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Pour l’intérêt supérieur

On peut définir la justice sociale de bien des manières. Les initiatives axées sur la justice sociale sont tout aussi variées. Que ce soit par l’art dramatique, la narration d’histoires ou l’étude d’écrivains issus d’horizons variés, voici comment trois membres de l’Ordre s’y prennent pour sensibiliser leurs élèves à l’importance de l’équité et de l’inclusion.

D’Helen Dolik
Photos : Matthew Liteplo and James Heaslip

Photo illustrée d’adultes tenant en l’air de grandes illustrations, faites au crayon, des personnages suivants : James Orbinski, Ai Weiwei, Michael Moore, Abraham Lincoln, Nelson Mandela, Simon Wiesenthal, Sophie Scholl et Brent Hawks.

Nous sommes en avril 2014 et les élèves de 8e année de l’East Alternative School of Toronto (E.A.S.T.), tout de noir vêtus, déambulent sur la scène de la Metropolitan Community Church of Toronto, au centre-ville. Chacun d’entre eux arbore l’immense effigie d’une personne ayant fait une différence dans le monde : Abraham Lincoln, Nelson Mandela, Roméo Dallaire, Jackie Robinson et Malala Yousafzai. En fond sonore, Waiting on the World to Change de John Mayer.

À tour de rôle, les élèves avancent d’un pas et citent une phrase du héros qu’ils ont choisi : «Si l’esclavage n’est pas mauvais, rien n’est mauvais», Abraham Lincoln. «J’ai appris que le courage n’est pas l’absence de peur, mais la capacité de la vaincre», Nelson Mandela. «J’ai serré la main du diable», Roméo Dallaire.

Le spectacle annuel de Courageous Voices commence. Cette année, il a attiré une foule de 600 personnes. Pendant une heure, les élèves vont donner vie à ces effigies de carton. Ils se glisseront dans la peau de leurs héros.

«Une pièce jouée par des élèves de 8e année, les gens prennent ça à la légère, jusqu’au moment où ils y assistent. Après, ils ne la manqueraient pour rien au monde», déclare Lynn Heath, EAO, qui coordonne cette production annuelle de l’E.A.S.T.

L’E.A.S.T. est une école torontoise alternative qui accueille des élèves de 7e-8e année et leur propose un programme d’ études axé sur les arts. L’enseignement de la justice sociale est une initiative qui s’étend à toute l’école, et le spectacle Courageous Voices est né de cette philosophie.

La pièce Courageous Voices n’est qu’une des nombreuses méthodes choisies par les enseignantes et enseignants agréés de l’Ontario pour inculquer la justice sociale à leurs élèves. D’autres pédagogues ont recours à la narration de récits ou font étudier aux jeunes les œuvres d’écrivains de tous horizons, y compris de leur culture d’origine. Certains proposent un cours sur la théorie de la connaissance.

L’expression «justice sociale» peut avoir de nombreuses acceptions. D’après Wikipédia, «la justice sociale est une construction morale et politique qui vise à l’égalité des droits et à la solidarité collective». Conformément aux Normes d’exercice de la profession enseignante, «les membres [de l’Ordre] encouragent la création de communautés d’apprentissage dans un milieu sécuritaire où règnent collaboration et appui, et y participent».

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En avril 2014, les élèves de 8e année de l’East Alternative School of Toronto présentaient Courageous Voices. Ce spectacle est l’une des façons dont les élèves apprennent ce qu’est la justice sociale.

Mme Heath précise qu’à l’E.A.S.T., la justice sociale s’entend comme une sensibilisation des élèves au monde qui les entoure, aux inégalités qui y règnent et à la structure du pouvoir, dans ses aspects positifs comme négatifs. «Il s’agit de comprendre globalement ce qui se passe dans le monde en matière de justice, dit-elle.»

Courageous Voices s’inspire de l’ouvrage de Joseph Campbell intitulé Le Héros aux mille et un visages. En 8e année, les élèves explorent sa définition du héros, font des recherches et choisissent une personne comme sujet d’étude. Ils composent ensuite un texte argumentatif expliquant pourquoi, d’après les critères établis par Joseph Campbell, cette personne est une figure héroïque. La classe décide ensuite si cette personne est bel et bien un héros.

Les élèves façonnent ensuite un portrait grandeur nature du héros ou de l’héroïne de leur choix, recueillent certaines de leurs citations célèbres et se glissent dans la peau de cette personne. Les héros sont rassemblés en différents groupes selon le thème abordé. Ainsi, la représentation de 2014 portait sur les thèmes suivants : l’incarnation du changement, le devoir de mémoire et les femmes révolutionnaires. Une pièce est ensuite montée, avec des scènes pour tous les groupes et des conversations entre les différents héros.

«Au final, ce spectacle devient incroyablement émouvant et permet aux élèves de toucher du doigt les accomplissements réalisés par les pionniers de la justice sociale à l’échelle de l’histoire humaine, souligne Mme Heath. L’objectif est de faire résonner ces citations en eux, et c’est chose aisée : il s’agit après tout des plus belles phrases de notre histoire.»

Les héros qui sont en vie de nos jours sont invités aux représentations. Le leader spirituel gai Brent Hawkes, le médecin humanitaire James Orbinski, l’activiste environnementale Julia Butterfly Hill et un représentant de la famille de Terry Fox ont assisté au spectacle. Le président des États-Unis, Barack Obama, a décliné une invitation il y a quelques années, mais non sans envoyer une belle lettre à l’E.A.S.T.

Photo de Lynn Heath, enseignante agréée de l’Ontario, appuyée contre des casiers dans un couloir de l’école.
Lynn Heath, EAO, dit que l’enseignement de la justice sociale est une initiative de grande envergure à l’E.A.S.T.

«Trop souvent, quand on enseigne la justice sociale, on s’enlise dans le désespoir, car c’est un thème tragique, affirme Mme Heath. Certains événements de l’actualité sont plutôt atroces. Nous avons eu envie de procéder différemment, et Courageous Voices reflète cette approche. On nous dit souvent que nous donnons de l’espoir aux élèves, que nous les empêchons de voir le monde comme un endroit lugubre.»

Mme Heath évalue les élèves à chaque étape du projet, qui inclut une rédaction formelle, un discours et le rôle joué dans la pièce. «Au départ, certains de nos élèves étaient muets : ils n’avaient pas du tout trouvé leur voix, mais ce projet les a aidés à s’exprimer», explique-t-elle.

Après le spectacle, les élèves rédigent un compte rendu personnel. «Leurs réactions me font monter les larmes aux yeux, notamment quand ils disent qu’ils ont réussi à trouver leur voix. C’est à cela que je mesure la réussite du projet», indique Mme Heath.

Contes et justice sociale

Bien qu’une pièce de théâtre soit un bon moyen d’enseigner la justice sociale aux élèves, un enseignant de Guelph a, quant à lui, opté pour la narration d’histoires.

Brad Woods, EAO, enseigne à l’élémentaire dans un établissement de l’Upper Grand District School Board financé en vertu de l’article 23. C’est aussi un conteur professionnel. Les programmes éducatifs régis par l’article 23 s’adressent aux élèves ayant de nombreux besoins socioaffectifs, et ils sont dispensés à l’extérieur de la salle de classe habituelle.

M. Woods narre des histoires depuis 16 ans et il se produit aussi bien en Amérique du Nord qu’au Royaume-Uni. Il est membre de Great Wooden Trio, un groupe qui allie chansons, histoires et musique. En avril 2015, dans le cadre du Toronto Storytelling Festival, il est intervenu lors d’un symposium ayant pour thème la narration et la justice sociale.

Selon lui, la narration d’histoires et la justice sociale ne sont pas dissociées : l’une mène directement à l’autre. «C’est une façon d’ouvrir nos yeux, nos oreilles, notre esprit et notre cœur à d’autres idées, points de vue et solutions, affirme t-il. Il s’agit d’une stratégie stimulante qui nous donne la possibilité de nous mettre à la place de quelqu’un d’autre. Elle nous aide à comprendre ceux qui nous entourent et, par ricochet, à nous comprendre nous-mêmes. L’art de la narration peut contribuer activement à l’instauration de la justice sociale.»

Selon M. Woods, une histoire bien amenée va dans le sens de la justice sociale. «Si je devais choisir entre des conférences, des règles, des lois et des histoires, ma préférence irait systématiquement aux histoires, parce qu’elles sont motivantes, pédagogiques, habilitantes, instructives et divertissantes.»

Dans sa classe, M. Woods narre des récits personnels ou lit des contes folkloriques à ses élèves, qui réagissent à ces histoires.

La narration d’histoires et la justice sociale ne sont pas dissociées : l’une mène directement à l’autre.

«Les contes folkloriques présentent un intérêt majeur dans le contexte de la justice sociale : le personnage principal tire presque toujours un enseignement de ses aventures et devient ainsi une meilleure personne, explique-t-il. Il devient plus fort, plus sagace ou mieux armé pour survivre, s’épanouir, voire montrer l’exemple dans sa communauté. De plus, c’est souvent un héros improbable, comme un jeune garçon, une femme âgée, un domestique ou un mendiant. En fin de compte, quand on parle de justice sociale, c’est bien de cela qu’il est question.»

Voici quelques exemples de contes folkloriques qu’il utilise en classe : Le corbeau et le rossignol, un récit qui parle des personnes de bon conseil et de celles qu’il vaut mieux ignorer; Le tailleur de pierres, une légende japonaise sur l’acceptation de soi; et The Wooden Sword (l’épée de bois), une histoire qui évoque l’importance de vivre l’instant présent sans attacher d’importance à la réputation. Il a également rédigé des histoires sur des notions comme l’identité, la tolérance et la perspective.

M. Woods et ses élèves se racontent des récits personnels en petits groupes, lors de la «mise en train» matinale. Ils parlent de leur soirée de la veille.

«Si je disais aux élèves qu’il s’agit en réalité d’une séance de narration d’histoires, je pense que cela les rendrait nerveux. Mais, si on montre l’exemple en racontant une histoire, ils n’hésitent pas à raconter la leur, explique-t-il. Certaines des conversations qui s’ensuivent sont incroyables.

«Vous établissez le contact avec les élèves. Vous forgez des relations (un aspect fondamental de la justice sociale) en reconnaissant leur originalité, leurs préférences et ce qui compte à leurs yeux.»

M. Woods a accès à plusieurs centaines de contes : il lui suffit de tendre le bras vers ses étagères ou tout simplement de faire appel à sa mémoire. «Nous avons tous des histoires à notre disposition, dit-il. Entre toutes les histoires de notre quotidien et les récits qu’on nous a racontés dans notre enfance, nous connaissons des tonnes d’histoires, quand on y réfléchit.»

Pour lui, la justice sociale se définit elle même. «C’est comme demander pourquoi il est important d’enseigner le bon sens ou la gentillesse. La justice sociale, c’est être juste avec les gens; c’est être juste en tant que société et traiter les gens correctement. Si l’on est incapable de faire cela, rien de ce que l’on apprend en classe n’a d’importance.»

Ce conteur passionné espère que les concepts propres à la justice sociale se dégagent des récits qu’il raconte à ses élèves. «Je souhaite qu’ils emportent ces notions avec eux, tous les jours à 15 h, tous les vendredis, et quand ils partiront en juin», déclare-t-il.

Photo de Brad Woods, enseignant agréé de l’Ontario, assis, appuyé sur des livres qui sont sur ses genoux.

Ouverture sur le monde

Julie Godin Morrison, EAO, a enseigné le français et l’anglais à l’école secondaire Jeunes sans frontières du Conseil scolaire Viamonde, à Brampton. Dans le cadre de cette mission, elle utilisait une myriade de méthodes d’enseignement pour sensibiliser ses élèves à la justice sociale.

Cette école multiculturelle accueille de nombreux élèves originaires d’Afrique et des Caraïbes, ou dont les parents sont nés à l’extérieur du Canada. Mme Godin Morrison y a enseigné le français et l’anglais pendant cinq ans, dans les programmes réguliers ainsi que dans le cadre du baccalauréat international. En septembre 2014, elle a accepté un tout nouveau poste au sein du conseil scolaire : elle est aujourd’hui enseignante-accompagnatrice en écoles sécuritaires et tolérantes.

«Bien que la justice sociale soit associée au curriculum sur la citoyenneté, nous visons, au Conseil scolaire Viamonde, à l’inclure dans tous les cours. Le curriculum des cours de langues étant très large, il m’a été facile d’explorer le thème de la justice sociale en touchant à la diversité et à l’équité. L’objectif était de développer la pensée critique et l’ouverture sur le monde chez les élèves à travers l’apprentissage des deux langues», explique Mme Godin Morrison.

Pour aider les élèves à comprendre la justice sociale et les concepts de diversité et d’équité, elle a fait découvrir à ses classes plusieurs ouvrages issus de la diaspora africaine et d’ailleurs, dont des œuvres aussi variées qu’Une vie de boy de Ferdinand Oyono (auteur camerounais), Things Fall Apart de Chinua Achebe (auteur nigérian), The House on Mango Street de Sandra Cisneros (auteure mexico-américaine), La mémoire de l’eau de Ying Chen (auteure sino-canadienne). Elle a aussi consacré plusieurs heures aux auteurs martiniquais Frantz Fanon et Aimé Césaire, ainsi qu’aux autobiographies des écrivains afro-américains Langston Hughes, Lorraine Hansberry, Frederick Douglass et Malcolm X.

«Il faut idéalement tenir compte du profil démographique de la classe dans notre façon d’enseigner, explique-t-elle. En faisant référence à des auteurs de culture africaine, j’ai pu captiver l’intérêt des élèves d’origine africaine et faire découvrir l’Afrique aux autres, tout en maintenant leur intérêt vis-à-vis de l’apprentissage de la langue, mais aussi de la justice sociale et la diversité.»

Le fait d’exposer les jeunes à des ouvrages d’écrivains de leur culture d’origine les a incités à contribuer au cours.

Photo de Julie Godin Morrison, enseignante agrée de l’Ontario, debout devant des étagères de bibliothèque.
Julie Godin Morrison, EAO, enseignait la diversité à l’aide de la théorie de la connaissance.
Il faut idéalement tenir compte du profil démographique de la classe dans notre façon d’enseigner. En faisant référence à des auteurs de cultures africaines, j’ai pu captiver l’intérêt des élèves d’origine africaine et faire découvrir l’Afrique aux autres, tout en maintenant leur intérêt vis-à-vis de l’apprentissage de la langue, mais aussi de la justice sociale et la diversité.

«De façon générale, les élèves ont montré qu’ils souhaitaient participer concrètement au contenu du cours en partageant leur vécu, indique Mme Godin Morrison. Par exemple, le roman historique Things Fall Apart, retraçant l’histoire de la colonisation, a stimulé certains élèves à tel point qu’ils ont apporté en classe des symboles culturels de leur village natal tels qu’un jeu traditionnel de stratégie et des œuvres d’art.» Cela a encouragé les échanges verbaux et l’apprentissage des langues chez les jeunes, tout en les aidant à s’ouvrir au monde et à développer leur pensée critique.

Mme Godin Morrison s’est également inspirée des éléments du cours Théorie de la connaissance, qu’elle a aussi donné, pour faire comprendre aux élèves que le langage est important dans le monde des connaissances parce qu’il peut influencer notre perception des choses. «Selon le langage qu’on utilise, on peut porter un jugement sur l’autre, souligne-t-elle. À titre d’exercice pratique, j’ai demandé aux élèves de choisir un personnage d’un livre étudié en classe et de lui attribuer des qualificatifs. Cet exercice leur a permis de constater que le langage peut être lourd de conséquences sociales et qu’il ne faut pas se laisser intimider par la langue et l’intolérance.»

Selon Mme Godin Morrison, les jeunes ont soif d’engagement social au-delà de leur petit monde, et c’est pourquoi il est important de les sensibiliser à la justice sociale.

«Nous devons les aider à canaliser leur énergie dans cette direction, indique-telle. Les enseignants jouent un rôle clé dans la communauté de l’école. Ils doivent être des exemples, des modèles, des leaders auprès des jeunes. Il est important tant au scolaire qu’au parascolaire que les enseignants s’illustrent comme leaders, car ils peuvent influencer positivement ou négativement l’engagement des élèves pour la justice sociale.»

Nous voici de retour à l’E.A.S.T., où Mme Heath nous montre, dans l’album de l’école, les commentaires élogieux des élèves et des parents au sujet de Courageous Voices et de ses effets. Certains élèves confient à l’enseignante que ce projet a été le plus beau de leur vie.

«Ils quittent les bancs de l’E.A.S.T. sur cette note incroyablement positive, en ayant le sentiment d’être importants, d’avoir fait une différence et d’être capables de poursuivre sur cette lancée. Quant aux parents, ils constatent un changement chez leur enfant», déclare-t-elle.

Article rédigé à partir de fichiers fournis par Annik Chalifour.

Loi pour des écoles tolérantes

Les élèves de l’Ontario méritent d’apprendre dans des milieux sécuritaires, inclusifs et tolérants, et la province travaille en ce sens.

La Loi pour des écoles tolérantes (ou projet de loi 13) exige que les écoles et les conseils scolaires préviennent l’intimidation, y compris la cyberintimidation, en prenant des mesures préventives, en prévoyant des conséquences plus sévères et en appuyant les élèves désireux de promouvoir la compréhension et le respect des autres. Par exemple, les conseils scolaires doivent mettre en place des politiques sur l’équité et l’éducation inclusive, la prévention de l’intimidation et l’utilisation de mesures disciplinaires progressivement plus sévères.

La Loi prône un «climat scolaire positif qui soit inclusif et où [tous les élèves] se sentent acceptés, sans égard à la race, à l’ascendance, au lieu d’origine, à la couleur, à l’origine ethnique, à la citoyenneté, à la croyance, au sexe, à l’orientation sexuelle, à l’identité sexuelle, à l’expression de l’identité sexuelle, à l’âge, à l’état matrimonial, à l’état familial ou au handicap».

Cette loi, qui modifie la Loi sur l’éducation, a été adoptée en juin 2012. Elle fait partie des stratégies déployées par le gouvernement pour créer des écoles sécuritaires et tolérantes en Ontario, ce qui constitue une condition sine qua non pour la réussite des élèves.

Initiatives de justice sociale

Il existe de très nombreuses initiatives de justice sociale dans la province comme aux quatre coins du monde. En voici quelques-unes.