À l’école, tout le monde était convaincu que la jeune Sylvie Lamoureux se destinerait à l’enseignement. Tout le monde sauf elle! La Franco-Ontarienne est pourtant devenue enseignante et, par la suite, elle a ajouté de nombreuses cordes à son arc. Preuve tangible que le don de polyvalence que possèdent les enseignantes et enseignants ouvre bien des portes.
De Philippe Orfali
Photos : Matthew Liteplo
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C’est tout un défi de catégoriser Sylvie Lamoureux, EAO, tant son parcours professionnel est riche : enseignante à l’élémentaire et au secondaire, directrice d’école, chercheuse universitaire, experte ministérielle en pédagogie, spécialiste de l’aménagement linguistique, vice-doyenne de la Faculté des arts de l’Université d’Ottawa, récipiendaire du prix d’excellence en enseignement de la Faculté des arts de l’Université d’Ottawa cette année et de l’Ordre de l’Ontario en 2015.
Deux constantes, toutefois, se démarquent dans son parcours en éducation : une véritable passion pour l’enseignement aux jeunes francophones en milieu minoritaire et une curiosité quant à leurs cheminements scolaires. Sylvie Lamoureux s’intéresse plus particulièrement au maintien de leurs habiletés en français et à la transition de l’école secondaire vers le collège, l’université et le marché du travail.
Mme Lamoureux est persuadée que la préparation à cette étape cruciale commence dès le primaire. «La transition réussie vers le postsecondaire, c’est comme une belle montre suisse et ses engrenages. Pour qu’elle fonctionne bien, il faut que chacune des roues comprenne sa fonction et sa relation avec l’autre, dès le début du mouvement. L’impact de chacune des roues n’est pas toujours direct, mais chaque roue – chaque enseignant et intervenant – doit être conscient de son rôle», illustre la native de Sudbury.
C’est pourquoi en salle de classe (autrefois au secondaire et aujourd’hui à l’université) elle s’efforce en tout temps de créer des liens entre les connaissances inscrites au curriculum et leur utilité dans la vie quotidienne, souvent par des exemples concrets. Ainsi a-t-elle déjà expliqué à une élève la relation entre les atomes à celle des vedettes de journaux à potins!
Avec ses élèves et ses étudiants, elle n’hésite pas non plus à reconnaître qu’elle ne sait pas tout. «Je suis tout sauf une experte en physique, mais en raison d’une urgence, j’ai dû enseigner la physique en 12e année. Quand je n’avais pas de réponse aux questions que les élèves me posaient, je les mettais au défi, par exemple en leur disant qu’on allait tous – moi y compris – travailler sur cette question à la maison et qu’on comparerait nos réponses le lendemain. En tant qu’enseignant, ça prend du courage, mais ça peut être extrêmement bénéfique. Madame ne sait pas tout.»
Sa fibre enseignante, Mme Lamoureux ne l’a jamais perdue, assure Karine Turner, qui a forgé des liens avec la professeure dans le cadre de sa maîtrise en sociologie. Mme Lamoureux fait désormais partie de son comité de thèse. «C’est quelqu’un de très engageant comme prof. Elle a vraiment à cœur le bien-être de ceux qui sont dans sa classe. Elle ne fait rien sans d’abord s’interroger sur ce que ses étudiants vont retirer de chacun des aspects de son enseignement. Cela fait sa force.»
En 1988, lorsqu’elle s’est tenue pour la première fois devant un tableau et un groupe d’élèves à Sarnia, comme enseignante encore non qualifiée, Sylvie Lamoureux ne s’imaginait pas qu’elle deviendrait, quelques années plus tard, une fois son diplôme d’enseignante en poche, la directrice-fondatrice de l’école secondaire publique Marc-Garneau de Trenton, suivant ainsi les traces de son père qui avait été, lui, directeur-fondateur de l’école secondaire Le Caron de Penetanguishene.
Elle était alors enseignante et chef de section à l’école Sainte-Famille de Mississauga. Quand l’occasion s’est présentée, elle n’a pas hésité. «C’est un peu hallucinant parce que 10 ans après ma 13e année de carrière, je fondais une école. Mais à l’époque, cela m’a semblé tout à fait naturel.» Elle y est finalement demeurée six ans, avant d’aller travailler au conseil scolaire, puis au Ministère, notamment comme membre du comité de travail de la Politique d’aménagement linguistique (PAL), toujours curieuse de mieux comprendre la relation qui existe entre les différents intervenants du système d’éducation franco-ontarien et son incidence sur le parcours des élèves.
Puis, un jour, ce désir de réflexion est devenu encore plus fort. «Il fallait que je retourne aux études pour faire un doctorat. J’avais énormément de questions, parce qu’en suivant le cheminement de certains de mes élèves, je constatais qu’ils vivaient des défis identiques à ceux que j’avais vécus à la fin de mon secondaire. Pourtant, on gérait maintenant nos propres écoles, il y avait eu une réforme et les programmes étaient mieux adaptés à notre réalité francophone. Il fallait absolument mieux comprendre ce que vivaient nos jeunes francophones après le secondaire», dit-elle.
Le fait d’être avant tout pédagogue l’aide énormément dans ses recherches, poursuit-elle. «Avoir le titre d’enseignante agréée de l’Ontario, cela m’offre une certaine crédibilité. Je ne veux pas générer des connaissances pour la simple raison d’en produire, mais plutôt pour que cela ait des retombées concrètes sur la pratique de l’enseignement.»
Ses recherches sur l’apprentissage, l’aménagement linguistique et son expertise en analyse du curriculum démontrent que les enseignants peuvent avoir un impact crucial sur la réussite de leurs élèves après le secondaire. Deux facteurs en particulier se sont avérés critiques : le développement progressif de la littératie et de solides habiletés d’apprentissage et habitudes de travail, aussi appelées «compétences HH». «Ce qu’on découvre, c’est que les résultats scolaires au secondaire sont un assez bon prédicteur du succès à l’université. Or, les HH mériteraient d’être pris davantage au sérieux, car des éléments comme la gestion des échéanciers, l’écoute, la capacité de travailler en groupe sont des compétences qui assurent le succès.»
Quant au développement de la littératie en français et en anglais, il faut le voir sous une perspective holistique. C’est véritablement l’affaire de tous, tout au long du parcours des élèves, et pas seulement celle des enseignants de français, martèle Mme Lamoureux. Dès le préscolaire, il faut ainsi multiplier les occasions pour les élèves d’utiliser leurs aptitudes orales et écrites en français, dans toute une gamme de registres, que ce soit en salle de classe ou pendant les activités parascolaires. «Il faut leur donner confiance en leurs moyens.»
«C’est important pour les enseignants de comprendre qu’au fond, leur formation et leur vécu les préparent à une multitude d’expériences à l’extérieur de la salle de classe.»
Si vos élèves choisissent de poursuivre leurs études dans un établissement anglophone, rien ne sert de les critiquer, conseille-t-elle enfin. «Il faut les féliciter, mais aussi leur demander ce qu’ils vont faire, une fois qu’ils auront quitté l’école de langue française, pour maintenir et améliorer leurs compétences en français et nourrir les liens qu’ils ont tissés avec le monde francophone. Qui sait, peut-être qu’ainsi, une fois leur baccalauréat en poche, ils se tourneront vers une université francophone pour faire leur maîtrise.» Cette discussion sur le maintien du lien avec la francophonie et la culture francophone doit elle aussi se dérouler tout au long de la formation.
Si elle œuvre désormais à l’extérieur du réseau scolaire élémentaire et secondaire, Mme Lamoureux est toujours demeurée membre en règle de l’Ordre des enseignantes et des enseignants de l’Ontario, notamment parce qu’elle juge que sa profession d’enseignante est complémentaire à son travail de chercheuse et de professeure. Elle encourage d’ailleurs ses collègues de l’Ordre à ne pas hésiter à suivre leur instinct quand ils se sentent prêts à relever de nouveaux défis.
«C’est important pour les enseignants de comprendre qu’au fond, leur formation et leur vécu les préparent à une multitude d’expériences à l’extérieur de la salle de classe, que ce soit au Ministère, à l’université ou dans un autre poste de leadership. En Ontario, notre formation en enseignement nous prépare à faire preuve de grande souplesse. Démissionner d’un poste en enseignement est un acte de courage, mais n’oublions pas qu’on a l’option de prendre un congé sans solde. C’est ce que j’ai fait. Et je ne l’ai jamais regretté.»
Cette rubrique met en vedette des enseignantes et enseignants qui ont reçu un prix en enseignement. Ces personnes répondent aux attentes de l’Ordre en incarnant des normes d’exercice professionnel élevées.
Une panoplie d’options s’offre aux enseignantes et enseignants qui souhaitent que leur carrière prenne un nouveau tournant, autant à l’intérieur qu’à l’extérieur des murs de l’école. Sylvie Lamoureux nous donne quelques conseils pour que la transition soit réussie.