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Enseignant remarquable

Photo de Malcolm Gladwell qui descend un escalier sous-terrain dans un centre urbain.
Photo : David Yellen; Stylo : iStock

La Critique et le Succès

Malcolm Gladwell se souvient de Bill Exley, qui a su lui donner le plaisir de trouver le mot juste.

De Richard Ouzounian
Photo: David Yellen; Pen: iStock

Les maisons d’édition les plus strictes révisent ses manuscrits, mais c’est à l’Elmira District Secondary School que l’auteur à succès Malcolm Gladwell a reçu les commentaires les plus sévères.

M. Gladwell était en dernière année lorsqu’il a rencontré son maître (et mentor), Bill Exley, aujourd’hui retraité, alors enseignant en littérature et composition anglaises. Ils n’ont pas passé beaucoup de temps ensemble, mais l’enseignant a néanmoins fait découvrir certaines techniques à l’adolescent brillant qui l’ont préparé à se tailler une place sur la scène internationale.

Dès 1996, M. Gladwell est entré dans le monde littéraire lorsqu’il a été embauché comme rédacteur pour le New Yorker. Il deviendra par la suite un écrivain renommé grâce à ses titres, Le point de bascule, La force de l’intuition et Outliers, et à son récent ouvrage, David and Goliath.

«Il a instauré en moi une passion pour la précision, pour le choix du mot parfaitement juste ou de la phrase qui convient.»

Le fait qu’un de ses élèves ait accompli un tel succès donne à M. Exley un véritable sentiment de satisfaction. Mais ce vétéran, qui aura passé trente-quatre ans à enseigner, est fier de tous ses élèves – et il a de quoi l’être. M. Exley a enseigné dans l’école de cette petite ville à des douzaines de diplômés qui se sont distingués dans leur carrière, y compris Bruce Headlam, rédacteur médiatique au New York Times, et Terry Martin, professeur à Harvard.

Mais qu’est-ce qui a permis une telle réussite pédagogique? Pour M. Gladwell, l’honneur revient surtout à M. Exley, mais le fait d’avoir grandi dans la ville d’Elmira, au sud de la province, est également un facteur essentiel. M. Gladwell se souvient du temps qu’il a pu accorder à la réflexion et à des activités indépendantes. Les années 1970 lui ont permis de rêver, d’explorer ou tout simplement de lire les livres qui l’intéressaient. Ainsi, de nouvelles idées ont pu germer dans son esprit et il a pu y penser à volonté. M. Exley a des souvenirs d’Elmira tout aussi magiques.

«C’était plus qu’une simple ville, affirme l’enseignant retraité de 74 ans. C’était une communauté dans laquelle tout le monde partageait les mêmes intérêts, le même objectif de s’améliorer dans le monde dans lequel on évoluait. Notre participation ne se terminait pas à la fin de la journée. On allait aux réunions publiques de la ville, je m’occupais de l’équipe de débat et, les dimanches, par exemple, Malcolm et ses parents, ainsi que moi-même, ma femme et mes enfants, nous nous rendions à la même église.»

Les habitants, tricotés serré, faisaient tout pour approfondir leurs connaissances. H.B. Disbrowe, directeur de l’Elmira District Secondary School, a donné l’exemple en veillant à ce que les membres de son personnel enseignant soient les meilleurs dans leur domaine respectif. Il allait dans les campagnes le soir, pour convaincre les fermiers de la région d’envoyer leurs enfants à l’école.

Photo de Malcolm Gladwell et de Bill Exley, son ancien enseignant.
Photo : David James Photography
Bill Exley s’entretient avec son ancien élève Malcolm Gladwell, lors d’un événement à Elmira, leur ville natale, en 2008.

«C’était un homme pour qui l’éducation était la chose la plus importante au monde, se souvient M. Exley. Il avait une passion irrésistible. J’ai toujours eu un faible pour un tel niveau d’engagement.»

M. Exley a remarqué une qualité semblable chez M. Gladwell. «Il avait une telle passion, même à l’époque. Aujourd’hui, lorsque je le vois passer à la télévision, son enthousiasme est le même qu’à l’époque, lorsqu’il était mon élève. Et c’est l’une des caractéristiques les plus importantes d’un enseignant compétent. Vous apportez votre enthousiasme et les élèves sont amenés à faire de même. Et si vous partagez le même enthousiasme, les possibilités sont illimitées.»

L’engagement intellectuel partagé stimulait M. Exley, mais ce qui aura marqué M. Gladwell va bien au-delà. «Lorsqu’on est adolescent, on est très conscient de se sentir gauche et maladroit, et lorsqu’on rencontre quelqu’un qui assume sa maladresse, y compris ses défauts, on se sent rassuré, se souvient l’écrivain. M. Exley n’était pas comme les autres : c’était un homme assez excentrique. Il avait toutes sortes de manies et une manière de rire assez drôle. Pour moi, en tant qu’adolescent, c’était très attirant.»

Mais, quelle que soit l’histoire qui les aura unis, ce qui importe le plus, c’est la leçon inestimable que M. Gladwell a tirée des moments qu’ils ont passés en classe. «Il m’a appris que les mots peuvent être utilisés avec précision et même qu’ils doivent l’être. Pour lui, le manque de soin était l’ennemi de la clarté et de la perspicacité. Il accordait beaucoup d’attention aux détails; c’est ce qui a inspiré tous mes écrits, et je l’en remercie.»

Le processus qu’utilisait M. Exley pour encourager ses élèves à écrire et à réfléchir de manière plus structurée était exigeant. «Je recherchais les répétitions, le manque de clarté de certaines expressions et les généralisations, explique-t-il. Tous les ennemis de la rédaction.»

M. Gladwell se souvient des corrections en rouge foncé brutalement imprimées sur ses devoirs, et du mot que nous redoutions tous: «reformuler». «Les membres de l’équipe de rédaction du New Yorker sont généralement considérés comme les plus difficiles dans le domaine, précise M. Gladwell, mais je peux vous assurer qu’ils n’ont jamais commenté un seul de mes écrits comme M. Exley l’a fait. Il a instauré en moi une passion pour la précision, pour le choix du mot parfaitement juste ou de la phrase qui convient, et c’est ce qui a formé mon approche de l’écriture.»

Mais, à certaines reprises, M. Exley est allé plus loin dans ses leçons, faisant appel à Shakespeare pour illuminer ses élèves. «En étudiant le texte et en le lisant à voix haute, ils commençaient à se rendre compte de ce que Shakespeare faisait avec la langue. Cela permettait également de générer des discussions qui ajoutaient une touche de réalité – la salle de classe devrait être quelque chose de vivant.»

Par la suite, cette manière d’apprivoiser Shakespeare a permis à M. Gladwell d’avoir un avantage de taille dans ses études. «Quand je me suis retrouvé à étudier Shakespeare à l’université, j’étais comme un poisson dans l’eau, dit-il fièrement. Grâce à Bill, j’étais prêt à affronter ce genre de complexité.»

Bien qu’il ne l’ait jamais ouvertement reconnu, M. Gladwell admet devoir beaucoup à M. Exley. «Au cours des années, j’ai rencontré Bill de nombreuses fois, ajoute son ancien élève. Nous n’en avons jamais vraiment parlé, mais je suis sûr qu’il doit être conscient de l’influence qu’il a eu sur mon développement. Mais il ne faut pas oublier qu’il a enseigné à un grand nombre d’élèves et qu’il n’a pas eu besoin de ma carrière pour se sentir accompli.»

M. Exley serait d’accord. Sa vocation, c’était sa carrière d’enseignant et sa satisfaction, c’était d’aider ses élèves, de façonner leur jeune esprit. «J’ai eu le plaisir d’enseigner à une variété de merveilleux élèves, se réjouit-il. Et chacun d’entre eux a été pour moi la personne la plus chère au monde.»

«Il accordait beaucoup d’attention aux détails; c’est ce qui a inspiré tous mes écrits, et je l’en remercie.»

Cette rubrique met en vedette des personnalités canadiennes qui rendent hommage aux enseignantes et enseignants qui ont marqué leur vie en incarnant les normes de déontologie de la profession enseignante (empathie, respect, confiance et intégrité).