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Chroniques

un enseignant exemplaire

John D’Arcy encourage les élèves à explorer de nouveaux médias

Susan Aglukark se souvient de David Owingayak

Susan Aglukark

David Owingayak : l’enseignant remarquable de Susan Aglukark

Deep in time a hunt took place
That made a boy a man
A song was sung to celebrate
And welcome each new hand

Shamaya

[Il y a longtemps, une chasse eut lieu
D’un garçon, un homme il devint
On chanta pour fêter ce jour radieux
Et accueillir en lui de nouvelles mains]

Susan Aglukark a adapté cette fable de la toundra à la vidéo.

Elle est aujourd’hui musicienne lauréate d’un prix Juno. Enfant, Susan écoutait son grand-oncle conter des histoires sur leur famille et sur la vie traditionnelle dans le nord. Elle a entendu ce récit à propos d’un jeune garçon qui devient un adulte et d’un vieil homme qui se souvient de son propre cheminement.

Des années plus tard, elle l’a traduit en anglais, a composé la chanson et créé la vidéo Shamaya.

L’amour que Susan éprouve pour la langue et la narration de contes a été semé par David Owingayak, son professeur d’inuktitut à l’école élémentaire.

L’école Qitiqliq

Susan Aglukark est née à Churchill. Son père étant pasteur pentecôtiste, sa famille déménageait souvent à l’intérieur du District de Keewatin, dans les Territoires du Nord-Ouest. Elle s’est finalement établie à Arviat, connu alors sous le nom d’Eskimo Point, sur la rive ouest de la baie d’Hudson. La famille était arrivée dans un village de 1 300 âmes environ, qui servait traditionnellement de camp d’été aux Inuits depuis au moins 600 ans.

David Owingayak enseignait à l’école Qitiqliq à Arviat, et la jeune Susan a été son élève pendant cinq ans, de la 5e à la 9e année. Étant donné que sa famille avait vécu dans plusieurs localités et que souvent, le personnel enseignant dans le nord ne restait pas très longtemps, «il a été celui qui nous a enseigné pendant le plus grand nombre d’années».

Originaire d’Arviat, David était spécialiste de la langue inuktitute.

Il a exercé sur Susan une profonde influence.

«Il enseignait notre langue. À l’oral. À l’écrit. Je le trouvais intéressant, car il avait une façon de faire, de vivre notre culture. Il avait une façon d’évoquer ses souvenirs qui leur donnait vie. C’était un enseignant remarquable de ce point de vue-là. Il était vrai.»

Le mot qui signifiait fille...

Apparemment, il avait également les pieds bien sur terre. Elle se souvient d’un incident cocasse qui s’est produit en classe d’orthographe.

Après avoir été pendant des siècles une langue orale, l’inuktitut est récemment passé à l’écriture syllabique.

«Je n’aimais pas les finales», déclare-t-elle, faisant allusion aux accents qui changent le sens des mots.

«Je ne voudrais pas être vulgaire, mais il y a un mot qui signifie fille pour lequel on emploie les mêmes symboles que pour désigner de la merde, selon la position où vous mettez les finales! À l’oral, on entend tout de suite la différence [entre les deux mots], mais à l’écrit, on pourrait les confondre. Je ne suis pas prête d’oublier cet exemple!»

«Il avait une façon d’évoquer ses souvenirs qui leur donnait vie.»

Comme il se doit, la gêne qu’elle a éprouvée à 12 ans s’est transformée en admiration.

«En tant qu’enfants, on tient la langue et la culture pour acquis. Pour lui, en revanche, c’était une passion. Il savait que sa passion pouvait jouer un rôle dans la survie de la culture. À Arviat, nous parlons un dialecte particulier, et il a contribué à sa survie. J’ai fini par l’apprécier.»

La présence de David dans la petite école a dû imposer le respect.

«En classe, il partageait ses souvenirs d’enfance avec nous. J’avais l’impression qu’il avait eu une jeunesse très heureuse. Je crois que sa mère a exercé une grande influence sur lui.

«Il évoquait les jeux de son enfance, et je me souviens qu’il donnait tellement de détails qu’il les faisait revivre pour nous. L’igloo. Les habits. Les jeux auxquels ils se livraient. Les moments difficiles.

«J’avais beau être jeune, j’étais tout à fait réceptive à ce qu’il racontait.

«Les autres enfants le trouvaient bizarre. Vous savez ce que c’est, l’école, c’est l’endroit où les enfants préféreraient ne pas être. Pour eux, c’était simplement une langue, et ils trouvaient ça ennuyeux. Moi, par contre, j’aimais beaucoup ses cours.»

L’amour de la langue

C’est seulement à l’âge de 24 ans, lorsqu’elle a déménagé en Ontario, qu’elle est devenue musicienne.

Ce qui est certain, c’est que David lui a transmis son amour de la langue. «Il pouvait brosser un tableau avec ses mots. J’ai appris à faire ça aussi dans mes chansons», explique Susan, qui a à l’esprit des scènes précises lorsqu’elle écrit des chansons telles que Shamaya.

«Je ne me suis jamais considérée comme une chanteuse interprète, aurait-elle dit. Je suis plutôt une chanteuse qui aime conter des histoires.»

«Il pouvait brosser un tableau avec ses mots. J’ai appris à faire ça aussi dans mes chansons.»

Après avoir cessé d’enseigner, David Owingayak a mis ses compétences au service de l’Inuit Cultural Institute, organisation qui se consacre à la préservation de la culture inuite. Susan l’y a suivi.

«Nous avions du plaisir à travailler ensemble lorsque j’avais un emploi d’été [pendant mes études secondaires]. Nous avons perdu le contact par la suite. Je n’ai jamais eu l’occasion de lui parler de l’influence qu’il avait exercée sur moi, et je le regrette.»

Atteint d’un cancer, David Owingayak est décédé prématurément au milieu des années 1990.

La terre et les ancêtres

Susan Aglukark a enregistré quatre albums de musique populaire où elle mêle l’inuktitut et l’anglais. Elle a chanté devant Nelson Mandela et S.M. la reine Élisabeth, et a fait une tournée dans le nord en compagnie de la gouverneure-générale Adrienne Clarkson.

En mai dernier, elle a remporté le prix Juno du meilleur enregistrement autochtone de l’année avec Big Feeling, sa vision d’une fille originaire d’une petite ville, profondément attachée à la terre et aux ancêtres.

Susan se produit devant des dignitaires, mais aussi dans des réserves, des petites villes et des villages partout au Canada. Le fait d’habiter à Oakville ne l’a pas empêchée de rester fidèle à ses racines et aux enseignements de David Owingayak.

Dernièrement, elle a commencé à faire du bénévolat dans le domaine de l’alphabétisation. Elle participe à un remue-méninges avec la National Indigenous Literacy Association afin d’identifier les problèmes auxquels les enfants inuits sont confrontés. En décembre, elle a fait une présentation parlée et chantée très motivante devant des enseignants de London. «Le rôle que vous jouez est très important», a-t-elle précisé aux nombreuses personnes présentes ce jour-là.

«J’ai toujours eu de bonnes expériences avec les enseignants», conclut-elle.

Canadian Aboriginal Music Awards

Site web de Susan Aglukark

Ministère de l’Éducation du Nunavut

La langue inuktitute

Les parents, avec l’aide des écoles et du gouvernement, jouent un rôle primordial dans la survie de l’inuktitut en tant que langue vivante.

Bien qu’il existe sept dialectes principaux au Nunavut, les Inuits aux quatre coins du territoire font un réel effort pour se comprendre. Ils sont fiers de leur langue.

Dans la partie ouest du territoire, le dialecte s’écrit en caractères romains. Partout ailleurs, on fait appel à une écriture syllabique de nature phonétique, élaborée par le révérend James Evans pour les Cris et adaptée pour les Inuits à la fin des années 1800 par des missionnaires anglicans.

L’Inuit Cultural Institute, où Susan Aglukark a travaillé pendant ses études secondaires, a mis au point une double orthographe normalisée à la fin des années 1970, qui convient aussi bien à l’écriture romaine que syllabique.

La survie de la langue est sujet de préoccupation. Aujourd’hui, de nombreux enfants parlent anglais lorsqu’ils jouent ou répondent à leurs parents de langue inuktitute. Et c’est la génération de demain qui compte.

Depuis la création du Nunavut en 1999, de plus en plus de gens utilisent cependant l’inuktitut dans la vie de tous les jours. Ce n’est pas seulement une langue de travail au sein du gouvernement, elle est aussi enseignée dans les écoles et au Collège de l’Arctique du Nunavut. Plusieurs collèges et universités dans le sud offrent maintenant des programmes en inuktitut. En 2004, Microsoft a même appris à son système d’exploitation informatique à parler cette langue.

Source : Alexina Kublu et Mick Mallon, «Our Language, Our Selves», Nunavut 99


Susan Aglukark a reçu le titre d’artiste féminine de l’année dans le cadre de la remise des Canadian Aboriginal Music Awards, en novembre 2004.

David Owingayak a enseigné à l’école Qitiqliq à Arviat, dans les Territoires du Nord-Ouest; par la suite, il a travaillé pour le compte du Inuit Cultural Institute. Il est décédé au milieu des années 1990.