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Élaborer une QA à partir d’histoires et de récits

L’Ordre lance une nouvelle QA contre le racisme envers les Noirs.

D’Olivia Yu
Photo : istock

Un enseignant et des élèves portant un masque en classe.

Les gens de couleur vivent différemment l’acceptation, la discrimination et la diversité raciale. Chaque communauté – chaque personne – possède un récit différent ainsi qu’une expérience et un parcours professionnel différents. C’est cette diversité que Karen Murray, EAO, recherchait lorsqu’elle a réuni l’équipe chargée d’élaborer le cours menant à la nouvelle qualification additionnelle (QA) de l’Ordre intitulée Contre le racisme envers les Noirs.

Mme Murray est directrice principale du Centre of Excellence for Black Student Achievement au sein du Toronto District School Board (TDSB). Elle appuie la mise en œuvre et le développement de politiques relatives aux QA pour l’Ordre depuis de nombreuses années, et a été instructrice du cours menant à la QA portant sur le leadeurship équitable en enseignement.

«C’est une affaire d’histoires et de récits, et de la place qu’on fait à ces histoires pour qu’elles puissent vivre», dit-elle. Au lieu d’avoir seulement recours à des méthodes traditionnelles pour élaborer la QA, M me Murray a ouvert sa propre voie.

Mme Murray a entamé le processus d’élaboration en téléphonant directement à des membres de la communauté noire. «Si l’on s’engage contre le racisme envers les Noirs, on doit d’abord adopter une pédagogie qui va en ce sens.»

«Nous reconnaissons que la diversité n’a pas de solution universelle, déclare Chantal Bélisle, EAO, registraire adjointe de l’Ordre. Depuis longtemps, nous nous sommes prononcés en faveur de la diversité et de l’inclusion, et cela signifie que nous devons examiner les processus qui existent aujourd’hui afin de pouvoir les modifier au besoin. Si nous sommes prêts à réinventer notre façon de travailler, des changements réels et positifs peuvent se produire – et ils se produiront.»

En plus de la QA, une recommandation professionnelle axée sur les mesures pour contrer le racisme est en cours d’élaboration. À la fin de l’année dernière, l’Ordre a travaillé en étroite collaboration avec le gouvernement afin de mettre en œuvre des modifications règlementaires visant à reconnaitre que l’expression de la haine est une forme de faute professionnelle. À l’interne, l’Ordre a fourni aux membres du conseil et des comités ainsi qu’à son personnel une séance de formation sur la sensibilisation aux préjugés et au racisme.

«La formation continue, le dialogue et l’introspection sont d’une importance vitale pour protéger l’intérêt public, affirme Chantal Bélisle. En tant que membres de la profession enseignante, nous devons écouter, réfléchir et continuer d’apprendre afin d’aider à démanteler le racisme systémique en éducation.»

La diversité comme objectif

Composée par Mme Murray, l’équipe de leadeurship de la QA comprend 15 personnes issues de différents milieux universitaires, pédagogiques, linguistiques et professionnels.

«Nous avons des personnes qui possèdent de solides antécédents universitaires et une forte pratique locale. D’autres comprennent les droits de la personne et d’autres encore travaillent dans la communauté. Nous avons aussi des gens qui ont une vision globale de la situation au sein de la province», souligne Mme Murray.

Les connaissances éthiques de la profession, tant collectives qu’individuelles à chaque membre, doivent évoluer afin d’assurer que des pédagogies, politiques, pratiques et cultures scolaires éthiques imprègnent les contextes éducatifs en Ontario.

L’équipe espère aussi que la QA contribuera à sensibiliser davantage les pédagogues aux préjugés individuels et collectifs inhérents aux pratiques, politiques, systèmes et cultures de l’éducation.

Un de ces préjugés suppose que toutes les personnes de peau foncée s’identifient comme des Noirs et vivent la même expérience. «Les membres de l’équipe consultative ne s’identifient pas tous comme des Noirs, déclare M me Murray. Nous ne sommes pas tous les mêmes et nous ne le serons jamais. Mais nous nous sommes tous engagés à démanteler le racisme envers les Noirs au sein du système d’éducation.»

Natasha Henry, EAO, une enseignante ayant 21 ans d’expérience au sein du Peel District School Board et d’autres conseils scolaires, donne un aperçu de la perspective des écoles publiques de langue anglaise, et ce, en tant que pédagogue noire et spécialiste de l’histoire des Noirs au Canada. Elle est aussi présidente de l’Ontario Black History Society et se spécialise dans l’élaboration de matériel pédagogique axé sur l’expérience de la diaspora africaine.

«Il faut posséder une profonde compréhension de ce qu’est en réalité le fait “anti-Noirs” quand on parle de l’éducation en Ontario et au Canada, tout en étendant l’apprentissage et la compréhension au lien qui existe avec le racisme systémique envers les Noirs qui perdure dans la société.»

La QA vise à permettre aux pédagogues de mieux comprendre comment le système d’éducation a perpétué le racisme envers les élèves et les enseignants noirs d’hier à aujourd’hui.

Mme Henry voit différents avantages pour les pédagogues qui occupent divers rôles en éducation. Pour ceux en administration, elle espère que la QA les aidera à cerner les obstacles systémiques auxquels se heurtent les enseignants et élèves noirs. Pour ceux en salle de classe, la QA se veut un point de départ pour les aider à réfléchir sur leurs propres croyances afin de modifier leur pratique quotidienne en conséquence en tant que pédagogues qui luttent contre le racisme.

«L’équipe espère aussi que la QA contribuera à sensibiliser davantage les pédagogues aux préjugés individuels et collectifs inhérents aux pratiques, politiques, systèmes et cultures de l’éducation.»

«Cela commence en mandatant et en intégrant un apprentissage plus significatif et approfondi du vécu des Noirs dans toutes les matières, et pas seulement en février (Mois de l’histoire des Noirs), déclare M me Henry. Un des cadres pédagogiques importants de ce cours est que l’on attend des participants qu’ils mettent en pratique dans leur milieu scolaire les leçons élaborées à l’aide des cadres de travail critiques, qu’ils réfléchissent, qu’ils continuent de croitre et qu’ils opèrent des changements.»

Mme Henry espère aussi que les cours menant à la QA inspireront les leadeurs et les enseignants à bien saisir les questions qu’il faut aborder dans le système scolaire afin de promouvoir «une compréhension plus profonde de qui sont leurs élèves».

«C’est un apprentissage d’une vie et une réflexion permanente», dit Jenelle Rouse, EAO. Enseignante noire et sourde, Mme Rouse a récemment reçu son doctorat en linguistique appliquée dans le domaine de l’éducation. En outre, elle est chercheuse indépendante et professeure adjointe; elle enseigne aux étudiantes et étudiants en première année du programme de formation à l’enseignement, à l’Université Western.

Pour elle, que ce soit dans les mots que nous utilisons, dans l’art ou dans la danse, le langage est crucial. L’objectif est d’aider les pédagogues à utiliser la langue de communication de manière plus impartiale, empathique et sensibilisée quand ils travaillent avec leurs élèves. «Il ne s’agit pas seulement de comprendre les définitions, explique M me Rouse. Il s’agit d’encourager les gens à le sentir, à établir des liens avec leur vie et leurs expériences personnelles.»

Ce nouveau cours menant à une QA offre de nombreux avantages potentiels aux pédagogues qui le suivront. «Nous encourageons vivement la personne de couleur qui ne bénéficie pas du privilège blanc à devenir un leadeur, souligne Mme Rouse. Quant aux Blancs, nous voulons les sensibiliser davantage et les inviter à devenir le type d’allié qui opère des changements positifs dans la communauté.»

L’essentiel pour les apprenants est de garder l’esprit ouvert. M me Rouse fait valoir combien il est important pour les enseignants d’accepter de désapprendre afin de décoloniser, en partie, leur façon de penser. «C’est ça qui est le plus difficile, dit-elle. Il faut être ouvertement conscient, sans adopter une attitude défensive.»

Jacqueline Jean-Baptiste, EAO, est d’avis que la compréhension et la prise de conscience des racines du racisme entraineront un changement positif. En tant qu’enseignante à la retraite après presque 40 années de carrière, Mme Jean-Baptiste a été elle-même la cible de racisme systémique. «Dans les années 1990, un conseil scolaire m’a embauchée, raconte Mme Jean-Baptiste. J’ai subi tellement de racisme que j’ai dû quitter l’enseignement pendant un an. C’était tellement direct… On n’avait aucun problème à me faire savoir qu’on ne voulait pas de moi.»

C’est à ce moment qu’elle a commencé à faire des recherches sur les racines du racisme et à écrire sur le sujet. «Historiquement, les premiers Noirs qui se sont installés en Amérique n’ont pas choisi de venir ici. Ils ont été contraints à l’esclavage et à la colonisation», explique M me Jean-Baptiste. Selon elle, le racisme a vu le jour quand les esclaves se sont opposés au statuquo et que les colonisateurs ont dû justifier que les Noirs étaient des biens, et non des personnes. «L’histoire du racisme est si profonde et rationalisée qu’elle fait pratiquement partie de la langue, de la vie. On préjuge facilement les gens en raison de ces justifications d’autrefois.»

Nicole West-Burns est conseillère indépendante en matière d’équité en éducation ainsi que chercheuse et animatrice tant pour la province que pour les conseils scolaires, où elle concentre ses efforts sur l’équité et les initiatives de rendement des élèves noirs. Elle veut que la QA aide les enseignants à «réfléchir à ce qu’ils croient savoir ainsi qu’aux voix, récits et perspectives qui les ont façonnés».

Le travail de Mme West-Burns porte principalement sur le racisme systémique. Elle espère que la QA aidera les pédagogues à pratiquer l’autoréflexion, notamment à comprendre la façon dont leurs propres expériences et enseignements ont façonné la personne qu’ils sont deve-nus, puis à trouver la façon de réfuter certaines hypothèses. «Nous devons nous débarrasser de nos préjugés et réapprendre souvent, explique Mme West-Burns. Nous devons aussi trouver des collaborateurs et être prêts à nous élever contre l’oppression avec les élèves, les familles et la communauté.»

En tant que chef de projet, Karen Murray elle-même lutte contre le racisme envers les Noirs depuis plus de 20 ans. Le rendement, le bienêtre et le sentiment d’appartenance des élèves noirs la motivent. Comme M me Henry, elle croit que la culture noire doit se développer au-delà de l’esclavage et du Mois de l’histoire des Noirs.

Mme Murray croit fermement que les élèves répondent mieux aux personnes en qui ils peuvent se reconnaitre. Elle se souvient de la sortie du film Panthère noire en 2018. À l’époque, M me Murray était directrice adjointe pour le TDSB. Elle a emmené toute son école voir le film parce qu’il aidait les élèves et le personnel à s’assumer. «Les enfants parlent à l’écran, applaudissent, répondent et manifestent leur colère quand la situation tourne mal. Chaque émotion est palpable.»

Elle espère que la QA aidera les pédagogues à trouver ce type d’enthousiasme chez les élèves dans leur salle de classe. «Il y a des scientifiques noirs et des mathématiciens noirs, et il y a eu des civilisations anciennes où régnaient des rois et des reines noirs, mais on n’en parle pas», explique-t-elle. Elle espère que les pédagogues trouveront des moyens différents de s’orienter et de s’engager à l’aide d’exemples, actuels et historiques, de l’expérience des Noirs.

Selon Mme Murray, les salles de classe «doivent être le point d’entrée initial, car elles influencent directement la vie des élèves».

Les directions d’école, les directions adjointes et les agentes et agents de supervision appuient le travail des titulaires de classe et, d’après M me Murray, ils doivent «comprendre la logique et l’importance de ce travail». Enfin, on a besoin de dirigeants qui peuvent influencer «le changement dans la façon dont nous participons à l’enseignement et à l’apprentissage».

«Favoriser l’inclusion est intentionnel, déclare Alison Gaymes San Vicente, EAO, directrice principale de la Division des écoles virtuelles, qui travaille avec Mme Murray au TDSB. Cela n’arrive pas naturellement.» Elle explique que ce processus multidimensionnel passe par l’autoréflexion, l’apprentissage professionnel et la décision d’adopter des pratiques antioppressives. «Quelles sont nos convictions philosophiques en éducation? Que sommes-nous vraiment portés à croire et à comprendre sur l’antioppression?»

Elle estime que les leadeurs pédagogiques doivent s’assurer que les enseignants connaissent les attentes, notamment en ce qui a trait aux espaces adaptés aux cultures, et soient préparés à donner de l’appui et à faire du suivi. «Pendant la pandémie de COVID-19, il est beaucoup plus difficile de préserver la diversité parce que beaucoup de ce que nous décrivons comme diversité ne s’applique plus.»

Avec l’école virtuelle, les élèves ne voient peut-être plus d’affiches imprimées reflétant la diversité, par exemple. Les pédagogues doivent donc faire preuve de créativité pour s’assurer qu’elle existe toujours (p. ex., trouver des ressources et lire des textes culturellement appropriés).

C’est le type de pensée critique que l’équipe chargée d’élaborer des cours menant à la QA souhaite que les pédagogues développeront.

Michael Naicker, EAO, directeur adjoint de la Catholic Central High School du Windsor-Essex Catholic District School Board, souligne également l’importance d’intégrer la compréhension dans le quotidien. «C’est plus qu’une simple journée célébrant la diversité culturelle. La diversité doit faire partie de l’école, de l’éthos, du quotidien.»

Il ajoute qu’il est crucial de faire preuve d’empathie, d’écouter et d’essayer de comprendre les choses en témoignant sa sensibilité culturelle. «Regardons les choses de leur point de vue.»

La plupart des pratiques discriminatoires et oppressives sont fondées sur des siècles d’histoire et d’héritage; on ne peut pas tout rétablir d’un coup de baguette magique. C’est pourquoi Mme Murray a décidé d’élaborer différemment la QA. «Il ne s’agit pas d’une simple réaction à la mort de George Floyd. Il faut le faire bien et aller au-delà de Twitter. Le racisme contre les Noirs existait bien avant et persiste aujourd’hui», explique-t-elle.

À court terme, l’équipe de leadeurship de la QA espère que les pédagogues deviendront plus conscients de leur pratique quotidienne. À long terme, elle espère constater des changements à l’échelle du système, notamment un rendement scolaire allant en s’améliorant chez les élèves noirs, une intégration plus poussée de l’histoire des Noirs dans le curriculum et une population enseignante plus représentative des élèves.

Mme Murray espère que la QA Contre le racisme envers les Noirs sera la première occasion de perfectionnement professionnel parmi toute une panoplie d’autres possi-bliités d’activités de perfectionnement destinées aux enseignantes et enseignants de l’Ontario pour savoir comment contrer le racisme. «Chaque enjeu a sa place, si l’on fait une place à chacun d’eux.»