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Elizabeth Hay

La récipiendaire du Scotiabank Giller Prize de 2007 se souvient de Ross McLean. Il lui a inculqué l’amour de la littérature et le désir de le transmettre.

de Leata Lekushoff

T’arrive-t-il de te demander où va ta voix?

Elizabeth Hay a vu cette question épinglée au mur où elle travaillait dans les années 1970 alors qu’elle était journaliste à Yellowknife pour la radio de CBC. Cette phrase est plus tard devenue l’inspiration pour Late Nights on Air, roman pour lequel elle a remporté, en 2007, le Scotiabank Giller Prize, le plus important prix littéraire au Canada pour les textes de fiction. Le roman, dont l’action se déroule en 1975, porte sur la vie et les amours d’un groupe hétérogène attiré par le Nord canadien qui travaille dans une petite station de radio.

Mme Hay est née à Owen Sound en 1951 et a fréquenté six écoles élémentaires et secondaires, dont l’une à Londres, avant de faire sa dernière année au Centennial Collegiate Vocational Institute, à Guelph.

Comme le nom le suggère, l’ouverture de l’école a coïncidé avec les célébrations du centenaire du Canada, en 1967. Ross McLean s’est joint aux rangs du personnel de l’école à titre de premier responsable de la section d’anglais, apportant avec lui trois ans d’expérience en enseignement, «l’amour de la littérature et le désir de le transmettre».

Elizabeth Hay s’est inscrite en 13e année un an plus tard et a fait partie de la première cohorte de finissants. Elle se décrit comme une adolescente solitaire, fille d’un père directeur d’école secondaire, trop consciencieuse pour ne pas ramener de bonnes notes à la maison.

N’ayant jamais été une athlète, elle trouva son exutoire sur les planches au cours de ses premières années au secondaire, même si ce fut de courte durée.

«En 10e année, j’étais dans le club de théâtre et j’adorais ça. Puis, malheureusement, vers l’âge de 15 ans, je suis devenue si timide que je n’arrivais plus à monter sur scène.

«Je me souviens que son écriture était unique et pleine de sensibilité.»

«Ce dont je me souviens le mieux au sujet de l’école est un sentiment de peur et de nervosité. Je me sentais ainsi face aux enseignants et aux directions d’école qui, en particulier à cette époque, pouvaient être absolument terrifiants», dit Mme Hay.

Grande lectrice, la jeune Elizabeth surmonta son anxiété en recherchant la compagnie de ceux qui avaient la même passion. «L’anglais, surtout la littérature anglaise, était ma matière préférée, alors mes relations avec mes enseignants d’anglais étaient, en quelque sorte, celles qui m’ont le plus influencée au secondaire.»

Son admiration pour Ross McLean est née facilement. «Il était discret, incroyablement intelligent et raison­nable. Et je dis raisonnable dans un sens positif. Il se concentrait sur les textes au programme et nous aidait à être à la hauteur. C’est pourquoi je pense que, dans ses cours, je me sentais davantage capable, stimulée et à l’aise que dans tout autre cours. Parfois, on est simplement sur la même longueur d’onde que l’enseignant.»

M. McLean se souvient encore qu’Elizabeth Hay s’assoyait du côté gauche de sa classe, quelque part au milieu. «Je me souviens même de certaines de ses postures. Elle était toujours curieuse et motivée. Je pense qu’elle n’a manqué aucun cours.»

La motivation à apprendre de la jeune Elizabeth était égale à son don inné pour l’écriture. Son style impressionna M. McLean par sa maturité. D’autres élèves avaient de la difficulté à maîtriser la concision dans l’écriture, mais son style à elle était «dense», se souvient-il. Elizabeth Hay avait acquis cette habileté facilement même si elle avait, sans aucun doute, bénéficié de ce que M. McLean répétait en classe : «N’abusez pas des mots; utilisez les mots justes».

La jeune élève utilisait les mots avec sagesse et avec une créativité remarquable pour son âge. «Je me souviens que son écriture était unique et pleine de sensibilité. Si j’avais des textes de chaque élève de la classe, le sien était distinct et original. Il se démarquait.»

L’approche de M. McLean en classe était aussi unique. Il encourageait ses élèves à apprendre et à se cultiver au-delà de l’école. Il poussait les élèves du cycle supérieur à prendre en mains leurs propres études en visitant la bibliothèque de l’Université Guelph, située à proximité, et en assistant à des festivals de films, des pièces de théâtre, des conférences et des spectacles musicaux. Son but était de sensibiliser les élèves à ce que le campus avait à offrir pour leur donner d’autres choix que l’habituelle soirée de télévision à la maison.

«Il avait tout simplement une approche équilibrée, souple et uniforme, qui nous permettait de réussir mieux que jamais.»

«Il m’a encouragée à assister à des cours d’anglais à l’université», dit Elizabeth Hay. Cette expérience, et le talent de M. McLean pour demander des travaux exigeant beaucoup de recherches, renforcèrent ses compétences. «J’ai certainement senti, au cours de l’année, que je commençais à apprendre comment rédiger des compositions intéressantes.

«Il avait créé une ambiance très spéciale dans la classe, une atmosphère qui contribuait énormément à l’apprentissage. Il n’avait pas besoin de nous dominer ou de nous ignorer. Il avait tout simplement une approche équilibrée, souple et uniforme, qui nous permettait de réussir mieux que jamais.»

Sans le savoir, Elizabeth Hay a rendu le même service à son enseignant. M. McLean affirme qu’elle l’a inspiré à aider de nombreux élèves après elle. Alors qu’il surveillait l’un de ses plus importants examens de fin d’étape, un examen d’histoire d’une durée de deux heures, il s’est aperçu, après environ une heure, qu’elle n’avait pas encore touché son crayon, alors que les autres écrivaient avec ardeur.

«Je surveillais une salle remplie d’élèves en me disant : “Mon Dieu, que fait-elle?”, parce que je connaissais son potentiel», se souvient M. McLean.

Par conséquent, quand elle commença à écrire, il devint très curieux. M. McLean connaissait bien l’enseignant d’histoire et lui raconta l’anecdote. Il lui demanda s’il pouvait voir le texte une fois qu’il serait noté. En fin de compte, Elizabeth Hay obtint la meilleure note de la classe, soit environ 97 %.

Elle avait travaillé les diverses idées dans sa tête au cours de la première partie de la période, comprit plus tard M. McLean. «C’était de loin le texte le plus concis, mais c’était franchement aussi le plus brillant et le mieux organisé.»

Après avoir vu Elizabeth Hay à l’œuvre, M. McLean procéda à des expériences au cours des années qui suivirent. Il demandait à ses élèves de résister à leur habitude d’écrire furieusement au début des examens. Il leur enjoignait de faire des brouillons pour réfléchir à leurs réponses pendant 20 minutes, et c’est seulement par la suite qu’il leur donnait des cahiers d’examen.

«C’était très difficile pour certains de mes élèves parce que c’était contraire à leurs habitudes. En fait, je pense que nombre d’entre eux ont appris une leçon : l’importance de planifier et d’organiser. De plus, de cette manière, ils ont tous réalisé un meilleur travail.»

Quand on lui demande s’il savait qu’Elizabeth Hay deviendrait éventuellement une auteure connue, M. McLean répond : «Elle avait sans conteste un immense talent. J’en étais très conscient. Et, comme toujours, j’étais très curieux de savoir où ce talent allait la mener».

Cela l’a menée vers une carrière à la radio, puis à l’enseignement, un changement de cap imprévu. Après 10 ans à la CBC, elle déménagea à New York, où elle enseigna la création littéraire à l’Université de New York.

«Je vivais aux États-Unis avec deux jeunes enfants. Je n’avais aucun contact dans le milieu radiophonique là-bas. J’écrivais, mais j’estimais que je devais tenter de gagner un peu d’argent. J’avais un ami qui enseignait à l’Université de New York. Il a donné mon nom et c’est ainsi que j’ai eu l’emploi.»

Ross McLean en 1967

Lorsqu’elle revint vivre au Canada, elle continua de donner des cours du soir, cette fois à l’Université d’Ottawa, avant de se consacrer à l’écriture à temps plein à partir de 1996.

Bien que cette carrière en enseignement fût en apparence fortuite, quiconque connaît Elizabeth Hay peut penser le contraire. L’enseignement coule dans ses veines. «L’école, sous toutes ses formes, a toujours été d’un grand intérêt pour moi, en partie en raison de l’énorme place qu’elle occupe dans ma vie, et aussi en raison de la profession de mon père», admet-elle.

Gordon Hay a commencé sa carrière comme professeur d’histoire, est devenu directeur d’école au secondaire, a été président de district de la FEESO dans les années 1950 et a terminé sa carrière comme professeur de pédagogie au Western’s Althouse College.

«Je pense que ses années les plus heureuses ont été ses années d’enseignement. Il est devenu directeur, avec tous les maux de tête que cela implique, à une époque où il y avait une importante pénurie d’enseignants.»

Elizabeth Hay a réussi à ne pas être dans la classe de son père lorsqu’il était enseignant, mais elle n’a pu éviter d’être une de ses élèves alors qu’il était directeur d’école. Pendant deux ans, c’est en ressentant des émotions contradictoires qu’elle a arpenté les couloirs de la Mitchell District High School. «Je ressentais à la fois de la fierté et de l’angoisse. Peut-être le mot angoisse est-il trop fort, mais il est certain que je ressentais parfois de l’inquiétude et de l’embarras pour lui, et pour moi-même, mais aussi de la fierté.»

«C’est peut-être en raison de son ouverture à apprendre des autres que M. McLean a été un si bon enseignant.»

Ce n’est donc pas un hasard si plusieurs personnages principaux de son roman Late Nights on Air sont des enseignants ou ont des parents qui œuvrent dans le milieu de l’enseignement. Ce n’est pas une coïncidence non plus si M. McLean, maintenant à la retraite, et Elizabeth Hay sont demeurés en contact au cours des années. Elle lui envoie ses livres et il les lit.

Ils se sont finalement revus il y a six ou sept ans, au cours d’un déjeuner. Elizabeth Hay faisait une lecture près de Guelph et avait décidé qu’elle essaierait de dire à M. McLean «comment je me sentais par rapport à l’excellent enseignant qu’il avait été». Elle admet toutefois qu’elle n’est pas certaine d’avoir réussi.

«Je pense que cela lui a plu et qu’il était quelque peu incrédule, peut-être comme j’ai réagi quand il m’a dit qu’il n’y avait rien que je ne puisse accomplir. Il n’a jamais été un homme démonstratif. C’est l’une des raisons pour lesquelles j’étais si à l’aise en sa présence. Nous ne nous sommes pas attardés sur la question. J’ai essayé de lui dire ce que je pensais, puis nous sommes passés à autre chose.»

Fait peu surprenant, ils finirent par discuter d’écriture. Mais cette fois, les choses étaient différentes. «J’écris un peu, mais pour moi, dit M. McLean. Je lui ai parlé de certains problèmes que j’éprouvais à l’époque, et elle m’a donné des conseils.»

L’élève était devenue l’enseignante.

C’est peut-être en raison de son ouverture à apprendre des autres que M. McLean a été un si bon enseignant.

«La 13e année a été une année heureuse pour moi. J’ai commencé à être moi-même. Pour la première fois, j’avais le sentiment d’être compétente, et cela, je le dois en grande partie à Ross McLean.»

Selon Elizabeth Hay, «apprendre demeure l’une des choses les plus merveilleuses qui soient».

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