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À la découverte d’horizons lointains

Des enseignantes et enseignants agréés de l’Ontario
racontent leur expérience de travail dans des collectivités éloignées.

Un canoë sur un lac

Enseigner dans une région isolée exige beaucoup de créativité, de ténacité et d’empathie. On doit souvent adapter le programme d’études de manière à pouvoir l’enseigner à des classes à années multiples, utiliser la technologie de façon innovante et changer les plans de leçon à la dernière minute (p. ex., quand le photocopieur tombe en panne et qu’il faut attendre l’arrivée par avion d’une personne qualifiée pour le réparer). Quatre enseignants agréés de l’Ontario, de Red Lake en Ontario à Pangnirtung au Nunavut, nous parlent des avantages d’enseigner dans une petite collectivité et de ce qu’ils ont appris sur la façon de soutenir leurs élèves.

Élargir les horizons :
Breanna Heels, EAO, Bluewater District School Board, Ontario

Pendant deux ans, Breanna Heels, EAO, était la leadeure en apprentissage expérientiel de la maternelle à la 12e année au Bluewater District School Board, tout en collaborant avec des collègues et des élèves dans 41 écoles rurales. (L’année dernière, elle est devenue directrice adjointe de l’école Hepworth Central Public School du même conseil scolaire.)

S’inspirant de la philosophie «Penser à l’échelle mondiale, mais agir à l’échelle locale», Mme Heels a accompagné ses élèves dehors et en excursion sur le sentier Bruce et dans le parc national de la Péninsule-Bruce pour pratiquer la géocachette, découvrir la foresterie, faire de l’art, participer à des activités physiques, et autres.

Nombre d’élèves n’étaient jamais allés au parc national, situé à une courte distance en voiture. Elle se souvient d’un élève qui lui a dit avec émerveillement : «Regardez comme ces rochers sont beaux!» Mme Heels dit qu’elle veut inculquer aux enfants l’amour de la nature afin qu’ils puissent être les protecteurs de la prochaine génération. «On protège ce qu’on aime. Je ne veux pas seulement dire aux élèves qu’il est important de protéger leur environnement; je veux qu’ils le ressentent eux-mêmes.»

Pour le projet The Changemaker Classroom, Mme Heels a collaboré avec des enseignants de 7e et 8e année pour inciter les élèves à atteindre un objectif de développement durable différent chaque mois (globalgoals.org/fr). Les élèves ont organisé une visite dans une installation locale de gestion des déchets afin d’étudier des possibilités permettant d’améliorer le taux de réacheminement des déchets. Ils ont aussi animé un repas-partage communautaire pour sensibiliser le public au problème de la faim.

Des élèves se tenant par la main au bord d’un lac près du parc national de la Péninsule-Bruce
Sortie au parc national de la Péninsule-Bruce;

Dans la salle de classe, Mme Heels a initié les élèves aux outils en ligne, comme les ressources pédagogiques de la National Geographic Society et la fonctionnalité Explorateur de Google Earth. «Certaines écoles où j’ai travaillé étaient situées sur une rue achalandée et étaient entourées de champs. Je disais aux élèves : “Allez découvrir ce qui se trouve aux alentours, faites preuve de créativité”», explique-t-elle. Mme Heels est aussi l’un des 200 éducateurs certifiés de la National Geographic Society en Ontario. Afin d’aider les élèves à mieux comprendre leur paysage politique et historique, elle a ouvert le dossier Les pensionnats indiens du Canada du site interactif Explorateur de Google Earth. Les élèves peuvent ainsi repérer les pensionnats qui se trouvaient autrefois à proximité et se renseigner sur les répercussions des atrocités qui y ont été commises, tout en découvrant les communautés autochtones locales qui préservent les ressources naturelles depuis longtemps.

Avant de siéger au conseil d’administration, Mme Heels a enseigné la 7e-8e année à Lion’s Head, en Ontario, une collectivité de 600 personnes dans laquelle elle a grandi. «Je me reconnais dans mes élèves, et je vois à quel point l’éducation a transformé ma vie et ce que je suis devenue, ajoute-t-elle. Enseigner dans une région éloignée donne un certain pouvoir… C’est encore plus important que nos élèves se sentent connectés au monde qui les entoure.»

Établir un lien avec la communauté :
Branden Simair, EAO, Pangnirtung, Nunavut

Immédiatement après avoir terminé son programme de formation à l’enseignement, Branden Simair, EAO, a enseigné pendant un an au Nunavut. Quinze ans plus tard, des amis qui résidaient sur le territoire l’ont encouragé à postuler à un poste de directeur d’école (de la 6e à la 12e année), à Pangnirtung. Cette fois-ci, des membres de sa famille l’accompagnaient, dont son jeune fils et sa conjointe Clara Simair, EAO, qui était accompagnatrice en apprentissage à l’école.

Selon M. Simair, le fait d’être avec sa famille a considérablement facilité les choses pendant les quatre premiers mois, comparativement à sa dernière expérience : «Cette fois-ci, je me suis fait des amis beaucoup plus rapidement parce que mon fils s’était fait des amis à la garderie. Nous avons donc fait la connaissance des parents de ses amis.»

Des jeunes jouant au hockey
Le hockey est le sport favori des jeunes de Pangnirtung, au Nunavut.

Il affirme que les enfants criaient «Branden! » quand ils le voyaient dans la communauté et qu’il a été invité à des excursions de pêche sur la glace. «Si quelqu’un revient de la chasse avec un phoque, il annonce la nouvelle en ligne sur la page de Pangnirtung et invite les habitants de la communauté à s’approvisionner gratuitement en viande», ajoute-t-il.

Afin d’établir la confiance des élèves et de la communauté en général, M. Simair a lancé des programmes intramuros parce que les joueurs étaient trop isolés pour que les équipes compétitives puissent se déplacer. Pour chaque nouveau programme, les élèves devaient voter pour le sport qu’ils souhaitaient pratiquer (hockey, basketball, soccer ou badminton). À la fin de chaque trimestre, l’enseignant organisait un tournoi lors duquel le nom des élèves était annoncé au haut-parleur à leur entrée dans le gymnase; les membres de la communauté étaient invités à regarder les matchs, et des commentateurs sportifs décrivaient l’action. «C’était une véritable expérience de championnat pour les enfants», annonce M. Simair.

M. Simair a été attiré par ce travail parce qu’il voulait aider la communau té, après avoir lu des reportages dans les médias concernant la vague de suicides survenus l’année précédente. Quand ils se sont sentis plus à l’aise avec lui, les élèves ont commencé à lui parler d’un parent, d’un proche ou d’un ami qui avait mis fin à ses jours. «Parfois, il s’agit simplement de trouver un coin tranquille où l’élève peut se raconter et pleurer, déclare-t-il. Tout le monde a une histoire, [certaines sont] déchirantes. Cependant, les élèves sont résilients; ils s’en sont sortis parce que ce sont des enfants fantastiques et exceptionnels.»

Collaborer et soutenir :
Isabelle Racine, EAO, Red Lake, Ontario

Il y a neuf ans, Isabelle Racine a déménagé à Red Lake parce que la collectivité de 4 000 habitants du nord de la province était située près de l’endroit où travaillait son conjoint (emploi dans le secteur minier) et qu’elle semblait idéale pour élever leurs enfants. «Les gens sont chaleureux et serviables, affirme-t-elle. Il y a une foule de choses à faire : chasse, pêche, motoneige, canotage, excursions en bateau. Nous avons toutes sortes de jouets à cet effet.»

L’année dernière, Mme Racine faisait partie d’un groupe de trois enseignants à l’École catholique des Étoiles-du-Nord du Conseil scolaire de district catholique des Aurores boréales, où elle enseignait à 11 élèves de la 5e à la 8e année. (Elle est désormais la directrice de l’école.) «Pour être apte à enseigner dans une classe à années multiples, il faut pouvoir établir des liens entre les programmes de chaque année d’études», souligne Mme Racine. Bien que tous les élèves lisent la même histoire, ils étudient différents éléments. Par exemple, les élèves de 5e année peuvent cerner divers points de vue, alors que ceux de 8e année envisagent des choix narratifs. «On commence par l’essentiel, puis on dit aux plus jeunes d’aller travailler, ensuite on approfondit les questions avec les plus vieux», explique-t-elle.

Des élèves jouant divers instruments de musique dans une salle de classe
Des élèves de Red Lake jouent de la musique.

Tous les jours, Mme Racine avait des réunions informelles avec les deux autres pédagogues de son école. Tous les deux mois, elle rencontrait ses collègues du conseil scolaire. Les séances de soutien et de remue- méninges aidaient les enseignants à trouver des moyens d’adapter leurs leçons à la vaste gamme d’aptitudes et de niveaux scolaires. «Il arrive que quelqu’un suggère un outil en ligne ou même un bon livre», dit-elle. En tant que directrice d’école, elle tient des réunions quotidiennes avec les cinq membres de son personnel.

Or, Mme Racine devait parfois diviser les classes entre les plus âgés et les plus jeunes, faire passer un message pédagogique ou parler franchement des défis que les élèves devaient surmonter. Dans ce cas, elle demandait à la direction ou à l’enseignant auxiliaire de s’occuper des plus jeunes pendant qu’elle parlait aux élèves de 7e et 8e année et qu’elle leur disait «ce qui s’est passé lors d’un clavardage le soir précédent», par exemple.

Selon Mme Racine, enseigner dans une classe à années multiples comporte aussi des avantages. Si un nouvel élève ne comprend pas les règles, elle le place à côté d’un mentor de 8e année. «Cet élève va lui expliquer que “madame aime ça comme ça, que tu dois écrire ton nom ici, et la date, là”, plaisante- t-elle. Ils murissent assez vite.»

Faire preuve d’empathie avant tout :
Albee Eisbrenner, EAO, Big Trout Lake, Ontario

Avant, dans de nombreuses petites collectivités du Nord qui ne sont accessibles que par transport aérien, les adolescents étaient obligés de quitter leurs parents et d’aller vivre dans une famille d’accueil. Aujourd’hui, le programme Keewaytinook Internet High School (KiHS) offre une autre solution aux familles de 14 collectivités du Nord qui comptent chacune de 300 à 1 000 habitants.

Il y a deux ans, quand il a commencé à enseigner aux élèves des Premières Nations de North Spirit Lake, puis de Kitchenuhmaykoosib Inninuwug (aussi appelée Big Trout Lake), Albee Eisbrenner, EAO, a manifesté un vif intérêt pour le programme. «Ainsi, la communauté peut garder ses enfants plus longtemps. Les élèves peuvent développer leur identité et éprouver un sentiment d’appartenance tandis qu’ils sont encore en train de se découvrir.»

Des élèves de Keewaywin en train d’apprendre comment pêcher lors d’une excursion scolaire
Des élèves de Keewaywin apprennent à pêcher durant une sortie scolaire.

Chaque collectivité compte au moins une classe et un enseignant qui donne des cours en ligne sur une matière en particulier, que ce soit la chimie ou l’anglais, en plus de soutenir les élèves en classe grâce à des cours en ligne. Les enseignants de ce programme aident les adolescents à maitriser la technologie ou à discuter de leurs difficultés personnelles, ou servent d’intermédiaires entre les élèves et le pédagogue.

En plus d’enseigner l’éducation physique et les mathématiques, M. Eisbrenner est mentor auprès des diplômés du secondaire. Il parle avec eux de ce qui les intéresse, les incite à obtenir les crédits dont ils ont besoin et transmet en continu des présentations portant sur des programmes offerts par des universités et collèges, des organisations et des entreprises. Un jeune diplômé poursuit des études supérieures pour devenir technicien en force motrice, un autre envisage de devenir enseignant, un autre encore fait carrière dans les Forces armées.

Dans le contexte de la pandémie de COVID-19, M. Eisbrenner et d’autres facilitent l’accès des élèves aux ordinateurs portables et à l’internet, et enseignent sans perdre de vue le bienêtre des élèves. «On commence en demandant : “Comment vas-tu? Que fais-tu pour prendre soin de ta santé?” au lieu de dire “Je vois que tu n’as fait que trois travaux la semaine dernière”, souligne-t-il. Avant de nous demander de l’aide avec leur travail scolaire, les élèves ont besoin de sentir qu’on pense bien à eux.»