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En route vers le bien-être

Comme tout autre professionnel, les pédagogues ne sont pas à l’abri du stress, des troubles d’anxiété, de l’épuisement et des problèmes de santé. Le bien-être mental est important, tant pour eux que pour les élèves. Voici vers où se tourner quand on se sent débordé.

De Jennifer Lewington
Photos : James Heaslip

Photo d’un groupe d’élèves, en plein air, réunis autour d’un contenant de plantes. L’enseignant, assis parmi eux, parle des plantes pendant que les élèves écoutent.

Quand le Toronto Catholic District School Board a organisé une journée de perfectionnement professionnel, au début de 2015, les enseignants et autres membres du personnel scolaire pouvaient choisir parmi plusieurs ateliers. L’un deux portait sur le bien-être mental.

La demande a été telle que les organisateurs ont ajouté deux autres ateliers – et ils auraient pu en ajouter d’autres – sur le thème du jour : les bienfaits de la méditation axée sur la pleine conscience pour réduire le stress.

«Cette forte demande indiquait que les pédagogues sont à la recherche de techniques pour trouver le bien-être, de dire Dianne Banasco, EAO, conseillère en orientation pour le Toronto Catholic District School Board et l’une des animatrices de l’atelier. Ils éprouvent un grand intérêt pour tout ce qui peut les aider à ce sujet.»

Selon Mme Banasco, cette soif d’information démontre que les enseignants et autres membres du personnel scolaire souhaitent recevoir une formation en santé mentale qui s’applique à eux. Les conseils scolaires, facultés d’éducation, fédérations d’enseignants et autres organismes se tournent donc vers des stratégies de mieux-être qui ont pour objectifs de soutenir individuellement les pédagogues et de favoriser des milieux scolaires sains.

Une évolution encourageante, selon les experts. «Si vous faites une recherche en ligne sur la santé mentale dans les écoles, vous trouverez une pléthore de ressources et d’études portant strictement sur les élèves, affirme Susan Rodger, psychologue et professeure agrégée à la Faculté d’éducation de l’Université Western et coauteure d’une étude publiée en 2015 sur la santé mentale des pédagogues. Or, quand on cherche ces termes en ligne ou dans des bases de données universitaires, on trouve très peu d’ouvrages sur la santé mentale et le bien-être des enseignants.»

«Le personnel veut avoir accès à cette information parce qu’il sait que l’un des objectifs de l’éducation est de favoriser le bien-être des élèves, explique Suzette Clark, directrice des services éducatifs de la Fédération des enseignantes-enseignants des écoles secondaires de l’Ontario. En 2014, sa fédération a mis en place un atelier afin de permettre aux enseignants d’examiner les faits essentiels sur la santé mentale et les troubles mentaux, et d’explorer les ressources disponibles aux élèves et au personnel enseignant.

«Nous n’avons jamais eu une telle demande pour un atelier, affirme Mme Clark. Les pédagogues reçoivent très peu de formation dans ce domaine.»

«Un Canadien sur cinq aura un problème de santé mentale au cours de sa vie, tandis que, toutes les semaines, 500 000 Canadiens s’absentent du travail en raison d’un problème de santé mentale.»

Comme tout autre professionnel, les pédagogues ne sont pas à l’abri du stress, des troubles d’anxiété, de l’épuisement et des problèmes de santé. Selon la Commission de la santé mentale du Canada, un Canadien sur cinq aura un problème de santé mentale au cours de sa vie, tandis que, toutes les semaines, 500 000 Canadiens s’absentent du travail en raison d’un problème de santé mentale.

«Si l’avenir des jeunes repose sur les pédagogues, ils doivent eux aussi se sentir bien», de dire Sapna Mahajan, directrice des programmes de santé mentale en milieu de travail à la Commission, laquelle cherche à renforcer ses liens avec le secteur de l’éducation et d’autres secteurs dans le but de promouvoir des milieux de travail psychologiquement sains.

À l’instar des pédagogues, les directions d’école et directions adjointes – qui ont pour rôle de favoriser un milieu scolaire sain pour les élèves et l’ensemble du personnel – s’intéressent également à la santé mentale. Un rapport réalisé en 2014 par des chercheurs de l’Université Western pour l’Ontario Principals’ Council (OPC) souligne que les problèmes de santé mentale des élèves et des parents constituent la plus grande entrave au travail des directions d’école.

L’an dernier, l’OPC et ses homologues catholique et francophone (le Catholic Principals’ Council et l’Association des directions et directions adjointes des écoles franco-ontariennes) se sont associés à l’Équipe d’appui pour la santé mentale dans les écoles en vue d’offrir des possibilités de perfectionnement professionnel aux dirigeants scolaires. De plus, l’OPC est en train de développer des ressources sur la santé mentale et le bien-être adaptées aux besoins des dirigeants scolaires.

En sa qualité de directeur d’école, Brian Serafini, EAO, président de l’OPC, est reconnaissant de la formation que son conseil scolaire lui a donnée sur la façon de communiquer avec un élève qui songe au suicide. Comme tous les dirigeants scolaires, les directions d’école ont également accès aux programmes d’aide aux employés de leur conseil scolaire, lesquels offrent du counseling et d’autres services de soutien en matière de santé mentale.

Le nombre fait la force

L’effet positif n’étonne pas Patrick Carney, ancien président de l’Association of Chief Psychologists with Ontario School Boards et auteur de Well Aware: Developing Resilient, Active and Flourishing Students.

Selon lui, la «boîte à outils» pour le mieux-être des pédagogues comprend des relations positives à l’intérieur et à l’extérieur de la classe, la capacité de faire preuve de souplesse, l’empathie, une bonne estime de soi, de solides compétences en communication, des aptitudes en résolution de problèmes et, surtout, un milieu accueillant, inclusif, respectueux et professionnel.

«Si les enseignants ne font pas partie d’une communauté solidaire, ils se sentent isolés», affirme M. Carney, actuellement psychologue principal au Simcoe Muskoka Catholic District School Board. Récemment, son conseil scolaire a établi un comité de mieux-être afin de promouvoir la santé mentale et le bien-être du personnel, et offert un atelier portant, entre autres, sur les programmes d’aide aux employés administrés confidentiellement par des tiers fournisseurs.

Pour certains pédagogues, maintenir un équilibre sain entre vie professionnelle et vie privée commence par l’autoréflexion. En 2002, après avoir enseigné les sciences pendant presque trois ans pour l’Upper Canada District School Board, Carol Williams, EAO, se sentait accablée par les échanges parfois exténuants avec les élèves et les parents. Elle a ensuite entendu parler de Courage to Teach, un organisme qui offre des retraites quatre fois par an dans un milieu sécuritaire et respectueux pour le renouveau personnel et professionnel.

Mme Williams a tiré profit des retraites pour se livrer à une autoréflexion et pour apprendre à ralentir la cadence et à se ressourcer. Elle a ainsi appris à se mettre à la place de la personne avec laquelle elle a un différend. Selon Mme Williams, ce point de vue montre «que vous êtes dans la même équipe et que vous pouvez trouver des solutions ensemble».

Plus de dix ans plus tard, Mme Williams continue d’appliquer les capacités de résilience qu’elle a acquises pour équilibrer sa vie professionnelle et personnelle.

«On entend beaucoup dire que nous devons renforcer la résilience des enfants, mais comment le faire si les enseignants sont découragés ou renfermés sur eux-mêmes?, se demande Mme Williams. Afin de pouvoir faire une différence, nous devons renforcer notre propre santé mentale et émotionnelle.»

Une autre participante de longue date aux retraites de Courage to Teach a dit que se livrer à une autoréflexion structurée lui a permis de mettre en perspective les nombreuses exigences personnelles et professionnelles.

«Je suis une meilleure enseignante en sachant qui je suis, affirme Valerie Weeks, EAO, qui enseigne pour le Simcoe Muskoka Catholic District School Board depuis 12 ans. Quand je rentre à la maison, je suis beaucoup moins stressée qu’avant.»

La pleine conscience (une autre stratégie de renforcement de la résilience) repose sur des techniques respiratoires et d’autres techniques de réduction du stress pour favoriser un sentiment de bien-être.

Le Toronto Catholic District School Board, qui offre de nombreux programmes de perfectionnement professionnel sur le bien-être, s’est associé à Mindfulness Without Borders (MWB), un organisme international qui enseigne des stratégies visant à favoriser la santé sociale et émotionnelle des professionnels, y compris les pédagogues.

Mme Banasco fait partie du nombre croissant d’animateurs formés par MWB qui aident le personnel du conseil scolaire à pratiquer et à introduire la méditation axée sur la pleine conscience dans la communauté scolaire. Selon elle, l’objectif des ateliers est de donner aux pédagogues les outils nécessaires pour créer un milieu qui appuie le bien-être mental et l’apprentissage des élèves.

Rita Polsinelli-Mammone, EAO, directrice adjointe à la Madonna Catholic Secondary School, a appliqué la formation qu’elle a reçue de MWB pour établir de bonnes relations avec les élèves – et le personnel.

«L’intelligence émotionnelle m’aide à me comprendre et à comprendre les autres, explique Mme Polsinelli-Mammone, défenseure des politiques de la porte ouverte, lesquelles favorisent des échanges réguliers avec le personnel. Les enseignants doivent se faire entendre, dit-elle. Sans communication, nous sommes voués à l’échec.»

Parfois, Mme Polsinelli-Mammone ouvre une réunion du personnel par une minute ou deux de réflexion silencieuse afin d’aider les participants à oublier le stress de la journée. «Ça fait partie du processus d’élaboration des relations, affirme-t-elle. Si les gens voient que vous vous investissez à fond dans votre cause, il y a de l’authenticité.»

Photo d'une enseignante assise à un pupitre dans une salle de classe vide. La pièce est obscure, les mains de l’enseignante reposent l’une sur l’autre sur la table. Elle a un regard vide.

Le pouvoir de la méditation

Monica Godin, EAO, enseignante et chef d’équipe de l’aumônerie à la St. Joseph’s College School, une école secondaire pour filles du Toronto Catholic District School Board, a affirmé que sa formation sur la pleine conscience l’a aidée à mieux réagir aux perturbations.

«[La pleine conscience] est une approche différente, dit Mme Godin. Auparavant, le comportement perturbateur d’un élève m’aurait agacée. Maintenant, je lui dis plutôt : “J’ai remarqué que tu étais distrait. Se passe-t-il quelque chose dans ta vie qui t’empêche de te concentrer?”»

Elle collabore avec d’autres membres du personnel de St. Joseph’s pour donner l’occasion aux élèves de bénéficier des vertus curatives de la méditation.

En juin dernier, quelques jours avant la remise des diplômes, les élèves de 12e année de Mme Godin ont commencé leur cours de religion comme ils le faisaient depuis le début de l’année scolaire : ils éteignent la lumière, ferment les yeux et ralentissent leur respiration pour trois minutes de réflexion silencieuse. Quand Mme Godin sort de la classe, les élèves réfléchissent à l’effet calmant que leur enseignante a sur eux. «Elle me motive à venir en classe et à réussir», dit un élève.

Outils de soutien

Dans d’autres écoles, on favorise un milieu de travail positif en donnant accès au personnel à des cours d’entraînement physique ou de yoga et en offrant de la formation sur la santé mentale. L’an dernier, la Sherwood Secondary School de l’Hamilton-Wentworth District School Board a organisé des dîners-causeries pour permettre au personnel de discuter des problèmes de santé mentale auxquels ils font face à l’intérieur et à l’extérieur de la salle de classe.

«Nous nous posions la question : “Que pouvons-nous faire pour aider les pédagogues à calmer leur angoisse, compte tenu de l’angoisse qu’apportent quotidiennement les élèves en classe?”», explique Robert Pratt, EAO, ancien directeur d’école.

Il ajoute qu’une discussion ouverte sur la santé mentale envoie un message puissant. «Ce n’est plus le vilain petit secret, dit M. Pratt. On peut maintenant en parler sans murmurer.»

À la Westmount Public School, à London (Ontario), le concept de l’«école entière» préconisé par M. Carney est bien implanté dans les salles de classe. «Les enseignants doivent savoir que vous êtes là pour les aider et que vous les soutenez», déclare Paul Cook, EAO, qui a passé trois ans et demi à la direction de Westmount avant de prendre sa retraite l’an dernier.

«Pour la communauté franco-ontarienne, l’accès à des services psychologiques en français reste un grand défi. Le nombre de professionnels pouvant s’exprimer en français est limité.»

L’année dernière, dans une classe de 3e année comptant 19 élèves, deux d’entre eux avaient des besoins particuliers, dont une fille souffrant de nombreux problèmes d’ordre médical, y compris le syndrome d’alcoolisme fœtal. À son arrivée à l’école, en septembre 2014, M. Cook a convoqué à un entretien Jason David, EAO, l’enseignant de l’élève, ainsi que deux aides-enseignants, un ergothérapeute, un membre du personnel de soutien à l’apprentissage, deux membres du personnel de l’éducation de l’enfance en difficulté du Thames Valley District School Board et la mère de l’élève.

Ils se sont rencontrés tous les mois pour évaluer les progrès de l’élève et pour modifier, au besoin, certaines activités scolaires et parascolaires afin d’appuyer l’enfant, ses camarades et l’enseignant. «Rien n’était laissé au hasard, explique M. David. Tout était mis sur la table et on travaillait bien en équipe.»

Toutefois, pour la communauté franco-ontarienne, l’accès à des services psychologiques en français reste un grand défi. «Pour la très petite communauté francophone, la confidentialité est parfois une préoccupation, de dire Theresa Hughes, leader en santé mentale récemment retraitée pour le Conseil scolaire Viamonde, un conseil scolaire public. Si le nombre de professionnels pouvant s’exprimer en français est limité, c’est un défi de trouver des gens qualifiés.»

Les pédagogues qui ont recours aux programmes d’aide aux employés les perçoivent comme des outils nécessaires au rétablissement.

En novembre 2014, une enseignante chevronnée d’une école secondaire de Toronto est entrée dans sa classe de 11e année et a commencé à pleurer. Elle ne pouvait s’arrêter. Aux prises avec une séparation conjugale et un enfant chroniquement malade, elle a laissé malgré elle la tension émotionnelle qu’elle vivait à la maison se manifester en classe. «Je suis allée voir l’administration et j’ai dit : “Je n’en peux plus”», raconte l’enseignante, sous couvert d’anonymat. Elle a pris une pause de trois mois et obtenu de l’aide professionnelle pour dépression et anxiété par l’entremise de son programme d’aide aux employés. De plus, avant de retourner en classe, elle a profité d’autres sources de soutien, dont, entre autres, des traitements naturopathiques, des séances d’exercice et une retraite.

Prendre une pause «fut un vrai salut», dit-elle. Avec l’appui de l’administration de l’école, elle s’est réinsérée graduellement dans la salle de classe. Elle a également obtenu l’aide de son syndicat pour recevoir des prestations de soins de santé.

Elle conseille aux personnes faisant face aux mêmes défis d’investir dans leur rétablissement. «Prenez le temps de vous soigner, conseille-t-elle. Obtenez de l’aide et n’ayez pas peur de prendre soin de vous. Votre santé passe avant tout.» En ayant pris conscience de ses propres besoins, elle est maintenant beaucoup plus à l’écoute des besoins sociaux et affectifs de ses élèves. «Ça fait partie de mon épanouissement personnel en tant qu’enseignante», affirme-t-elle.

La prochaine génération

Former les nouveaux pédagogues sur la santé mentale et le bien-être est une priorité grandissante pour les facultés d’éducation. Par exemple, dans le cadre du programme de formation à l’enseignement prolongé, la Faculté d’éducation de l’Université Western offre désormais une formation obligatoire de 18 heures sur la santé mentale.

Selon Susan Rodger de l’Université Western, cette nouvelle formation s’inscrit dans une approche «à plusieurs volets et multidisciplinaire» qui vise à faire du bien-être mental une question de santé publique. «Nous devons nous engager dans une démarche coordonnée pour assurer la cohérence de nos messages», affirme-t-elle.

De même, la Faculté d’éducation de l’Université Queen’s propose maintenant une formation de six heures sur la santé mentale menant à un certificat. «L’accent est mis sur la santé personnelle, explique Peter Chin, vice-doyen des études de premier cycle. Comment aider les enfants à réaliser leurs rêves si nous n’avons pas toutes nos facultés?»

Le Conseil scolaire de district catholique de l’Est ontarien, quant à lui, travaille de concert avec la Faculté d’éducation de l’Université d’Ottawa afin d’offrir une nouvelle formation en leadership qui vise à aiguiser l’intelligence émotionnelle des directions d’école.

«Au cours des cinq dernières années, nous avons trop mis l’accent sur les compétences professionnelles et techniques, déclare Alain Martel, EAO, surintendant de l’éducation pour le conseil scolaire. Mais nous avons réalisé que ce sont les ressources humaines qui tiennent tout ensemble.»

Les défenseurs comparent l’acquisition d’outils pour la santé mentale des pédagogues aux instructions que l’on donne aux adultes qui voyagent en avion avec des enfants. «Vous devez mettre le masque d’oxygène sur vous en premier», dit Mme Banasco.