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Pratiques exemplaires

Photo de Catherine R. Girard, enseignante agréée de l'Ontario, debout devant un mur rose.

Histoire d’une métamorphose

Lorsque Catherine R. Girard, EAO, a compris à quel point les premières années d’école étaient cruciales dans le développement de ses élèves, elle n’a pas hésité à revoir complètement sa façon d’enseigner. Une belle initiative qui allait en apporter d’autres.

De Philippe Orfali
Photos : Markian Lozowchuk

Exclusivité en ligne : visionnez un portrait numérique de nos Pratiques exemplaires à oct-oeeo.ca/portraits.

La salle de classe de Catherine R. Girard, EAO, se transforme constamment : ses zones d’activité bougent, les affiches délicates qui ornent ses murs changent et des éléments de la nature s’y juxtaposent au fil des saisons. La classe est à l’image de l’enseignante, dont les méthodes et les stratégies ne cessent de se métamorphoser pour répondre aux besoins individuels des élèves et pour maximiser leur chance de réussir.

La jeune Québécoise s’est installée à Toronto après l’obtention de son B. Éd. (préscolaire et primaire), en 2009. Qualifiée pour enseigner à l’élémentaire, elle a pu confirmer sa passion pour la petite enfance durant ses cinq premières années de carrière, avant de reprendre les études.

Toujours à l’affût des dernières recherches en pédagogie, elle s’est alors inscrite à un programme de maîtrise en éducation à distance, poussée par un besoin d’aller plus loin. Elle s’est aussi jointe à l’équipe du ministère de l’Éducation qui, à l’époque, travaillait sur la mise en œuvre du Programme d’apprentissage à temps plein de la maternelle et du jardin d’enfants (PAJE).

Cette expérience fut un tournant dans sa vie professionnelle, raconte l’énergique pédagogue. «Nous avions accès à des chercheurs et nous devions intégrer le fruit de leur travail au nôtre. Ce fut très stimulant, et c’est vraiment à ce moment-là que j’ai compris que j’avais la capacité, comme enseignante, de prendre un élève n’ayant pas eu la meilleure des chances jusqu’à maintenant et de renverser la situation, grâce à des outils pertinents et des méthodes adaptées. Les études démontrent que la plasticité du cerveau des enfants de cet âge est telle qu’on peut avoir un impact considérable. C’est une occasion qu’on ne peut pas laisser passer.»

Photo de Catherine R. Girard, enseignante agréée de l'Ontario, assise sur une chaise dans sa salle de classe. Devant elle, cinq élèves de l'élémentaire sont assis en demi-cercle sur un tapis.
Dans sa classe, Mme Girard favorise les travaux en petits groupes structurés en fonction des habiletés des élèves.

En 2015, elle entrait à l’école élémentaire Jeanne-Lajoie, à Scarborough, comme enseignante de maternelle et de jardin d’enfants dans une classe d’une trentaine d’élèves âgés de 4 à 6 ans. Déterminée à mettre en pratique ce qu’elle avait appris, elle s’est attelée à revoir ses propres méthodes et réflexes en s’appuyant sur le PAJE, travaillant sans relâche afin de réaliser des activités engageantes pour ses élèves… et par le fait même pour ses collègues.

«Sa force, c’est vraiment sa capacité à mettre en pratique l’approche du PAJE, à trouver des manières de le transposer concrètement en salle de classe, fait remarquer Kyong Leung Tak Wan, EAO, un de ses collègues. C’est aussi quelqu’un de très généreux qui partage volontiers ses connaissances. Cela fait en sorte que nous n’hésitons pas à lui poser des questions.»

C’est d’ailleurs cette volonté constante de demeurer à la fine pointe de la pédagogie et son désir de partager le fruit de ses recherches qui ont mené Catherine R. Girard à remporter le prix TFO Éducation (depuis renommé Prix IDÉLLO), en 2016.

Annette Petitpas, EAO, la directrice de l’école, abonde dans le même sens que M. Leung Tak Wan, soulignant que Mme Girard a chapeauté les communautés d’apprentissage de ses collègues pour instaurer les approches par résolution de conflit et par enquête au sein de toute l’école.

Nombre des initiatives de Mme Girard ont mis à contribution tous les élèves, les enseignants des classes de maternelle et de jardin d’enfants, et les éducatrices de la petite enfance. Par exemple, afin de transmettre aux élèves des notions de base sur la croissance des êtres vivants, elle a conçu un projet sur le cycle de vie des poussins. Chaque classe a eu à «couver» de véritables œufs de poule pendant quelques semaines grâce à des appareils adéquats. Sous l’œil attentif de Mme Girard et de ses collègues, les élèves ont ainsi pu voir des oisillons naître et sortir de leur coquille, puis grandir avant de prendre le chemin de la ferme.

La nature est importante pour Mme Girard et elle est présente partout dans sa salle de classe. Plusieurs fois par mois, même en hiver, elle sort avec ses élèves dans la cour de l’école armée du matériel nécessaire pour réaliser certaines activités. «L’enfant va me dire : “Regarde, j’ai trouvé ça. peut-être que ça vient d’un nid d’oiseau?” Et je vais sauter sur l’occasion pour faire tout un centre d’apprentissage et des activités autour de ses découvertes. On va peut-être regarder des vidéos à ce sujet, parler du chant des oiseaux, du nid et de son évolution», explique t-elle. Tenir une partie de sa journée d’enseignement en plein air lui permet d’aborder les saisons, l’environnement, la pollution et bien plus. Elle remarque que ses élèves en ressortent stimulés et qu’ils ont un meilleur niveau de concentration.

Un élément crucial de la stratégie d’apprentissage de Mme Girard consiste à traiter chaque élève comme une personne à part entière, et ce, malgré la taille de sa classe et le fait qu’elle abrite des élèves de deux niveaux, à des stades de développement très distincts. Elle trouve d’ailleurs des moyens de tourner cette différence d’âge à son avantage lors des échanges entre pairs.

En début d’année, en collaboration avec l’éducatrice de la petite enfance de sa classe, Samia Fredj, elle évalue chacun de ses élèves en glanant, au fil des activités quotidiennes, une foule de renseignements sur leurs champs d’intérêt, leurs forces et faiblesses, leur façon de réagir et d’apprendre, et même leur vie à la maison. Autant d’informations qui lui permettent par la suite d’organiser ses élèves en petits «groupes de besoins» afin de travailler des éléments très précis de leur apprentissage, que ce soit en littératie, en numératie ou même sur le plan affectif. Ces travaux en sous-groupes sont très ciblés et de courte durée. «Je ne travaille pas sur cinq habiletés en même temps; je cible un objectif très précis dans une matière donnée», précise-t-elle.

La composition de ces petits groupes varie d’un jour à l’autre et d’une tâche à l’autre. «Je favorise cette approche par «sous-groupe de besoins» parce que je ne veux pas que les enfants perdent leur temps à faire un exercice qui est trop difficile pour eux, ce qui leur ferait vivre un échec ou, à l’inverse, leur ferait perdre leur temps parce qu’ils sont rendus plus loin. Mais ce ne sont pas des groupes de forts et de faibles. Les enfants se développent à leur rythme; ils ont des habiletés différentes. En fin de compte, ils parviendront tous à maîtriser les habiletés requises. Leur chemin pour y arriver n’est juste pas le même.»

Pour disposer du temps nécessaire à la réalisation de ces activités en petits groupes, elle a dû repenser quelque peu l’horaire de la journée, réduire le nombre de coupures et de périodes, et accorder une liberté accrue à chaque élève, par exemple lors de l’heure des collations. En n’obligeant pas tous ses élèves à manger à la même heure, elle leur apprend par le fait même à reconnaître les signes de la faim et l’autorégulation. Chacun peut participer à l’activité de jeu et d’enquête de son choix, et s’en extraire quand il en ressent le besoin.

Mme Girard est persuadée que la présence d’une éducatrice spécialisée en petite enfance dans sa salle de classe prend toute son importance avec ce type de fonctionnement. «Au début, on se sent observé, c’est sûr! Mais sa présence me permet de voir des choses que je ne peux pas voir par moi-même, de jeter un autre regard sur une situation. Nous sommes vraiment devenues une équipe.»

L’espace est également organisé afin de s’adapter à cette réalité, explique Mme Girard. «On a tendance à penser que les enfants apprennent parce que l’adulte est là. Mais si on planifie son espace de façon intentionnelle, si on planifie adéquatement le déroulement de la journée, on n’a pas besoin d’être à côté de l’enfant en permanence pour qu’il apprenne. Il y va instinctivement.»

Elle convient qu’il est parfois difficile pour les enseignants de lâcher prise ou de voir comment mettre en pratique le PAJE lorsqu’ils ont toujours travaillé avec une approche plus structurée. Les parents aussi doivent s’adapter, car il n’est pas possible de leur présenter un déroulement de la semaine uniforme. Pour pallier ce problème, Mme Girard leur envoie un compte rendu mensuel qui présente les accomplissements de plusieurs élèves, et les activités et réussites collectives de la classe. Cette publication est aussi une source de fierté pour les enfants.

Actuellement en congé de maternité, Catherine R. Girard continue de dévorer des livres et des manuels sur les plus récentes tendances en éducation. C’est avec enthousiasme qu’elle retournera d’ici quelques mois à Jeanne-Lajoie, mais elle songe aussi à poursuivre des études de doctorat. «Dans mon amour pour l’éducation, je veux moi-même continuer à avancer», conclut-elle.

Cette rubrique met en vedette des enseignantes et enseignants qui ont reçu un prix en enseignement. Ces personnes répondent aux attentes de l’Ordre en incarnant des normes d’exercice professionnel élevées.

Repenser le préscolaire en CINQ temps

Catherine R. Girard vous livre cinq conseils pour actualiser vos méthodes d’enseignement.

  1. Redéfinissez les expériences d’apprentissage.

    Les jeunes enfants apprennent mieux de façon sensorielle et par l’action, plutôt qu’avec des feuilles d’exercices. La communication orale, la créativité et la concentration se travaillent plus aisément au moyen de matériel polyvalent qui permet de multiples possibilités.

  2. Modifiez l’horaire de classe.

    Enseignez un peu en plein air, réduisez le nombre de transitions, et surtout, faites preuve de souplesse. Par exemple, le fait de permettre aux enfants de manger et d’aller aux toilettes quand ils en ressentent le besoin favorise l’autorégulation.

  3. Créez un environnement qui appartient aux enfants.

    N’hésitez pas à créer les référentiels de classe et à planifier les centres d’apprentissage avec vos élèves. En les observant faire des choix, vous comprendrez mieux leurs besoins individuels et apprendrez à les connaître.

  4. Favorisez le travail en sous-groupes.

    Une fois que vous connaissez mieux vos élèves, vous pouvez différencier votre enseignement en fonction des besoins et de l’intérêt de chaque enfant. Il est ainsi plus facile de respecter le rythme de développement de chacun.

  5. Minimisez les distractions.

    Pour éviter de trop stimuler l’enfant, favorisez un environnement minimaliste : des couleurs neutres et naturelles, moins d’affiches sur les murs, moins de bruit grâce à des tapis et à des balles de tennis sous les chaises, et de la lumière naturelle.