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Enseignante remarquable

Photo de Daniel Levy, comédien à l’émission Schitt’s Creekà la CBC.

Le sérieux de l'humour

Le talentueux comédien Daniel Levy se souvient d’Anne Carrier, une enseignante remarquable qui a contribué à le propulser sur la voie de la comédie, tout simplement en prenant son élève au sérieux.

De Richard Ouzounian
Photo : Vanessa Heins

Plus de 800 000 Canadiens suivent la comédie Schitt’s Creek à la CBC, surtout pour retrouver l’acteur aux grosses lunettes, Daniel Levy.

Sa performance dans le rôle de David Rose, le fils hyper tendance, hébété et ultra charmeur des personnages joués par Catherine O’Hara et son père dans la vie réelle, Eugene Levy, a consolidé son statut de vedette après dix ans à la barre d’émissions comme MTV Live, l’émission phare de MTV Canada, et The After Show.

Même si Daniel Levy a cocréé cette comédie non conventionnelle avec son père, un vétéran de la SCTV, et qu’il participe beaucoup à la rédaction des scénarios, ce n’est pas à ses gènes qu’il attribue sa carrière d’auteur humoriste, mais à son cours d’anglais préuniversitaire, au North Toronto Collegiate Institute.

«Le secondaire a été une période difficile pour moi, se souvient-il. J’avais de grands espoirs, mais pas suffisamment de confiance en moi pour passer à l’action. Je voulais écrire, créer, être entendu, mais ne savais pas comment m’y prendre.»

Anne Carrier, EAO, est apparue dans sa vie au bon moment, en 2001. «Je me souviens que Daniel était assis à ma droite dans le demi-cercle où j’aimais que les élèves s’assoient, dit-elle. Sa façon de se conduire a attiré mon attention : il était calme et participatif dans une classe comptant beaucoup d’élèves très motivés.»

Cette première impression forte n’était pas liée au fait que son père était une vedette. «Je ne savais pas qu’il était le fils d’Eugene Levy, insiste Mme Carrier. J’ai souvent enseigné à des élèves dont les parents étaient renommés, mais je ne voulais pas le savoir. Je préférais apprendre à connaître la personne d’abord. Quand j’ai appris à connaître Daniel, je me suis dit : “Voici un jeune homme fort bien élevé.”»

Si Daniel Levy a impressionné son enseignante, elle a eu le même effet sur lui. « Mme Carrier avait la capacité intrinsèque de nous pousser à vouloir réussir à la fois sur les plans scolaire et intellectuel. Elle créait un espace où l’on se sentait en confiance pour partager et discuter de concepts, exprimer nos opinions, sans peur d’échouer ni d’être gêné.»

Cette façon de faire était judicieuse sur le plan pédagogique, mais elle était aussi guidée par une sage intuition quant à la psychologie des jeunes. «Ce que les adolescents veulent, au fond, c’est être pris au sérieux, dit Daniel Levy, et c’est ce que nous ressentions dans sa classe.»

On dit souvent que quelqu’un est un «enseignant né», mais voilà une expression qui acquiert un sens nouveau à la lumière du cheminement de carrière de Mme Carrier : «J’aidais mon enseignante de 2e année, Mme Neary, en classe! J’ai toujours adoré apprendre et aussi enseigner ce que j’apprenais, se souvient-elle en riant. Par contre, j’étais peut-être un peu difficile à endurer, l’élève qui sait tout.»

Après avoir passé les années des paliers élémentaire et secondaire à Peterborough, Mme Carrier a ensuite fréquenté l’Université Carleton, à Ottawa; l’Université de Manchester, en Angleterre; l’Université Trent, à Peterborough; puis la Faculté d’éducation de l’Université de Toronto.

Elle a commencé sa carrière en 1974, au Toronto District School Board, peu après avoir reçu l’autorisation d’enseigner. Elle a passé 14 ans comme adjointe à la direction de la section d’anglais de la Northern Secondary School avant de devenir chef du programme d’anglais au North Toronto Collegial Institute, en 1998, où elle est demeurée jusqu’à sa retraite, en 2004.

«Ma carrière en enseignement a été merveilleuse, dit-elle. J’ai eu la chance de vivre à une période où il n’y avait pas trop de technologie et juste assez de liberté. J’ai également toujours travaillé avec de formidables chefs de section, ce dont tout enseignant rêve et a besoin.»

Avec un cheminement riche, Anne Carrier a fait ce qu’elle était destinée à faire, tout comme Daniel Levy. Même si son père était dans le domaine de l’humour, M. Levy ne savait pas vraiment où il s’en allait avant d’entrer dans la classe de Mme Carrier. «J’ai d’abord cru que le journalisme serait une bonne carrière pour Daniel parce qu’il était très attentif envers ses pairs, participatif et informé», explique l’ancienne enseignante de la vedette.

Pour Daniel Levy, cette observation est exacte. «C’est drôle, parce qu’en effet, j’ai passé 8 ans à gagner ma vie à parler aux gens à la télévision. Je pense que c’était, dans la culture populaire, une forme de journalisme.»

Son ancienne enseignante admet qu’elle n’aurait jamais deviné son cheminement de carrière. Mais elle se souvient tout de même qu’il avait coanimé le spectacle de mode de l’école et commencé à devenir plus extraverti.

Photo d’Anne Carrier, enseignante agréée de l’Ontario, ancienne enseignante de Daniel Levy. Appuyée sur un podium, elle donne un cours.
«Mme Carrier, EAO, créait un espace où l’on se sentait en confiance pour exprimer nos opinions», se souvient son élève Daniel Levy.

Après avoir découvert le programme de théâtre de l’école, Daniel Levy avait excellé dans ce rôle, à tel point qu’il avait cherché à participer à d’autres activités du même genre.

Mais la réussite de Daniel Levy aujourd’hui ne se résume pas à être acteur, car il est également auteur, et c’est à Anne Carrier qu’il en accorde le crédit.

«Mme Carrier mettait l’accent sur la signification du non-dit et son importance, ce que j’aimais beaucoup, explique la vedette de Schitt’s Creek. C’était incroyablement stimulant de lire entre les lignes et d’essayer de déterminer où l’auteur voulait en venir. Et aucun auteur n’a recours au non-dit comme Shakespeare! “Quand les malheurs arrivent, ils ne viennent pas en éclaireurs solitaires, mais en bataillons!” Je n’oublierai jamais cette citation de Hamlet

Le tournant pour le développement de Daniel Levy comme auteur a toutefois été un travail sur le roman de 1993 de Thomas King, L’herbe verte, l’eau vive. Lui et son ancienne enseignante s’en souviennent parfaitement.

«Ce travail écrit a été majeur pour moi comme élève et comme auteur, raconte M. Levy. Nous devions écrire un essai sur une histoire remarquable. J’ai décidé de prendre un risque en imitant la structure narrative unique du livre. Une fois terminé, le travail ressemblait davantage à un mémoire.

«La semaine suivante, Mme Carrier a lu mon travail à la classe, comme exemple d’une pensée imaginative, explique M. Levy, visiblement fier. Elle m’a donné 99 % et m’a dit que je n’ai pas eu 100 % parce que je n’avais pas remis un essai – c’était vrai!»

«Je me souviens que Daniel avait excellé dans ce travail, dit Mme Carrier. La forme était non traditionnelle, mais c’était un examen extraordinaire de la satire sociale.»

«Les encouragements de Mme Carrier ont tout changé pour moi, dit M. Levy. Elle aurait pu me faire échouer, car je n’avais pas suivi les directives, mais au lieu de cela, elle m’a encouragé à penser de manière originale et à continuer d’écrire.

«Je me souviens d’être sorti de la classe en me sentant appuyé et approuvé, et c’est pourquoi, quand j’y pense, je peux attribuer ma carrière d’auteur pour la télévision à ce moment précis.»

Cette rubrique met en vedette des personnalités canadiennes qui rendent hommage aux enseignantes et enseignants qui ont marqué leur vie en incarnant les normes de déontologie de la profession enseignante (empathie, respect, confiance et intégrité).