La critique est aisée
Ça fait quoi ce bouton?


Il est fort probable que les programmes de mentorat soient de plus en plus utilisés pour appuyer la formation d’un nombre croissant de nouveaux enseignants et enseignantes. La profession suivrait ainsi les traces des professions autoréglementées les mieux établies en Ontario.


de
Linwood Barclay

J’ai un nouveau téléphone. Vous savez du genre très cool, génial, avec un écran de la taille d’une carte de crédit, qui compte, avec les chiffres, 33 boutons. Chacun d’entre eux a une fonction précise et porte une petite étiquette. Garde. Recomposition. Discrétion. Mains libres. Options. Les boutons situés à côté de l’écran permettent d’effectuer de multiples fonctions, tout dépendant de ce qui est affiché à l’écran à ce moment-là. Conférence. Autres. Suivant. Si j’appuie sur le bouton Services, je peux connaître l’horaire des films du cinéplex le plus près, mais jusqu’à maintenant, les films présentés n’en valent pas vraiment la peine. Je ne me suis donc pas attardé à ces services.

Il y a des boutons que je n’ai encore jamais touchés. Même après lecture du manuel, je ne vois tout simplement pas à quoi ils peuvent m’être utiles; ça m’inquiète quand même un peu. J’ai crainte qu’en appuyant sur des boutons inconnus dans le mauvais ordre, je vais déclencher un missile sur une nation alliée.

Pourtant, toute ma vie j’ai utilisé des téléphones, beaucoup plus simples toutefois. À vrai dire, j’ai plus ou moins maîtrisé l’appareil téléphonique.

Or, il ne me viendrait jamais à l’esprit de dire au service téléphonique comment mener ses activités quotidiennes. Bon, si, quand il augmente les tarifs, j’ai mon mot à dire.

Il en est de même pour mon auto. Je conduis depuis 30 ans, mais je n’oserais pas téléphoner aux ingénieurs chez Ford, Honda ou Volkswagen pour leur dire comment faire leur travail. Carburateurs ou injection de carburant? Ne me demandez pas.

Pour ce qui est des enseignants, là, c’est autre chose.

Comme la plupart des gens, je ne suis pas enseignant. Ceux d’entre nous qui ne reçoivent pas leur salaire d’un conseil scolaire sont peu susceptibles d’être titulaires d’un grade en éducation. D’avoir passé des milliers d’heures debout devant des groupes d’élèves à essayer de les intéresser à la théorie des polynômes.

D’avoir consacré des soirées entières à planifier des leçons, à téléphoner aux parents, ou à corriger des dizaines de travaux sur l’utilisation de l’ironie et de l’allégorie dans Shakespeare. D’avoir fait le tour des bric-à-brac les samedis matins à la recherche de jouets – à ses frais – pour sa classe de maternelle.

Nous sommes néanmoins tous des experts en la matière. Nous savons ce qui ne va pas à l’école ou dans la profession enseignante. Ce qui étonne encore plus, c’est que bon nombre d’entre nous savons tout cela plusieurs années même après que nos enfants ont fini le secondaire, après des décennies même depuis la dernière fois que nous avons mis les pieds à l’école.

À titre de chroniqueur d’un quotidien, je ne suis jamais en manque de critiques sur la qualité de mon travail. («Monsieur Barclay, je termine à l’instant la lecture de votre chronique et j’ai acquis la certitude que vous êtes un crétin. Mes amitiés, Un lecteur qui vous veut du bien.») Pourtant, même ces gens-là ne me disent pas comment faire mon travail. Personne ne me dit quand je dois commencer à écrire mes articles ni quand m’arrêter. Personne ne s’inquiète de la durée de ma pause le midi. La fréquence et la durée de mes visites aux toilettes ne concernent que moi. Personne ne s’intéresse au nombre de jours de vacances que je prends l’été, ni de ce que j’en fais.

Voilà des années, ma famille tenait un centre de villégiature estival. Nous travaillions environ cinq mois l’an et étions en congé les sept autres. Personne ne s’en offusquait. C’était la nature de notre travail.

Il semble y avoir consensus autour du fait qu’étant donné que nous avons été sur les bancs d’école 12 ou 13 ans, voire plus encore, nous savons ce que font les enseignants. Un enseignant se tient debout, là, gribouille des choses au tableau, dit aux élèves d’ouvrir leur livre à la page 42, fout le camp à 15 h 30, reçoit sa pension. C’est simple comme bonjour!

Si, vraiment, rien de plus simple.

Ceux qui enseignent, bien entendu, ne sont pas du même avis.

J’ai interrompu l’écriture de cet article pour prendre une pause et, au volant de ma voiture, je me suis payé les inepties des lignes ouvertes radiophoniques, ce qui est toujours une erreur si son objectif est de ne pas se brûler le cerveau. L’animateur de l’émission, qui de toute évidence gagne bien plus qu’un enseignant même s’il ne passe que deux grandes heures par jour à la radio – et ce, sans compter les nouvelles et la publicité – a longuement divagué sur la nécessité pour les enseignants de travailler dans le VRAI monde. Il n’avait évidemment pas saisi l’ironie de la situation.

Les parents guettent chaque geste d’un enseignant. Les parents, il est vrai, jouent un rôle important ici. Ils veulent la meilleure éducation qui soit pour leurs enfants. À titre de père de deux enfants au système d’éducation public, cela me semble raisonnable. Tout enseignant qui se respecte souhaite que les parents s’intéressent et participent à l’éducation de leurs enfants. Aucun enseignant ne se dira content de voir que personne ne se présente à la soirée des parents.

À titre de parent, je crois avoir le droit de savoir ce qui se passe dans la classe de mes enfants ainsi que d’offrir mon point de vue sur la question. Il peut y avoir des éléments qui me préoccupent ou avec lesquels je ne suis pas d’accord, ou des choses qui sont trop compliquées pour mon enfant, ou même trop simples.

Et c’est mon rôle de parent que de soulever ces questions avec l’enseignant.

Mais il n’y a pas qu’un bon côté à cet examen minutieux.

Ce qui m’amène à vous conter deux histoires qui portent sur un sujet qui me tient à cœur : l’orthographe. Première histoire.

Voilà quelque temps, j’ai eu un échange de courriel avec une lectrice qui n’appréciait pas l’appui que je donnais aux enseignants du secteur public pendant une période où ils avaient été malmenés. Elle ne cessait de se plaindre des enseignants de l’école de ses enfants. L’un de ses passe-temps consistait à examiner attentivement le journal de classe de ses enfants. Elle se jetait sur les coquilles et les erreurs typographiques, tel un chat sur une souris.

Comment, s’offusquait-elle, une personne qui ne peut produire un journal de classe sans erreurs peut-elle prétendre enseigner à ses enfants?

Ma réponse l’a consternée. «Et après?»

Puis j’ai poursuivi. Quelqu’un s’est occupé de votre enfant de 8 h 45 à 15 h 30, a préparé des leçons, surveillé la récréation, invité l’agent Dupont à s’adresser aux jeunes sur la sécurité à vélo, aidé certains enfants à retrouver un sac à dos égaré, laissé tout tomber pour aider un petit garçon qui saignait du nez, rempli les feuilles de présence, réglé une dispute relativement à un biscuit et, dans ce tourbillon de folie, a glissé une leçon sur les pronoms.

En plus de tout cela, cette personne a pris le temps de produire un journal de classe pour informer les parents, ce qui, à ma connaissance, n’est pas requis par la Loi sur l’éducation.

Cette mère est prête à lever les yeux sur tout ce travail pour une simple coquille ou une virgule mal placée.

Les meilleurs d’entre nous font des coquilles, même ceux pour qui c’est le travail de les empêcher. Dans un journal où je travaillais, nous avons publié un papier sur un musicien bien connu qui prenait sa retraite :

«Après 20 ans de week-ends bouclés d’avance, il n’en peut plus et veut passer plus de temps avec ma femme.» Le problème, c’est que personne n’avait remarqué que «ma» avait été substitué à «sa». On sympathisait moins avec le musicien qu’avec le journaliste.

Dans un monde idéal, aucun enseignant ne ferait de fautes d’orthographe. Ni un journal. Deuxième histoire.

Nous jetons un coup d’œil au cahier de notre fils et remarquons qu’un travail jugé acceptable par son enseignante contient des fautes qui n’ont pas été notées à l’encre rouge.

Diverses possibilités s’offrent à nous :

a) L’enseignante ne sait pas écrire.

b) L’enseignante se fiche de savoir si ses élèves peuvent écrire.

c) C’est ce qui a causé la chute de l’Empire romain.

Mais nous n’avons jamais songé à d) La leçon portait sur la ponctuation et si l’enseignante avait noté toutes les erreurs possibles, notre fils aurait été tellement découragé qu’il aurait abandonné.

Évidemment, à titre de père de deux adolescents, il y a des jours où je laisse passer certaines choses dans l’espoir de faire des progrès ailleurs. Pas plus tard que l’autre jour, j’ai décidé de ne pas faire de cas du capharnaüm dans leurs chambres s’ils acceptaient, au moins pendant une semaine, d’arrêter de télécharger des virus dans mon ordinateur qui effaçaient des manuscrits de 90 000 mots et qui envoyaient des courriels menaçants à la Maison-Blanche en mon nom.

Écoutez, je ne blâme pas les parents qui se disent préoccupés et, quand c’est justifié, qui donnent leur point de vue. Mais je crois sincèrement qu’il vaut bien mieux s’informer avant de faire une scène.

Exemple. Cela vous dit peut-être quelque chose. Votre fille vous présente une liste de doléances sur son enseignant. Il est méchant. Ses notes sont injustes. Ne donne pas assez de temps pour faire les devoirs. Vous prenez rendez-vous. Sur le chemin de l’école, vous ruminez : «Attends un peu que je lui donne ma façon de penser.»

Puis, l’enseignant dépose devant vous la liste des travaux incomplets de votre fille. Les résultats des tests pour lesquels elle n’a pas étudié. Les classes séchées.

Ça fait réfléchir, non?

Le quotidien du coin reçoit son plein de lettres de critiques en éducation. Parfois, l’une d’entre elles vient d’un quelconque expert en affaires qui se déclare tout fin prêt à venir en classe pour rendre compte de son expertise et replacer les jeunes dans le droit chemin. Ces lettres sont écrites par des individus convaincus que tout ce que font les enseignants, c’est enseigner. Que tout ce qu’il faut, c’est de connaître un curriculum en particulier. Et que croyez-vous que ces personnes feront quand un ado refusera clair et net d’arrêter de faire jouer son Walkman en classe?

Certains disent que si les enseignants veulent qu’on les traite en professionnels, ils devraient agir en professionnels. Il m’est d’avis que c’est déjà le cas; j’ajouterais même que si vous voulez que les enseignants soient professionnels, traitez-les en professionnels. Laissez-les faire leur travail. Faites-leur confiance.

Tous les enseignants ne sont pas parfaits. Les meilleurs, même, peuvent s’améliorer avec des suggestions utiles et une ouverture à de nouvelles idées. Par contre, chercher des puces ou s’adonner à une surveillance sans relâche ne mène à rien.

À vrai dire, je n’ai pas le temps de surveiller les moindres faits et gestes des enseignants de mes enfants. Je veux tout simplement qu’ils fassent leur travail. De toute façon, je suis bien trop occupé à essayer de comprendre comment fonctionne mon nouveau téléphone.


Linwood Barclay est chroniqueur au Toronto Star et auteur de Last Resort: Coming of Age in Cottage Country.

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