Les classes à années multiples : le débat est lancé

Environ le quart des élèves des écoles élémentaires de l’Ontario font partie de classes à années multiples. Elles n’ont rien de nouveau, mais le débat sur la question prend de l’ampleur.   

de Helen Dolik

Pour Nadia Ciacci, équations et bechers n’ont pas de secret. Ce qu’elle n’arrive pas à faire, cependant, c’est se séparer en deux pour enseigner à sa classe à années multiples.

«Je ne pense même pas qu’une machine pourrait être programmée pour faire ça. Ses circuits sauteraient», dit Nadia qui enseigne les mathématiques et les sciences à une classe d’élèves surdoués de 5e et 6e années à la Crosby Heights Public School de Richmond Hill.

Les classes à années multiples ne sont pas un phénomène nouveau. Elles remontent à l’époque des écoles de rang où une seule enseignante s’occupait d’élèves de plusieurs années d’études. Le problème ne réside pas en soi dans les années multiples; certains enseignants et enseignantes ont des classes à années multiples depuis 20 ans et selon eux, tout va pour le mieux.

Le problème est ailleurs.

À l’automne 2000, l’Elementary Teachers’ Federation of Ontario (ETFO) a mis sur pied un groupe de travail pour étudier les problèmes touchant les classes à années multiples en Ontario. Ce groupe de travail a produit une déclaration de principes intitulée Split Decisions — The Reality of Combined Grades in Ontario in 2001.

Pour Ciacci, secrétaire-trésorière de la section locale de la région de York de la fédération et membre du groupe de travail, c’est le nouveau curriculum, avec ses attentes et contenus d’apprentissage qui se comptent par centaines, qui représente l’ennemi numéro un des classes à années multiples. À son avis, il est impossible d’enseigner les contenus correspondant à deux années d’études dans le temps réservé à une seule année.

En effet, dans une classe à années multiples, on peut compter plus de 1 000 attentes et contenus d’apprentissage.

«Ce qui revient à dire, c’est que vous enseignez à temps partiel à un groupe et à temps partiel à l’autre groupe, déclare Ciacci. Moi, je fais mon travail à plein temps, mais les enfants, qu’est-ce qu’ils reçoivent? Un enseignement à temps partiel.»

RÉPONSE DU MINISTÈRE

Le ministère de l’Éducation a réitéré son engagement envers le curriculum instauré en 1997, mais ne fait pas la sourde oreille aux demandes d’aide du personnel enseignant. Il a organisé des ateliers, offert de la formation, publié des brochures et fourni des unités modèles dans le but d’aider les enseignantes et enseignants des classes à années multiples.

«Le curriculum est très rigoureux et avancé et il comporte des normes élevées; le gouvernement en est satisfait», a déclaré Tanya Cholakov, porte-parole du Ministère.

«Le Ministère fait entièrement confiance aux enseignantes et aux enseignants […] Les classes à années multiples sont une réalité en Ontario. Le gouvernement tient à mettre tout en œuvre pour appuyer le personnel enseignant parce qu’en définitive, nous visons la réussite des élèves.»

Pour le gouvernement ontarien, le nouveau curriculum est au cœur de la réforme de l’éducation. Le curriculum, les tests provinciaux, le bulletin scolaire normalisé et les nouvelles normes d’enseignement ont été instaurés pour que les élèves de l’Ontario obtiennent une éducation de qualité et pour mieux rendre compte aux parents.

Cholakov rappelle que le gouvernement a constitué le Partenariat, composé de membres du personnel du Ministère et de partenaires de l’éducation, pour appuyer la mise en œuvre du curriculum. Ce groupe se réunit quatre fois l’an.

De concert avec le Partenariat, le Ministère a élaboré un plan d’action visant à épauler le personnel enseignant des classes à années multiples. Vous pouvez consulter ce plan d’action, approuvé en mai 2000, dans le site web du Ministère à www.edu.gov.on.ca > Éducation élémentaire et secondaire > Actualités de la mise en œuvre > Décembre 2000.

Selon Cholakov, le ministère a réagi en offrant un certain nombre d’ateliers d’été, de la formation au printemps sur l’enseignement dans les classes à années multiples et une brochure sur les pratiques et les stratégies visant la gestion de la salle de classe, la planification des cours, l’évaluation et la préparation des bulletins.

Elle ajoute que le Ministère a également conçu des unités modèles à l’intention du personnel enseignant des classes à années multiples et qu’il est en voie de concevoir un site web qui proposera des conseils visant à faciliter la mise en œuvre du curriculum dans ces classes. Les unités modèles sont disponibles sur cédérom, ou encore les enseignantes et enseignants peuvent y accéder en utilisant le planificateur d’unités d’apprentissage, un logiciel du Ministère qui a été distribué dans les écoles.

UNITÉS MODÈLES

Nick Scarfo, coordonnateur au programme de maîtrise en enseignement de l’Institut d’études pédagogiques de l’Ontario de l’Université de Toronto, est un spécialiste des unités modèles. Il a été agent d’éducation à la Direction des politiques relatives au curriculum et à l’évaluation du ministère de l’Éducation.

Scarfo a coordonné le projet d’unités modèles pour le curriculum de l’élémentaire, où l’on a élaboré des documents prêts à utiliser en classe à l’intention des enseignantes et enseignants des classes à année simple et à années multiples. Le Conseil ontarien des directrices et directeurs de l’éducation, les conseils scolaires publics et catholiques et l’Institute for Catholic Education (ICE) participent au projet.

Des équipes de rédaction composées d’enseignantes et d’enseignants ont élaboré des unités modèles destinées au personnel enseignant des classes à années multiples et à année simple en mathématiques, en sciences et technologie, en études sociales, en histoire et en géographie. Il y a 81 unités modèles pour la 1re à la 8e année. Quatre exemplaires du cédérom ont été envoyés à chaque école de l’Ontario.

«La réaction est très positive, les documents sont très utiles et très pratiques en classe», affirme Scarfo.

Scarfo ajoute qu’une enseignante ou un enseignant peut prendre une unité et l’utiliser telle quelle ou l’adapter en fonction des besoins de ses élèves. Le Ministère a produit 25 000 cédéroms qu’il a commencé à distribuer à la fin de novembre 2001. C’est la première étape; la deuxième est déjà en cours et consiste à élaborer des unités modèles en arts, en langue et en éducation physique et santé.

«Nous espérons que d’ici la fin de l’année scolaire, nous aurons une autre série d’unités, déclare Scarfo. C’est notre objectif. Ce projet m’emballe, car il produit quelque chose de vraiment utile.»

UN MÉLANGE DANGEREUX

Cependant, l’auteur principal du programme-cadre de sciences et technologie au palier élémentaire admet d’emblée que le curriculum et les classes à années multiples ne font pas bon ménage. Pour Graham Orpwood, professeur en éducation à l’Université York, cela ne fait pas de doute.

«Le problème découle du manque de financement, pas du curriculum», déclare-t-il.

«La question n’est pas de savoir comment dispenser le curriculum dans des classes à années multiples. La réponse à cette question est fort simple : ça ne fonctionne pas. Il faut plutôt se demander comment éliminer les classes à années multiples pour que le curriculum puisse être dispensé correctement.»

Il suggère de modifier la formule de financement de façon à éliminer les classes à années multiples au lieu de passer les problèmes au personnel enseignant et de condamner le curriculum.

«Ce n’est pas un problème d’enseignant, c’est un problème de gouvernement», d’ajouter Orpwood.

Cholakov réplique en disant que la formule de financement a été conçue de manière à assurer une plus grande équité dans la province et pour faire en sorte que les conseils scolaires aient l’argent nécessaire pour répondre aux besoins de leurs élèves.

La formule de financement du gouvernement ontarien prévoit notamment un ratio de 24,5 élèves par enseignante ou enseignant au palier élémentaire et de 21 élèves au palier secondaire.

La réforme de l’éducation mise de l’avant par le gouvernement de l’Ontario devait limiter l’effectif des classes dans les écoles élémentaires et secondaires. Or, une enquête menée par l’Ontario English Catholic Teachers’ Association (OECTA) auprès de plus de 1 000 écoles catholiques de l’Ontario révèle que 60 pour 100 des élèves du palier élémentaire fréquentent des classes qui comptent plus de 25 élèves et que 65 pour 100 des élèves du palier secondaire se retrouvent dans des classes de plus de 22 élèves.

En outre, cette enquête menée en 1999 révèle qu’en moyenne, les classes à années multiples comptent généralement plus d’élèves que les classes à année simple et que les écoles rurales ont un plus grand nombre de classes à années multiples.

 

Effectif des années combinées des écoles élémentaires financées par les fonds publics en 1999-2000 et 2000-2001

Années combinées 1999-2000 2000-2001
     
Maternelle et jardin Maternelle Jardin Total Maternelle Jardin Total
  45 185 48 967 94 152 45 334 50 546 95 880
Jardin et 1re année Jardin 1re année Jardin 1re année
  1 190 1 146 2 336 1 189 996 2 185
1re année et 2e année 1re année 2e année 1re année 2e année
  22 461 22 203 44 664 20 898 21 192 42 090
2e année et 3e année 2e année 3e année 2e année 3e année
  18 663 19 213 37 876 15 732 16 942 32 674
3e année et 4e année 3e année 4e année 3e année 4e année
  17 822 18 113 35 935 15 784 15 986 31 770
4e année et 5e année 4e année 5e année 4e année 5e année
  22 654 21 909 44 563 20 413 19 884 40 297
5e année et 6e année 5e année 6e année 5e année 6e année
  22 837 23 353 46 190 21 142 21 900 43 042
6e année et 7e année 6e année 7e année 7e année 8e année
  9 450 8 425 17 875 7 564 6 917 14 481
7e année et 8e année 7e année 8e année 7e année 8e année
  19 120 21 424 40 544 18 744 20 343 39 087

Source :
Rapport de septembre de certaines années
Les données excluent les hôpitaux, les écoles provinciales, les établissements de soins et de traitement
Les données de 2000-2001 sont préliminaires

UNE PRIORITÉ

Selon Brian McGowan, administrateur de programmes au service de perfectionnement professionnel de l’OECTA, le problème des classes à années multiples est l’une des questions prioritaires pour le personnel enseignant et la santé des classes. L’OECTA a produit un document de travail sur les classes à années multiples, diffusé à des milliers d’exemplaires et affiché dans son site web. L’OECTA demande un rajustement du curriculum et une étude immédiate des effets des classes à années multiples sur les élèves.

Selon McGowan, l’un des problèmes réside dans le fait que le nouveau curriculum n’établit pas de distinction entre les attentes et contenus d’apprentissage fondamentaux et secondaires. Le curriculum est désormais fondé sur des principes qui éliminent la marge de manœuvre dont disposait le personnel enseignant par le passé.

Par exemple, le cours de sciences et technologie de 7e année compte 131 attentes et contenus d’apprentissage. «Il faut quand même mettre ces 131 contenus en ordre d’importance», affirme McGowan.

Le personnel enseignant et les élèves doivent composer avec 1 204 attentes et contenus d’apprentissage dans une classe de 7e et 8e années : 601 pour la 7e année et 603 pour la 8e année.

«Le calcul est simple, poursuit McGowan. Pour inculquer deux fois plus de contenus d’apprentissage dans le même laps de temps, vous ne consacrerez à chacun que la moitié du temps prévu.»

Le document de travail de l’OECTA sur les classes à années multiples porte sur l’obligation de rendre compte et sur les nouvelles formes d’évaluation qui ont ajouté aux pressions que subissent les élèves et le personnel enseignant.

L’Office de la qualité et de la responsabilité en éducation (OQRE) administre des tests provinciaux et les élèves de l’Ontario participent à des tests nationaux et internationaux. Un bulletin de trois pages fait à la machine a remplacé le bulletin d’une page écrit à la main. Les enseignantes et enseignants produisent des plans d’enseignement individualisés pour les élèves qui en ont besoin.

Les problèmes sont exacerbés dans une classe à années multiples qui appartiennent à deux cycles et où les élèves de l’une des années passent un test provincial. Dans une classe de 6e et 7e années, les élèves de la 6e année passent le test provincial, mais pas ceux de 7e année. Les résultats sur le bulletin de 6e année s’expriment par lettres, mais ceux de la 7e année en pourcentages. Les études sociales sont enseignées à des années d’études inférieures, tandis que les élèves de 7e année apprennent l’histoire et la géographie.

UNE PLUS GRANDE SOUPLESSE EST REQUISE

Donna Lacavera, auteure du document de l’OECTA sur les classes à années multiples, affirme que les enseignantes et enseignants ont besoin de plus de souplesse pour dispenser le curriculum, et que ceux des classes à années multiples ont besoin de deux fois plus de temps de préparation pour faire face à une double charge de travail. Pour elle, le curriculum actuel représente une amélioration par rapport à son prédécesseur, mais les difficultés qu’il suscite pour les classes à années multiples en sont une conséquence inattendue.

«Oui, ces enseignantes et enseignants ont un défi de taille à relever, et dans bien des cas, ils y parviennent, déclare Lacavera, adjointe de direction au service de perfectionnement professionnel de l’OECTA. Ils font de leur mieux pour que la situation ne pénalise pas les élèves.»

Le rapport conclut que l’Ontario fusionne deux systèmes d’éducation divergents : le système fondé sur les années d’études et le système multi-âges. Dans le premier cas, les enfants sont regroupés par âge et par année d’études et sont assujettis au même curriculum. Dans le second cas, le curriculum est adapté aux enfants et les élèves progressent à leur propre rythme.

McGowan recommande un examen du curriculum. «C’est une tâche complexe, mais nécessaire», déclare-t-il.

Le ministère de l’Éducation n’envisage pas de modifier le curriculum. «Je ne crois pas que nous allons modifier les attentes et contenus d’apprentissage établis, déclare Cholakov. Cependant, nous tenons à appuyer entièrement le personnel enseignant dans sa mise en œuvre.»

Les écoles de langue française de la province doivent elles aussi composer avec les difficultés que présentent les classes à années multiples.

«Il faut pratiquement porter un t-shirt avec un gros «S» sur le devant pour pouvoir satisfaire à toutes les attentes d’apprentissage», déclare Robert Millaire, responsable de dossiers à l’Association des enseignantes et des enseignants franco-ontariens (AEFO).

«Les enseignantes et enseignants ont besoin de documents, de ressources et de plus de temps de préparation pour s’adapter aux classes à années multiples», ajoute-t-il.

 

Les classes à années multiples : un phénomène généralisé

Les classes à années multiples sont une réalité de la vie pédagogique en Ontario.

Au palier élémentaire, environ un élève sur quatre fréquente une classe à années multiples. Au palier secondaire, cette proportion diminue pour passer à un sur dix.

Selon le ministère de l’Éducation, 341 506 élèves de l’élémentaire, soit 23,8 pour 100 d’entre eux, étaient dans des classes à années multiples en 2000-2001, ce qui représente une baisse par rapport à 1999-2000, alors que 364 135 élèves étaient dans des classes à années multiples, soit 25,5 pour 100.

Seulement 8 4 pour 100 des classes du secondaire étaient des classes à années multiples, selon une étude sur la taille des classes menée en 1999 par l’OECTA.

Les classes à années multiples se retrouvent également dans le réseau des écoles de langue française de l’Ontario. Le nombre varie entre 25 pour 100 des classes de l’élémentaire et 35 pour 100 des classes du secondaire, selon Robert Millaire, responsable de dossiers à l’AEFO.

Les classes à années multiples sont répandues partout dans le monde, des États-Unis à la Chine. Les classes à année simple ont vu le jour à la suite de la révolution industrielle et de l’urbanisation du XIXe siècle. Le regroupement des élèves selon l’année d’études reposait sur le principe de la chaîne de production : plus d’enfants pouvaient être éduqués à moindre coût.

Au Canada, les recherches indiquent qu’un enfant sur cinq fréquente une classe à années multiples. Ces données datent d’il y a dix ans.

Diane Lataille-Démoré et Angèle Fradette de l’Université Laurentienne ont dirigé le Projet provincial sur les classes à niveaux multiples. Leur rapport de décembre 2000 porte sur les classes à années multiples partout dans le monde.

Les auteures ont notamment constaté qu’en Grande-Bretagne, environ la moitié des enseignantes et enseignants commencent leur carrière dans des classes à années multiples. On retrouve ce type de classes aux États-Unis, en France, au Pakistan, au Pérou et en Zambie. Aux Pays-Bas, 53 pour 100 des enseignantes et des enseignants de l’élémentaire enseignent dans des classes à années multiples. Dans les régions rurales de la Nouvelle-Zélande, de l’Australie et du Portugal, ce sont ces classes qui permettent de garder ouvertes les écoles de village.

Beaucoup de pays d’Asie, d’Afrique et d’Amérique du Sud considèrent les classes à années multiples comme un moyen d’offrir une éducation de qualité à moindre coût. Un enseignant enseigne les six années d’études dans 22 pour 100 des écoles élémentaires du Mexique.

«Lorsque les systèmes d’éducation sont bien financés, écrivent Lataille-Démoré et Fradette, le nombre de classes à années multiples diminue. En revanche, lorsque le financement de l’éducation subit d’importantes réductions, comme c’est le cas presque partout depuis 10 ou 20 ans, il connaît une augmentation exponentielle.

ÉVITER LES ÉCUEILS DES CLASSES MULTI-ÂGES

Le manuel de l’Association for Supervision and Curriculum Development (ASCD) fait écho aux préoccupations des enseignantes et des enseignants, la question venant au deuxième rang du chapitre intitulé Avoiding the Top Ten Multiage Disasters. L’écueil numéro 2 concerne le regroupement des enfants d’années d’études différentes dans la même classe mais en utilisant du matériel, des évaluations et un bulletin scolaire propre à une seule année d’études.

«Un programme multi-âges repose sur l’avancement des élèves à leur propre rythme, écrivent les auteurs Jim Grant et Bob Johnson. Et, au besoin, il permet aux enfants de prendre une année de plus pour apprendre sans qu’il y ait de changement officiel de leur statut.»

«En revanche, les programmes fondés sur les niveaux scolaires répartissent les progrès de l’enfant en segments distincts qui exigent que l’on décide chaque année si tel enfant sera promu, si tel autre doublera ou si tel autre encore sautera une année.»

«Parfois, l’écart entre deux approches est si grand qu’il est absolument impossible de bâtir un pont entre les deux. Nous croyons que c’est ce qui se produit dans le cas des programmes multi-âges et des programmes fondés sur les années d’études. Les différences organisationnelles et pédago-giques sont tout simplement trop marquées.»

Les auteurs ajoutent que les programmes multi-âges ne devraient pas faire appel aux manuels propres à une année d’études ni aux tests normalisés.

Selon le rapport Split Decisions de l’ETFO, le curriculum actuel de l’Ontario a été élaboré en vase clos et il y a peu de chevauchements entre les matières d’une même année d’études ou de plusieurs années d’études.

Toujours selon ce rapport, les enseignantes et enseignants ont besoin de thèmes communs, de chevauchements, pour intégrer différents sujets, et à l’heure actuelle, ils dispensent des cours parallèles dans la même classe pendant une bonne partie de la journée, ce qui demande beaucoup de temps et entrave leur interaction avec les élèves.

Penny Lebo, âgée de 11 ans, peut en témoigner. Elle est actuellement en 7e année dans une classe à année simple, à la Bowmore Public School de Toronto. Cependant, l’an dernier, elle était l’une des 10 élèves de 6e année dans une classe à années multiples qui comptait également 23 élèves de 5e année à la Norway Public School. Elle préfère de loin la classe à année simple.

Elle dit que les classes à années multiples sont bruyantes, que tout le monde fait des choses différentes et que l’enseignant se concentre sur une seule année d’études, habituellement l’année inférieure.

«L’enseignant essaie d’être juste avec tout le monde, soutient Penny. On fait un peu de travail de 5e année et un peu de 6e année. On apprend seulement une partie de ce qu’on est censé apprendre. Nous en 6e, on a déjà vu cette matière.»

Penny croit que si sa classe avait été une classe de 6e année seulement, elle aurait appris plus et obtenu de meilleurs résultats aux tests provinciaux de l’OQRE.

INTÉRÊT CROISSANT CHEZ LES PARENTS

Les parents commencent à écouter les revendications des enseignantes et enseignants concernant les classes à années multiples.

Selon Greg Reid, président du Conseil ontarien des parents, la question des classes à années multiples sera soulevée lors d’une prochaine réunion et soumise à une étude.

«Nous commençons à tenir compte des préoccupations à ce sujet, déclare Reid, celles des enseignantes et enseignants et celles des parents.»

Reid dit que le Conseil a besoin de plus de renseignements et qu’il pourrait inviter des représentants gouvernementaux ou des groupes d’enseignantes et d’enseignants à venir expliquer la question. Il dit que l’un de ses fils est dans une classe de 7e et 8e années et qu’il aime ça, qu’il n’a absolument aucun problème.

Sue Robertson, vice-présidente de l’Ontario Federation of Home and School Associations, soutient que si les parents préfèrent que leurs enfants fréquentent des classes à année simple si possible, ils reconnaissent que les classes à années multiples constituent une réalité de la vie scolaire.

«Ils savent que c’est une question de chiffres», soutient-elle. À son avis, l’enseignement dans une classe à années multiples devrait compter parmi les sept cours obligatoires du nouveau programme de perfectionnement professionnel des enseignantes et des enseignants.

Annie Kidder, l’une des fondatrices de People For Education, déclare qu’il est difficile de s’entendre sur la question des classes à années multiples.

«Les gens ont des opinions bien arrêtées, favorables ou défavorables. Certains parents aiment les classes à années multiples, d’autres pas. Moi, personnellement, je n’en suis pas folle, mais d’autres croient qu’elles sont formidables.»

«Cette question est loin de faire des vagues, poursuit-elle. À mon avis, elle ne soulève pas de tollé comme la fermeture d’une école ou le manque de livres.»

CERTAINES ÉCOLES ONT BESOIN DE CLASSES À ANNÉES MULTIPLES

Martha Foster, présidente de l’Ontario Principals’ Council, déclare que son organisme n’a pas eu d’écho sur les classes à années multiples.

Elle dit que certaines personnes s’inquiètent de ce qu’une enseignante ou un enseignant doive partager son temps entre deux années d’études, mais ajoute que dans certaines écoles très petites, les classes à années multiples sont une nécessité.

«Ces écoles en ont besoin pour survivre, soutient-elle. Sans ces classes, ces écoles fermeraient et les élèves devraient aller s’instruire hors de leur collectivité.»

«L’autre problème, c’est que parfois ce ne sont pas seulement les petites écoles. Il arrive que dans de grandes écoles, on retrouve également des combinaisons d’élèves pour le moins intéressantes.»

À son avis, une classe à années multiples ne devrait pas être plus grande, mais plus petite.

Elle est d’accord que des enseignantes et des enseignants expérimentés devraient être affectés à des classes à années multiples dans la mesure du possible.

«La raison pour laquelle c’est avantageux c’est que pour l’enseignante ou l’enseignant qui en est à sa première année d’enseignement, chaque préparation est nouvelle; il ne l’a jamais faite auparavant. Alors, si un nouvel enseignant se retrouvait avec une classe à années multiples, tout ce qu’il ferait serait nouveau. Même avec deux ou trois ans d’expérience, une partie de ses préparations serait faite.»

Foster est également d’accord pour que la 3e et la 6e année demeurent des classes à année simple lorsque c’est possible.

«S’il n’y a pas moyen de faire autrement, il faut élaborer un plan de rechange pour que les élèves de 3e et de 6e puissent être isolés de temps à autre», ajoute-t-elle.

RÉGLER LE PROBLÈME

Environ le quart des élèves de l’élémentaire de la province se retrouvent dans des classes à années multiples. Que peut-on faire pour les rendre plus intéressantes?

Dans le rapport Split Decisions, l’ETFO consacre trois pages aux modifications que le Ministère, les conseils scolaires et les fédérations peuvent apporter pour régler les problèmes liés aux classes à années multiples.

L’ETFO est d’avis que le Ministère doit :

  • prévoir dans le curriculum plus de souplesse pour permettre aux enseignantes et enseignants de distinguer les attentes et contenus d’apprentissage fondamentaux et secondaires.
  • mener des études et revoir la formule de financement et le bulletin scolaire.

Selon le rapport, les conseils scolaires devraient :

  • éviter les classes à années multiples pour les 3e et 6e années et éviter de combiner les cycles primaire, moyen et intermédiaire.
  • affecter les enseignantes et enseignants les plus expérimentés aux classes à années multiples et choisir des élèves disciplinés et autonomes pour ces classes.
  • éviter de placer les mêmes élèves dans des classes à années multiples pendant plusieurs années consécutives.
  • accorder plus de temps de préparation et assigner de plus petites classes aux enseignantes et enseignants qui ont des classes à années multiples.

Le rapport Split Decisions recommande en outre aux fédérations et aux intéressés :

  • d’élaborer des plans de cours et d’autres ressources liées au curriculum pour les élèves et les enseignantes et enseignants des classes à années multiples.
  • de collaborer avec les facultés d’éducation pour que les étudiants en éducation puissent acquérir plus d’expérience dans les classes à années multiples.

LA MÉTHODE DICKENS

Pendant qu’en Ontario, on s’interroge sur le bien-fondé des classes à années multiples, une école du centre-ville de Vancouver qui a adopté la philosophie des classes multi-âges attire une multitude d’éducatrices et d’éducateurs. À l’école élémentaire Charles Dickens, il n’y a aucune classe à année simple.

En effet, depuis 1989, on ne trouve à l’école Charles Dickens que des classes multi-âges.

Six cents élèves du jardin d’enfants à la 7e année fréquentent l’école Charles Dickens, et l’on entend 26 langues dans les corridors de cette école unique.

«L’école est réellement axée sur les enfants, déclare John Perpich, directeur de l’école. Elle tient compte des enfants et de leur niveau. On n’essaie pas de faire entrer une cheville ronde dans un trou carré.»

Les élèves ont la même enseignante ou le même enseignant pendant deux ou trois ans. «C’est une famille, et les enseignantes et enseignants finissent par réellement connaître les élèves», ajoute-t-il.

Le conseil scolaire de Vancouver, les éducatrices et éducateurs, les parents, le personnel et les élèves appuient ce programme. L’école Charles Dickens suit le curriculum du gouvernement de la Colombie-Britannique qui est plus souple que celui de l’Ontario.

L’école Charles Dickens offre un programme différents de ceux offerts ailleurs à Vancouver. On y retrouve :

  • les classes multi-âges dans toute l’école (jardin-1re-2e, 2e-3e-4e, 3e-4e, 3e-4e-5e, 4e-5e et 5e-6e-7e) qui mettent l’accent sur les progrès continus des élèves et des relations stables à long terme entre les élèves, les parents et le personnel enseignant pendant deux ou trois ans;
  • l’enseignement par équipes de deux enseignantes et enseignants;
  • l’apprentissage d’activités fondées sur des approches ouvertes, intégrées, thématiques et coopératives qui font appel à un éventail de ressources.

ÉTUDES SUR LA QUESTION

Le débat sur les classes à années multiples est à la source de nombreux livres et études. Une étude menée dans le sud de la Californie révèle que la majorité des enseignantes et des enseignants voyaient d’un mauvais œil les classes à années multiples et préféraient ne pas y enseigner. DeWayne A. Mason et Robert B. Burns ont interrogé des enseignantes et des enseignants de classes à années multiples pour un article paru en 1995 dans le Journal of Educational Research. Pour beaucoup d’entre eux, ces classes pourraient être bénéfiques dans les circonstances appropriées, c’est-à-dire avec les bons élèves et une classe de petite taille, notamment parce que les élèves des années d’études inférieures sont mis en contact avec des sujets avancés et ceux des années supérieures profitent d’un renforcement en ayant la possibilité de revoir la matière.

Cinq des 35 enseignantes et enseignants interrogés ont dit préférer les classes à années multiples, mais ceux-ci étaient expérimentés et avaient des conditions d’enseignement favorables, notamment de petites classes, des élèves surdoués ou une marge de manœuvre considérable leur permettant de concevoir un curriculum intégré.

Plus près de chez nous, Catherine Browne, enseignante à l’école élémentaire Keatsway Public School du Conseil scolaire de district de la région de Waterloo, considère que les classes à années multiples constituent un sujet de discussion important dans le milieu de l’éducation en Ontario. Elle en a fait le sujet de son mémoire de maîtrise en éducation.

Pour sa maîtrise, Browne a interrogé neuf enseignantes et enseignants de l’élémentaire qui ont des classes à années multiples dans la région de Waterloo. Elle a constaté que les élèves autonomes et disciplinés constituent les meilleurs candidats pour les classes à années multiples. Ses études révèlent que ces classes profitent aux élèves plus jeunes, qui acquièrent plus de connaissances et une plus grande confiance à mesure que l’année progresse, tandis que les élèves de l’année d’études supérieure se sentent importants parce que les plus jeunes les voient comme des chefs de file.

«Par ailleurs, les élèves de l’année d’études supérieure sont perçus par leurs pairs des classes à année simple comme moins intelligents et manquant de maturité sociale», déclare Browne.

Les neuf enseignants ont dit qu’ils préféraient enseigner à des classes à année simple, le tiers ajoutant qu’enseigner à une classe à années multiples n’est pas une mauvaise chose.

Browne a également constaté que la coopération entre pairs constitue la principale stratégie d’enseignement dans les classes à années multiples.

«Les élèves étaient encouragés à poser des questions à deux de leurs pairs avant de s’adresser à un adulte», ajoute-t-elle.

Que cela nous plaise ou non, il semble bien que les classes à années multiples soient là pour rester. Le nouveau curriculum a eu des conséquences négatives inattendues sur les classes à années multiples d’aujourd’hui en obligeant les enseignantes et enseignants à équilibrer le temps mis à leur disposition et le Ministère de l’Éducation à offrir différents ateliers et ressources pour épauler les éducatrices et les éducateurs. Le véritable défi consistera à rendre les classes à années multiples plus intéressantes pour tout le monde.


Vous pouvez consulter le document de l’ETF, Split Decisions — The Reality of Combined Grades in Ontario in 2001 à www.etfo.on.ca/index.html.

Le document de travail de l’OECTA sur les classes à années multiples se trouve à www.oecta.on.ca/pdfs/combinedgrds.pdf. Le plan d’action du ministère sur le soutien offert aux enseignantes et aux enseignants pour la mise en œuvre du curriculum dans les classes à années multiples se trouve au site web du ministère à www.edu.gov.on.ca > Éducation élémentaire et secondaire > Actualités de la mise en œuvre > Décembre 2000.

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