Partagez cette page 

Enseigner au fil des décennies

Plusieurs enseignants offrent leur point de vue sur la profession à différents stades de leur carrière qu’ils aient quelques années ou un demi-siècle d’expérience.

De Stuart Foxxman
Illustration : David Weissberg/Closer&Closer

Alors que les élèves grandissent et qu’ils ont plus de possibilités d’apprentissage, leur expérience scolaire évolue. Il en va de même pour les enseignants. Quels changements ont-ils vécus au cours de leur carrière et qu’est-ce qui perdure? Quels bons conseils ont-ils reçus ou donnés? Nous avons demandé à six membres de l’Ordre quelles sont les leçons qu’ils ont tirées et comment ils continuent d’alimenter leur passion pour l’éducation.

Image d’Audrey Beaudoin, enseignante agréée de l’Ontario.

Audrey Beaudoin
4 ans d’expérience

Fille d’une enseignante, Audrey Beaudoin, EAO, a compris d’entrée de jeu les exigences du travail. La transition a quand même été difficile. «Au cours des deux premières années, j’avais toujours l’impression d’essayer de rattraper du retard», confie-t-elle.

Mme Beaudoin enseigne à la maternelle de l’école élémentaire publique Julie-Payette, à Kanata, en Ontario, tout près d’Ottawa. Elle a maintenant appris quelques notions essentielles. Un, «Se relaxer un peu. Les élèves voient bien que vous faites de votre mieux.» Deux, «Il faut prendre le pouls de la classe : de quoi les élèves ont-ils besoin en ce moment?»

Elle voit beaucoup de similarités entre le développement des élèves et celui des enseignants : chaque année, on devrait constater des progrès et avoir davantage confiance en ses capacités. Elle accueille les idées que ses collègues transmettent sur les blogues et les médias sociaux. Si les enseignantes et enseignants chevronnés peuvent être d’excellents mentors, elle est d’avis que les nouveaux membres de la profession ont aussi beaucoup à offrir à leurs collègues.

«Notre enthousiasme de débutant peut être contagieux, souligne Mme Beaudoin. Même si on a parfois peur d’exprimer de nouvelles idées au début, il est important de se lancer.»

Image de Jennifer Connelly, enseignante agréée de l’Ontario.

Jennifer Connelly
14 ans d’expérience

Jennifer Connelly, EAO, croit en la nécessité de se renouveler. Au Sudbury Catholic District School Board, elle a enseigné à l’école intermédiaire et a été enseignante en technologie d’aide. Pendant deux ans, elle a été conseillère en matière d’inclusion et a fourni de l’appui aux élèves. Elle est maintenant conseillère pour l’enfance en difficulté. Avant d’être enseignante, elle était éducatrice de la petite enfance.

«Il faut accueillir le changement, sinon on stagne, affirme Mme Connelly. Mettez-vous au défi. Quand on est trop à l’aise, on cesse d’apprendre.

«Cela ne se traduit pas nécessairement par un changement de rôle ou d’école, poursuit-elle. Mais il faut varier travaux et techniques. Les élèves ont des besoins complexes, soyez donc ouverts à l’apprentissage continu. Il ne faut jamais penser que l’on maitrise tout.»

Sa deuxième année d’enseignement a été une révélation. Le conseil scolaire devait donner un ordinateur portable à chacun de ses élèves, et les siens ne sont arrivés qu’une semaine avant la rentrée. «La courbe d’apprentissage a été raide, se rappelle l’enseignante, qui voit la technologie en classe comme un outil inestimable pour motiver les élèves et répondre à leurs besoins. Si vous ne l’adoptez pas, vous devrez lutter contre le courant.»

Si Mme Connelly accueille favorablement le changement, la partie du travail qu’elle trouve la plus satisfaisante demeure la même : constater le progrès des élèves qui éprouvent le plus de difficultés.

Image de Lori Barbato, enseignante agréée de l’Ontario.

Lori Barbato
24 ans d’expérience

Les idées préconçues et les jugements hâtifs peuvent nuire aux relations des enseignants avec les élèves. Lori Barbato, EAO, l’a vite appris lors de son premier poste à contrat, dans un établissement de garde en milieu ouvert pour jeunes contrevenants âgés de 12 à 16 ans. Ce n’était pas tout à fait la façon dont elle avait envisagé l’enseignement.

Mme Barbato s’est fait un devoir d’éviter de lire les dossiers des élèves jusqu’à ce qu’elle apprenne à les connaitre en classe. Elle ne voulait pas que leurs infractions ou les détails de leur profil l’influencent.

«J’ai essayé d’apprendre à connaitre les enfants qui étaient devant moi, explique-t-elle. N’étiquetez pas les élèves, apprenez plutôt ce que vous pouvez faire pour les aider à réussir.»

Cette idée la guide toujours aujourd’hui, alors qu’elle enseigne une classe de 2e-3e année à la St. Anne Catholic School, à Sarnia, en Ontario. La clé est d’aider chaque enfant à atteindre son plein potentiel, plutôt que de faire des comparaisons avec la moyenne. Qu’est-ce qui est différent aujourd’hui? La résolution de problèmes et la collaboration sont maintenant au cœur de sa classe, deux éléments qui étaient secondaires plus tôt dans sa carrière.

Après les vacances estivales, l’enseignante attend avec impatience la rentrée de septembre pour reprendre la routine scolaire et appliquer les idées qui lui sont venues en tête pendant la belle saison. «J’ai hâte de tout mettre en pratique. Mon objectif est que chaque enfant dise : “Je veux aller à l’école aujourd’hui.”»

Image de Pamela Parks, enseignante agréée de l’Ontario.

Pamela Parks
26 ans d’expérience

Au début de sa carrière, Pamela Parks, EAO, définissait la réussite comme l’atteinte des attentes du programme pour les élèves. «Quand j’ai commencé, tout était question de plans de cours et de transmission de connaissances et de compétences», se rappelle-t-elle. Avec le temps, elle a vu qu’autre chose comptait : reconnaitre que chaque enfant arrive avec sa propre identité, sa propre histoire, son propre style d’apprentissage et ses propres défis. «Vous devez accueillir les élèves à leur niveau et les accompagner jusqu’au niveau visé en leur fournissant le soutien nécessaire.»

Mme Parks enseigne la 5e et la 6e an-née à la Meadowlands Public School, à Nepean, en banlieue d’Ottawa. Avant même d’entrer dans la profession, elle avait une certaine idée de ce qu’impliquait l’enseignement. En effet, en tant qu’élève au secondaire, elle a fait de l’enseignement coopératif dans une école élémentaire pendant deux ans. Mais elle ne s’attendait pas à l’épuisement d’être dans le feu de l’action toute la journée, ni au nombre de tâches qui s’effectuent simultanément durant une milliseconde d’enseignement.

Avec l’expérience, Mme Parks a commencé à accorder moins d’importance à l’apparence de sa salle de classe et plus à la façon dont les enfants se sentent dans sa classe.

À ses yeux, son rôle principal consiste à bâtir une communauté d’apprentissage positive, qu’elle définit comme un endroit où les élèves se sentent en sécurité, branchés et pris en charge. «C’est le fondement de tout apprentissage», dit-elle.

Image de Bruce Soderholm, enseignant agréé de l’Ontario.

Bruce Soderholm
30 ans d’expérience

Bruce Soderholm, EAO, a fait un détour avant d’entrer dans la profession. Après des études universitaires en histoire et en anglais, il a été accepté dans une faculté d’éducation. Mais il voulait élargir ses horizons avant de voir si la profession était la meilleure voie pour lui. Il a travaillé dans le domaine de la vente, d’abord pour une agence de publicité, puis pour une entreprise de marquage routier. Pendant qu’il poursuivait des études supérieures en histoire, un test d’orientation professionnelle lui a révélé son profil d’enseignant. Ce test et un conseiller d’orientation l’ont poussé à se jeter à l’eau.

Après 30 années de carrière, M. Soderholm enseigne maintenant l’anglais à la Beamsville District Secondary School, à Beamsville, en Ontario. Fort de son expérience, il a un sens beaucoup plus aigu du fonctionnement de l’apprentissage qu’à ses débuts en enseignement. À l’époque, on lui avait laissé entendre qu’il devait avoir le sentiment qu’il fallait tout faire bien.

«Les nouveaux enseignants passent beaucoup de temps à réfléchir à ce qui dépend d’eux en tant qu’agents de transmission de toutes ces connaissances. On s’imagine être des experts. Au fil des années, on reconnait les points communs entre les compagnons de route. Il est important de donner l’exemple, de montrer aux élèves que nous, en tant qu’enseignants et adultes, continuons à apprendre et à nous développer.»

La technologie est l’un des changements les plus évidents au cours de sa carrière. «Nous sommes les immigrants du numérique et les élèves en sont les natifs», explique-t-il. Ce qui demeure inchangé est l’importance du lien entre enseignants et élèves.

«Le meilleur apprentissage se fait dans le contexte des relations humaines. La magie opère lorsqu’il y a un respect mutuel et que les lignes de communication sont ouvertes.»

Image d’Anna Milla, enseignante agréée de l’Ontario.

Anna Milla
50 ans d’expérience

Anna Milla, EAO, a commencé à enseigner en 1969, à Woodstock, en Ontario. Elle n’avait que 19 ans lorsque le Waterloo Catholic District School Board lui a confié une classe d’élèves âgés de 10 ans. «C’était terrifiant», se rappelle-t-elle.

Mme Milla a failli abandonner dès la première année. Sa classe comptait 38 élèves, dont 27 garçons. Elle se rappelle qu’ils étaient très perturbés. Avec les problèmes de comportement et le fait qu’elle se sentait dépassée par les évènements, elle s’est demandé si elle avait choisi la bonne carrière. Mais elle a tenu bon.

L’enseignante a pris sa retraite en 2001, après avoir travaillé dans des classes de la 3e à la 7e année, ainsi qu’en éducation de l’enfance en difficulté. Depuis, Anna Milla fait de la suppléance et accepte des contrats de remplacement à long terme.

À ses débuts, les enseignants adoptaient ce qu’elle appelle une approche plus libérale, intégrant des thèmes dans toutes les matières. «La pratique était moins rigide», estime-t-elle. Bien que cette façon de faire ait été positive, elle remarque qu’on s’intéressait peu aux besoins individuels des élèves. Les enseignants ne bénéficiaient pas non plus de temps de planification, comme c’est le cas aujourd’hui.

Les approches et les orientations du programme d’études vont et viennent. La clé du succès, à ses yeux, demeure la gestion de classe, une compétence qu’elle a acquise au cours de sa première année de carrière : «Vous pouvez avoir le meilleur plan de cours au monde, mais si vous n’instaurez pas de discipline dans votre classe et que les choses sont désorganisées, tout s’écroule.»

Et après un demi-siècle en classe, Mme Milla n’a toujours pas l’intention d’arrêter. Sa motivation? «Les élèves me donnent de l’énergie», conclut-elle.