent au programme, soit environ 10 pour cent des élèves de 11e et de 12e année, comparativement à 600 au cours de la première année, en 2006. Dans la présente cohorte, 50 élèves du Lester B. Pearson Collegiate Institute du Toronto District School Board suivent la majeure en santé et bien-être. Aujourd’hui, une douzaine d’entre eux sont réunis dans une classe et s’adonnent à des exercices de premiers soins sous l’œil attentif de Susan Moher, EAO et infirmière autorisée.

Les élèves travaillent en groupes de deux, chacun se relayant pour soigner une blessure simulée. Un trombone est fixé sur le bras d’un d’entre eux avec du ruban adhésif, représentant un corps étranger comme un clou ou une écharde, et son camarade y applique ensuite un pansement.

La salle de classe de Mme  Moher est un vrai labo qui recèle de nombreuses possibilités d’apprentissage.

Ces élèves sont déjà titulaires d’un certificat de premiers soins délivré par un organisme communautaire. Toutefois, Mme Moher veut parfaire cette formation en y ajoutant de l’expérience pratique. «Ils savent ce qu’ils doivent faire, mais savent-ils comment s’y prendre?», dit-elle.

La salle de classe de Mme Moher est un vrai labo qui recèle de nombreuses possibilités d’apprentissage. On y trouve quatre lits munis de mannequins, des fauteuils roulants et d’autre équipement permettant aux élèves de s’initier aux soins de santé. «J’apprends de nouvelles choses», dit Subitha pendant qu’elle soigne la «blessure» d’Hajra. Elle a l’intention d’étudier les sciences de la vie à l’Université Ryerson, tandis qu’Hajra poursuivra des études en sciences neurologiques à l’Université de Toronto.

Quelques pupitres plus loin, Cassandra envisage une carrière en éducation de la petite enfance. Elle attribue au programme MHS son admission à un programme d’apprentissage conjoint collégial-universitaire, particulièrement à son stage dans une école élémentaire en tant qu’enseignante adjointe. Outre les premiers soins, Cassandra a également obtenu un certificat en réanimation cardiorespiratoire (RCR). «Quand on travaille avec des enfants, il y a toujours des imprévus, affirme-t-elle. Grâce à ma formation en RCR, je sais quoi faire en cas d’urgence.»

Façonner l’avenir

L’un des principaux objectifs du programme est d’aider les élèves à projeter leur cheminement de carrière. «Il permet aux élèves de s’intéresser à leur avenir, de dire Tahira Irfan, EAO, chargée de l’administration du programme au Lester B. Pearson Collegiate Institute. Il y en a beaucoup qui autrement se sentent perdus.»

Avant qu’un conseil scolaire puisse approuver la majeure d’une école, cette dernière doit travailler de concert avec la collectivité pour évaluer les besoins du marché local, organiser des stages pertinents et fournir des conseils sur les composantes de la majeure envisagée. À Lester B. Pearson, Mme Irfan a également consulté le conseil des parents de l’école. Ce dernier s’est prononcé en faveur de la majeure en santé et bien-être en raison des nombreux débouchés dans ce domaine pour les enfants de nouveaux immigrants, lesquels représentent la plus grande partie de la population estudiantine de l’école.

Le programme MHS permet aux élèves d’orienter leurs études et de préparer leur avenir. Pour certains, il a changé leur vie.

Ensuite, Mme Irfan a recruté des élèves pour s’inscrire au programme. «Les élèves qui avaient l’intention d’aller à l’université ont été les premiers à y participer, affirme-t-elle. Mais nous avons ciblé ceux qui ne savaient pas dans quelle voie se diriger et qui pensaient bénéficier de l’approche pragmatique du programme.»

Éveiller l’intérêt

Le programme MHS a été conçu pour relever le défi que doivent relever la plupart des écoles d’Amérique du Nord : comment motiver les élèves désenchantés par le programme scolaire. «Nos écoles font du bon travail à enseigner la théorie, mais l’enseignement de compétences pratiques laisse à désirer, avoue la ministre de l’Éducation, Liz Sandals. Le programme MHS comble cette lacune sans forcer les élèves à entrer dans un moule.»

Mme Sandals ajoute que le succès du programme repose sur le fait que les élèves réagissent différemment au système d’éducation. «Au secondaire, les élèves ont déjà des aspirations professionnelles, mais ils ont besoin de choix en matière de style d’apprentissage, dit-elle. Le programme MHS permet aux élèves d’orienter leurs études et de préparer leur avenir. Pour certains d’entre eux, il a changé leur vie.»

Le programme est conçu pour concorder avec tous les volets d’éducation. «Par le passé, les programmes parascolaires n’ouvraient pas la voie aux études universitaires, explique Mary Jean Gallagher, sous-ministre adjointe à la Division du rendement des élèves du ministère de l’Éducation. Le programme MHS donne accès à toutes les filières d’études. Il donne un sens à l’école pour les élèves susceptibles de passer à travers les mailles du filet et prépare tous les élèves à réussir dans le monde de demain, non pas seulement ceux qui ont l’intention d’aller à l’université.»

Contrer le décrochage

L’un des objectifs du programme est d’améliorer le taux d’obtention du diplôme d’études secondaires de la province. Au cours des dix dernières années, ce taux est passé de 68 à 83 pour cent et Mme Sandals attribue ce succès en partie au programme MHS.

Outre le stage et les cours qu’ils doivent suivre dans le cadre de leur majeure, les élèves du programme MHS doivent répondre à d’autres critères afin d’obtenir le sceau rouge de la majeure sur leur diplôme. Ils doivent suivre des cours de formation, par exemple, en premiers soins ou en réanimation cardiorespiratoire, et obtenir les certifications pertinentes. Ils doivent par ailleurs visiter des lieux de travail et des établissements post-secondaires, et participer à des ateliers de formation à l’école animés par des professionnels du domaine qu’ils ont choisi.

Il donne un sens à l’école pour les élèves susceptibles de passer à travers les mailles du filet.

Ils doivent également démontrer qu’ils ont acquis les compétences et les habitudes de travail nécessaires pour réussir dans leur domaine, notamment savoir comment se comporter en entrevue et dans un contexte social ou professionnel.

Le programme MHS «transforme le style d’apprentissage d’un élève», précise Mark Hunt, EAO, directeur de la Ridgetown District High School du Lambton Kent District School Board, à Ridgetown. M. Hunt, qui croit fermement en la valeur d’une «éducation authentique», est un fervent partisan du programme. «Le programme MHS préconise un échange d’information bidirectionnel, dit-il. Il pourrait s’avérer un vecteur d’éducation pour toute la province.»

Ridgetown dessert aussi une communauté autochtone. M. Hunt explique que la majeure en art et culture, qui cible sa région, a non seulement stimulé l’intérêt des élèves, mais a également transformé l’école. «Ce programme est une bénédiction. Il a permis aux groupes autochtones et allochtones, aux parents et aux membres de la communauté de mieux se comprendre», affirme-t-il. L’école offre également une majeure en agriculture, ce qui est tout à fait logique, selon M. Hunt, étant donné qu’il s’agit d’une communauté agricole.

Les deux majeures ont transformé la façon dont les élèves acquièrent des connaissances et des compétences. «En interagissant avec des professionnels du secteur privé, les élèves développent de nouvelles méthodes d’apprentissage, ajoute M. Hunt. Ils apportent leurs connaissances et leur expérience d’apprentissage en classe, et les enseignants deviennent à leur tour des apprenants. Ils préfèrent de loin cette approche à la salle de classe traditionnelle. Au fur et à mesure qu’ils acquièrent des connaissances, ils insufflent un nouveau dynamisme dans le matériel du cours, tout en développant leur estime de soi.»

Dans l’ensemble, le programme permet d’acquérir les compétences essentielles pour faire face aux défis du XXIe siècle. Mme Hasenfratz est d’avis que tous les élèves devraient y participer : «Ils apprendront quelque chose qui pourra les aider plus tard à décrocher un emploi».

Photo de quatre élèves debout autour d’une table où se trouvent un poêlon, un rouleau à pâte, des œufs, des poivrons jaunes et rouges et des bols en acier inoxydable. Ils portent un pantalon, une veste et un chapeau de chef cuisinier.
Élèves du programme d’hôtellerie et de tourisme du Thistletown Collegiate Institute, Toronto District School Board

«Je n’ai jamais aimé l’école, avoue Bryan Boersma, qui a grandi sur une ferme. J’ai toujours su que je voulais être fermier. La possibilité de suivre la majeure en agriculture s’est avérée un avantage inespéré.»

Il poursuit actuellement des études à l’Université de Guelph. «J’ai bien aimé le programme MHS et j’ai appris un tas de choses directement liées à mes aspirations professionnelles. Ce fut une expérience incroyable, un vrai plaisir.»

Afin de satisfaire aux exigences du programme, Bryan a dû obtenir un certificat en manipulation des pesticides. «C’est tout un accomplissement pour un fils de fermier», dit-il.

Bryan Boersma diplômé du programme MHS, Ridgetown District High School, Lambton Kent District School Board

Sachant qu’Andrew Derynck voulait poursuivre une carrière en musique, l’un de ses enseignants l’a inscrit à la majeure en art et culture de l’école. Son stage, dans le cadre duquel il aidait un enseignant de musique d’une autre école, l’a convaincu. «Cette expérience m’a donné un aperçu de la relation enseignant- élève, explique-t-il. J’ai compris qu’enseigner la musique était ma vocation.»

En plus de son stage, Andrew a participé à une série d’ateliers allant de la danse à la chanson en passant par l’interprétation et la comédie. «Les ateliers m’ont permis d’explorer d’autres aspects de la musique et de faire des choses que je n’aurais pas faites autrement», affirme-t-il.

Andrew est actuellement inscrit au baccalauréat en musique à l’Université Wilfrid-Laurier.

Andrew Derynck diplômé du programme MHS, Chatham-Kent Secondary School, Lambton Kent District School Board

Janelle, qui a quitté la Jamaïque pour le Canada en 2010, estime qu’elle est sur la bonne voie grâce au programme MHS. «J’ai toujours voulu faire des études d’infirmière et le service d’orientation de l’école m’a persuadée de m’inscrire à la majeure en santé et bien-être, dit-elle. Ça m’a permis de découvrir les possibilités du domaine.»

Janelle a fait son stage dans une résidence pour personnes âgées où elle a tissé des liens étroits avec les résidents et vu cinq personnes s’éteindre. Elle continue à y faire du bénévolat, mais, en raison de son expérience, elle s’est réorientée vers la pédiatrie. «L’approche pragmatique du programme MHS vous fait réfléchir et vous aide à déterminer dans quelle voie vous orienter», explique-t-elle.

Janelle élève de 12e année, Lester B. Pearson Collegiate Institute, Toronto District School Board

Avant de s’inscrire à la majeure en hospitalité et tourisme de son école secondaire, Joel Carmola-Chambers n’avait aucun objectif précis. Il utilise maintenant ce qu’il a appris dans ses cours de préparation des aliments pour enseigner à temps partiel aux adultes dans une école de cuisine tout en suivant un programme d’apprentissage au Collège Humber.

«L’expérience a été vraiment enrichissante, affirme Joel. J’ai pris mon premier cours de cuisine uniquement pour être avec mes amis et obtenir un crédit, mais j’ai ensuite découvert où cela pouvait mener. Sans le programme MHS, je n’aurais pas entrepris d’études collégiales et je me serais sans doute trouvé un emploi sans avenir.»

Joel Carmola-Chambers diplômé du programme MHS, Thistletown Collegiate Institute, Toronto District School Board

Pour Tyler Graham, EAO, l’aspect le plus gratifiant du programme MHS est son impact sur la réussite des élèves. «Les élèves qui participent au programme ont une vive passion pour ce qu’ils font et nous adaptons la journée scolaire à leurs besoins, explique M. Graham. Un élève passionné est un élève motivé.»

Trois fois par an, M. Graham rencontre un groupe consultatif composé de fermiers et de représentants du secteur agroalimentaire qui l’a aidé à élaborer un programme d’études approprié, lequel ne cesse d’évoluer. L’une des exigences pour tous les élèves : concevoir un plan commercial dans un secteur agricole particulier où ils doivent visiter des installations et interviewer des exploitants.

Tyler Graham, EAO ancien enseignant et responsable de la majeure en agriculture, South Lincoln High School, Smithville, District School Board of Niagara (maintenant responsable de la majeure en horticulture à St. Catharines)